Notes sur l’intégration de la crise iranienne

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Notes sur l’intégration de la crise iranienne

Les récents événements, en Iran et autour de l’Iran, notamment dans le prolongement des élections présidentielles d’il y a un mois, méritent une analyse générale permettant d’avoir une appréciation nouvelle de la crise iranienne. Il nous importe de placer cette crise, avec son évolution actuelle, dans son contexte réel, qui est le contexte le plus général possible.

On verra que ces développements sont le plus possible tenus à distance de ce qui semble en général les constituants explicatifs de la “crise iranienne”. La raison est que, justement, ces constituants habituels n’expliquent pas assez et, surtout, qu'ils expliquent souvent faussement. La crise iranienne n’est compréhensible d’une façon satisfaisante que si elles est intégrée dans notre crise générale.

Le bavardage de Biden

Il y a eu une “crise iranienne” à Washington même, certes connectée aux événements en Iran depuis le 12 juin (élections présidentielles), mais qui a suivi sa propre vie, sa propre logique. Elle s’est nouée avec l’“incident Biden” du 5 juillet, lors de l’interview du vice-président Biden par George Staphanopoulos dans son émission This Week.

L’incident fut amplifié dans les 48 heures qui suivirent, puis réduit radicalement, voire contredit explicitement par une exclamation du président Obama, – c’est-à-dire que la “crise iranienne” de Washington à ce stade s’est dénouée. Il s’agit du “Absolutely not”, dit à partir de Moscou sur CNN le 7 juillet, en réponse à la question de savoir si Israël avait le “feu vert” pour une attaque contre l’Iran. La vigueur de la réponse tranche sur l’ambiguïté de l’“incident Biden”. Ces deux mots, – vigueur et ambiguïté, – définissent indirectement deux politiques.

Signification du “Absolutely not” de BHO

Le “Absolutely not” de BHO représente, en un sens symbolique, le contrepoint du “All options are on the table” de GW Bush, dit pour la première fois de façon significative le 20 février 2005 à Bruxelles (Bush y était en visite à l’OTAN et à l’UE), à propos de sa “politique” à l’égard de l’Iran. Le mot de Bush tel qu’il fut entendu et interprété, signifiait que, parmi “toutes ces options”, c’était précisément celle de la guerre contre l’Iran qui tenait une place d’honneur. Pour la première fois, l’idée d’une attaque de l’Iran faisait son entrée dans le chaos (nous ne disons pas “la bataille”) de communication qui constitue aujourd’hui la substance de la politique et des relations internationales.

Le “Absolutely not” de Barack Obama signifie le contraire de ce que disait Bush en février 2005. La vigueur du mot, les circonstances où il est dit, nous signifient que cette “option” (la guerre) n’est plus “sur la table”. Peut-être y reviendra-t-elle, peut-on observer; pour notre part, nous ne le croyons pas.

Quelques explications de Sarkozy

L’intervention de Sarkozy, lors d’une conférence de presse au G8, le 9 juillet 2009, a confirmé en un sens qu’une certaine “politique” occidentale, depuis au moins 2007 pour la France, consiste (consistait?) à se battre, notamment par la radicalisation de la “politique médiatique” anti-iranienne (menace de durcissement des sanctions, pressions diverses), pour empêcher l’“option” en question de venir “sur la table”.

«Une “attaque unilatérale” de l'Iran par Israël “serait une catastrophe absolue”, a affirmé jeudi le président français Nicolas Sarkozy lors d'une conférence de presse en marge du sommet du G8. “Israël doit savoir qu'il n'est pas seul et regarder tout ceci avec calme... Et si je me suis tellement battu au nom de la France pour qu'on parle de l'Iran et que les choses soient précises, c'est aussi pour envoyer un message aux Israéliens: ‘vous n'êtes pas seuls’”, a-t-il déclaré.»

On comprend le sens de cette politique, effectivement essentiellement médiatique, mais on observe combien elle est objectivement négative. Plutôt que tenter de résoudre la crise iranienne, elle s’est attachée surtout à tenter de contenir la “crise israélienne” qui est simplement le produit de ce qui ressemble de plus en plus à une politique obsessionnelle, marquée par des comportements personnels désormais identifiés (celui de Netanyahou).

Mise à nu de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”

De même que l’intervention d’Obama (le “Absolutely not”) semble clore une période politique, de même la mise en évidence du caractère obsessionnel de la “politique” israélienne semble confirmer l'évolution. Il s’agit de cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” qui a caractérisé la direction occidentaliste, avec celle de l’administration Bush en tête. Force est de reconnaître que l’effet de cette politique a été une singulière paralysie en rendant le débat public et en le cantonnant aux seules scènes intérieures occidentalistes, notamment avec des annonces épisodiques d’attaques-surprises imminentes.

D’une façon extrêmement visible, cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” est donc apparue pour ce qu’elle est en réalité: la politique de l’idéologie de la communication, cette espèce de dérive continuelle vers les options les plus radicales au nom des slogans de l’occidentalisme (“droits de l’homme-démocratie”), mais sans jamais de concrétisation. La crise iranienne est la démonstration, depuis quatre ans, de la paralysie de la politique occidentaliste. La communication dans laquelle l’anathème ne dépasse jamais le déclamatoire est la marque de cette politique.

L’épisode Biden-Obama des 5-7 juillet l’a montré, comme un avatar sinon ultime dans tous les cas dans une situation de déroute de cette politique de l’idéologie de la communication pour ce qui concerne la crise iranienne. Les déclarations de Biden, plus ambigües que provocatrices, et qui pourraient exposer aussi bien l’embarras d’un homme politique coincé par un journaliste habile, ont déclenché une surenchère presque mécanique, sans orchestration, sans intention de quoi que ce soit, vers la fameuse “option” de l’attaque. La “politique de l’idéologie et de l’instinct” n’est rien d’autre que la traduction énervée de l’idéologie de la communication, ce qui est d’ailleurs une équivalence des termes.

Facteurs déstructurants de la déstructuration

Par ailleurs, depuis quatre ans également, cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” avait révélé, en contrepoint, des oppositions structurelles puissantes. La plus solide fut celle de l’U.S. Navy, en position de force au Pentagone autant que dans l’environnement opérationnel de l’Iran, et fortement confortée par le soutien de Robert Gates.

Aujourd’hui, cette opposition est renforcée par des politiques nouvelles, déstructurantes de cette idéologie de la communication. C’est notamment ce que nous avons nomme l’“utopie structurante” du président Obama dans le domaine nucléaire, qui concrétise une évolution naturelle de la crise iranienne dans le contexte plus large de ce qu’on pourrait nommer la “crise de la dénucléarisation”. C’est là une manière objective, non voulue comme telle mais effective, de réintégrer l’Iran dans la communauté internationale, non par les normes et les alignements, mais par l’inclusion de la crise iranienne dans la crise plus large de la “crise de la dénucléarisation”. D’une opposition d’isolement “face” à la communauté internationale, l’Iran passe à une position d’acteur d’une crise générale où ses accusateurs deviennent également partie prenante.

La “crise iranienne“ intégrée dans la crise générale

Pour les acteurs non-occidentalistes de la crise (l’Iran elle-même, la Russie, la Chine), tout dans leur comportement a semblé susciter une action de soutien vers cette évolution de substitution que l’on constate. La “crise iranienne” restant liée à la crise de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” autour de la fameuse “option” ultime et à la paralysie qui en a résulté, leur politique peut-être inconsciente à été de maintenir cette situation jusqu’à la maturation de la crise occidentaliste.

Ces acteurs ne sont donc pas encore manifestés d’une façon très affirmée. Même les remous intérieurs iraniens, à moins de déboucher sur un désordre civil proche d’une guerre civile qui bouleverserait tout et installerait une autre crise grave pour tous les acteurs, ne changent rien de fondamental. Quelle que soit la direction iranienne, il existe une ligne impérative de l’Iran qui passe par la référence à sa souveraineté et à son indépendance nationales. Les Russes et les Chinois, eux, attendent la clarification de la nouvelle situation pour devenir plus actifs, notamment en fonction d’autres crises corrélées (celle du BMDE pour la Russie).

Mise à jour, type 9/15, de l’impuissance occidentaliste

Car il y a bien une “nouvelle situation”. Si l’on observe, sous la poussée d’Obama, une tentative de réinstallation de la “politique de la raison” et une retraite de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, ce n’est pas pure vertu ou nouvelle sagesse, tant s’en faut. Il s’agit de la pression de la nouvelle crise, la Grande Crise de 9/15 (15 septembre 2008) dont l’effet est la déconstruction de la situation qui perdurait depuis 9/11.

Il s’agit de la mise à jour, et de la mise au jour, d’un affaiblissement dramatique de la puissance américaniste (et occidentaliste). On parlerait de l’impuissance nouvelle de cette puissance à imposer sa volonté et, par conséquent, ce serait la mise en évidence confirmée que la “politique de l’idéologie et de l’instinct” n’est qu’une traduction brouillonne et obsessionnelle de l’idéologie de la communication dont le seul caractère est la constante radicalisation dans un monde de plus en plus virtualiste.

Avenir de la “crise iranienne”

Du coup, la situation objective de la “crise iranienne”, notamment par rapport aux termes géopolitiques, devient de plus en plus l’éloignement de cette crise, justement, de ces seuls termes géopolitiques. Nous restons convaincus que l’appréciation géopolitique de la crise iranienne ces dernières années (la place, dominatrice ou non, de l’Iran dans la région, la “menace” éventuelle qui va avec) est d’abord un artefact d’une psychologie générale exacerbée par la “politique de l’idéologie et de l’instinct”.

C’est dire si, à notre sens, la question géopolitique, que nous avons toujours jugée implicitement secondaire ces dernières années, le devient explicitement, notamment par l’intégration de la crise iranienne dans la “crise de la dénucléarisation”. Il n’est pas assuré que l’Iran ait de vastes projets à cet égard de la situation géopolitique (notamment d’influence et d’hégémonie de sa zone). On doit envisager que ce pays pourrait plutôt se concentrer, dans l’avenir et à condition que les pressions de la crise générale 9/15 dissipe complètement l’influence de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, à des questions intérieures et à l’élargissement de ses relations avec les acteurs extérieurs à la zone (Russie, Chine, mais aussi certains Occidentaux).

La crise du Moyen-Orient réduite à la “crise israélienne”

Il apparaît alors que la crise centrale de la zone devient de plus la “crise israélienne” elle-même (non pas la “crise israélo-palestinienne“), c’est-à-dire une crise de l’obsession d’un psychologie pathologique, dont la “paranoïa-turbo” de Netanyahou est le signe le plus spectaculaire. L’isolement d’Israël n’est ni politique, ni historique, il est psychologique et, par conséquent, conceptuel. Nul doute qu’il en est encore plus dangereux, mais enfin il est différent d’un jeu classique de puissances régionales.

Il est alors très normal de juger, justement, comme normaux, les remous qui affectent les relations entre les USA et Israël, qui devraient également affecter les relations d’Israël avec d’autres pays occidentalistes. Encore, ces remous ne signalent pas une nouvelle politique per se, déterminée et appliquée d’une façon maîtrisée. Ils sont la conséquence de l'évolution des conditions générales telle que nous l'avons décrite. Les “acteurs” de la crise ont bien du mal à identifier cette évolution, quand ils la réalisent, et ils sont en général passifs ou, au mieux, réactifs.

Un temps historique “maistrien-turbo”

La crise iranienne n’a jamais vraiment été une “crise en soi”. Elle a été, depuis le début, un des avatars d’une dégradation extraordinaire de la politique occidentaliste et américaniste, cette abdication de la raison devant la “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Par ailleurs, l’enseignement qui n’est pas le moins intéressant est bien que cette “raison”-là est d’une extrême faiblesse, outre d’être si complètement pervertie, pour s’être si complètement soumise à ce sortilège clinquant de cette “politique de l’idéologie et de l’instinct”, qui n’est rien d’autre qu’une mécanique de l’idéologie extrémiste de la communication.

Les modifications que l’on décrit ne sont pas le retour du règne de la raison mais la débâcle de l’idéologie de la communication, créatrice de mondes virtualistes, sous la pression formidable des réalités de la Grande Crise, dite 9/15 pour la valeur représentative du symbole. La situation générale est de plus en plus conduite par la pression d’événements sur lesquels les acteurs humains ont très peu de prise, – époque “maistrienne-turbo” si l’on veut, pour introduire une nuance postmoderniste à une idée qui trouble et effraie tant d’esprit forts parce qu’elle n’est pas inscrite dans la nomenclature conformiste à laquelle se soumet leur raison postmodernisée. (Signe de cette pression dévastatrice, l’échec des tentatives dérisoires du montage de la fin de la crise, avec la tactique des “green shoots” du printemps.)