La presse française, de l’atlantisme au pavlovisme (I)

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La presse française, de l’atlantisme au pavlovisme (I)

Nous présentons un travail documentaire important de monsieur Frédéric Dedieu, 34 ans, de formation universitaire sociologique et journalistique. Monsieur Dedieu a eu divers emplois et collaborations dans divers médias de la presse écrite et télévisuelle, surtout dans la région bordelaise où il habite (Arte, France 3, France 3 Régions, etc.), mais il nous semble bien que c’est l’étude de la structure, la situation présente et l’évolution du monde de la presse française, et plus largement du système de la communication en France, qui l’intéresse. Selon ses propres termes, «Je ne travaille plus dans les médias depuis maintenant quelques temps à la fois par choix (dégoût du milieu), et par difficulté à trouver des projets honnêtes et intéressants qui évidemment ne font pas vendre.»

Le travail qu’il nous a présenté portait le titre de “La presse française : de l’atlantisme assumé au pavlovisme décérébré –Retour sur l’Ukraine, MH17 et trente ans de société médiatique française” (nous l’avons raccourci comme on le voit, pour des raisons graphiques et de mise en page-.Son contenu documentaire considérable, d'un réel intérêt dans les circonstances présentes, nous a conduit à le proposer pour Ouverture libre. Ce travail entend analyser l’évolution sociopolitique du monde français médiatique et de la communication (ce que nous nommons presse-Système) depuis le début des années 1980 et la situation actuelle, avec l’accent mis sur la perception et la présentation de la situation ukrainienne. On se doute, comme le titre lui-même le dit, que cette présentation est nécessairement critique, – et d’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement, la critique profonde n’étant dans ce cas que la voie vers le rétablissement d’une certaine objectivité, ?– et un tel travail s’apparentant aussi bien à un diagnostic détaillé d’une pathologie profonde, qui est celle du monde français de la communication, ou du système français de la communication, qu’à une étude sociologique.

En raison de l’importance quantitative du travail, nous avons décidé, en accord avec monsieur Dedieu, de le diviser en quatre parties. La première présente aujourd’hui le cadre général de l’étude, une appréciation critique générale, les origines de l’évolution observée, les premières manifestations de cette évolution jusqu’à la guerre du Kosovo qui marque sans aucun doute un très important tournant dans l’évolution pathologique du système français de la communication (et celui du bloc BAO, dont la France fait aujourd’hui intégralement partie, et une partie diablement zélée).

dedefensa.org


La presse française, de l'atlantisme au pavlovisme (I)

Nous y voici enfin… Après un long travail de sape effectué pendant des dizaines d'années, une partie de la société française, et notamment sa classe dirigeante et son passeur de plats, la caste médiatique relayant ses points de vues et remplissant l'agenda médiatique, est totalement infectée par un virus qui incube longtemps, insidieux et subreptice. Virus qui peut s'avérer mortel pour le porteur, sain au départ, et qui finit complètement vérolé. C'est ce qui est en train d'arriver à la France qui depuis de nombreuses années, subissant une longue mutation idéologique et culturelle, n'a plus d'anticorps ou plus que de manière résiduelle, au sein des leaders d'opinion et des dirigeants, et n'offre donc plus aucune résistance ou si peu à l'assaut atlantiste qui enfin doit se réjouir d'avoir mis la France si retorse par le passé, au pas. L'accomplissement pour la France est d'assister à l'affaiblissement éventuel mais soumission certaine en tout cas, de son outil militaire et industriel encore indépendant, sans aucune préoccupation de ses intérêts stratégiques à courts et moyens termes par connivence idéologique et acceptation de facto des standards géopolitiques et moraux anglo-saxons (et l'on sait trop souvent de quoi il s'agit lorsqu'on parle de morale avec les anglo-saxons, plutôt R2P – Right2Protect– et droit d'ingérence drapés derrière des argumentations vertueuses pour l'opinion publique dindonnée as usual). Le tout, avec le sourire complice et le verbe hystérique des médias mainstream envers les maigres résistances qui se posent des questions quant à la logique de cette politique d'alignement.

Arrivèrent donc la crise ukrainienne et l'affaire MH-17, après déjà de nombreux exemples qui, s'étant succédés à un rythme très rapide ces trois dernières années, avaient démontré de manière assez éclairante la faillite de la presse mainstream en France (Libye, Syrie notamment...). Comme le souligne très justement Philippe Grasset, nous venons d'assister sans doute à un tournant majeur. Tournant majeur déjà acté par l'alignement de la diplomatie française depuis 2008 sur Washington mais véritablement révélé par la production médiatique qui accompagne ce changement diplomatique et surtout par la couverture de l'affaire MH-17 par la presse française. Pourquoi ?

Pour une raison que nous qualifierons de "structurelle", la perception que l'on peut avoir du système de la communication est en train de se métamorphoser en profondeur. Il devient de plus en plus un modèle ouvert de propagande, certes flashy mais au conformisme de fer. (Appelons-le "société du spectacle" comme le philosophe situationniste Guy Debord, ou "spectacle du fétichisme de la marchandise" comme Francis Cousin, philosophe de la gauche marxiste radicale et ancien situationniste lui aussi. Il s'agit dans tous les cas de notre époque post-moderne et de ses relais, les médias quels qu'ils soient: presse et internet, éditions, cinéma, documentaires, émissions, mode, bruit de fond, jusqu'au Big Now...) Il faut se rendre à l'évidence, la presse française a muté pour s'inscrire dans son époque, à l'image de la grande presse libérale anglo-saxonne qui, avec moins de zèle dans l'erreur que son homologue française, n'est plus que l'ombre du mythe qu'elle croyait être. Elle devient elle aussi un magnifique modèle de propagande qui ne prend même plus les apparences de la crédibilité et ne se soucie plus guère de déontologie comme rarement auparavant à cette échelle. Les sociétés occidentales ressemblent parfaitement au modèle décrit par Guy Debord qui nous explique que les sociétés modernes occidentales sont des sociétés du spectacle diffus, c'est-à-dire avec de multiples messagers parfois opposés ou contradictoires et un marché ouvert qui à la fin produiront le même message unique et ronronnant, contrôlé à la source par le pouvoir marchand et oligarchique. Par opposition à l'image du modèle des sociétés du spectacle concentré comme l'était par exemple l'URSS avec un seul canal contrôlé par le pouvoir, considéré comme l'ancien modèle de contrôle et de propagande.

En effet, sur cette affaire du MH-17 nous n'avons pas à faire à un champ de discussion idéologique se basant sur des idées et un positionnement à mesure, qui peut dépendre de beaucoup de facteurs selon la personne/journaliste (éducation, influences diverses, capital culturel ou habitus, etc...) mais à une affaire factuelle et technique qui vient de révéler l'horreur de la bête médiatique qui venait de naître. Il fallait pour la presse française grand public coller coûte que coûte à la version de Kiev, étant entendu que c'était le camp de Washington et que notre politique étrangère était totalement alignée dessus. L'approche correcte et la couverture par la presse de l'affaire MH-17, devrait ou pourrait si on le voulait sans trop forcer, s'apparenter à une enquête policière avec tout ce que cela comporte : indices, preuves, fausses preuves, témoignages et faux témoignages, alibis, mobile(s), causes accidentelles ou intentionnelles, analyses, etc... et donc flair de l'enquêteur. Quelles que soient les idéologies qui s'affrontent et le positionnement de la presse vis-à-vis des belligérants du conflit (bienveillants ou malveillants à leur encontre) le contexte en question (soit un avion commercial avec 298 passagers à bord abattu par une intervention humaine extérieure encore à déterminer mais avec responsabilité certaine d'une partie des belligérants, de manière accidentelle ou volontaire) devait permettre à la presse, de manière factuelle et distanciée, de poser les bonnes questions et tirer certaines hypothèses et faisceaux de présomption quant aux différentes responsabilités. Ligne éditoriale qui permettrait en plus, pour cette presse qui était déjà contrainte et sous pression (nous y reviendrons), de ne pas trop se mouiller (juste poser des questions et soulever certains faits ou incohérences par exemple, sans chercher plus loin). Ce qui aurait pu au moins leur permettre de clamer encore qu'ils sont "journalistes dans un pays libre", sauvant ainsi les meubles vis-à-vis de leurs lecteurs et de la charte de déontologie. Il n'en fut rien.

Overdose de narrative

Le problème pour cette presse, c'est que depuis quelques années, la contre-information se fait quasiment en temps réel au fur et à mesure des montages et turpitudes, avec l'aide du côté Janus du système médiatique et des professionnels du secteur et citoyens avertis, qui grâce à internet peuvent se débarrasser beaucoup plus vite des montages grossiers et médiamensonges. C'est ce qui rend, après les deux secousses déjà bien dommageables pour la presse libérale occidentale de la Libye et de la Syrie, la position de la presse mainstream sur l'Ukraine extrêmement fragile face au lecteur averti et au chercheur et analyste du monde des médias, c'est-à-dire les personnes qui s'inquiètent de leur évolution.

On assiste sur l'affaire MH-17 à l'apparition d'un phénomène de la part des médias français, qui est de faire preuve de cécité volontaire, de déni et de mauvaise foi caractérisée sur un sujet factuel et technique. Les questions posées et les réponses apportées ne tiennent absolument plus compte de la situation sur le terrain et des éléments objectifs de l'enquête qui abondent dans un sens ou dans l'autre, mais d'une obligation à tenir la ligne d'une narrative coûte que coûte jusqu'à atteindre le moment ou tenir celle-ci n'est plus possible, lorsque le réel se rappelle à eux, les journalistes mainstream. Les exemples sont nombreux où ce phénomène a dû engendrer, soit l'étouffement du sujet en pages intérieures des journaux après une phase de poussée hystérique où la Une était de rigueur, soit le déni qui fut apporté aux informations contradictoires mettant en cause la narrative, soit encore technique relativement osée mais fortement utilisée, prendre de manière appuyée et avec bienveillance des informations grotesques, surréalistes, voire, on peut le dire, absolument risibles pour argent comptant en les relayant complaisamment sans se soucier de la cohérence de l'ensemble. Bien entendu, tout en balayant d'un revers de main, l'hypothèse gênante que les canaux d'informations contradictoires (russes) et non alignés (presse occidentale indépendante type Robert Parry) n'étaient pas forcément des diffuseurs de propagandes mensongères et de désinformation. En effet, sur ce dernier point, les journalistes français en sont arrivés à un stade où ils ne peuvent imaginer une seconde que certains médias non alignés, russes ou indépendants occidentaux, ne subissent pas forcément les mêmes contraintes, qui les amènent eux-mêmes à devoir tenir une narrative qui s'avère intenable.

Le simple fait de rechigner à réorienter l'information dès que celle-ci ne satisfaisait pas la narrative a permis aux lecteurs français, contrairement à l'affaire syrienne par exemple, plus imbriquée, très complexe, très floue sur le terrain, de comprendre que les médias français avaient définitivement abdiqué dans l'affaire MH-17 leur rôle d'informateurs et de «pom pom girls» de la démocratie comme le disait Noham Chomsky des médias US. Ils ne sont plus que le prolongement et le vernis d'un appareil d'État français totalement imprégné de suivisme et d'alignement sur Washington une fois que l'on touche les cercles de décisions qui comptent, dont les médias font dorénavant partie. Mais imprégnés qu'ils sont de foi atlantiste, pour certains c'est en toute "inculpabilité", à la mode US. Ils défendent avec ingénuité mais vigueur la même vision indépassable de l'Histoire, basée sur quarante années vécues sous le prisme de l'anglosphère et d'Hollywood, des MBA effectués à Yale, des couvertures de l'entertainment pour l'ogre médiatique, enfant des anglo-saxons et du roi dollar.

Nous n'allons pas ici refaire l'historique de la crise ukrainienne et de l'affaire MH-17 qui sont parfaitement abordés sur de nombreux sites spécialisés tel que dedefensa.org bien sûr, The Saker ou les-crises, le site de Robbert Parry Consortiumnews, le site de Paul Craig Roberts, arretsurinfos.ch, Jacques Sapir etc...

Nous allons surtout nous attacher à faire un historique non exhaustif qui nous amène à cette situation, qui est l'imprégnation des réseaux et de la pensée atlantiste dans le monde des médias en France, et donner quelques exemples de ses effets au travers de la situation actuelle en Ukraine traitée par la presse française. C'est ce que Jean Paul Baquiast avait déjà bien démontré, mais également Karel Van Wolferen pour les Pays-Bas qui subissent le même sort. Certes avec des nuances, mais avec le même processus de destruction au sein du champ médiatique, d'une pensée singulière non atlantiste. Et dans le meilleur des cas sa marginalisation à des canaux dits engagés et considérés comme non référants voire extrémistes (sorte de théorie du containment appliquée à la sphère médiatique).

Tout chercheur de nouvelles sur ce sujet et qui s'intéresse aux médias en général, peut en toute sérénité consulter les sources citées un peu plus haut. Comme l'écrivit Philippe Grasset dans un article, il suffit de suivre le site le Saker par exemple (certes engagé, mais honnête dans les informations données) et voir l'évolution de la situation sur le terrain qui se valide à chaque fois comme étant vérifiée (et recoupée), pour avoir compris que ces canaux d'informations sont des sources beaucoup plus fiables sur le long terme (comme le point de vue de Robert Parry ou Seymour Hersh) alors qu'elles ne sont jamais référencées dans la presse mainstream. Cela a donné la situation absolument ubuesque où nombre de personnes qui suivaient les comptes-rendus des combats dans le Donbass sur ces sites, savaient bien avant que la presse grand public daigne enfin changer de narrative – l'ancienne devenant intenable – que l'armée de Kiev était soit encerclée, soit en déroute soit passant la frontière russe et plus généralement se faisant hacher sur place, perdant son matériel lourd et ses hommes peu entraînés et corrompus.

D'où le changement majeur de version jour après jour sur l'invasion, et le MH-17 (l'hystérie faussaire et sans vergogne du début et la fameuse poussée maximaliste pour emporter la décision dans le champ médiatique) etc... Ce que dedefensa dans un très bon papier a appelé la stealth invasion pour montrer l'absurde où en était arrivée la presse mainstream.

• Nous rappellerons seulement que l'affaire MH-17 aura vu la dissimulation d'informations et de preuves importantes par la presse mainstream qui s'est tue sur le sujet.

• Le dénigrement des médias russes partant à priori du principe qu'ils mentaient.

• L'omission de questions élémentaires pour tout enquêteur qui s'occuperait de cette enquête.

• L'atténuation de certaines informations neutres et l'exagération de propos outranciers et ubuesques.

Bien entendu tout cela est déjà arrivé par le passé : suivisme aveugle, manipulations et médiamensonges, journaliste inculte et va-t-en-guerre, désinformations, sources manipulées et manipulatrices etc... Mais ce que nous allons essayer d'expliquer, c'est pourquoi aujourd'hui l'affaire MH-17 et Ukrainienne agit comme un révélateur de quelque chose d'abouti après de multiples étapes au sein des médias français, d'un alignement qui découle d'une profonde métamorphose au sein des rédactions depuis une trentaine d'années surtout.

Nos sociétés qui se sont construites sur le mythe de la libre circulation des idées et de l'information, avec la figure de proue de ce mouvement qu'a été l'image du journaliste durant le 20ème siècle, sont à l'agonie. Elles sont beaucoup plus proches, sans conteste, de quelque chose entre Running Man, 1984 ou les networks de Starshiptroopers, pour faire référence au cinéma. Avec à côté, et de manière croissante, un autre réseau de contre-information de plus en plus efficace et dissident.

Il ne faut pas oublier toutefois qu'il n'y a jamais eu d'âge d'or de la presse et du journalisme… Les journalistes évoluant toujours dans un champ de contraintes fortes qui diffèrent selon les époques et les sociétés, n'ont jamais pu effectuer sauf par séquences courtes et par l'action individuelle de quelques plumes, une véritable démarche indépendante des pouvoirs et du capital.

Un processus d'atlantisation de plus en plus efficace

Ce sujet immensément vaste, bien trop pour notre analyse, l'infiltration à différents niveaux des influences américaines ou atlantistes au sein de l'appareil culturel et politique Français, devrait évidemment être le travail d'un historien chevronné ayant les titres et le temps pour s'attaquer à cette montagne. Nous rappellerons seulement que depuis 1945, et surtout évidemment depuis 1947 (création de la CIA et Plan Marshall), les liens entre la France et les Etats-Unis ont été à la fois de partenariat déséquilibré (financement de la guerre d'Indochine par exemple), de tentatives de contrôle, d'infiltrations outrancières et de réseautages peu discrets (OAS et FO, tentative de déstabilisation de De Gaulle et départ forcé de l'Otan...). Durant une période assez longue jusqu'au départ de De Gaulle, les liens sont tumultueux et les volontés d'indépendance de la France et donc de ses médias sur les sujets stratégiques étaient encore une réalité. Certes il y avait Peyrefitte mais c'est encore un autre problème.

Durant les années 80, avec la contre-révolution libérale aux États-Unis et différents mouvements de fonds très importants, souvent liés entre eux (montée de la société du crédit et du loisir, des valeurs individuelles et narcissiques, augmentation de la diffusion des standards US dans la mode et la culture, prolifération de l'image et du marketing agressif, début de dislocation des Ettats-Providence en Europe et privatisations massives des médias grand public en France, avec même au milieu des années 80 une véritable berlusconisation de la télévision française et une privatisation de chaînes grand-public, avec encore d'autres facteurs comme les évolutions technologiques), ont contribué à modeler et standardiser les points de vue des journalistes sur les grands sujets comme les conflits majeurs et les enjeux d'Etats. Les journalistes français aujourd'hui ne sont que le produit d'un long travail de sape de la profession et ne sont plus armés pour résister, baignant qu'ils sont, parfois sans s'en rendre compte, dans le bain atlantiste depuis si longtemps. Vous rajoutez à cela la formation universitaire et les pratiques culturelles et vous avez de bons petits soldats des organes de presse de l'Otan.

N'oubliez pas de saupoudrer l'ensemble du renoncement, certes couru d'avance maintenant qu'on les connaît, de la technocratie de gauche face au marché au début des années 80 et plus généralement le début du renoncement des classes dirigeantes françaises vieillissantes à maintenir une singularité française dans les relations internationales, vous effacez ensuite l'image du Serviteur de l'Etat devenue archaïque voire carrément caduque pour son temps, et vous avez l'époque actuelle. Vous remplacez l'ensemble petit à petit par une élite technicienne qui n'a pas connu la guerre dans une époque déstructurante et préférant travailler dans le privé plutôt qu'à Bercy, une fois son réseau établi. Bien entendu, la tendance lourde décrite ici est bien plus largement explicitée par les ouvrages du couple Pinçot-Charlot mais aussi par ceux de Sophie Coignard qui décortiquent avec précision le milieu politique et médiatique français.

Évolution de la perception médiatique en France

Petit rappel intéressant soulevé par Annie-Lacroix Riz concernant un article sur les mythes et surtout le triomphe du mythe de la libération américaine de l'Europe : «En juin 2004, lors du 60e anniversaire (et premier décennal célébré au XXIe siècle) du «débarquement allié» en Normandie, à la question «Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne», l’Ifop afficha une réponse strictement inverse de celle collectée en mai 1945: soit respectivement pour les États-Unis, 58 et 20%, et pour l’URSS,20 et 57%. Du printemps à l’été 2004 avait été martelé que les soldats américains avaient, du 6 juin 1944 au 8 mai 1945, sillonné l’Europe “occidentale” pour lui rendre l’indépendance et la liberté que lui avait ravies l’occupant allemand et que menaçait l’avancée de l’armée rouge vers l’Ouest. Du rôle de l’URSS, victime de cette “très spectaculaire inversion des pourcentages avec le temps” il ne fut pas question.»

Ce simple exemple, donne une idée du ravage culturel qui a eu lieu pour qu'un peuple perde ainsi sa mémoire. Pour la pirouette nous pourrions et comme un clin d’œil orwellien, identifier une date clé et symbolique, 1984.

Nous partons de trois déclarations faites par trois personnes différentes dans l'espace médiatique français, mais qui chacune à sa manière a identifié cette année 1984 comme une date-clef. Dans le renforcement des relations France-USA pour la première, année où les médias commencent à se transformer en centre de pensée unique pour la seconde, et pour la troisième,année qui commence à voir une modification en profondeur par différents accords et réflexions des programmes scolaires modifiant l'écriture de l'histoire contemporaine et notamment du rôle des États-Unis (au détriment des Russes et donc des communistes visés clairement à l'époque dans cette période une peu folle des années 80 hystérisées et libérales jusqu'à la caricature).

François Cusset intervenant dans l'émission “Là bas si j'y suis” pour parler de son livre «La décennie : le grand cauchemar des années 1980» avec un autre invité Serge Halimi du Monde Diplomatique sur le thème du «cauchemar des années 80», identifie donc l'année 1984 comme la plus américaine de la décennie avec le voyage de Mitterrand aux Etats-Unis et un renforcement des liens. Les sept heures d'émission reviennent sur les étapes qui, tout au long de cette décennie auront permis la lente soumission de la France, même si elle offrit des résistances, aux préceptes moraux, historiques, médiatiques, économiques, en bref culturels américains sur de nombreux sujets stratégiques ou symboliques.

Le polémiste Alain Soral qui a beaucoup travaillé dans la presse et les médias plus généralement durant cette période décrivit dans une de ses interventions très polémiques et très regardées, «le début de la centrifugeuse à marxistes qui débute en 1984 dans la presse et la télévision.»

L’historienne Annie Lacroix-Riz, que ses détracteurs n’épargnent guère, rappelle dans un ouvrage le contrôle qui s'opère pour l'écriture de l'histoire contemporaine et la bataille idéologique qui est derrière. Elle aussi pointe le doigt vers le milieu de la décennie comme année charnière. Elle cite notamment, lors d'une conférence sur ce sujet, un article de la revue Historiens et Géographes de Mars 1985, numéro 303 de Diana Pinto historienne américaine «qui s'interrogeait sur ce qu'elle appelait l'Amérique dans les livres d'histoire et géographie des classes terminales Françaises» dit A. Lacroix-Riz...«Cette collègue se posait des questions sur ce qu'elle appelait le nouveau regard des historiens et observait ce qu'elle qualifiait de volte-face intellectuelle, c'est-à-dire d'une véritable conversion du milieu historiographique français tel qu'on pouvait le saisir à travers les manuels du secondaire. Parce que les historiens français étaient passés d'une situation assez favorable à la fin de la guerre grosso modo à l'Union Soviétique comme grand vainqueur militaire de la guerre, et plutôt méfiant à l'égard des États-Unis et de leurs velléités impérialistes, à un véritable retournement. C'est-à-dire à une pensée reaganienne puisqu'on était arrivé à une opposition à l'empire du mal soviétique et la pax americana qui elle s'opposait au contraire au modèle soviétique, comme modèle de la liberté, de la liberté d'expression et liberté en général

Après avoir lu ceci, qui certes pourra toujours être nuancé, même s'il est difficile de donner totalement tort à cette historienne américaine – et on pourrait même étendre cela au champ des sciences économiques dans le secondaire – résonne peut-être différemment au lecteur de l'enquête, le sondage cité plus haut concernant l'inversion parfaite des responsabilités quant aux vainqueurs de la guerre fait en mai 1945 puis en mai 2004. Les trente années de matraquage auront produit leurs effets. Le Retex ou retour d'expérience (le After Action Report comme disent les anglo-saxons) sur cette opération psychologique et culturelle de long terme effectuée sur la perception des événements est fabuleuse. Elle peut être considérée comme réussie au-delà des espérances. Dans l'environnement de l'anglosphère que nous subissons, les contacts du jeune Français avec son homologue russe du même âge dans son pays, et plus généralement sa sensibilisation à sa vision du monde seront le fruit de démarches individuelles, ou encore des liens familiaux créés par la vie et des hasards des destins, mais seront sans commune mesure avec le matraque massif US. Cela fait qu’un Français débarquant aux États-Unis pour un voyage a la drôle d'impression d'évoluer comme un poisson dans l'eau en dehors des désagréments immédiats des repères sur une carte.

Entre l’Éducation Nationale qui révise ses programmes d'histoire pour les plier aux nouvelles allégeances et organisations du monde identifiées comme nouveau paradigme par les élites françaises des années 80 et celles qui suivirent, et le système culturel français infiltré par le biais du softpower et du hollywoodisme, le futur journaliste est mal embarqué pour penser sereinement les futures questions internationales en dehors de tout prisme anglo-saxon. Et ce n'est que le début de ses embûches. Il faut rajouter à cela les officines américaines créées de toutes pièces comme la fameuse FAF ou French American Foundation et ses Young Leaders qui bon an et mal an (voir ses promotions annuelles éloquentes et très inquiétantes de ce point de vue) essayent de dénicher par un long travail de séduction, d'implication et de valorisation des jeunes futures élites françaises (hommes et femmes politiques, financiers, journalistes, capitaine de frégate de sous-marin nucléaire...) qui pourront compter demain pour la France ... et pour les Etats-Unis. Pour ces élites françaises, il semble évident qu'elles ont pu utiliser les services de la FAF de manière opportuniste et non idéologique pour des raisons de carrières, mais il est tout aussi évident que pour d'autres le niveau d'engagement et d'acceptation de la pensée atlantiste les imprègne fortement, il suffit ensuite de les lire ou voir les combats importants menés sur certains sujets durant leur carrière. Sans parler bien sûr de la technostructure européenne infiltrée jusqu'à l'os par les réseaux OTAN/Gladio-Stay-behind/CIA etc, les travaux de Pierre Hillard ainsi que ceux d'Annie Lacroix-Riz laissent peu de doutes sur les allégeances européennes vis à vis des Etats-Unis, et ce depuis la Création de l'UE. On est loin des réseaux de Poutine, très loin même.

On cherche évidemment un exemple équivalent russe, hors des échanges universitaires respectables, avec tout ce que nous avons décrit derrière cette immense entreprise atlantiste et américaine. Cette dernière ayant permis l'acceptation par nos élites de la réécriture de l'Histoire au profit de l'Otan et infiltrée les médias français et le divertissement permanent qui s'imbriquent dorénavant dans le schéma culturel anglo-saxon. L'anglosphère régnant sur la mondialisation libérale, basé sur une économie du dollar régentée par la finance internationale et la Fed a créée sa propre « réalité fabriquée », et les médias français en sont une composante. Que certains hommes politiques français aient des accointances avec la Russie ou s'intéressent fortement à la culture russe et se montrent donc moins hystériques lors des poussées de fièvres médiatiques anti-russes est une certitude. Que quelques intellectuels et que le monde de l'art et du cinéma de manière résiduelle ou dans des systèmes de niches partagent des liens forts avec ses semblables russes semble évident aussi. Mais l'ensemble de la société française ne baigne pas depuis quarante ans dans un univers entièrement sous standards idéologiques et moraux russes. Surtout depuis la chute du Mur de Berlin, il suffit de voir les votes communistes et la presse dite communiste comme l'Huma et surtout le sort terriblement ironique qui l'aura vu en 2001 ouvrir son capital à Lagardère et à TF1 qui ont activement participé à son sauvetage à l'époque pour comprendre que personne ne souhaite les chars russes à Paris ni la presse, ni l'opinion publique (et encore, nous faisons évidemment référence à la période où la Russie portait en elle une idéologie transnationale, ce qui n'est plus le cas maintenant). Par contre l'inverse n'est évidemment pas vrai.

La mondialisation libérale et le triomphe du marché à la fin des années 90 ont donné leur pleine mesure. Et les médias (comme le jeune personnel politique) en ont fait les frais évidemment, avec de moins en moins de journalistes qui avaient le bagage et la culture nécessaires pour réfléchir correctement. Dans un monde où la production de l'information a obligé les journalistes à se plier à des impératifs dignes d'entreprises commerciales au détriment de la qualité de l'information. C'est ce qui a donné les multitudes d'erreurs et de manipulations de la presse sur de nombreux conflits (Timisoara 1989 Roumanie, Rwanda 1994, massacre de Racak en 1999 au Kosovo, Irak 2003, Lybie 2011, Syrie 2011-en cours). Toujours en faveur de la version que l'Otan ou les États-Unis défendaient (parfois avec les Anglais et Israël comme pour le Rwanda). Tout ceci faisant apparaître un phénomène fortement analysé sur dedefensa, c'est-à-dire le virtualisme, l'insistance sur la perception de l'information au détriment de la vérité de la situation et de l'information ; et la création des narrative toujours de plus en plus contraignantes au fur et à mesure qu'elles éloignaient la presse française d'une véritable liberté d'analyse et d'une capacité à produire une information hors des critères considérés. Ceux dans lesquels elle devait s'inscrire, soit le suivisme de la position de l'Otan quand la France était de son côté, soit l'enfumage subi comme au Rwanda.

Rwanda et pools médias...en pleine brousse

Quand la France affaiblie et reconsidérée après la chute de l'Union Soviétique comme concurrent et adversaire par les anglo-saxons en Afrique fut victime en 1994 d'une belle entreprise de dénigrement médiatique, la presse française a participé à l'enfumage plutôt qu'a un contre point de vue le dénonçant.

Il faut pour cela écouter le témoignage fait par Jacques Hogard, le chef du 2ème REP au Rwanda, qui fut ensuite officier supérieur au COS en 1994, (Commandant des Opérations Spéciales) durant la guerre du Kosovo, qui raconte lors d'un entretien donné à Emmanuel Ratier à l'occasion de la sortie de son livre «L'Europe est morte à Pristina», comment alors qu'il commandait les troupes françaises arrivées sur place les premières, il avait compris qu'il se trouvait au beau milieu d'une gigantesque entreprise d'éviction de la France de son pré-carré c'est-à-dire l'Afrique des Grands Lacs, par le biais d'une énorme intoxication médiatique bien préparée et parfaitement surprenante dans sa conduite si organisée. Il décrit à son arrivée au Rwanda comment il dut faire face à un parterre de journalistes anglo-saxons en nombre venus l'interroger quant à la responsabilité de la France dans les massacres, tout cela réglé comme du papier à musique. Il le raconte en tant que militaire de haut rang très bien informé et sorti de son devoir de réserve une fois à la retraite. Sur ce sujet, le journaliste Patrick Mbeko, dit notamment que pour comprendre il suffit de constater comme il le précise «que le pays ne parle plus français mais anglais et qu'il est aux mains des intérêts américains et israéliens qui ont pris le contrôle de la région». Analyse qui commence à ressortir de plus en plus mais qui est peu relayée vingt ans plus tard. Il est évident que ce fut la France en tous points le dindon de la farce et salie médiatiquement suite à cet immense entreprise de déstabilisation du Rwanda lancée de l'Ouganda soutenu par les États-Unis, qui finit en génocide incontrôlé. Là aussi les résultats furent plus que probants pour les américains face à des Français et surtout des médias Français trop loyaux dans ces jeux à trois bandes. Surtout avec des hommes comme Bernard Kouchner qui prit la parole sur le sujet, l'auto flagellation fut totale pour la France.

Cette “anecdote” sur la couverture presse du Rwanda et la belle organisation des pool medias anglo-saxons sur place à l'arrivée de Jacques Hogard nous ramène à un article de Wayne Madsen, publié le 31 Août 2014 sur strategic-culture.org, repris et traduit par arretsurinfo.ch sur le niveau d'infiltration par les agences gouvernementales occidentales de renseignement des organes de presses grand public. Il explique même qu’on en est arrivé à un tel niveau que ces agents de renseignements "déguisés" en journalistes mettent partout la profession en danger, – c'est-à-dire la profession de ceux sur qui, sur le terrain, font un travail pour une rédaction et non pas au final pour une cellule gouvernementale sous couverture. On peut sans trop prendre de risques penser que les agences atlantistes sont bien pourvues en "journalistes" de terrain un peu partout dans le monde.

Kosovo plus c'est gros...

En 1998 un magazine Français à grand tirage Marianne émettait des objections sur les raisons et justifications de la guerre au Kosovo avec l'inénarrable Jean-François Khan à sa tête (toujours un peu franc-tireur et toujours un peu dans le Système), mais c'était une exception. Pourtant concernant le Kosovo Serge Halimi, alors rédacteur en Chef du Monde Diplomatique, revenant sur la couverture par la presse de ce conflit, dit tout d'abord: «Durant la guerre du Kosovo, la référence à la guerre du Golf ou à Timisoara a été constante et à chaque fois les journalistes ont invoqué leurs erreurs précédentes pour préciser qu'ils en avaient tiré toutes les leçons et que dans l'affaire de la Yougoslavie et plus précisément dans l'affaire du Kosovo leur traitement a été exemplaire. Et “exemplaire” est la formulation qui a été employée à plusieurs reprises par Laurent Joffrin directeur de la rédaction du Nouvel Observateur...Je ne vous surprendrais pas en vous disant que ma perception est moins enthousiaste.» Serge Halimi cite le point de vue publié par l'historien Marc Ferro le 24 Juin 1999 quelques jours après la fin de la guerre du Kosovo dans une tribune intitulée “les médias ont-ils fait leur boulot au Kosovo ?”:

«Le processus d'uniformisation de l'information que l'on avait observé au moment de la guerre du Golfe s'est à mon avis accentuée voire aggravée. Les journalistes se sont accrochés aux informations de l'Otan avec une exclusivité et une constance qui frise la soumission»... Il continue en expliquant qu'il fut surpris de voir un plateau de LCI avec quatre invités allant tous dans le même sens (le négociateur de l'Otan en Macédoine, le porte-parole de l'Otan à Bruxelles puis Jospin et Chirac), permettant la diffusion de la parole de l'Otan en “quadriphonie”. Marc Ferro ajoute  : «Nous sommes parvenus au point zéro de l'information du fait que les informateurs ne sont plus informés, faute de spécialiste sur le Kosovo et la Yougoslavie, les journalistes se sont jetés sur les conférences de presse quotidiennes de Jamie Shea, le porte parole de l'Otan et ils nous ont régulièrement resservi son point de vue sans aucune autre contrepartie. Les médias se sont otanisés et ont créé une opinion publique unique, aussi otanisée. Le drame de l'information actuelle, c'est que les journalistes n'ont plus le bagage pour s'informer. La pénurie de spécialistes possédant une vision globale et transversale n'est pas sans conséquence sur l'état d'inculture des journalistes. Cela dit cette lacune ne devrait pas empêcher les journalistes d'être curieux et de poser des questions. Quels sont ces enjeux à l'issue de la guerre ? La reprise en main de l'Europe par l'Otan et la mise sous tutelle de l'Onu par encore et toujours l'Otan. Je n'entends aucun journaliste se demander si la crise du Kosovo n'a pas donné à l'Otan l'opportunité de retrouver une présence physique en Europe alors qu'elle n'y est plus légitime depuis la fin de l'Union Soviétique.» Cela ne vous rappelle-t-il rien de quelque événement qui aurait lieu en ce moment en Europe également ?

Contrairement au Kosovo, le problème actuel de l'Otan et de ses relais médiatiques, c'est l'évolution de la contre-information qui s'est fortement organisée depuis 15 ans, à la fois par l'augmentation des moyens technologiques et du travail en réseau qui s'est développé, mais aussi au vu des énormes montages falsificateurs (peut on encore les appeler des narrative à ce niveau?) montés, toujours par les mêmes, depuis cet épisode du Kosovo. Narrative plus difficiles à faire passer en temps réel donc, vu le travail effectué par la presse indépendante ou dite non alignée (on pourrait, au point où nous en sommes, tout simplement dire presse “honnête”) depuis plus de dix ans.

D'autant plus que, et c'est un sacré handicap en plus pour les faussaires, l'accélération de l'Histoire et cette grande période crisique que nous vivons, depuis 2008 sur le plan général, et depuis 2011 sur le plan des relations internationales, de la diplomatie et des opérations militaires a amené le bloc BAO à multiplier ses narrative et ses gymnastiques communicationnelles qui avaient de moins en moins de mal à apparaître pour ce qu'elles sont : un grand bazar et des montages grossiers intenables. La phase de chaos contrôlé (qui l'est de moins en moins) au Moyen-Orient notamment, il faut dire, est parlante à cet égard. Que ce soit par le biais de révolutions parfumées et colorées (de jasmin ou de ce que vous voulez) ou par le biais des jihadistes dont le sponsoring est revendiqué. Devenant dans le traitement de l'information des “freedom fighters” le temps d'un épisode (ou une saison, cela dépend du budget alloué par le producteur du scénario, CIA, Qatar, Saoud, etc.) quitte à être ensuite être largués par la “prod” de la narrative (insuffisance de résultats en Syrie par exemple). Pour deux ans plus tard se retrouver sous le terme "jihadistes" par les mêmes qui traitent les mêmes sujets. Cela met en évidence l'énormité des contradictions qu'essaie de vous faire avaler le système médiatique mainstream. Surtout quand tout cela (et le reste) se fait dans un temps très court. Il y a des limites à tout, et la presse libérale occidentale atteint de telles contradictions que la situation ne pourra plus tenir très longtemps dans de telles conditions.

Encore plus intéressant, dès le Kosovo, Jamie Shea, le porte parole de l'Otan au moment du Kosovo, mettait déjà en garde contre le caractère moutonnier des journalistes, – le 25 mars 2000 comme le rappelle Serge Halimi qui le cite : «Je ne voudrais pas généraliser, je n'ai pas porté d'accusation globale en parlant de journalistes moutonniers. J'ai simplement voulu souligner que dans ce genre de situation, une guerre où quatre cents journalistes sont enfermés dans un lieu clos, le siège de l'Otan, il ya le danger que ces journalistes soient un peu trop dépendants d'une seule source d'information. J'étais un peu gêné d'être dans la situation où des journalistes qui ne pouvaient être sur le terrain au Kosovo, voyaient en moi une sorte de source universelle, d'être omniscient. Les journalistes avaient un peu trop investi sur ma personne et ce n'était pas sain».

Serge Halimi précise à juste titre que c'est cette servilité si évidente, si clairement affichée qui embarrassait Jamie Shea. Il rajoute à propos de la couverture médiatique de la guerre du Kosovo : «En vérité, la guerre du Kosovo nous a appris quelque chose que l'on soupçonnait un peu. C'est qu'un impérialisme de la vertu et quelques multinationales du bien cherchent à habiller de couleurs agréables la consolidation du pouvoir entre les mains de ceux qui le détiennent déjà, mais pas au nom du cynisme, pas au nom de la raison d’État. Non, au nom de la morale. Et bien l'année dernière, on s'est trompé et on nous a trompés. On s'est trompé et on nous a trompés sur le génocide, sur la victoire militaire, sur les bavures, sur la guerre altruiste, sur le révisionnisme ou le négationnisme.»

Mais aujourd'hui, dans une guerre complètement folle survenue après une catastrophe où a encore plané l'ombre pesante de BHL et des liberals hawks et avec les antécédents des fiascos médiatiques récents, on a du mal à comprendre cet acharnement dans l'erreur de la part de la presse, ou plutôt malheureusement, nous ne le comprenons que trop bien. Il ne s'agit à ce niveau là évidemment non plus d'une erreur mais d'une commande ou d'un programme éditorial pleinement assumé pour certains ou d'une aliénation pour les autres.

Frédéric Dedieu

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