La Syrie, ou la leçon continuée de l’échec parfait

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La Syrie, ou la leçon continuée de l’échec parfait

Il est possible que le grand but d’enfin réunir et faire des alliés loyaux et coordonnés du Royaume-Uni et de la France soit enfin à portée de voix sinon à portée de main. Ce qui cimenterait cette union tant attendue, c’est l’abyssale stupidité que les deux grandes diplomaties britannique et française semblent avoir atteint, de concert. Il y a donc une sorte d’unité proche d’être parfaite dans la néantisation et la médiocrité. Les Français s’exercent à la chose surtout au Mali où les affaires commencent à tourner comme on pouvait le craindre, mais sans oublier la Syrie. Pour cette dernière crise, qui reste d’une constante actualité, les Britanniques ont fait très fort ces derniers jours. Ce n’est pas moins que The Independent, journal libéral (progressiste) très favorable initialement à la politique anti-Assad du bloc BAO, qui souligne cet échec exceptionnel dans un éditorial qui ne montre guère de pitié pour cette politique que ce même journal applaudissait à ses débuts. (The Independent va même jusqu’à observer, en passant, qu’après tout Assad vaut mieux que le désordre des djihadistes et consort qui le suivrait si on réussissait à le mettre à bas… «No one can doubt that President Assad's Alawite clique has only clung to power through the ruthless use of force. But there can be no confidence that the fall of Mr Assad would be a prelude to peace. Far more likely, it would be only the first act in a civil war that could make the massacres of the past two years look modest…»)

La dernière initiative diplomatique du Royaume-Uni a été d’essayer d’obtenir, sans succès, l’aval de l’Union européenne pour s’autoriser à livrer aux rebelles anti-Assad des armements conséquents, lourds, aux missions spécifiques (anti-aériennes, notamment), dont on attendrait des miracles décisifs. L’échec est aussi complet que le projet est absurde, relève The Independent ce 18 février 2013, dans l’édito signalé. (Ce qui ne signifie surtout pas que le projet de livrer des armements est abandonné, la diplomatie à ce niveau montrant comme vertu principale l’entêtement dans l’errance et dans l’erreur.) Ce constat conduit le rédacteur de l’éditorial à observer que, dans cette situation, par rapport aux Britanniques mais aussi au bloc BAO, la Russie affirme de plus en plus une place exceptionnelle et domine de tout son poids la crise syrienne, avec la position enviée d’être de plus en plus sollicitée par toutes les parties syriennes en action.

«Britain's inability to persuade its fellow EU countries to have weapons supplied to non-Islamist groups in the Syrian opposition was a diplomatic failure waiting to happen. The result is that Britain is left wringing its hands on the sidelines, while Russia's efforts to guide future peace negotiations between the two sides seem increasingly assured and promising. To invert Douglas Hurd's famous formulation, we are punching below our weight: pressing for aggressive solutions which we lack both the muscle to impose ourselves, and the powers of argument to convince our allies to support. Rewind 18 months and how different the picture looked. Then it was Russia that was in a corner, attacked on all sides for continuing to back Bashar al-Assad's regime and for sabotaging UN efforts to force him either to resign or negotiate…. […]

»In this context, Britain's urge to arm the secular rebel groups while keeping Jihadi ones at arm's length looks naive for a once big power with long experience in the Middle East. Once the weapons are in the theatre, they will remain in play. And if they are in the hands of people we think of as the good guys today, there is no guarantee that they will remain so tomorrow.

»Then there is Russia. While Britain, tentatively supported by France, continues to try to hasten a military resolution to the conflict, Moscow has further undermined those efforts by forging ties of its own with some of the Syrian rebel groups, without sacrificing its support for Mr Assad. As a result it is not inconceivable that Moscow will emerge, sooner rather than later, as the only outside power sufficiently trusted by both sides to mediate between them.»

Tous ces constats semblent laconiques par l’évidence même. Rien ne montre pourtant la moindre possibilité que cette diplomatie d’une “grande puissance si longtemps fameuse pour son expérience du Moyen-Orient” puisse changer d’un iota les vertus de la naïveté et de l’impulsivité qu’elle a mises en avant pour affirmer son retour au Moyen-Orient. En témoigne, dans le même journal, le même jour, l’article sur la poursuite des livraisons d’armes russes à la Syrie, y compris éventuellement des avions d’appui tactique Yak-130. L’article rapporte ce qui est manifestement la réaction du Foreign Office, accusant la Russie d’avoir “trahi sa parole”. (Article du 19 février 2013, du même Independent.)

«Russia has been accused by Western diplomats of reneging on a pledge to stop supplying arms to the Syrian regime. The assurances made over a month ago were presented by British officials as a sign that the Kremlin was distancing itself from President Bashar al-Assad and his ruling coterie. The flow of arms has, however, continued unhindered with the Russians stressing that there was no United Nations prohibition on supplies and it was simply fulfilling its contractual obligations. As well as air- and naval-defence systems, the Kremlin may now be preparing to send Yak-130 jets which can be fitted with missiles to carry out ground attacks, according to American and European officials.»

Les Russes n’ont évidemment jamais dévié de leur ligne… (Même si la livraison de Yak-130, si elle avait lieu, pourrait se discuter par rapport à la stricte position de principe des Russes ; mais les Russes ne sont pas des anges, ils se contentent d’être logiques avec eux-mêmes et rappellent régulièrement que le président Assad reste l’autorité légitime en Syrie, et que rien n’interdit à la Russie de faire affaire avec cette autorité légitime.) Ils n’ont jamais dévié de leur ligne et leur “promesse”, ou leur “parole” de ne plus livrer d’armes à Assad est, une fois de plus, une interprétation tendancieuse, toujours la même, des diplomates du bloc BAO. C’est l’interprétation selon laquelle les Russes, enfin devenus raisonnables et fréquentables, se rallient à la posture à la fois morale et intelligente du bloc BAO. C’est exactement le même cas qu’un Laurent Fabius, déclarant, le 11 février sur BFMTV, que les contacts entre les Russes et l’opposition syrienne étaient un pas “dans la bonne direction”, puisqu’ils sous-entendaient dans l’esprit du ministre un éloignement d’autant des Russes de leur soutien d’Assad, – l’homme “qui ne mérite pas d’exister”, selon Fabius… Même naïveté, même impulsivité, même errance dans la narrative tenue pour la “réalité” de la situation, même état d’esprit en “noir & blanc”, en “qui n’est pas pour moi est contre moi” et autres enfantillages catastrophiques caractérisant la “pensée”-bushiste et “néo-bushiste” comme avatar nihiliste et insubstantiel du manichéisme, qui s’est répandu dans tout le bloc BAO depuis 2008. Le résultat, bien entendu, n’est ni la conquête, ni le néo-colonialisme, mais l’impuissance catastrophique, la dissolution de ces diplomaties de tradition (la britannique, la française) en un magma infâme, une bouillie pour les chats dont même les chats ne voudraient pas.

Malgré les échecs, les enlisements, les revers, malgré la supériorité écrasante d’une diplomatie comme celle de la Russie qui ne cesse, en faisant l’inverse de ce que fait le bloc BAO, d’avancer ses avantages au Moyen-Orient alors que l’URSS en avait été chassée à partir de 1975, ces diplomaties du bloc BAO vont se poursuivre jusqu’au bout, comme on boit un calice jusqu’à la lie. Elles sont littéralement prisonnières de ce qu’elles ont elles-mêmes mis en place pour se conformer à la politique-Système, et sont incapables de s'en détourner comme l'on est prisonnier d'une suggestion par fascination. L’intelligence des gens qui la servent dépend d’une psychologie trop faible pour résister aux pressions du Système, et d’une raison subvertie par le Système. Ainsi tous ces diplomates issus des plus fines diplomaties du monde, mettent-ils toutes leurs intelligences, qui sont considérables, à développer et à maintenir, et à tenir, la politique la plus stupîde et la plus aveugle qu’on puisse imaginer. Ainsi le beau-frère de Lénine disait-il en 1918 de Volodia, surnom affectueux du personnage dont il était lui-même un ministre bolchévique, ceci qui résume tout de ces esprits qui ne manquent pas de qualités mais qui sont absolument subvertis, et par conséquent encore plus catastrophiques : «Volodia est remarquablement intelligent, mais c’est fou le nombre de bêtises qu’il peut dire.»


Mis en ligne le 19 février 2013 à 11H02