Les Eglises et Occupy

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L’éclectisme du mouvement est sans limites, du type «Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés…». Il faut dire qu’avec l’installation de Occupy London en plein cœur de la City, sur les marches de la cathédrale Saint Paul, l’Eglise anglicane s’est trouvée projetée au cœur d’une polémique qui la met fort mal à l’aise et d’où, jusqu’ici, elle n’apparaît pas grandie. On peut même dire qu’il y a une sorte de schisme, au moins de communication, à la mode postmoderniste, dans cette Eglise, avec la décision de principe des autorités de la cathédrale de demander l’évacuation par la force de Occupy London, qui place cette direction aux côtés des banquiers de la City contre les protestataires de Occupy London ; et, d’autre part, le désaccord de nombre de cadres et de hauts dignitaires (notamment la démission forcée de deux personnalités de la cathédrale Saint-Paul), qui estiment conforme à la mission de l'église anglicane de considérer avec indulgence, sinon faveur, ces manifestation de contestation d'un système absolument injuste et corrompue.

The Independent of Sunday voit (le 30 octobre 2011) dans cette situation bien plus qu’un incident, mais désormais un “problème national” (pas loin d’une “crise nationale”). Encore une fois, les “indignés” ont bien choisi leur déploiement puisque, d’un incident de rencontre comme on faisait de leur manifestation au départ, ils ont fait ce que ce journal désigne comme une “parabole” biblique.

«Unintentionally, therefore, a protest against the greed of the City of London also became a separate, if related, and more engaging, debate about our national morality and the role of our established church. Although the American style of evangelical teaching – “What would Jesus do?” – puts many Anglicans' teeth on edge, the echoes of the New Testament are so strong that many Christians find themselves drawn to the tent people. Indeed, in engaging the sympathies of many non-church people, too, the biblical parallel is more effective than the message of the “99 per cent” against the establishment. Had the protesters camped out by the dealers' desks in the stock exchange itself, they would have attracted much less interest and support. The dispute would have been between some people in an office and a bunch of squatters. Instead, it has become a parable.»

• Qui plus est, le centre d’Etude de Saint-Paul a eu l’idée malheureuse et maladroite (dès lors qu’il était avéré qu’une fuite signalerait la chose) de différer la diffusion publique d’un rapport mettant en évidence combien les vices et l’inconduite des banquiers de la City sont conformes aux accusations explicites et implicites, respectivement de Occupy London et des Evangiles. C’est encore The Independent on Sunday qui présente l’information, ce même 30 octobre 2011.

«A highly critical report into the moral standards of bankers has been suppressed by St Paul's Cathedral amid fears that it would inflame tensions over the Occupy London tent protest.

»The report, based on a survey of 500 City workers who were asked whether they thought they were worth their lucrative salaries and bonuses, was due to be published last Thursday, the day that the Canon Chancellor of St Paul's, Giles Fraser, resigned in protest at the church's tough stance. But publication of the report, by the St Paul's Institute, has been delayed in an apparent acknowledgement that it would leave the impression that the cathedral was on the side of the protesters.

»The Independent on Sunday understands that the decision has upset a number of clergy, who hoped that the report would prove that the church was not detached from a financial crisis that had its heart yards from the cathedral itself. The decision will fuel the impression that the wider established church is attempting to stifle debate about the tent protest, as leading members of the Church of England, including the Archbishop of Canterbury, have failed to comment publicly about Occupy London.»

• L’église anglicane se trouvant dans cet embarras un peu grotesque par rapport à ses prétentions diverses, notamment spirituelles et sociales, les chrétiens de base ont décidé de s’organiser, à partir de plusieurs organisations. Puisque les églises ne sont plus ouvertes aux fugitifs, comme elles l’étaient aux temps évidemment barbares du Moyen Âge évidemment obscurantiste, et que leurs autorités sont plutôt inclinées à appeler la police pour dénoncer les fugitifs campant sur les marches de ses même églises, les mêmes chrétiens en reviennent aux coutumes du temps des Catacombes, nuancées des habitudes d’action postmodernistes. Ils ont décidé qu’ils formeraient un “cercle de prières” autour d’Occupy London, pour empêcher la policer de les expulser si la décision en était prise. C’est l’Observer du 29 octobre 2011 qui donne l’information.

«As the storm of controversy over the handling of the Occupy London Stock Exchange demonstration deepened on Saturday, Christian activists said it was their duty to stand up for peaceful protest in the absence of support from St Paul's. One Christian protester, Tanya Paton, said: “We represent peace, unity and love. A ring of prayer is a wonderful symbol.”

»With senior officials at St Paul's apparently intent on seeking an injunction to break up the protest, the director of the influential religious thinktank Ekklesia, Jonathan Bartley, said the cathedral's handling of the protest had been a “car crash” and predicted more high-profile resignations from the Church of England…»

• A ce débat anglo-anglican né directement du mouvement Occupy, on ajoutera un écho du Vatican rapporté par la plume de E.J. Dionne, chroniqueur washingtonien et catholique. Dionne, emporté par son élan, et désireux de contrer un chroniqueur conservateur, également catholique, qui s’oppose à lui sur le même sujet, imagine, dans un texte du 26 octobre 2011 pour Truthdig.org, qu’on peut bien rêver et envisager que Benoît XVI vienne visiter les protestataires de Occupy Wall Street pour les encourager dans leur combat. Dionne commente en en effet un rapport que vient de publier le Conseil Pontifical pour la Paix et la Justice, qui semble être une reprise des principaux arguments de OWS… Signe que ce rapport établit de facto un rapport de circonstance entre la position du Vatican et le mouvement Occupy, un porte-pariole de ce même Vatican a pris soin de préciser qu'il ne fallait pas en faire un rapport direct.

«Will we soon see a distinguished-looking older man in long white robes walking among the Occupy Wall Street demonstrators in New York’s Zuccotti Park? Is Pope Benedict XVI joining the protest movement? Well, yes, and no. Yes, the Vatican’s Pontifical Council for Justice and Peace issued a strong and thoughtful critique of the global financial system this week that paralleled many of the criticisms of unchecked capitalism that are echoing through lower Manhattan and cities around the world.

»The report spoke of “the primacy of being over having” and of “ethics over the economy,” plus “embracing the logic of the global common good.” In a knock against those who oppose government economic regulation, the council emphasized “the primacy of politics—which is responsible for the common good—over the economy and finance.” It commented favorably on a financial transactions tax and supported an international authority to oversee the global economy.

»But Vatican officials were careful to say that their report was not a direct response to the worldwide demonstrations. “It is a coincidence that we share some views,” said Bishop Mario Toso, secretary of the council. “But after all, these are proposals that are based on reasonableness.”

»Indeed, and that may be a larger compliment to the “99 percent” activists. This document got more attention than it might have because the demonstrators have heightened concern about the problems it addresses. Moreover, the Vatican office’s intervention shows that those protesting against a broken and unjust financial system are not expressing some marginal point of view. They are highlighting worries shared by many, including the Roman Catholic Church. To challenge what the global markets have wrought is not extreme. It reflects, as Bishop Toso said, “reasonableness.”»

C’est un intéressant débat, après tout, où l’on retrouve les ambiguïtés inhérentes à une Eglise historiquement directement crée par le pouvoir politique, et qui reste très attentive aux pressions de ce pouvoir (Cameron est de plus en plus impatients de voir la bonne ville de Londres débarrassée de l’engeance Occupy London) ; où l’on retrouve la plus grande liberté de manœuvre du Vatican, néanmoins fortement nuancée de la proverbiale prudence du même… Mais tout cela est plutôt l’écume des jours, plutôt que le fond de ce nouvel aspect du problème développé par l’action Occupy, les Eglises occidentales ayant trop de lien avec le Système pour envisager des actions nettes de rupture avec ce Système.

Décidément, le mouvement continue à toucher et à mettre sur les dents tous les centres de pouvoir, confirmant que l'aspect très inhabituel de son activité, son absence de force brute mais son incontestable attraction auprès du système de la communication, constituent finalement une très efficace formule d'“action”, sous forme d’“inaction antagoniste”, par rapport au Système. (“Inaction antagoniste”, que nous définirions pour notre compte, sans que les gens qui l’appliquent en soient d’accord ou y aient pensé, comme l’application “opérationnelle” de l’inconnaissance.) Voilà qu’il implique plus ou moins directement, plus ou moins fortuitement, les Eglises elles-mêmes, et dans une forme complètement différentes des implications que provoquèrent, dans les années 1960 et 1970, les mouvements révolutionnaires et d’insurrection, notamment en Amérique Latine. Cette fois, l’absence de violence, l’aspect statique du mouvement, l’absence de revendications précises, le simple exposé par leur présence d’une situation inique et insupportable, ne touchent plus seulement des religieux “de combat” égarés dans les franges de la politique et de l’action clandestine, mais bien les plus hautes autorités de l’Eglise dans cette atmosphère de crise générale d’effondrement où chaque position d’une hiérarchie spécifique pèse d’un poids considérable. L’Observer observe, comme c’est son rôle, que l’attitude de l’Eglise anglicane pourrait bien renverser l’opinion de la presse, jusqu’ici agacée par Occupy London, dans un camp opposé, – exactement comme la police new yorkaise, rétribuée pour ses cadres supérieurs par des donations de Wall Street, a donné une popularité formidable à Occupy Wall Street par des opérations d’arrestations massives. L’inspiration du Système pousse aux mêmes maladresses insignes, qui conduisent à donner au mouvement Occupy, sans grand effort du mouvement, un poids politique d’influence considérable. Par le fait, le Système rend compte de l’efficacité de la tactique Occupy qui est moins de provoquer des effets directs que de provoquer à l’intérieur du Système des réactions importantes, sinon disproportionnées, qui exposent sa propre crise en même temps qu’elles grandissent également de manière disproportionnée une protestation qui est dans les faits bruts d’un volume négligeable… Ce serait bien là la définition même de l’action de l’“inaction antagoniste”, qui est d’utiliser à son profit les courants puissants de la crise générale, en les transformant en des événements significatifs.


Mis en ligne le 31 octobre 2011 à