La bataille du pouvoir en Russie

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 494

La bataille du pouvoir en Russie

Igor Strelkov est cet ex-colonel du FSB (ex-KGB) qui s’est illustré dans diverses batailles de l’époque postmoderne (postcommuniste pour l’ex-URSS redevenue Russie) avant de devenir l’organisateur de la résistance originelle de la Novorussia contre Kiev, puis de quitter (d’être contraint de quitter) cette position il y a quelques semaines. Rentré en Russie, Strelkov a fait sa première apparition publique jeudi à Moscou. Le “Saker-français” a mis en ligne le 12 septembre 2014 une vidéo (sous-titrée français) de cette intervention (conférence de presse). La présentation résume la position de Strelkov en suggérant l’importance de la bataille en cours, – à Moscou, pour le pouvoir et l’orientation de la politique en Russie. Cela implique ainsi, et confirme certes, que la crise ukrainienne et la bataille entre Kiev et Novorussia ne sont, pour la Russie, qu’une crise d’introduction ou de déclenchement d’une crise bien plus essentielle...

«L’ex ministre de la défense de la DNR, la République populaire de Donetsk, se range résolument derrière Poutine et contre la 5e Colonne libérale en Russie. Il avertit, visant les faux patriotes du groupuscule l’Autre Russie, que “personne n’utilisera son nom”, et que le “front principal” est en Russie…»

Le 12 septembre 2014, The Saker original (The Vineyard of the Saker, USA) a mis en ligne un très long commentaire, avec un fort arrière-plan historique, une explication des très complexes ramifications du pouvoir russe, des rapports de Poutine avec les oligarques (russes), la situation des oligarques en général partisans de la dite-“5ème colonne” (ou “libéraux-atlantistes”) mais avec certains au contraire partisans de Poutine présenté comme adversaire de ces “libéraux-atlantistes”, etc. The Saker est clairement un partisan ardent de Poutine et considère que Strelkov, personnalité dont il juge qu’elle va acquérir un poids politique important à Moscou, est un allié de Poutine sans partager toutes ses options. Mais surtout, il place cette “bataille pour le pouvoir”, où le but des “libéraux-atlantistes” soutenus par le bloc BAO est clairement la chute de Poutine (regime change), y compris sous le faux-nez d’une poussée déguisée en ultra-nationaliste, dans le contexte mondial de l’affrontement en cours,– cela qui nous ramène à notre équation antiSystème versus Système. Nous reproduisons la conclusion du texte de The Saker, qui est bien entendu centrée sur la personnalité de Strelkov mais mise dans un contexte extrêmement large, c’est-à-dire planétaire. (Mise à jour le 14 septembre 2014 : nous reprenons cette conclusion de la version française du texte original, publiée le 13 septembre 2014 sur le “Saker français”. Nous mettons en gras les quelques mots qui fixent bien la dimension qui nous importe dans le texte général.)

«J’ai été stupéfié et fantastiquement encouragé par la manière extrêmement sophistiquée dont Strelkov a présenté hier sa position. Bien qu’il soit sans doute trop tôt pour tirer une quelconque conclusion, et même si je pourrais à ce sujet faire preuve d’un optimisme inhabituel, je crois que Strelkov a réellement le potentiel pour devenir ce leader de la Novorossia que j’espérais voir émerger un jour. Si cela advient, alors c’est avec joie que je plaiderai coupable de l’avoir sous-estimé. Je dois pourtant vous avouer aussi que je suis très inquiet pour lui. Le fait qu’apparemment, les médias de Russie n’aient accordé à sa petite conférence de presse que peu voire pas d’attention du tout, combiné avec le bruit qui a couru au sujet de son suicide, c’est là un message fort que lui envoie la 5ème colonne pour bien lui montrer à quel point elle reste puissante. Et j’interprète en particulier cette rumeur de suicide comme une menace de mort particulièrement grave. Pire encore, mais peut-être sont-ce mes inclinations paranoïaques qui s’exprime ici, il y a beaucoup de gens des deux côtés pour qui la mort de Strelkov serait la bienvenue. Les intégrationnistes atlantistes et leur 5ème colonne aimeraient le voir mort parce qu’il ose les dénoncer aussi ouvertement, mais ne vous méprenez pas, il se pourrait également qu’il y ait des souverainistes eurasiens pour vouloir sa mort, afin qu’il leur serve de martyr et de symbole de l’héroïsme russe. Est-ce cynique et moche ? Oui. Il en est ainsi de la lutte pour le pouvoir en Russie. A quel point cette lutte peut être impitoyable, la plupart des gens de l’Ouest n’en ont aucune idée. Contrairement à Poutine, Strelkov n’est pas protégé par un dispositif de sécurité de l’Etat extrêmement puissant. Alors si l’on considère qu’un coup pourrait lui venir de n’importe lequel des deux camps, il vaudrait mieux pour lui qu’il se montre très “très” prudent.

»Ne serait-ce que pour avoir accepté de jouer le rôle qu’il joue maintenant (et lui, étant un ex-colonel du FSB, connaît parfaitement les risques), je le considère comme un héros ; il a mon admiration sincère. “Ils” vont essayer de l’utiliser, de le menacer, de le manipuler, de le discréditer et d’utiliser tous les coups tordus possibles pour le contrôler ou pour l’écraser. En vérité, son sort est déjà un sort tragique, et son courage est remarquable. La lutte contre les nazis ukies, les wahhabites tchétchènes ou les oustachis croates, c’était comme des vacances relaxantes par rapport au genre de “guerre” qui a cours dans la lutte pour le contrôle de la Russie. Et comme la Russie est le leader de facto à la fois des BRICS et de l’OCS, la lutte pour la Russie est véritablement une lutte pour l’avenir de la planète. Je crois que Strelkov le comprend.»

Nous n’allons certainement pas prendre position par rapport à toutes les orientations, complexités, manœuvres, etc., qui sont ainsi décrites et explorées dans le commentaire du Saker. Si le terme historique fameux “l’Orient compliqué” est utilisé pour le Moyen-Orient, il peut aussi bien l’être pour la Russie, aujourd’hui certes comme il le fut hier... La formule de Churchill est toujours valable («une énigme, enrobée de mystère, cachée dans un secret») ; mais si elle avait été émise (en 1939) pour qualifier le pouvoir soviétique, essentiellement en référence à sa situation de secret maintenue par une structure policière extraordinairement puissante, elle décrirait aujourd'hui pour décrire une situation beaucoup plus ouverte, beaucoup plus identifiable dans ses composants, avec des batailles conduites sinon à ciel ouvert dans tous les cas d’une façon extrêmement perceptible et compréhensible. C’est une autre sorte d’“énigme...”, complètement postmoderne, avec des facteurs très importants qui sont des facteurs constitutifs directs de l’évolution du pouvoir en général (notamment dans le bloc BAO), dans la situation de crise générale d’une puissance sans précédent que nous connaissons. (La meilleure preuve de cet aspect de la situation est bien cette fameuse “5ème colonne”, qui représente une émanation directe à Moscou d’un des composants fondamentaux du pouvoir relayant le Système au sein du bloc BAO.)

Simplement (façon de dire), la complexité russe permet paradoxalement d’avoir une perception plus réaliste de cet affrontement, et la puissance du courant antiSystème en Russie de mieux percevoir les enjeux qui sont effectivement de l’ordre de la planète, et du fameux affrontement antiSystème versus Système. Paradoxalement encore, l’immense affrontement du pouvoir en Russie est infiniment plus ouvert (plus “démocratique” dirait-on ironiquement puisqu’il y a une perception populaire de l’enjeu au travers du soutien à Poutine) que la situation du pouvoir dans le bloc BAO où l’affrontement n’existe guère sur le plan politique et à peine sur le plan populaire à cause du triomphe du Système, mais s’exprime secrètement dans un accroissement continu de la crise psychologique (y compris à l’intérieur du pouvoir) qui en résulte. Paradoxalement toujours, on dira que la Russie est parfaitement intégrée dans la crise générale, ou crise d’effondrement du Système, avec justement sa propre version de la crise générale du pouvoir, beaucoup plus active et vivante à Moscou (“plus ‘démocratique’” répétera-t-on, encore plus ironiquement) que dans les pays du bloc BAO où elle se manifeste par l’impuissance, la paralysie, la schizophrénie et par conséquent cette “crise psychologique” dévastatrice qui en résulte à tous les niveaux, – ceux de la direction, de la “dissidence”, des sentiments populaires, etc. Enfin, il est manifeste que la Russie est le lien fondamental entre le bloc BAO entièrement emprisonné par le Système, et les forces en formation du reste du monde, dont la conscience antiSystème est notablement éveillée, jusqu’à la réalisation en développement actif qu’il s’agit bien d’une crise du Système, d’une crise de civilisation, et plus encore, d’une crise d’effondrement du Système et de sa civilisation. Cela implique la prise de conscience progressive qu’il ne s’agit pas simplement de l’affrontement d’un “modèle” contre un autre, mais bien d’une crise explosive et d’effondrement, à la fois crise entre les composants, – certains complètement soumis, d’autres entre soumission imposée et tentation grandissante de révolte, – d’un ensemble qui est incontestablement sous le contrôle et l’influence du Système, à la fois crise de ce Système lui-même.

On voit combien cette complexité russe permet paradoxalement d’éclaircir, de dépouiller de ses artifices et de ses simulacres, donc de simplifier à ses éléments fondamentaux l’enjeu de la crise générale en cours. Encore une fois, nous répétons que la Russie est moins un “modèle” antiSystème, – ce qui est une expression absurde par définition puisque l’antiSystème est nécessairement dépendant de l’évolution du Système pour s’y opposer, – que le point explosif fondamental de la dynamique antiSystème. Elle conduit la révolte sans savoir où cette révolte la conduit (et nous conduit), et subissant elle-même les remous formidables des manigances et des manœuvres du Système. C’est le grand apport de la crise ukrainienne et des interprétations type-Strelkov-Saker que de mettre en évidence ce dernier point, de l’éclairer, de faire prendre conscience de son importance. On n’ignorait pas l’existence d’une crise du pouvoir à Moscou, comme partout ailleurs, avec ses spécificités, mais on commence à réaliser son intensité, sa puissance, et le rôle essentiel qu’elle joue dans la crise générale du monde. La version moscovite de la crise générale du pouvoir que suscite la crise d’effondrement du Système est aujourd’hui la plus dangereuse, la plus explosive, mais aussi la plus éclairante, la plus pédagogique pour bien comprendre l’enjeu vital du schéma antiSystème versus Système au plus haut niveau de la politique. La crise du pouvoir en Russie éclaire complètement la crise générale du monde, la crise d’effondrement du Système, jusqu’à substantiver les fondements métaphysiques et spirituels de ces événements notamment à cause du caractère et de l’âme russes qui parviennent à s’y exprimer malgré tout. Ce n’est qu’en Russie que la crise du pouvoir oppose directement des positions principielles et anti-principielles fondamentales, où les facteurs spirituels (ou anti-spirituels) sont présents à ciel ouvert et affirmés comme tels par les plus hautes autorités. Le bloc BAO, enfumé dans le bombardement permanent de la dialectique des “valeurs” qui emprisonne et terrorise la pensée, a une crise de retard, ou bien une prise de conscience de retard de l’exacte puissance de la crise.

 

Mis en ligne le 13 septembre 2014 à 06H56

Donations

Nous avons récolté 1525 € sur 3000 €

faites un don