L’extraordinaire courrier du ministre Peled à ses collègues.

Le ministre israélien sans portefeuille Yossif Peled a pris sa plume et a écrit une tartine à ses collègues, – 11 pages. La chose a été obtenue par le Jerusalem Post lundi, fuite venue d’“un ministre” est-il précisé obligeamment. Le contenu de la lettre est explosif et extraordinaire.

Alors que son commentateur principal, Justin Raimondo, s’en donne à cœur joie, le 10 juin 2009, en daubant sur “l’antiaméricanisme en Israël” (titre de sa chronique), le site Antiwar.com propose un rapide résumé de l’événement, ainsi que du contenu de la lettre, le même 10 juin 2009… Jason Ditz a du mal à retenir son incrédulité en observant que ce que Peled propose, entre autres mesures, c’est d’intervenir dans les affaires intérieures US pour obtenir “un changement de régime” aux USA…

«Israeli news outlets are reporting the leak of a letter from Israeli cabinet minister Yossi Peled to the rest of the nation’s cabinet, cautioning that the Obama Administration was going to adopt “a more balanced approach to Israel, including intensive pressure to stop building in settlements, remove outposts and advance the formation of a Palestinian state.” […] What is noteworthy is Minister Peled’s proposed strategies to combat this, including sanctions against the United States.

»In particular, Israel would begin shifting military purchases, the bulk of which come from the US, to other nations, and offering influence to other nations willing to get involved in the peace process in a way more in keeping with Israeli interests. Incredibly enough, Peled, a member of the ruling Likud Party, also proposes political actions which seem to amount to an attempt at regime change in the US.

»Peled suggests that the Israeli government become directly involved in next year’s US congressional elections, intervening against Democratic Party candidates in the hopes that the candidates would pressure Obama to adopt a more universally pro-Israel stance.»

Le Jerusalem Post présente donc le document dans ses éditions du 9 juin 2009, en annonçant que Peled “propose des sanctions israéliennes contre les USA”. Le journal détaille également des réactions, notamment aux USA, dans la communauté juive, où le moins qu’on puisse dire est que la lettre a semé l’inquiétude et la consternation.

«The State Department did not immediately respond to a request for comment on Peled's letter. But Democratic political activists in Washington dismissed out of hand Peled's suggestions, saying that such an approach would have little chance of influencing Congress's posture on Israel.

»“It shows Yossi Peled is terribly uninformed about US politics,” said National Jewish Democratic Council Executive Director Ira Forman. “He doesn't understand the politics of the American Jewish community. He doesn't understand the politics of the Democratic party.” Forman argued that Republicans had long tried to use the issue of Israel to peel Jews away from the Democratic Party with limited success, as the constituency continued to vote overwhelmingly Democrat.

»He predicted that such efforts, if attempted, would neither shift congressional support away from Obama nor boomerang to hurt Israel's backing on Capitol Hill. “Any such efforts would be so quixotic, would be so insignificant, would be so non-workable that I don't think it would have an impact either way,” he said.

»But other Jewish leaders were concerned that Peled's recommendations might create negative repercussions. “Just as it is inadvisable and inappropriate for the United States government to interfere in the domestic political affairs of the State of Israel, it is totally wrong-headed and dangerous for the Government of Israel to attempt to inject itself into American electoral politics,” said William Daroff, director of the United Jewish Communities' Washington office. “I have no doubt that Prime Minister Netanyahu did not know in advance about this proposal, and that he would reject it as outlandish.”»

Une fois encore, il s’agit d’examiner l’affaire selon ce qu’elle révèle et en fonction de ses effets indirects, plutôt que comme le fait politique qu’elle est évidemment, avec les effets directs possibles. Le document ayant été diffusé d’une façon informelle, voire illégale, par les voies habituelles des fuites vers la presse, il reste un événement politique incertain dont il serait aisé de diminuer l’importance, voire qu’il serait possible (mais pas très aisé) d’ignorer purement et simplement. Par contre, quelle indication nous donne cette affaire sur la tension et la passion qui règnent actuellement dans les relations Israël-USA!

Les mesures proposées par Peled, si elles peuvent paraître grotesques pour certains, n’en sont pas moins sérieuses dans le contexte où elles sont avancées. Même si bien des situations ressemblent à ce que Peled propose (l’influence de l’AIPAC sur le Congrès revient à une interférence dans le processus électoral US), la forme de la présentation de la chose, la méthode proposée elle-même, constituent des faits extraordinaires, qui justifient la remarque de Forman: «It shows Yossi Peled is terribly uninformed about US politics.» Traduisons: il y a des formes à respecter, et c’est même l’aspect essentiel de la situation américaniste, – respecter les formes, les apparences, le virtualisme si l’on veut… Peled ne s’en préoccupe plus guère, et, en cela, effectivement, il commet un grave impair. Mais là aussi, ce n’est qu’un signe de plus de la passion et des tensions…

Entre Israël et les USA, les “relations spéciales” sont chargées d’incompréhensions et d’interprétations fautives, – à cause des formes, justement. Contrairement à l’apparence, il n’y a pas deux complices s’entendant comme larrons en foire, ou bien l’un des deux profitant de l’autre, ce dernier acceptant sans réagir parce qu'il veut ignorer qu'il est exploité. En réalité, – et que cela soit fondé ou pas n’importe pas, – chacun des deux partenaires a la sensation de donner beaucoup à l’autre, notamment d’accepter son intrusion dans des domaines de sa souveraineté. Manifestement, Peled pense cela des USA, et, par conséquent, il juge l’évolution d’Obama comme une trahison. Ajoutez cette incompréhension et ces erreurs de jugement à la passion et aux pressions, dans le domaine politique le plus explosif et le plus passionné qu’on puisse concevoir, – et imaginez ce que nous réserve l’avenir si BHO poursuit sa politique… Encore un ou deux incidents de cette sorte et, bien entendu, BHO ne pourra plus rien faire d’autre, outre de le vouloir sans doute, que de poursuivre l’évolution qu’il a lancée, voire de l’accélérer. Ce sera le crédit de son administration, voire celui des USA, qui seront en jeu face à Israël.

Mis en ligne le 10 juin 2009 à 13H40