Londres et le JSF, de l’ultimatum à la crise de 2007

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Londres et le JSF, de l’ultimatum à la crise de 2007

9 décembre 2006 — Les parlementaires britanniques sont sortis du bois. Cette fois, il s’agit d’un ultimatum sous la forme d’un rapport pour le gouvernement de la commission de défense de la Chambre des Communes. Les parlementaires demandent une réponse définitive des USA pour la fin du mois, dans la question du transfert des technologies des USA vers le Royaume-Uni dans le programme JSF. La brièveté du délai est un élément dramatique qui n’est pas loin de lever toute ambiguïté sur l’affaire du JSF entre Britanniques et Américains. La situation semblerait être celle-ci : les Américains doivent céder ou le Royaume-Uni doit être prêt à abandonner le JSF.

Plus précisément, l’option considérée et recommandée par la commission est de ne pas signer le Memorendum of Understanding (MoU) que leur proposent les USA, en principe pour le 31 décembre au plus tard, si les garanties sur le transfert de technologies ne sont pas obtenues. Le gouvernement britannique devrait alors consacrer les fonds impliqués par la signature du MoU à la recherche d’une éventuelle alternative au JSF. Si l’on comprend bien, le rapport ne recommande pas l’abandon du JSF mais d’envisager et de préparer cet abandon au cas où les garanties de transfert ne sont pas obtenues ; l’engagement britannique dans le JSF serait alors “gelé” en attendant une hypothétique satisfaction des exigences britanniques.

On trouve des précisions sur cette affaire dans le Guardian du 8 décembre 2006 :

«[I]n a report on defence procurement published today, the committee warned that it was still “uncertain” whether the US was prepared to supply the required information. “If the UK does not obtain the assurances it needs from the US then it should not sign the memorandum of understanding covering production, sustainment and follow-on development,” the MPs insisted

» The report said that action would constitute a “serious blow” to defence cooperation between the UK and America, but other options had to be considered

»“If the required assurances are not obtained by the end of the year, we recommend that the Ministry of Defence switch the majority of its effort and funding on the programme into developing a fallback ‘plan B’, so that an alternative aircraft is available in case the UK has to withdraw from the joint strike fighter programme.

»“We must not get into a situation where there are no aircraft to operate from the two new aircraft carriers when they enter service,” the MPs added. The Committee also expressed “concern” that delays in production of the aircraft could lead to an increase in cost of between 25% and 35%.

Elément supplémentaire qui renforce le poids de l’intervention des parlementaires britanniques: l’affirmation regroupe tous les partis politiques, dont les conservateurs.

«Gerald Howarth, the [conservative] shadow junior defence minister, said that the Tories endorsed the government's call on the US to secure the transfer of technology. “Failure by the US to grant the UK access to the technology would restrict Britain's national sovereignty. “If the issue cannot be resolved, Britain will be faced with the real prospect of having to find an alternative to operate from the two new aircraft carriers when they enter service,” Mr Howarth said.»

2007, nouvelle année de crise, en pire

L’affaire JSF-UK est très spécifique, au point qu’on doive la séparer du destin du JSF à l’exportation en général. Elle est très inattendue parce qu’on jugeait que les Britanniques ne pouvaient pas envisager une seconde, une fois engagés dans le programme JSF avec les USA, l’hypothèse même improbable de s’en retirer (special relationships obligent). Elle est complètement logique parce qu’elle porte sur une affaire, ou un débat, qui la rend inévitable, — à savoir le débat de la souveraineté nationale, ou “souveraineté opérationnelle” selon l’expression employée par les Britanniques depuis l’automne 2005. Cette contradiction complète n’est nullement une surprise. Le programme JSF en est pavé. On pourrait même dire que c’en est la substance : au plus le programme JSF avance, au plus la substance même de ce programme se transforme jusqu’à n’être plus constituée que de contradictions.

Depuis février 2006, l’affaire anglo-américaniste du JSF a pris une dimension étonnamment dramatique et spectaculaire. Depuis ce mois de février, les sources sérieuses et les analystes précis ont constaté la dégradation des liens USA-UK dans la mesure du blocage sans cesse constaté pour le même domaine du transfert des technologies de souveraineté nationale (technologies pour assurer le contrôle de la sécurité nationale). Les déclarations et analyses officielles ont fait leur travail faussaire habituel d’entretien des illusions sur la bonne marche de l’affaire, jusqu’aux mises en scène les plus grotesques. Résultat : il semble bien que nous n’en soyons nulle part pour l’essentiel dans cette affaire JSF-UK. Ce n’est pas vraiment une surprise.

La caractéristique de cette affaire JSF-UK portant sur la question de la souveraineté nationale est, par définition, du type “tout ou rien”. L’un ou l’autre cède complètement. Aucun compromis n’est possible parce que la souveraineté est un phénomène fondamental qui ne se divise pas. On ne peut avoir de “demie-souveraineté” ou de “souveraineté partagée” ; la souveraineté existe ou n’existe pas, dito de la souveraineté nationale dans le cas d’une nation. Le cas n’est pas tranché entre UK et USA et, par conséquent, effectivement les deux pays ne sont nulle part sur la voie d’un compromis impossible malgré des mois de négociations. Le cas devra être tranché comme l’on tranche le nœud gordien, par une rupture dans le débat. Cette rupture peut être que l’un ou l’autre cède complètement, ou qu’aucun ne cède et que le Royaume-Uni abandonne le programme JSF.

Il nous reste à présenter quelques remarques.

• On voit difficilement que les Américains puissent céder “techniquement” aux exigences britanniques (ce “techniquement” implique qu’on dissimulerait la dimension politique essentielle de la décision). Les exigences britanniques impliquent des procédures et des technologies touchant au cœur même de la puissance américaniste dans le programme JSF. On voit mal que les Britanniques puissent céder sur des exigences aussi importantes et fondamentales que celles qu’ils ont avancées pour leur souveraineté, après les avoir exposées publiquement de façon si dramatique.

• …La contradiction ci-dessus, qui ressemble à la première que nous avons rencontrée, est néanmoins plus dramatique encore. Une dimension politique extrême la caractérise. Comment pourrait-on imaginer que les Britanniques puissent mettre en cause les special relationships pour cette affaire de JSF, en envisageant leur départ du programme en cas d’échec? Comment pourrait-on imaginer que les Britanniques bafouent leur propre souveraineté nationale en retirant leurs exigences après les avoir affirmées publiquement et dramatiquement?

• Un élément supplémentaire ajoute à la complexité du cas et à l’improbabilité de sa résolution dans le délai très court qu’exige la Chambre des Communes. L’élection du nouveau Congrès à majorité démocrate et à forte tendance protectionniste, l’arrivée d’un nouveau secrétaire à la défense (Robert Gates) qui a l’intention de passer en revue les grands programmes d’armement (JSF en tête), rendent la bureaucratie du Pentagone extrêmement prudente. La verrait-on céder aux Britanniques en un tel moment, sur une matière aussi sensible?

• Les relations générales UK-USA sont, après la folle période irakienne, entrées dans un processus de dégradation à la mesure de l’affaiblissement de la position de Tony Blair par rapport à son gouvernement et à son parti. Blair affaibli, bientôt partant, les relations UK-USA souffrent d’un retour à des réalités très difficiles à supporter, que d’aucuns commencent à exposer publiquement.

• Il semble par conséquent très improbable que le problème soit vraiment résolu d’ici le 31 décembre. On pourrait nous affirmer le contraire par un artifice ou l’autre, du type signalé plus haut dans le cadre de ce que nous désignons comme “le travail faussaire habituel d’entretien des illusions” sur le statut des relations UK-USA. Ce ne serait que montage virtualiste. Il nous semble que la crise UK-USA du programme JSF devrait se poursuivre en 2007, en bien pire à cause de conditions générales beaucoup plus tendues (crise à Washington et Congrès protectionniste, effacement de Tony Blair). Si la signature du MoU complet (réglant la question du transfert des technologies) n’était effectivement pas faite au 31 décembre, on aurait effectivement une indication officielle que 2007 sera bien une année de crise de plus.