Je suis Charlie

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Je suis Charlie

Pourquoi ne peut-on aimer ceux qui nous haïssent? Parce que nous n’avons pas appris à nous haïr nous-mêmes jusqu’au point où nous nous aimerions malgré la haine qui nous habite, qui transpire de nous vers le monde et du monde vers nous. Sachons-le mes frères, nous sommes haine et le monde qui nous entoure nous restitue la sienne jusqu’à plus soif. Cette profonde vérité exprimée, ce beau principe qui réjouit le cœur des psychanalystes rappelé – principe qui d’ailleurs réjouirait plus encore celui des chrétiens conscients de ce qu’est vraiment le Christ et le cristianisme – que dire de la tuerie à Charlie Hebdo que personne ne dira, ou ne dira qu’à mots couverts ? Que l’humiliation finit par préférer la mort à tout autre chose. C’est Pierre Legendre qui, après la tuerie de 1984 au Canada, élargissant son propos au sujet de ces folies meurtrières d’individu déstructurés, évoquant nos façons de donneurs de leçons aux autres peuples, notamment le musulman, disait qu’« ils reviendraient vers nous avec le couteau ». Ils sont revenus. Ils ne cessent d’accélérer leur retour depuis quarante ans. Hier, ils sont « passés à l’acte » comme disent les initiés, comme si l’hypothèse qu’on n’y passe pas était tenable. Pour exister on passe toujours à l’acte. Pour dire les choses plus simplement, pour exister dans notre monde, il faut des actes, pas des rêves. Par exemple, Bush a rêvé le dronage des populations, Obama l’a fait. Tant qu’on n’agit pas, on n’est rien pour soi et on n’est rien pour les autres. Je ne peux exister qu’en produisant des actes. C’est même heureux que je les fasse mes actes car sinon je macèrerais dans l’infâme bouillon de mes indicibles pulsions et m’empoisonnerais. Pour sauter hors du bouillon, j’acte. Ça c’est le deuxième rappel méthodologique si je puis dire : laisser sortir de soi ce qui doit sortir. C’est ce que les psychologues recommandent dans leurs « thérapies ». C’est comme un vomi. Si quelque chose nuit à votre corps, il finit par le vomir ou alors il meurt sous le venin. Hier matin, vers onze heures trente le monde, un certain monde, certains hommes de ce monde, ont vomi.

Qu’ils n’aient eu que la trentaine ne change rien à ce que l’ingestion forcée du « poison démocratique » eu lieu avant leur naissance. 1967, guerre des six jours : célèbre cliché de Paris Match des souliers en gros plan de lâches soldats égyptiens fuyant pieds nus dans le désert, entre les carcasses calcinées des chars. 1974, joie du Kippour. 1975-90, guerre civile au Liban. 1982, expédition sharonienne à Beyrouth, humanisme de Sabra et Chatila. 2006, maléfique et coriace Hezbollah infectant le sud-Liban. 2009, 2012, 2014, Gaza : l’horrible Hamas use de boucliers humains. 2001, belles montagnes d’Afghanistan où on traque l’ignoble Laden tandis que son comparse fuit à mobylette par les chemins poussiéreux de la plaine. 2003 : Irak, on y détruit les armes de destruction massive inexistantes de Satan Hussein. 2011, Lybie : un déluge de bombes protège les manifestants anti-Colonel de Benghazi. 2015, Syrie que l’on tente de purifier d’ébola-Assad depuis trois ans. 2013, Mali où notre Bovary de président vainc sans péril et triomphe sans gloire. Bientôt re-Liban infecté du toujours virulent bacille assad qui résiste aux antibiotiques répandus en aérosol? Bientôt rebelote avec Hezbollah? Ça fait plus de quarante ans qu’on leur fout sur la tête des bombes pour les amener à la démocratie afin que « la seule du Moyen Orient », ne se sente plus si terriblement esseulée. Et vous voudriez qu’ils restent calmes? Qu’ils encaissent sans broncher, faisant ainsi preuve de cette surhumaine capacité à encaisser les coups du malheur sans moufter dont nous-mêmes ne sommes pas capables? Qu’ils nous récitent le beau poème de Rudyard Kipling ? « Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie (ta maison à Naplouse par exemple), Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir../. Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre, et te sentant haï, sans haïr à ton tour (s’il te plaît, pas de ceinture d’explosifs au marché ou dans les bus pour te venger de simples contrôles d’identités), Pourtant lutter et te défendre (en manifestant pacifiquement au risque de te prendre une balle perdue)../. Si tu peux supporter d'entendre tes paroles, travesties par des gueux (diverses radios ou hebdomadaires très au Point) pour exciter des sots (ceux qui évidemment votent le Pen, peste brune intemporelle, nazis inconscients), Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles, Sans mentir toi-même d'un mot, même si tu es Tarik Al Ramadan, Tu seras un homme mon fils?

En face de ces pauvres émotifs qui ne jurent que par la kalachnikov, il y a nous qui sommes des Kipling de base, des je suis Charlie. Nous les Occidentaux athées, ou se revendiquant tels, ne serait-ce que pour nous distinguer de ces sots de croyants, nous les libres-penseurs qui n’avons pas peur de la vérité, nous qui savons depuis Gargantua que le rire est le propre de l’homme, qui faisons constamment notre mea culpa à chaque fois que nous blessons un de nos frère, bref nous qui sommes le Nous de la terre, son sel, pourquoi voudriez-vous que nous cessions de déféquer « charlie hebdotement » sur la tête de ces sous-hommes qui ne savent pas rire ou alors jaune? Enfin monsieur, l’humour n’est-il pas la forme la plus belle de la vérité, la gifle fraternelle, la balle qui ne tue pas, qui au contraire rend intelligent ceux qui le sont déjà et ne manquera pas d’y entrainer les autres à cette belle intelligence inventée par Descartes, Voltaire et Philippe Val? Pour ce faire, depuis longtemps on a envoyé nos pédagogues sur le front, on a essayé de leur dire que Mahomet avec un turban explosif c’était de l’humour de moutard, d’ados inoffensifs, que le voile ou foulard à l’école c’était un signe d’insupportable soumission au machisme musulman, que se marier entre cousins sentait l’inceste, se déplacer dans nos belles villes de France sous une burqa c’était prendre le risque de se faire bousculer par les Petits Princes de la république… Rien n’y a fait, vous les connaissez! Depuis Averroès, ils ne se sentent plus, se croient plus grand qu’Aristote, et parce qu’ils ont inventé un peu d’algèbre, il faudrait pendre des gants avec leurs muftis, mettre l’arabe comme deuxième langue obligatoire dans les lycées et faire accompagner nos morpions aux sorties scolaires par ces sacs à viande que sont les mères voilées! Non, ça suffit, laissons nos piscines fleurir sous le précieux nénuphar du string multicolore et non sous la fange des chairs empaquetées des mamans musulmanes, encourageons nos lycéennes à montrer leur nombrils et plus bas si bon leur semble tandis que nous dirons à nos jeunes des « quartiers » de faire une thérapie si jamais il leur venait l’idée saugrenue de faire une tournante à la cité Gagarine. Il faut expliquer mes frères, faire de la pédagogie, vous savez cette pédagogie qu’on ne fait plus à l’école sauf dans feu les ABCD de l’égalité… Bref, ne désespérez pas, parlez leur, interpellez-les, apostrophez-les, ils finiront par s’amender et reconnaître qu’Allah est une hypothèse non pertinente à l’âge anthropocène. Voyez avec madame Belkacem, elle les connaît et se trouve précisément au lieu stratégique où l’intolérance peut être déracinée, voyez le grand mufti de la mosquée de Paris, voyez madame, ah j’ai oublié son nom, vous savez, cette accorte journaliste aux lèvres fines et pincées qui prêche l’amour et la bonne parole depuis si longtemps sur France culture, et si cela ne suffit pas, voyez Hollande. Il reçoit. Il est normal.

Vous verrez, tout cela n’est qu’une péripétie, ça passera comme le reste, sera recouvert par la prochaine vague de bonnes nouvelles que 2015 nous prépare. Persistons mes frères, insistons avec encore quelques tonnes de bombes sur daesh, quelques frappes chirurgicales ici ou là, quelques escadrilles de drones facétieux s’invitant aux mariages afghans, quelques livres coup de poings qui éveillent les consciences endormies, des éditos bien sentis de nos éditocrates, quelques articles percutants de nos philosophes journalistes, quelques manifs pour ou contre ceci et pas cela, quelques mariages de chair et de poisson, de cheval et d’alouette, quelques antiracismes anti-antisémites et nous verrons le bout du tunnel... Sursum corda, que diable!

 

Marc Gébelin

 

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