La destruction de la liberté

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La destruction de la liberté

C’est un fait indéniable : notre époque est tourmentée. Les actualités se succèdent et se répètent, dans un contexte où les motifs du discours ambiant s’imbriquent les uns dans les autres, histoire de donner corps à un narratif qui sert d’outil de construction pour la DOXA impériale. Cette doxa s’appuie sur un ensemble de canons qu’il est interdit de remettre en question.

Paul Ricoeur, dans une analyse intitulée « Le canon biblique entre le texte et la communauté », nous rappelle que « la grande querelle ouverte par l’Aufklärung (Siècle des lumières), au nom de la raison, contre le principe d’autorité, contre l’autorité érigée en principe, est devenue une référence culturelle obligée pour tout l’occident après les lumières ».

Il est interdit d’interdire

Ce fameux « libre examen » qui deviendra la marotte du protestantisme – pourtant opposé au « libre arbitre » augustinien – est devenu le cache-sexe de la DOXA de nos maîtres illuministes. Ce magistral chef-d’œuvre de la sophistique atteindra son apogée avec le célèbre slogan proféré durant Mai 68 : « il est interdit d’interdire ». La « liberté d’expression » devenant – ipso facto – un des canons d’une rectitude politique tenant lieu de catéchisme de la nouvelle religion mondialiste. Tout ce paradoxe d’un « libre examen » à géométrie variable se fonde sur la déclinaison des nouveaux canons qu’il « est interdit de remettre en question » :

- les droits de l’homme;

- la libre circulation des marchandises et des humains, mais surtout du capital;

- la démocratie (« causes toujours, tu m’intéresses »);

- le libre marché;

- la libre pensée;

- le progrès (sa marche);

- l’égalité de tout et de tous;

- la DETTE (doit être honorée, même si les intérêts ont contribué à la faire croitre);

- la révolution comme matrice de changement.

C’est un peu comme si la réforme protestante, suivie par la révolution industrielle et la domination mercantile concomitante, avait tenu lieu d’intermède, d’intervalle afin de permettre à la nouvelle bourgeoisie cosmopolite de se saisir du pouvoir en (dans) sa totalité. Par delà l’économie, le pouvoir est idéologique et politique, symbolique et culturel.

Le Léviatan néolibéral

Or donc, le pouvoir de la nouvelle bourgeoisie mercantile (hyper-über-classe) se fonde sur la captation des flux financiers et des transferts technologiques. Il s’agit de mettre en place des nodes, sur le modèle des « hubs and spokes » qui organise la réseautique des vols aériens commerciaux. Il s’agit d’un pouvoir réticulaire – voir la théorie du Rhizome de Gilles Deleuze and Félix Guattari – qui est fondé sur des relations d’interdépendance qui sont fragiles en définitive. Ce pouvoir consiste – en sa version économique – à capter et organiser les flux financiers au moyen d’un modus operandi s’apparentant à un acte de sabotage des économies nationales mises en coupe. Il tentera, donc, d’interrompre et de relancer le fonctionnement des sous-ensembles économiques qui vont s’imbriquer graduellement au nouveau Léviatan néolibéral.

Il suffit de se pencher un peu sur le cas de la faillite grecque pour réaliser que tous les plans de restructuration de la dette qui seront soumis ne serviront qu’à remodeler son économie selon les desiderata de la secte aux commandes à Bruxelles. Marine Le Pen, chalenger du Front National, vient de faire sa profession de foi en nous prévenant, lors d’un récent point de presse, qu’il est hors de question que la Grèce puisse faire défaut et qu’il faudra bien, d’une manière ou d’une autre, qu’elle finisse par « payer son ardoise ». La DETTE est un canon que nul ne peut contester, sous peine de se faire excommunier par les docteurs de la religion néolibérale.

La modernité aura donc servi, principalement, à liquider le pouvoir des patriciens. Chemin faisant, un nouvel ordre (codex politicus) fut esquissé par l’assemblage d’un ensemble de canons constituant l’épine dorsale du procès politique en cours. Les canons de l’idéologie néolibérale, religion des lumières, étaient, dès lors, assortis d’un ensemble d’interdits (tabous) qui forment ce qu’il est convenu d’appeler la rectitude politique.

Le « libre examen » devenant un faire-valoir, l’idiot utile par excellence, d’une idéologie construite sur la base de dogmes économiques, politiques et culturels faisant partie de l’ossature des canons de cette « pensée des lumières » qui nous plonge en pleine obscurité… et, in fine, « il est interdit d’interdire » représente l’idiot utile en chef qui permet de justifier toute cette odieuse DOXA néolibérale que nul ne peut contester, sous peine d’être taxé de réactionnaire.

Le mythe du progrès

La DOXA néolibérale équivalant au « progrès », tout ce qui s’oppose à ses prédicats deviendra réactionnaire par un simple effet gravitationnel. Donc, une déviation mortifère qu’il importe de purger dans les meilleurs délais. C’est d’ailleurs ce que nos gouvernements « démocratiques » s’apprêtent à faire des deux côtés de l’Atlantique. Il importe de « repérer et traiter » ceux et celles qui refusent de se prêter au jeu d’une « liberté d’expression » qui est à géométrie variable. Ainsi, remettre en question l’augmentation des quotas d’immigrants vous expose à être traité de raciste et vous condamne à l’exclusion des débats qui émaillent nos agoras factices. L’immigration sans limite, c’est le progrès. Il convient, donc, de n’en point discuter et d’en subir les conséquences sans broncher.

Dans le même ordre d’idées, l’euthanasie c’est le progrès. Et, ainsi de suite. Les élites (non élues) aux commandes imposent leurs propres notions de progrès au gré d’un agenda politique qui correspond à la dissolution (société liquide) des points d’ancrage de la cité occidentale. Nul obstacle à la circulation des capitaux ne doit subsister. Toutes les conventions (au sens éthique) doivent être abattues afin que la « marche du progrès » ne soit pas entravée, pour que se réalise le projet d’une révolution universelle décrite comme la libération ultime du genre humain. Il s’agit de libérer l’humain de lui-même, après avoir liquidé le concept de Dieu, de faire tabula rasa de tout ce qui constituait la « substantifique moelle » de nos sociétés moribondes.

Le progrès c’est un peu comme un serpent qui se mord la queue au grand dam de nos contemporains. L’explosion des technologies dédiées au monde de l’agriculture n’a pas empêché qu’une majorité de petits exploitants français soient acculés à la faillite en fin de parcours. L’optimisation des technologies numériques n’a pas créé plus d’emplois et n’a pas contribué à alléger le labeur de ceux et celles qui n’ont toujours pas été condamnés au chômage. La surmultiplication des procédés de surveillance des lieux publics n’a eu aucune incidence sur l’augmentation des massacres à grand déploiement qui pullulent un peu partout. La surmédicalisation a rendu nos sociétés malades, dans un contexte où le nombre de « dépressifs » augmente à vue d’œil.

De facto, c’est un peu comme si la technologie progressait au détriment de l’humain. C’est exactement cela ! La question n’étant pas de nous opposer à la technologie comme tel, mais bien d’examiner ses usages dans un contexte où le néolibéralisme l’utilise comme vecteur de domination. Examinée sous ce rapport, la technologie sert donc à maximiser les rendements, à générer de nouvelles parts de marché, à court-circuiter les étapes de production, à augmenter des mesures de surveillance et de traçabilité qui permettent de régenter le mouvement des populations humaines. Le mythe du progrès est comparable à un écran de fumée qui masque les intentions réelles commandant à une innovation technologique au service du grand capital.

Les automatismes d’une pensée formatée

Dans un monde où le « langage machine » – la syntaxe de la programmation – a définitivement remplacé l’art de la rhétorique, nos contemporains sont incapables de formuler un discours sur la réalité qui puisse s’articuler librement. La pensée s’exprime à travers le carcan d’une liberté surveillée, incapable de s’extraire des figures obligées du conditionnement des esprits. Les références historiques sont reformatées afin de brouiller les repères et de faire en sorte que les sujets enrégimentés soient incapables de faire appel à des références inscrites à travers la durée, le long terme.

Le Pape François vient tout juste de décréter que l’Holodomor (grande famine qui décima une part importante du peuple ukrainien entre 1932 et 1933) fait partie des trois grands génocides du XXe siècle. Les deux autres ayant été perpétrés par l’Empire Ottoman et le Régime nazi. À partir du moment où l’Holodomor est considéré comme un génocide, faisant partie d’un plan concerté, le Vatican incite les fidèles à oublier le fait historique que cette grande famine allait frapper également des millions d’habitants établis le long de la rivière Volga, dans la partie ouest de la Sibérie, au Kazakhstan ou dans le nord du Caucase.

Certains historiens russes n’hésitent pas à affirmer que cette épouvantable famine fut causée, en grande partie, par l’entêtement du régime stalinien à imposer ses politiques de développement économique. Il ne s’agirait donc PAS d’un ethnocide (destiné à décimer une population en particulier), mais bien, pour reprendre les termes d’Andrew Korybko, d’un sociocide en bonne et due forme. La classe ouvrière prenant la place de la paysannerie.

Ainsi donc, le Saint Siège reprend des éléments de la DOXA atlantiste afin de poursuivre sa campagne de colonisation du monde orthodoxe. Deux amalgames sont utiles pour parvenir à cette fin. Staline est l’égal d’Hitler et … Poutine est le digne héritier de Staline. Chemin faisant, la boucle est bouclée et le procès de la désinformation peut se mettre en branle sans rencontrer de résistance notable. Les Ukrainiens sont les victimes et les Russes … les coupables. C’est aussi simple que bonjour !

La colonisation des esprits

Le Pape François reprend le canon du génocide afin de transposer une guerre religieuse par-dessus une guerre économique. Ce faisant, le souverain pontife démontre qu’il est un seigneur de guerre au service de cette machination impériale qui tente de réécrire l’histoire à son avantage. Pratiquant un « soft power » lui conférant une aura progressiste, le Pontifex maximus (chef spirituel d’un Empire romain toujours vivant) poursuit l’œuvre de Jean-Paul II qui consistait à gagner le cœur des habitants de l’ex-Urss pour le plus grand bénéfice de l’OTAN. Il faudra bien finir par admettre la réalité pure et dure : la City de Londres, le Saint-Siège et le District de Columbia correspondent aux power centers de cet Imperium qui tente par tous les moyens d’imposer son fameux traité de libre-échange transatlantique.

Les simples d’esprit n’ont toujours pas compris que le Saint-Siège est dirigé par un Jésuite, c’est-à-dire un maître de la casuistique. Le Souverain pontife pratique un « soft power » qui masque les intentions réelles de la Curie romaine. Le quotidien Le Monde – relais obligé de la désinformation impériale – soulignait, en février 2014, que « L'Église a visiblement trouvé avec François un messager plus convaincant, une « autorité morale » qui parle aussi aux non-croyants ».

De facto, ce Pape, qui semble prendre ses distances avec la dogmatique catholique, pratique une diplomatie à deux vitesses. Il s’agit d’adopter une posture complaisante face au « relativisme » occidental, alors que l’orthodoxie pure et dure sera confortée au sein des satellites en voie de colonisation. C’est ce qui explique toute la logique intrinsèque qui commande aux manœuvres diplomatiques entreprises par le Saint-Siège auprès de régimes compromis par la présence de mouvements paramilitaires qui sont loin de prôner la … « démocratie ». Rappelons-nous la « lune de miel » entre Jean-Paul II et le Général Augusto Pinochet, le Souverain pontife n’ayant rien ménagé afin de décapiter une théologie de la libération qui devenait « gênante » pour les condottieri au service de l’Empire.

Le Pape François poursuit la même politique que son illustre prédécesseur, sauf que l’Ukraine semble avoir remplacé … le Chili. On ne peut pas passer sous silence le fait qu’une junte militaire gouverne Kiev à l’heure de composer notre analyse et les cris d’orfraie de nos médias n’y changeront rien. Il est donc fort utile de falsifier la mémoire historique, afin d’inoculer le canon du génocide, lequel se greffe tout naturellement au canon des droits de l’homme. Laxisme absolu face à l’agitation des contempteurs de la chrétienté sur le terrain domestique, mais fermeté d’airain envers les « ennemis » de la « démocratie » … impériale.

Diplomatie à deux vitesses qui s’articule selon le mode d’emploi de la morale tordue de cette DOXA impériale imposée de gré ou de force.

L’anéantissement du libre arbitre

Les divers traités de libre-échange et d’abolition des prérogatives régaliennes sont adoptés sans que la populace n’ait un mot à dire. Nous sommes mis devant les faits accomplis. L’histoire se déroule sous nos yeux, à la manière d’un script créé par les grands régisseurs de la Polis Universalis. Les citoyens ne se sentent plus concernés, puisque leurs représentants de la caste politique « actent » le rôle qui leur est assigné par les régisseurs aux commandes. Cette dérive du modus operandi politique vers la sphère théâtrale conforte l’impression d’un fatalisme ambiant qui finirait par avoir raison de notre libre arbitre.

Nous ne sommes, donc, pas surpris de l’arrivée de The Donald sur la scène politique. À la manière des Femen, Donald Trump désacralise l’espace public et néantise la portée d’un discours politique décrédibilisé depuis belle lurette. Le grand public, prenant acte de la démission des politiques, réclame à grands cris du divertissement. Du pain et des jeux ! Le jeu politique n’ayant plus aucun impact sur la donne, autant s’amuser ferme tant qu’à y être ! C’est le « spectacle du monde » qui a, finalement, remplacé la « représentation politique ». La « Société du spectacle » succédant, de facto, à la société de consommation.

C’est en développant ses célèbres thèses sur le libre arbitre que Saint Augustin pose les jalons d’une recherche de l’autonomie chez un sujet qui n’est plus un automate face à la destinée. L’autonomie c’est la capacité de faire des choix, de discriminer et, in fine, d’exercer sa propre volonté sur le cours de l’histoire. La volonté ne constitue pas un outil servant à brimer ou brider le désir. Que nenni. La volonté c’est le procès du désir de vivre, de cette appétence qui fait de nous des êtres libres en définitive.

La morale judéo-protestante, suivie par la DOXA néolibérale, table sur le profit comme aboutissement suprême de cette « accumulation primitive » qui, selon Marx, conditionnait le pouvoir d’une élite sur le plus grand nombre. L’« élection divine », faut-il le rappeler, n’ayant rien à voir avec … nos élections frelatées !

Mais, laissons-donc la parole, en guise de conclusion, à un éminent théologien protestant qui demeure, contre toute attente, un mentor suprême :

« Nous avons aussi aperçu un modèle, une figure emblématique de cette polarité entre supériorité et reconnaissance, à savoir la relation entre Maître et Disciple en tant qu’irréductible à la relation entre maître et esclave et, de façon plus générale, entre domination et obéissance. Ici, suivre n’est ni imiter, ni se soumettre. C’est une Nachfolge Christi ( « suivre le Christ » ) que propose l’Écriture biblique dans le Nouveau Testament ».(*)

Patrice-Hans Perrier


Note

(*) Paul Ricoeur, in « Le canon biblique entre le texte et la communauté », un texte critique faisant partie de l’ouvrage collectif intitulé « La BIBLE – 2000 ans de lectures ». Éditeur Desclée de Brouwer, Paris, 2003. ISBN : 2-220-05229-X.

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