Le pasteur Jones et le “marché”

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Le tintamarre autour de 9/11 et du reste, et particulièrement du pasteur Jones, est-il la marque de l’intolérance religieuse comme facteur fondamental ? Nous répondrons en inversant la remarque à partir d’un autre domaine, un peu plus vaste et englobant le pasteur : l’intolérance religieuse est certainement, actuellement, un excellent produit sur le “marché”, cela résultat du système déchaîné (de “la matière déchaînée” qui n’épargne certainement pas, ni le sacré, ni le spirituel, ni la religion par conséquent). Cette interprétation change d’autant l’appréciation pesamment conformiste des événements autour de 9/11, circa bordel-2010.

Il y a ceux qui y voient un paroxysme effrayant de l’intolérance (religieuse dans ce cas). Il y a ceux qui y voient une marque de plus de l’effondrement du système, de sa “crise sublime” (notre F&C du 11 septembre 2010). L’article de Victoria Clark (The Independent du 11 septembre 2010) est bienvenu. Clark, spécialiste de la chose, examine la prolifération constante et extraordinaire des “églises” aux USA, avec divers exemples succulents où l’on voit que cette activité mélange le dérangement hystérique, le divertissement “religieux” et l’occasion de non moins succulentes fortunes de différents pasteurs d’occasion édifiées sur l’hystérie correspondante des adhérents à ces “églises”. Hystérie, divertissement qui empêche de penser et fortunes vite faites sont les ingrédients de la doctrine du marché libre, caractérisée par l’individualisme qui est la marque fondamentale de la modernité, cette fois avec la représentation de la “religion” devenue artefact moderniste. C’est exactement le cas.

Clark conclue son article de cette façon, qui renvoie à son titre («Pastor Terry Jones is a product of America's free market in religion») :

«The cause of the abundance and proliferation of churches and sects in the US today has its roots in the fact that theirs is a society that was founded by members of European sects dubbed heretic by the established churches of their countries, by people forced to flee to practise their faith in freedom – starting with our own Puritans. Unfettered by any supervising umbrella institutions of established churches such those of Rome and Canterbury, American churches have been free to grow tough and worldly and as much defined by the personality and talents of their preachers as any Muslim mosque in the fight to survive against the ferocious competition. The American pastor has a valuable tax-exempt charity status to help him but the onus is on him to gather and galvanise a bigger congregation than his rivals; better sound systems and seating and crèches, more jokes, more excitement, more thrills and more fun are what it is often about.»

Notre commentaire

@PAYANT En effet, ce “9/11, circa bordel-2010”, atteint des sommets d’hystérie et de désordre, à la fois dans les événements qui mélangent l’extrême du dérisoire à l’emphase de la dénonciation des valeurs classées parmi les plus insupportables, comme l’intolérance religieuse, à la fois dans les interprétations qui sont données des événements. D’une façon générale, la tendance à verser dans l’exclamation horrifiée face à l’intolérance domine, avec une petite part laissée au constat du désordre extraordinaire des faits (surtout) et des interprétations (beaucoup moins). Ce dernier point conduit à constater combien ce phénomène du pasteur Jones avec ses Coran et son Zippo, interprété comme une monstrueuse manifestation d’intolérances diverses préludant à des guerres religieuses globalisées (référence au “clash des civilisations” de Huntington, – à part que, monsieur Huntington, il n’y a plus du tout de civilisation(s), une ou plusieurs, mais une “contre-civilisation” universelle), – ce phénomène Jones représente en fait un “produit” (au sens commercial) d’un système devenu fou et entraînant dans sa folie ses caractères essentiels. L’un de ceux-ci, dans la droite ligne de son entreprise de déstructuration du monde, est la doctrine économiste du marché libre, avec absence complète de régulation et de structure d’une autorité et d’une légitimité régalienne ; cette doctrine joue à plein, aujourd’hui, pour la foire de ce qui est présenté comme un affrontement religieux ; cela nourrit nos phantasmes et confirme que le véritable aspect religieux de ce système se trouve effectivement dans le marché libre, d’ailleurs caractérisé selon ses doctrinaires par la présence de la “main invisible” dont nul ne doute qu’elle est celle du Seigneur (the Holly Lord). Ce “9/11, circa bordel-2010” confirme amplement la chose.

Il y a bien entendu de multiples circonstances fondamentales qui sont souvent assez éloignées du fait de la religion comme pratique de la foi dans cette situation dont on commence aujourd’hui à goûter les conséquences parfois dérangeantes, parfois gênantes pour le sérieux qu’on attend de la Grande République devenue Empire du Monde comme les oracles aiment à nous répéter. Celle qui n’est pas le plus souvent mise en évidence est la liberté qui règne sur “le marché” religieux, exactement comme celle qui règne sur certains aspects des mécanismes économiques. Dans ce cas, la “liberté” signifie l’absence de règles, l’absence d’autorité et de structures légitimes, comme il en existe dans les grandes religions. Cette absence d’autorité au niveau religieux va de pair, bien entendu, avec l’absence de dimension régalienne du gouvernement aux USA, situation qui détermine en quelque sorte tout le reste. Cette absence générale au-dessus de soi (au-dessus du pasteur Jones, en l ‘occurrence) ne s’accompagne absolument pas d’un développement de la responsabilité individuelle, mais, exactement à l’inverse, du développement de l’irresponsabilité générale où ce même individualisme trouve sa source. Quand on cultive comme référence cette notion de liberté générale et qu’on n’envisage en rien la notion solidaire de bien public, sans parler de la transcendance régalienne, on ne fait que cultiver les exigences individualistes sans sacrifier à la moindre notion de devoir qui apparaît complètement irrelevent. Par conséquent le pasteur n’a de compte à rendre à personne. Il s’agit plutôt de négocier la meilleure position possible sur le “marché” en fonction des forces existant sur ce même “marché”, – et le président des Etats-Unis qui intervient à son propos, par exemple, en est une ; il s'agit d’utiliser les médias qui sont obligés de répondre aux règles de la concurrence et nullement à la valeur de l’information, comme porte-voix publicitaires.

Ce qu’il a sans aucun doute, le bougonnant pasteur Jones, c’est un sens aigu de l’appréciation capitaliste des structures du “marché” religieux, un sens non moins aigu des opportunités médiatiques par quoi passent la publicité, la promotion, la “réclame” comme on disait avant, et, puisqu’il faut laisser à l’individu un zeste de sincérité et de spontanéité, une conception hystérique d’une dévotion agressive, confinant à la croyance grossière, racoleuse et bien entendu intolérante. Comme des centaines de ses confrères qui se tiennent en embuscade, le pasteur sait que la question musulmane est une affaire qui marche sur le “marché” aujourd’hui, quelles que soient par ailleurs ses convictions à cet égard, s’il en a, etc. La question musulmane est, aujourd’hui aux USA, beaucoup moins un appendice de la Grande Guerre contre la Terreur qu’un des exutoires les plus usités du malaise général, – ce malaise, avec nombre d’aspects d’une réelle profondeur mais sans véritable rapport avec les exutoires en question, – par conséquent expression majeure du désordre US, avec des polémiques comme celles de la religion du président ou la mosquée de Ground Zero, activées d’une façon explosive par la campagne électorale, la vigueur de l’affrontement entre la droite radicale qui passe par les talk-shows et les animateurs de Fox.News, et la gauche par ailleurs frustrée des inconséquences du président démocrate au pouvoir.

Jones est donc un produit de ce système et une manifestation d’un des masques du système. L’insignifiance du cas par rapport à ce dont il est indirectement l’expression, la pathétique inexistence du personnage, l’extraordinaire mobilisation dont il est l’objet comme s’il s’agissait d’une attaque contre l’Iran, tout cela décrit aussi la profondeur du malaise et la puissance du désordre qui caractérisent aujourd’hui les USA. Il est fascinant de constater combien tous les dogmes et toutes les structures prédatrices et déstructurantes du système, ainsi que l’individualisme moderniste qui l’accompagnent, facilitent le processus de déstabilisation infantilisante du système.


Mis en ligne le 11 septembre 2010 à 13H28