La baronne Ashton est-elle l’otage du Foreign Office ?

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1040

Il y a déjà eu des rumeurs de démission de la baronne Ashton, qui dirige la diplomatie et la sécurité européenne dans le nouvel organigramme de UE née du Traité de Lisbonne. Ashton, en général, n’est guère passionnée par sa fonction, dit-on. Sa situation représente un cas peu ordinaire et, dans ses rapports indirects avec le Foreign Office, il s'agit d'une illustration convaincante de la situation britannique en général.

@PAYANT La réputation de la baronne Ashton est déjà bien établie. C’est clairement une réputation d’incompétence, – mais est-ce un reproche à lui faire? Elle l’a jamais cherché à avoir le poste qu’elle occupe, y a été pratiquement conduite de force, choisie par l’appareil du Foreign Office. On la dit beaucoup plus intéressée par sa vie de famille que par l’ambition politique et son intention récente de se déplacer pour assister à la communion de sa fille a provoqué des grincements de dents et de sourcils parmi les planificateurs et conseillers qui l’entourent et qui surchargent son agenda diplomatique.

Selon des sources européennes internes au système, la nomination de Ashton a été accompagnée, voire verrouillée, par «un incroyable coup d’Etat du Foreign Office», – selon le mot d’une de ces sources. Les services de la politique extérieure britannique, avec toutes leurs ressources et leurs aides diverses (services de renseignement, fonctionnaires britanniques dans les institutions européennes, jeux d’influence et de pression) ont mis en place, autour de Ashton, une formidable structure de protection de son action et de sa politique, lesquelles lui sont complètement dictées par ce même Foreign Office. La description qui nous est faite de cette situation, en même temps que ce qu’on a dit de Ashton, font penser que, plutôt qu’être une exécutante zélée ou une coordinatrice efficace de tout ce système pour appliquer la politique qu’on attend d’elle, Ashton pourrait aussi bien apparaître comme, à la fois, «prisonnière et otage du coup d’Etat du Foreign Office». On peut par exemple avancer l’hypothèse que, sans ce corset de fer des services britanniques, Ashton aurait d’ores et déjà démissionné, et même n’aurait pas accepté ce poste.

Le cas intéressant dans cette situation est bien la question du “pourquoi?”. Si les Britanniques avaient un grand projet de politique étrangère et de sécurité européenne, on aurait une réponse; si quelqu’un d’autre ou quelque autre force avait un autre grand projet de politique étrangère et de sécurité européenne et que les Britanniques n’en veulent pas, on aurait également une réponse. Mais ce n’est pas le cas, ni pour l’une ni pour l’autre hypothèse.

Personne n’a vraiment de projet de politique étrangère et de sécurité européennes, tant toute la situation européenne est paralysée par la “crise globale” qui ne cesse de l’affaiblir, alors que toutes les grands Etats-membres suivent leurs propres politiques. Quant aux Britanniques, leur seule activité dans ce domaine européen est complètement nihiliste. Par exemple, la grande question avec l’arrivée probable des conservateurs au pouvoir est de savoir si les Britanniques ne vont pas quitter l’Agence Européenne de l’Armement. En attendant, ils y sont et leur seule activité est de mettre un veto à tout projet à l’intérieur de cette Agence. De quelque côté qu’on apprécie cette affaire, l’activisme extraordinaire des Britanniques débouchent sur une action nihiliste et d’inutilité de substance. Ils bloquent toute politique européenne qui leur déplaît, mais que personne ne songe à faire ni n’a les moyens de faire. Ils ne mettent en place aucune politique particulière, par anti-européanisme. Ils verrouillent et bloquent une machine totalement discréditée et impuissante, d'ores et déjà verrouillée et bloquée d'elle-même. On en arrive même à une situation où Ashton, dans la situation d’“emprisonnement” où elle se trouve, commence à chercher des moyens de se libérer d’une emprise du Foreign Office qui a comme premier effet de la ridiculiser.

La bureaucratie britannique semble ainsi enfermée dans ses réflexes anti-européens et son habileté tactique proverbiale à subvertir les structures bureaucratiques des organisations internationales. L’absence de but constructif de cette action est telle que le résultat pourrait être contre-productif.

• D’abord, les Britanniques ne peuvent plus rien faire seul. Il leur faut chercher des arrangements.

• Les Britanniques n’ont pas d’alternative à un certain accommodement avec les structures européennes, ne serait-ce que pour améliorer leur “image” auprès de pays continentaux avec lesquels ils veulent et doivent coopérer, notamment avec les Français en matière de défense. Certes, ils ne veulent rien d’institutionnel européens (ce qui ne contrarie pas vraiment les Français) mais ils doivent chercher à ce qu’une poussée franco-anglaise ait au moins l’“image” d’une apparence européenne. Leur activité actuelle contrarie complètement cet aspect des choses.

• Les Britanniques sont complètement bloqués du côté US et cherchent désespérément à se dégager de certains liens de sécurité qu’ils ont dans ce sens. Une coopération avec la France est leur objectif de choix pour remplacer cette orientation, et, là encore, l’“image” européenne est une nécessité de communication qu’il faudrait soigner. L’action actuelle du Foreign Office contrarie évidemment cette “image” d’une façon fâcheuse (tout le monde, les Français d’abord, est excédé par leur activisme) et peut interférer sur leurs projets eux-mêmes (avec les Français).

Il s’agit d’un exemple typique d’une bureaucratie en action, sans directive réelle, sans stratégie imposée ou suggérée par une direction politique qui est complètement impuissante et embourbée dans ses problèmes internes et dans ses extraordinaires difficultés budgétaires et de fonctionnement, autant que dans l’échec de plus en plus évident des “special relationships”. L’interprétation générale continuerait à proposer le machiavélisme et la fourberie britanniques, là où il n’y a plus qu’une machine certes extraordinairement efficace mais tournant à vide, sans but réel ni concret.


Mis en ligne le 10 mai 2010 à 09H42