Enfin, ils ont conquis “les cœurs et les esprits”

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Entamant un texte sur l’Iran où il nous dit que les événements récents ont “humanisé” l’Iran et rendu impossible, par le choc psychologique, toute attaque de sang-froid de ce pays comme l’Occident envisage de la faire en général entre la poire et le fromage de ses diplomates, Jonathan Freedland ne peut s’empêcher de commencer son texte en parlant de l’Irak où eut lieu effectivement cette attaque de sang-froid. Il faut dire que la circonstance y invite, puisque nous assistons au commencement de quelque chose qu'on pourrait nommer, pour faire bref et sans illusions, “la libération de l’Irak du joug américaniste”.

Freedland publie son texte ce 1er juillet 2009, dans le Guardian bien sûr.

«So Dick Cheney was right. In the end, the Iraqi people did respond to American soldiers with flowers. The only trouble was, it was their shipping out, not their digging in, that the Iraqi people celebrated. Today, as US forces marked their formal withdrawal from the towns and cities they invaded more than six years ago, the Iraqi people showed the kind of spontaneous joy the former vice-president once imagined would welcome the 173rd Airborne Brigade. There were streamers and balloons, pop concerts in the park and, yes, flowers – garlanding the abandoned checkpoints of the US military in petals.»

Le départ des troupes américanistes des villes irakiennes est complet, – ou bien il ne l’est pas c’est selon. La proclamation du “jour de la souveraineté” par le gouvernement Maliki n’empêche que cette “souveraineté” reste totalement sous contrôle US, – ou bien, elle peut mener à de sacrés règlements de compte, c’est selon… Il y a toutes ces indications dans un texte d’Antiwar.com du 30 juin 2009.

«Tens of thousands of Iraqis flooded the streets of the nation’s cities today, celebrating the official departure of the US military from the cities. Baghdad officials said the celebrants were cheering “because it’s the first day that they’re going to protect themselves.” […]

»[…W]hile the parties started today, the official celebration begins tomorrow, as Prime Minister Nouri al-Maliki has declared June 30 “National Sovereignty Day.” The national holiday will include a concert sponsored by Maliki.

»Iraqis seem eager to celebrate the withdrawal of US troops, though they’re only leaving the city limits for bases along the outskirts and may be invited back at any time by the Iraqi military. There also remain serious doubts over the Iraqi government’s ability to provide security, though the growing number of attacks in recent days suggest the US forces hadn’t been doing a tremendous job in that regard either…»

Qu’importe tout cela, y compris le niveau assez suspect de la vertu du Premier ministre irakien, des forces irakiennes, de la politique intérieure irakienne et ainsi de suite. Il reste que cette fastueuse perspective de mars 2003 (le peuple irakien accueillera les forces de libération US avec un tapis de pétales de rose parce que les forces US conquerront par leur vertu “les coeurs et les esprits”) débouche aujourd’hui sur un tapis de pétales de roses fanées pour saluer le départ symbolique des forces US, – vite, le plus vite possible. Tout le monde en a marre de cette guerre, à commencer par les éditorialistes de l’Occident, les salons parisiens et leurs petits fours, les parlementaires US, les analystes neocons et ainsi de suite. Nous avons oublié nos fumets d’ivresse d’il y a six ans et nous ignorons royalement que les premiers à en avoir marre, ce sont les Irakiens.

Quelle contraste avec notre attention zélée pour l’Iran, notre vertu déchaînée, notre agitation hystérique dans le bocal fermé à double tour, à l’épreuve des faits et de la réalité, de nos valeurs démocratiques et des droits de l’homme. Qui se soucie encore du calvaire extraordinaire qui fut imposé à ce pays, l'Irak, au nom de la vanité nihiliste de l’Occident et des ambitions de l’hubris américaniste? Qui esquisse une seule tentative de comparaison avec notre fureur pour dénoncer l’Iran, nous qui avons fait ce que nous avons fait à l’Irak sans lever le petit doigt, sans réunir le G8 pour envisager des sanctions contre les USA, sans un seul article scandalisé de Bernard-Henri Lévy? Il est vrai que tant d’impudence, tant d’inconséquence, se payent par la décadence accélérée, ou bien, plus encore, elles sont complètement la marque de cette décadence. Le verdict de notre infamie irakienne se trouve dans l’effondrement de notre système commencé le 15 septembre 2008.

Le plus remarquable, le plus significatif, est certainement cet aspect nihiliste que nous ne cessons de souligner dans la politique américaniste et occidentaliste; cet aspect nihiliste, comme une politique qui serait conduite, contrainte, forcée par l’exercice de la puissance qu’on possède, en quelque sorte une “politique de la puissance” ne répondant qu’à la seule contrainte de l’utilisation de cette puissance. (Le Russe Rogozine avait offert ce néologisme pour définir la politique de l’Ouest: “technologisme”, ce qui revient à représenter effectivement une politique inspirée, justifiée, conduite et faite par la seule puissance, c’est-à-dire effectivement la technologie qui est l’application de cette ivresse de puissance, mais qui en est aussi son inspiration enivrée.) Malgré toutes les belles démonstrations des géopoliticiens qui s’emploient à justifier après coup des aventures lancées on ne sait pourquoi, malgré ceux qui vous parlent du pétrole, de la démocratie, du capitalisme et de son “chaos créateur”, etc., le fait est que le sentiment qui domine finalement cette aventure irakienne est d’une bassesse à ne pas croire, parce que c’est bien la sottise brute, comme expression démocratique et ultime du nihilisme.

L’Irak répond complètement à la définition des petits comiques de la bureaucratie du Pentagone, en décembre 1989. Cela concernait l’une des premières opérations du genre, circa-post-Guerre froide, avec l’investissement du Panama pour capturer un nommé Noriega, inculpé dans un trafic de drogue qui impliquait probablement divers noms de la gentry américaniste, – dont le père Bush lui-même, chuchotait-on... Pour cela, une énorme opération militaire fut montée, et le nom de code de l’opération fut révélée: Just Cause. Les petits comiques du Pentagone s’empressèrent de rebaptiser la chose: Just Because. Bien vu.


Mis en ligne le 1er juillet 2009 à 12H59