Le gouffre STRATFOR

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Le gouffre STRATFOR

Ce texte, le communiqué de Wikileaks annonçant le début de la publication de la masse d’e-mails de la “société de renseignement global” STRATFOR, doit être lu. Il nous offre une vision “globale”, justement, de ce phénomène de manipulation-Système qu’est STRATFOR ; le spectacle est impressionnant, – sinon stupéfiant et terrifiant à la fois. Notre appréciation, extraite du texte Bloc Notes de ce 27 février 2012, est non seulement fondée mais largement trop faible finalement : «…le pire est toujours le vrai, et souvent le pire au-delà de ce qu’on imaginait soi-même. […] …STRATFOR se révélant égal, si pas supérieur au pire de ce qu’on avait envisagé à son propos…»

Le communiqué Wikileaks vaut lecture parce qu’il donne des instruments permettant de mesurer le gouffre de manigances, d’organisations et d’activités déstructurantes et dissolvantes, sans le moindre contrôle, qu’est STRATFOR. A cette lecture, la qualification d’“analyse stratégique” que se donne cette société fait sourire. Il s’agit d’une multinationale subreptice et souterraine, émanée absolument du Système, sans aucune référence structurante, sans aucune légitimité ; offrant de multiples services de subversion, manipulant, corrompant à l’échelle de la planète ; faisant preuve d’une imagination entrepreneuriale débordante, inventant des fonds de placement illégaux avec Goldman Sachs à partir des informations stratégiques, cherchant à développer sa propre législation de corruption, etc. Il y a beaucoup d’enseignements à sortir à du cas STRATFOR, sur le Système, sur la crise générale de l’effondrement, sur l’organisation de la subversion psychologique à l’échelle évidemment “globale”.

Nous publions la version française du communiqué, suivie de la version anglaise dans la mesure où la première présente des approximations de traduction qui se corrigent ou se comprennent en se référant au texte original (anglais). Les deux versions, française et anglaise, ont été publiées par Wikileaks ce 27 février 2012 à Londres.

dedefensa.org


Archives du renseignement global

Aujourd’hui 27 février 2012, Wikileaks a lancé la publication des Global Intelligence Files (archives du renseignement global), plus de 5 millions d’emails de la société de renseignement privée Stratfor, basée au Texas. Les emails couvrent une période allant de juillet 2004 à fin décembre 2011. Ils révèlent le fonctionnement interne d’une entreprise qui annonce être un service de renseignement privé, mais qui fournit des services de renseignement confidentiels à de grandes entreprises, comme Dow Chemical Corporation à Bhopal (Inde), Lokheed Martin, Northrop Grumman, Raytheon, ainsi qu’à des agences gouvernementales, telles que le Département de la Sécurité intérieure des États-Unis (DHS), les Marines et l’Agence du renseignement pour la défense (DIA). Les emails dévoilent le réseau d’informateurs de Stratfor, sa structure de financement, les techniques de blanchiement d’argent et les méthodes psychologiques employées, par exemple :

«Vous devez réussir à le contrôler. Ce contrôle pourra être d’ordre financier, sexuel ou psychologique… Cela est destiné à lancer notre discussion sur la prochaine étape vous concernant.» — George Friedman, PDG, à Reva Bhalla, analyste chez Stratfor, le 6 décembre 2011, à propos de la façon de tirer parti d’un informateur Israélien fournissant des informations sur l’état de santé d’Hugo Chavez, président du Venezuela.

Les données contiennent des informations confidentielles à propos des attaques du gouvernement des États-Unis contre Julian Assange et WikiLeaks, ainsi que les efforts de Stratfor pour renverser WikiLeaks. Plus de 4 000 emails font mention de WikiLeaks ou de Julian Assange. Les emails révèlent également le système de “porte tambour” en place dans les sociétés de renseignement privées aux États-Unis. Les gouvernements et sources diplomatiques du monde entier offrent à Stratfor un accès anticipé à la politique et aux événements mondiaux en échange d’argent. Les Global Intelligence Files révèlent la façon dont Stratfor a recruté un réseau mondial d’informateurs, payés via des comptes bancaires en Suisse et des cartes de crédit pré-payées. Stratfor dispose à la fois d’informateurs déclarés et secrets, incluant notamment des employés gouvernementaux, du personnel travaillant dans les ambassades ainsi que des journalistes du monde entier.

Ces données montrent comment fonctionnent les agences de renseignement privées, et comment celles-ci prennent pour cible des individus pour le compte de leurs clients, que ce soit des entreprises ou des gouvernements. Par exemple, Stratfor a surveillé et analysé les activités en ligne d’activistes basés à Bhopal, dont les “Yes Men”, pour le compte du géant américain de la chimie Dow Chemical. Les activistes demandent réparation pour la catastrophe de gaz impliquant Dow Chemical et Union Carbide en 1984 à Bhopal, en Inde. La catastrophe a causé des milliers de morts, plus d’un demi-million de blessés, et des dégâts à long terme sur l’environnement.

Stratfor s’est rendu compte du risque que représentait l’utilisation routinière de pots-de-vin pour obtenir des informations d’employés des entreprises ou États ciblés. En août 2011, George Friedman, PDG de Stratfor, a annoncé en interne à ses employés : «Nous allons mandater un cabinet d’avocats pour créer des règles spécifiques à Stratfor dans le “Foreign Corrupt Practices Act”. Je ne tiens pas à me faire arrêter sur la place publique, et ça vaut pour tout le monde ici».

L’utilisation des employés des entreprises ou États ciblés, à des fins de renseignements, par Stratfor, s’est rapidement transformée en un système de génération de profits d’une légalité douteuse. D’après les emails, en 2009, Shea Morenz, alors Directeur Général de Goldman Sachs, et George Friedman, PDG de Stratfor, ont eu l’idée d’«utiliser les renseignements» que Stratfor récupérait de son réseau d’employés des entreprises ou États ciblés, pour créer un fonds d’investissement stratégique captif. Dans un document confidentiel d’août 2011, marqué “DO NOT SHARE OR DISCUSS”, George Friedman explique : «Le but de StratCap est d’utiliser les renseignements et les analyses de Stratfor pour faire du trading dans toute une gamme d’instruments géopolitiques, incluant les obligations gouvernementales, les devises, etc…». Les emails montrent qu’en 2011, Morenz, de Goldman Sachs, a investi «substantiellement» plus de 4 millions de dollars et a rejoint le conseil d’administration de Stratfor. Au cours de l’année 2011, une structure complexe d’actions offshore a été montée, s’étendant jusqu’en Afrique du Sud, destinée à faire en sorte que StratCap semble légalement indépendant. Mais, en privé, Friedman a annoncé au personnel de Stratfor : «Ne voyez pas StratCap comme une organisation indépendante. Cela vous sera utile de le penser comme une autre facette de Stratfor, et Shea comme un autre directeur de Stratfor… Nous nous occupons déjà des portefeuilles et des échanges fictifs.» StratCap devrait être lancé en 2012.

Les emails de Stratfor nous montrent une société qui cultive des liens étroits avec les agences gouvernementales américaines, et emploie d’anciens agents du gouvernement des États-Unis. Stratfor prépare le plan prévisionnel de trois ans pour le commandant des Marines, aux États-Unis, et entraîne les Marines américains et «d’autres agences gouvernementales de renseignement» à «devenir des agents Stratfor». Le vice-président chargé du renseignement chez Stratfor, Fred Burton, est un ancien agent spécial affecté aux services de sécurité de la diplomatie des États-Unis, et était alors responsable de la division antiterrorisme. Malgré ces liens avec le gouvernement, Stratfor et les sociétés du même type opèrent dans le plus grand secret, sans le moindre contrôle politique ni responsabilité. Stratfor prétend opérer «sans idéologie ni agenda, ou préférence nationale», alors que ces emails révèlent que les équipes de renseignement privées s’alignent au plus près de la politique de l’État fédéral américain, et transmettent des conseils au Mossad — en particulier grâce à un informateur au sein du journal Israélien Haaretz, Yossi Melman, qui a secrètement transféré (avec la complicité de David Leigh, journaliste du Guardian) les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks vers Israël, et ce en violation du contrat entre Wikileaks et le Guardian.

Assez ironiquement en l’état actuel des choses, Stratfor essayait de tirer parti de ce qu’il a appelé la “manne” des fuites, qui est apparue après les révélations faites par Wikileaks sur l’Afghanistan :

«Peut-on se procurer un peu de cette “manne des fuites” ? C’est visiblement une foire à la peur, c’est donc une bonne chose. Et nous avons quelque chose à offrir que les entreprises de sécurité informatique n’offrent pas, principalement notre intérêt particulier pour le contre-espionnage et la surveillance, que Fred et Sticks connaissent mieux que quiconque sur cette planète… Pourrions-nous développer des idées et des procédures autour du concept de sécurité réseau “anti-fuite”, qui se concentrerait sur la prévention des fuites de données sensibles au travers de ses propres employés… En fait je ne suis pas si sûr qu’il s’agisse d’un problème informatique qui réclame une solution informatique.»

Tout comme les câbles diplomatiques de WikiLeaks, une bonne partie du contenu de ces emails sera mise en lumière dans les semaines à venir, grâce à nos partenaires et le public qui recherchent parmi ces emails et découvrent des liens. Les lecteurs remarqueront que même si une bonne partie des clients et abonnés de Stratfor travaillent dans des agences de renseignement et l’armée américaine, Stratfor a accordé une adhésion gratuite au général pakistanais très controversé Hamid Gul, ancien directeur du service de renseignements pakistanais (ISI) qui, d’après les câbles diplomatiques américains, a planifié une attaque par EEI sur les forces internationales présentes en Afghanistan en 2006. Les lecteurs découvriront la classification interne des emails de Stratfor, qui répartit la correspondance dans des catégories comme “alpha”, “tactical”, ou “secure”. Les correspondances contiennent aussi des noms de code pour des gens auxquels ils portent un intérêt particulier, comme “Izzies” (membres du Hezbollah), ou “Adogg” (Mahmoud Ahmedinejad).

Stratfor a passé des accords secrets avec des dizaines de médias et de journalistes — de Reuters au Kiev Post. La liste des “Confederation Partners” — à laquelle Strafor fait référence en interne comme sa “Confed Fuck House” — est incluse dans les données. Même s’il est acceptable pour des journalistes d’échanger des informations ou d’être payé par d’autres médias, ces relations sont compromettantes parce que Stratfor est une agence de renseignements privée qui propose des services à des gouvernements ou des clients privés.

WikiLeaks a également obtenu la liste des informateurs de Stratfor et — dans beaucoup de cas — des archives de ses transactions bancaires, incluant un paiement mensuel de 1200 $ à un informateur nommé “Geronimo”, géré chez Stratfor par l’ex-agent fédéral Fred Burdon.

WikiLeaks a construit un partenariat d’investigation avec plus de 25 médias ou groupes d’activistes, afin d’informer le public à propos de cet important corpus de documents. Ces organisations ont eu accès à une base de données d’investigation sophistiquée, développée par Wikileaks, et ont, avec Wikileaks, analysé ces emails. D’importantes informations découvertes grâce à ce système seront révélées dans les médias dans les prochaines semaines, au fil de la publication des documents sources.

Wikileaks


The Global Intelligence Files

Today, Monday 27 February, WikiLeaks began publishing The Global Intelligence Files – more than five million emails from the Texas-headquartered “global intelligence” company Stratfor. The emails date from between July 2004 and late December 2011. They reveal the inner workings of a company that fronts as an intelligence publisher, but provides confidential intelligence services to large corporations, such as Bhopal’s Dow Chemical Co., Lockheed Martin, Northrop Grumman, Raytheon and government agencies, including the US Department of Homeland Security, the US Marines and the US Defense Intelligence Agency. The emails show Stratfor’s web of informers, pay-off structure, payment-laundering techniques and psychological methods, for example :

“[Y]ou have to take control of him. Control means financial, sexual or psychological control... This is intended to start our conversation on your next phase” – CEO George Friedman to Stratfor analyst Reva Bhalla on 6 December 2011, on how to exploit an Israeli intelligence informant providing information on the medical condition of the President of Venezuala, Hugo Chavez.

The material contains privileged information about the US government’s attacks against Julian Assange and WikiLeaks and Stratfor’s own attempts to subvert WikiLeaks. There are more than 4,000 emails mentioning WikiLeaks or Julian Assange. The emails also expose the revolving door that operates in private intelligence companies in the United States. Government and diplomatic sources from around the world give Stratfor advance knowledge of global politics and events in exchange for money. The Global Intelligence Files exposes how Stratfor has recruited a global network of informants who are paid via Swiss banks accounts and pre-paid credit cards. Stratfor has a mix of covert and overt informants, which includes government employees, embassy staff and journalists around the world.

The material shows how a private intelligence agency works, and how they target individuals for their corporate and government clients. For example, Stratfor monitored and analysed the online activities of Bhopal activists, including the “Yes Men”, for the US chemical giant Dow Chemical. The activists seek redress for the 1984 Dow Chemical/Union Carbide gas disaster in Bhopal, India. The disaster led to thousands of deaths, injuries in more than half a million people, and lasting environmental damage.

Stratfor has realised that its routine use of secret cash bribes to get information from insiders is risky. In August 2011, Stratfor CEO George Friedman confidentially told his employees : “We are retaining a law firm to create a policy for Stratfor on the Foreign Corrupt Practices Act. I don’t plan to do the perp walk and I don’t want anyone here doing it either.”

Stratfor’s use of insiders for intelligence soon turned into a money-making scheme of questionable legality. The emails show that in 2009 then-Goldman Sachs Managing Director Shea Morenz and Stratfor CEO George Friedman hatched an idea to “utilise the intelligence” it was pulling in from its insider network to start up a captive strategic investment fund. CEO George Friedman explained in a confidential August 2011 document, marked DO NOT SHARE OR DISCUSS : “What StratCap will do is use our Stratfor’s intelligence and analysis to trade in a range of geopolitical instruments, particularly government bonds, currencies and the like”. The emails show that in 2011 Goldman Sach’s Morenz invested “substantially” more than $4million and joined Stratfor’s board of directors. Throughout 2011, a complex offshore share structure extending as far as South Africa was erected, designed to make StratCap appear to be legally independent. But, confidentially, Friedman told StratFor staff : “Do not think of StratCap as an outside organisation. It will be integral... It will be useful to you if, for the sake of convenience, you think of it as another aspect of Stratfor and Shea as another executive in Stratfor... we are already working on mock portfolios and trades”. StratCap is due to launch in 2012.

The Stratfor emails reveal a company that cultivates close ties with US government agencies and employs former US government staff. It is preparing the 3-year Forecast for the Commandant of the US Marine Corps, and it trains US marines and “other government intelligence agencies” in “becoming government Stratfors". Stratfor’s Vice-President for Intelligence, Fred Burton, was formerly a special agent with the US State Department’s Diplomatic Security Service and was their Deputy Chief of the counterterrorism division. Despite the governmental ties, Stratfor and similar companies operate in complete secrecy with no political oversight or accountability. Stratfor claims that it operates “without ideology, agenda or national bias”, yet the emails reveal private intelligence staff who align themselves closely with US government policies and channel tips to the Mossad – including through an information mule in the Israeli newspaper Haaretz, Yossi Melman, who conspired with Guardian journalist David Leigh to secretly, and in violation of WikiLeaks’ contract with the Guardian, move WikiLeaks US diplomatic cables to Israel.

Ironically, considering the present circumstances, Stratfor was trying to get into what it called the leak-focused “gravy train” that sprung up after WikiLeaks’ Afghanistan disclosures :

"[Is it] possible for us to get some of that ’leak-focused’ gravy train ? This is an obvious fear sale, so that’s a good thing. And we have something to offer that the IT security companies don’t, mainly our focus on counter-intelligence and surveillance that Fred and Stick know better than anyone on the planet... Could we develop some ideas and procedures on the idea of ‘leak-focused’ network security that focuses on preventing one’s own employees from leaking sensitive information... In fact, I’m not so sure this is an IT problem that requires an IT solution.”

Like WikiLeaks’ diplomatic cables, much of the significance of the emails will be revealed over the coming weeks, as our coalition and the public search through them and discover connections. Readers will find that whereas large numbers of Stratfor’s subscribers and clients work in the US military and intelligence agencies, Stratfor gave a complimentary membership to the controversial Pakistan general Hamid Gul, former head of Pakistan’s ISI intelligence service, who, according to US diplomatic cables, planned an IED attack on international forces in Afghanistan in 2006. Readers will discover Stratfor’s internal email classification system that codes correspondence according to categories such as ‘alpha’, ‘tactical’ and ‘secure’. The correspondence also contains code names for people of particular interest such as ‘Hizzies’ (members of Hezbollah), or ‘Adogg’ (Mahmoud Ahmedinejad).

Stratfor did secret deals with dozens of media organisations and journalists – from Reuters to the Kiev Post. The list of Stratfor’s “Confederation Partners”, whom Stratfor internally referred to as its “Confed Fuck House” are included in the release. While it is acceptable for journalists to swap information or be paid by other media organisations, because Stratfor is a private intelligence organisation that services governments and private clients these relationships are corrupt or corrupting.

WikiLeaks has also obtained Stratfor’s list of informants and, in many cases, records of its payoffs, including $1,200 a month paid to the informant “Geronimo”, handled by Stratfor’s Former State Department agent Fred Burton.

WikiLeaks has built an investigative partnership with more than 25 media organisations and activists to inform the public about this huge body of documents. The organisations were provided access to a sophisticated investigative database developed by WikiLeaks and together with WikiLeaks are conducting journalistic evaluations of these emails. Important revelations discovered using this system will appear in the media in the coming weeks, together with the gradual release of the source documents.

Wikileaks

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