L’Ouest et l’Ouest font leurs comptes, sous le regard de la Russie

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1285

La conférence annuelle sur la sécurité transatlantique, dite de la Wehrkunde, à Munich, a une singulière importance cette année, – cela, affirmé par avance. L’affirmation est sans audace excessive et se suffit à elle-même, à la lumière des déchirements extraordinaires qui secouent les relations internationales, particulièrement depuis la crise géorgienne d’août 2008 et la crise financière de septembre 2008. A part les réunions ministérielles OTAN de la fin 2008, avec une administration US sur le départ et donc sans le moindre intérêt, c’est la première rencontre informelle mais de très haut niveau entre alliés transatlantiques dans le domaine de la sécurité depuis ces divers événements bouleversants.

Le site WSWS.org présente, ce 7 février, une bonne analyse de la conférence et de ses enjeux. Il met justement l’accent sur l’aspect de réévaluation des relations ouest-ouest, ou des positions des uns et des autres (USA et Europe) vis-à-vis des questions de sécurité, avec les crises déstructurantes en cours et la nouvelle administration Obama aux USA; “réévaluation” ou règlement de comptes, cela dépend…

«The 45th Munich Security Conference taking place this weekend will be attended by a host of significant political figures. US President Barack Obama is sending his deputy, Vice President Joseph Biden, and other members of the US delegation including National Security Adviser James Jones, the head of the US Central Command, David Petraeus, and the new special US representative to Afghanistan and Pakistan, Richard Holbrooke.

»Germany is also sending its most prominent political representatives, including Chancellor Angela Merkel (Christian Democratic Union, CDU), Vice Chancellor Frank-Walter Steinmeier (Social Democratic Party, SPD), Interior Minister Wolfgang Schäuble (CDU) and Defence Minister Franz Josef Jung (CDU). Also in attendance will be French President Nicolas Sarkozy, Polish Prime Minister Donald Tusk, Russian Prime Minister Sergej Iwanow and Hamid Karzai, president of Afghanistan. Thirteen heads of state and government plus 50 ministers are amongst the total of 300 participants at the conference.

»The Munich conference [...is] the first trial of strength between major international powers since the transformation brought about by the international financial and economic crisis and the growing problems facing the US government in Iraq and Afghanistan.

[…]

»This year's Munich Security Conference represents a turning point in international relations. The role of the US, which dominated the transatlantic axis for decades, is now being challenged by a number of European countries. Longstanding relationships are being eclipsed, while new relations still remain undeveloped. However, under the diplomatic surface, growing tensions are emerging across the Atlantic as well as between the Great Powers in Europe itself. As the economic crisis deepens rapidly, each country is increasingly reacting by giving priority to its own economic, political and military interests.»

WSWS.org met justement l’accent sur la question de l’architecture de la sécurité européenne, passant notamment par les relations avec la Russie et la possibilité du développement d’une nouvelle “architecture de la sécurité” en Europe (bien sûr, avec la Russie). Il cite le texte commun Merkel-Sarkozyl, publié dans Le Monde du 3 février (et dans Süddeutsche Zeitung en Allemagne le même jour). Là aussi, accent mis sur la question de la sécurité européenne, qui est effectivement l’un des passages les plus intéressants du texte… En voici des extraits:

«La guerre en Géorgie, à l'été 2008, a marqué une rupture. L'Union européenne a pu arrêter la spirale de la violence et créer les conditions d'un processus de règlement. Mais le recours à la force militaire, ainsi que la reconnaissance unilatérale et contraire au droit international de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, ont créé un problème de confiance avec la Russie.

»La Russie reste notre voisine et un partenaire très important. Nous ne sommes pas revenus à l'époque de la guerre froide. Ceux qui le prétendent se trompent car l'URSS n'existe plus…

[…]

»A l'été 2008, le président Dmitri Medvedev avait fait des propositions sur la sécurité européenne. Nous sommes prêts à conduire un débat sur ces questions, avec nos alliés, et avec nos partenaires européens, et à prendre en considération les points de vue de tous. En l'abordant, nous rappellerons notre confiance et notre attachement à l'UE, à l'OTAN, et à l'OSCE, aux normes européennes éprouvées qui fondent notre sécurité, au régime de maîtrise des armements et de désarmement, et à la coopération transatlantique. Mais nous appelons à tendre la main à la Russie et à relancer notre coopération au sein du conseil OTAN-Russie et entre l'UE et la Russie, si celle-ci le souhaite. Nous voulons un dialogue politique et de sécurité plus étroit entre l'UE et la Russie, qui permette de l'impliquer plus avant dans l'espace de sécurité euro-atlantique. Nous espérons qu'un esprit constructif présidera à ces discussions. Le réengagement du dialogue stratégique américano-russe, que nous saluons, devrait aussi y contribuer.»

C’est sur ce thème principalement que la conférence a démarré, avec l’allocution d’ouverture, hier soir à Munich, par le ministre allemand des affaires étrangères. Novosti en a fait aussitôt rapport, en insistant effectivement sur la chose, l’architecture de sécurité européenne, qui renvoie à la proposition Medvedev: «L'architecture de sécurité européenne doit s'édifier et se développer en coopération avec la Russie, a déclaré vendredi le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier, prenant la parole à l'ouverture de la 45e Conférence sur la sécurité à Munich. “Il faut faire en sorte que l'architecture de la sécurité européenne se développe et intègre la Russie également”, a indiqué le ministre.»

Certes, la conférence est d’une réelle et forte importance et, sans aucun doute, les uns et les autres y viennent pour fixer les nouvelles règles de la très grande alliance de la civilisation exemplaire; comme l’on sait, “la civilisation exemplaire” qui connaît quelques cahots préoccupants, nécessitant justement ces “nouvelles règles”. Les Russes sont également présents, mais pas au plus haut niveau (vice-Premier ministre Ivanov, tout de même un connaisseur des relations avec les Occidentaux, du temps qu’il était ministre de la défense, spécialiste des relations avec ses amis de l’OTAN). Les Russes sont là pour observer les Occidentaux régler leurs nouveaux comptes, éventuellement prendre des notes et compter les coups.

“Compter les coups”? On verra. Il faut noter qu’à première vue, les uns et les autres ne semblent pas être venus pour parler de la même chose. Les Européens (France et Allemagne) sont là pour signaler que les rapports de force ont changé à l’intérieur de l’Alliance, qu’on doit désormais compter avec eux. (Message de Merkel-Sarko, adressé aux USA, du type “désormais vous n’êtes plus seuls à décider”, – avec un souligné en gras par nos soins: «Nous devons adapter nos concepts: pour répondre aux crises et aux conflits, nous avons besoin d'approche globale, de partenariats toujours plus solides et stables, et d'outils flexibles. Aucun pays n'est aujourd'hui capable de résoudre seul les problèmes du monde.») Plus précisément, les Européens voudraient parler de cette fameuse nouvelle “architecture de la sécurité européenne”, à la satisfaction des Russes, peut-être un peu moins celle des Américains.

La délégation US devrait surtout vouloir parler de l’Afghanistan. La présence dans cette délégation du bulldozer Holbrooke (en charge du Pakistan et de l’Afghanistan dans l’administration Obama) semblerait le dire d’une façon appuyée. Il n’est pas certain que les Européens se précipitent avec avidité sur le sujet. A cet égard, les hiérarchies présentes sont significatives, – présence de Merkel-Sarko, absence d’Obama. Pour le président US, la priorité est totalement, absolument intérieure; il n’est donc pas à Munich et la délégation US s’y trouve d’abord pour ce problème ponctuel (Afghanistan), où les USA réclament beaucoup des Européens, qui est surtout un embarras extérieur pour des USA complètement tournés vers leur situation intérieure. Pour les Européens, la présence exceptionnelle de Merkel-Sartko indique bien que les problèmes qu’ils entendent aborder à Munich sont centraux pour eux, et la sécurité européenne trône comme le point central parmi ces problèmes centraux.


Mis en ligne le 7 février 2009 à 12H06