Hypothèse-certitude: Du passé faisons une explosion!

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Hypothèse-certitude: Du passé faisons une explosion!

Les lignes qui suivent étaient originellement destinée au Forum de dedefensa.org, en réaction à l’article "La menace (à peine) voilée du Guardian" du 8 novembre 2013, autour de l’extrême tension se développant entre les services de surveillance britanniques et les médias mainstream (The Guardian) publiant le fonds Snowden, jusqu’ici de manière limitée. La chose ayant pris de l’ampleur, la voici pour Ouverture Libre.

***

« D'une guerre jusqu'ici suivies cahin-caha selon des règles, une sorte de gentlemen's agreement », suivies par des gens de même formation, de même éducation, de même culture informatique, du "même bord" - originellement, et en tant que l'on ne considère que l'ancien découpage, bien dépassé, en pays et nations (1) -, bref, du même bloc de pays (BAO),

...de ce conflit limité, écrivez-vous ce 8 novembre 2013, l'on pourrait passer à la « guerre totale (…) catastrophique et sans retenue », dans le cas où le Système refuserait d'accepter, forcé, la poursuite de « sa dégradation continuelle sous le coup des révélations contrôlées et distillées » du fonds Snowden ; dans le cas où le Système pencherait pour un durcissement brutal et répressif envers les diffuseurs de ces informations, avec la riposte de ces derniers sous la forme de la diffusion de la totalité du fonds.

Connaissant le Système comme nous le connaissons maintenant, c'est-à-dire complètement étranger à toute notion d'acceptation, à toute forme de recherche d'équilibre, et complétement enfermé dans la logique de force brute, le conditionnel ci-dessus et le « dans le cas où » peuvent être passé par la trappe des simples artifices rhétoriques qu'ils sont.

Et faire place à la certitude de la réaction brutale du Système.

Et donc à celle de « l'explosion catastrophique » du secteur "écoute, surveillance, piratage & contrainte" du Système suivie, manifestement, par l'explosion de la politique extérieure des Etats-Unis, sous le choc des révélations complètes du fond Snowden (Greenwald: « assez d'information pour causer au gouvernement US en une minute seulement plus de dommage que tout ce qu'il a subi dans toute l'histoire des Etats-Unis »).

Il ne s'agirait pas que de la dissolution actuelle de la politique extérieure des Etats-Unis (mettons depuis juillet 2013), sur laquelle tout le monde (ROW, alliés, populations et élites américaniste elles-mêmes) a perdu ses illusions, toute sa confiance (en la puissance efficace des USA) et surtout toute la crainte que cette puissance pouvaient encore susciter, tant elle se prête actuellement à un spectacle d'opéra-bouffe impuissant, ridicule et absurde...

...mais de l'explosion bien plus catastrophique de la politique passée des Etats-Unis (et de celle, intimement liée, des services secrets anglo-saxons), que le fonds Snowden donnerait à revisiter depuis l'inflation exponentielle des écoutes électroniques massives (probablement depuis les alentours de 2000/2001 (2) -, ce qui fait un passif bien assez gigantesque, bien suffisant pour ôter définitivement toute possibilité, ne fusse que rhétorique et de la part des derniers défenseur de la chose, de légitimer encore la monstruosité, le trou noir tourbillonnant et furieux, qu'est devenue le Système).

Avec les révélations complètes du fond Snowden, nous serons dans le domaine politique comme dans le domaine de la relation économie-énergie-écologie et de son évolution catastrophique vers l’Anthropocène (bloc note du 31 octobre 2013) : face à la mise en cause totale et sans retour du Système (Réponse de scientifiques de l’Amercian Geophysical Union à la possibilité de « manager » la catastrophe environnementale globale : futilité ! « Our entire economic paradigm is a threat to ecological stability » (3). )

Décidément, les coups de marteau du bon vieux Nietzsche ne sont plus littéraires mais terriblement concrets et quasi quotidiens (merci Naomi Klein, merci Greenwald, merci Snowden et al.). Quelle époque !

... Et le titre de cette article devient : Du passé ne faisons pas table rase (leitmotiv des philosophes et révolutionnaires du 18ème siècle), mais : du passé telle que la légende dorée du Système le veut faisons explosion, et laissons à nu ce qu’il en est réellement : un cheminement obtus vers une catastrophe irrémédiable.

Ce qui est en soi une reconnaissance de la vérité et le début de la sagesse. Et qui permet par contraste d’apercevoir d’autres chemins – le chemin emprunté avant la bifurcation catastrophique de notre Contre-Civilisation, les chemins récusés, abandonnés et détruits sous la dictature aveugle du Système – et peut-être même d’apercevoir, déjà, les contrées et les régions vers lesquelles se diriger après l’explosion (dissolution, entropisation) du Système…

Encore deux remarques en passant

UN. De Toynbee (La civilisation à l’épreuve, 1947) à Bonneuil et Fressoz (L’événement Anthropocène, 2013).

Cette manière qu’ont les « services », « élites » et autres composant essentiels du Système de ne pas pouvoir contrôler la surpuissance et d'être emprisonné dans la logique du toujours plus de brutalité, et donc de ne pas pouvoir s’amender et donc de finir dans le mur (avec l’explosion du fond complet de Snowden, avec la poursuite accélérée et actée par tous de la destruction de l’environnement), tout cela est bien dans la logique de ce qu'Arnold Tonybee avait vu : notre "civilisation" est totalement et irrémédiablement bloquée par la technologie employée, bloquée par les investissements et "enjeux" financiers "consentis", bloquée par l'intrication totale du Système dans le fonctionnement politique, économique, social de nos sociétés, bloquée par la compromission intellectuelle et spirituelle absolue (si je puis dire).

Un livre récent sur l’Anthropocène (4), qui fait l’histoire technique et politique de « l’agir anthropocénique » (cet agir qui nous a fait rentrer dans l’Anthropocène : imposition graduelle et réitérée des diverses énergies fossiles, démantèlement systématique des alternatives existantes, délégitimation systématique des objections nombreuses et populaires basées sur les savoirs traditionnels, désinhibition des élites etc.) rend bien compte et de ce blocage actuel dans une situation de destruction continue, et de la volonté qui a présidé au choix du développement qui a conduit à ce blocage.

Le travail de ces auteurs est extrêmement intéressant en ce qu’il retrace l’histoire des nombreuses résistances populaires et savantes, tout au long des 18ème, 19ème et 20ème siècles, à cette évolution vers l’économie de croissance, vers le machinisme, vers l’exploitation privatisée et illimitée des biens communs et finis (forêts, eau, vivants), vers l’emploi de l’énergie fossile (ce que les auteurs, historiens des techniques, nomment un « arc de résistance » aux technologies et aux politiques de la modernité, parcourant toute la société et toutes les géographie). Le simple fait de mettre en évidence l’existence de ces résistances et au nom de quoi elle se faisaient (au nom de quelles pratiques, de quels savoirs, de quelles conceptions elles se faisaient) est éminent salutaire et nécessaire aujourd’hui, où tout cela a été occulté et oublié au point de tomber dans le défaitisme immonde du « tout le monde a toujours fait comme ça » (« ça »: l’espionnage massif, les mensonges systématiques, la soumission complète au Système, la destruction totale, le nihilisme aboutis caractérisant le Moderne...)

Avec cette histoire retrouvée des résistances à la modernité, qui ont parcourus en leur temps (celui de la révolution industrielle, mais aussi celui des immédiats après-guerres mondiales) toute la société des nations européennes puis, plus récemment, toutes les sociétés de l’Inde, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique du Sud etc., on ne peut que reconsidérer d’un nouvel œil la résistance populaire et planétaire à laquelle convie Brad Werner (3) en tant que « facteur de résistance géophysique » à l’évolution dynamique catastrophique du Système.

(Soyons humbles : soyons un facteur de résistance géophysique, comme les poilus de Verdun furent la résistance de la terre et du sol broyé par le déluge de feu industriel ! Ce qui n’implique pas absence de toute dimension spirituelle, au contraire.)

(Et après avoir remercié plus haut Naomi Klein pour son activisme intelligent et sa vigilance acérée, Snowden pour son incroyable et culoté coup de génie, Greenwald et ses mentors et comparses pour leur stratégie antiSystème extrêmement efficace, il ne nous reste plus qu’à remercier tous ces Anonymous de partout, humbles et anonymes facteurs de résistance, porteurs de l’avenir possible d’une biosphère dans laquelle le Système aura été définitivement freiné et dans laquelle, ayant perdu son moment, il se sera écroulé sous sa propre masse…)

DEUX. Impression totalement subjective sur l’écroulement…

Alors que je suis là, assis devant les feuilles d’automne qui ne cessent de tomber depuis des jours et des jours (depuis début octobre en fait, et ce vaillant érable en a encore sur ses branches basses, malgré les coups de vents pluvieux qui se suivent), je ne puis m’empêcher soudain de m’étonner, et de saluer presque, l’extraordinaire obstination du Système à vouloir éviter à tout prix son écroulement pourtant inéluctable. Cinq ans déjà depuis la chute fatale de Wall Street (novembre 2008)… Cinq ans pendant lesquels tous les expédients possibles ont été tentés, où ils n’ont fait que distribuer les tensions dans tous les domaines possibles et les accumuler jusqu’à un point d’incandescence presqu’inimaginable, et concernant absolument tout le monde et chacun d’entre nous. Cinq ans pendant lesquelles on pourrait croire qu’il ne s’est rien passé tant le Système est presque plus que jamais omniprésent (mettons : plus visible que jamais, dans toute sa monstruosité et dans toutes ses contradictions, dans toute sa fureur absurde et dans toute son impuissance certes). Cinq ans en réalité où il s’est produit plus de changements fondamentaux - et de changements jugés auparavant absolument impensables -, qu’il ne s’en est passé durant les trente ans précédents au moins (je parle des pertes d’illusions, des écroulements d’idéaux, de confiance perdue, d’une puissance devenue absurde, d’institutions devenues insensées, de l’exposition presque quotidienne d’un monde marchant sur la tête…).

Je ne puis non plus m’empêcher de considérer – mais pas trop non plus – tout le travail qu’il y aura à faire après l’écroulement (étant entendu que la période de l’écroulement sera une sale période à traverser). A supposer que l’on survive à cette tempête furieuse, je m’imagine que ce travail conséquent sera fait de manière allègre et passionnée, car fait, pour reprendre les mots de Naomi Klein, « …in favour of something new (and maybe, with a lot of work, for better) ».

Christian Steiner

Notes

(1) • C'est un constat: les élites ne sont plus d'un pays, mais d'une "élite" transnationale, possédant la même psychologie, partageant les mêmes corruptions (encore plus psychologiques là aussi que matérielles), partageant les mêmes pathologies extrêmes (refus, ignorance ou oubli de la tâche humaine de « faire monde », ignorance, oubli ou déni des principes structurants et subtils de "l'ordre, équilibre & harmonie", pour reprendre vos mots du Glossaire du 7 novembre 2013);

• C'est aussi le résultat d'un processus historique analysable en tant que tel, puisque cette dissolution des nations, des structures étatiques, des structures de souveraineté, a été théorisée, préparée, voulues, poursuivies depuis 25 ans encore et encore par cet ensemble de forces économiques néolibérales et de forces politiques soumises et vouées à ces premières... Et quand je dis « analysable », il suffit en réalité d’avoir vécu les années 80 et 90 et de se souvenir simplement des arguments des uns et des autres en faveur de la globalisation et de la disparition de l’autonomie, du choix et de la souveraineté, ou au contraire de la résistance à ces arguments et des combats s’opposant à ce mouvement. (Que cette résistance – certes diverses, multiforme et manquant de structuration conceptuelle - fut un échec n’ôte pas la vérité profonde de l’existence première et fondamentale de ces relations subtiles entre ordre, équilibre et harmonie que les cultures humaines ont toujours agencé ( le 27 septembre 2013) pour vivre dans un cosmos et « faire un monde » ( 7 janvier 2012) intéressant et vivant)

• Arrêtons donc de dire ou de souscrire à cet immonde argument du « tout le monde fait comme ça », « cela a toujours été comme ça ».

(2) et l'on comprend la crispation-panique extrême de ces services, face au danger de l’exposition des activités absolument monstrueuses et totalement inédites accumulées de manière exponentielles depuis ces années.

(3) Brad Werner, spécialiste en modélisation des systèmes, soumettant le résultat de ses recherches à ses pairs des Sciences de la Terre et de la Vie lors de l’assemblée de l’Union Américaine de Géophysique (AGU), à savoir que le « management global de l’environnement » sur lequel nous misons encore une certaine sortie de crise, est décidément une « futilité » (dito, une connerie) du point de vue des sciences de la stabilité dynamique des systèmes complexes (“ Dynamical Futility of Global Environmental Management ”) : “our entire economic paradigm is a threat to ecological stability”. “The Earth is F**ked unless we go for Sustainability via Direct Action Activism”

(4) L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, Seuil 2013.