Avec la catastrophe turbo, la psychologie s’adapte

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Sans qu’il faille en tirer une conclusion précise ou y voir une réflexion en forme de prévision sur la situation économique, financière et monétaire de l’Europe, on appréciera combien l’humeur des directions politiques et des commentateurs est dans une phase extrêmement sombre et “catastrophiste”, mais d’une façon qui commence à dénoter une habitude, ou, plus encore, une tendance irrésistible. Cela n’a rien d’accidentel ni même de conjoncturel, par rapport aux événements spécifiques “du jour” dans tous les cas, mais plutôt, à notre sens, le signe d'une évolution subreptice de la psychologie générale qui continue à modifier sa structure pour la conformer à l’idée d’une crise insoluble. Par ailleurs, les événements se conforment aimablement à cette humeur, tout comme l’inverse est juste, – les deux processus se complétant, – avec la poursuite désespérée du sauvetage de la Grèce, l’exaspération extrêmement complaisante de l’Allemagne qui ne cesse de se trouver de plus en plus déplacée, à être obligée de rester liée à ces partenaires européens en voie d’effondrement, les réunions désespérées des divers dirigeants, y compris avec les cousins d’outre-Atlantique, etc… Cela se passe pour le troisième anniversaire (15 septembre 2008) d'une crise qui devait être résolue dans le courant de l'année 2009, et quasiment oubliée en 2010.

On consultera certains textes et certaines interventions pour illustrer nos observations.

• On commencera par l’intervention du président de la Commission, Barroso, commentée par Simon Tisdall, du Guardian, ce 14 septembre 2011. Barroso lance un “cri d’alarme” revenant à ceci : “l’Europe est perdue si elle ne regroupe pas en une véritable entité intégrée, dirigée par Bruxelles” (dito, par moi-même, selon Barroso). L’extraordinaire bassesse du personnage (Barroso), de même que l’observation que ce “cri d’alarme” n’est pas le premier, n’empêchent pas d’observer, – d’abord, qu’effectivement l’Europe est menacée de se perdre et de se dissoudre, – ensuite, qu’effectivement la seule issue qu’ils imaginent pour empêcher cette catastrophe (ou cette bénédiction ?) de l’Europe qui se perd et se dissout, c’est encore plus d’Europe, c’est-à-dire le renforcement décisif des formules et structures mêmes qui ont permis la catastrophe, et qui y ont conduit. Le bavardage barrosien sur “le Grand Moment fédérateur” de l’Europe, type même “du Très Grand Mal peut sortir un Très Grand Bien”, est un morceau d’anthologie sans surprise dans leur galerie. Ce paradoxe-là échauffe les esprits courts, et les commentateurs, au moins pour l'édition du lendemain.

«The European commission president, José Manuel Barroso, warned on Wednesday that the EU was facing its biggest challenge for a generation – and that this wasn't confined to sovereign debt and dodgy banks. “This is a fight for the jobs and prosperity of families in all our member states. This is a fight for the economic and political future of Europe. This is a fight for what Europe represents in the world. This is a fight for European integration itself,” Barroso said.

»In other words, as the commission president apparently sees it, out of the trauma of the Greek near-default and the crunch of 2011 may be salvaged something vastly more positive, something of massive and advantageous political import – a giant institutional leap towards a united states of Europe. In fact, Barroso was remarkably frank about this ambition in his remarks today.

»The only way to stop the negative cycle in financial markets was to deliver deeper integration, he said. Leading EU countries such as Germany and France should not take their own initiatives and expect others to follow, as in the past. Instead they should apply the “community method”, giving Brussels the lead. “A system based purely on intergovernmental co-operation has not worked in the past and will not work in the future,” he said. Given the intense debates in the 1990s about the centrality of intergovernmentalism, this was a bold claim. And in his speech to the European parliament, Barroso referred to “un nouveau moment fédérateur” – literally, a new unifying moment, or new federal moment, for Europe.»

Tisdall termine aimablement pour Barroso, mais sans accorder vraiment d’importance à la suggestion du président de la Commission. Il en est à suggérer telle ou telle évolution pour les restes de l’Europe perdue et dissoute… «Perhaps Barroso is right. Perhaps only fully-fledged, no-holds-barred, community-led integration can rescue the European project. And perhaps, because national political realities suggest this is an impossible dream, Europe is destined to fail as a grand enterprise and reduce to something much more modest. For example, how about a north European customs union, or Zollverein, trading in Deutschmarks? After all, it's happened before.»

• ... Des Allemands exaspérés, certes, et de moins en moins inclinés à venir au secours de pays si peu à leur niveau d’excellence (la certitude allemande à cet égard est sans limites). D’où les échos de plus en plus précis de cette exaspération, avec des bruits qui montrent qu’on ne serait pas loin de penser comme Tisdall (résurrection d’une Zollverein)… Dans The Independent du 15 septembre 2011, Andreas Whittam Smith nous assure que la chose est faite, que l’Allemagne a basculé et que la Grèce sera laissée, la semaine prochaine, à son triste sort de pays failli,– avec conséquences diverses, notamment sur l’euro et le reste. Selon Whittam Smith, le souvenir de 1923 et de l’hyperinflation qui a saccagé l’Allemagne peut-être plus profondément que la Grande Guerre est décisif dans ce qu’il juge être une résolution d’ores et déjà prise.

«More serious is a recent change of tone in statements made by high officials and senior politicians in the eurozone's paymaster country, Germany. For in addition to Mr Schauble's exasperated comments quoted above, the Economy Minister, Philipp Roesler, suggested over the weekend that Greece would need an “orderly default” on its debts, a remark that sent global share prices tumbling on Monday. And Christian Lindner, General Secretary of the Free Democrats, which form part of the ruling coalition, followed this up in an interview, saying: “In the final analysis, one also cannot rule out that Greece must, or would want to, leave the eurozone.”

»Nor is growing German irritation confined to Greece. It extends to the European Central Bank (ECB). There is substantial disapproval of its policy of buying eurozone government bonds in order to support debt-laden partners in the currency union, such as Greece, Italy and Spain. Hans-Werner Sinn, president of the Munich-based Ifo Institute, Germany's largest economic think tank, argues that the ECB had violated principles under which Germany had joined the euro. These reflected the lessons it had learnt from its experience of hyperinflation in the 1920s.

»This reference to the German hyperinflation of 1923 is highly significant. For when money became practically worthless, as it did for a short period, the savings of many middle class families were destroyed. The memory of it is filed away in German minds under the heading “never again”. It lies alongside Germany's easily revived feelings of resentment, of which a famous example is the Stab-in-the-Back legend invented to explain Germany's defeat in the First World War… […]

»Thus the original understanding, reached at the beginning of the debt crisis, that Germany, along with its partner countries, would help Greece re-structure its economy so that it could grow again and repay its debts and thus preserve the eurozone, has frayed to breaking point. Greece cannot recover and Germany's patience is running out. The impossibility of avoiding a Greek default must be acknowledged shortly.»

• Le reste de la bande aimerait néanmoins que l’Allemagne s’exécute tout de même, pour permettre de parvenir, tout de même, à la poursuite du sauvetage sans espoir. De tous les côtés qu’on se tourne, faillite, réchauffage des vieilles recettes, puis vieux plats qu’on repasse, avec une perspective projetée audacieusement à la semaine prochaine. L’inquiétude a évidemment traversé l’Atlantique, où l’on craint, pour cette date anniversaire, un remake du 15 septembre 2008. Du coup, les Polonais, qui assurent la présidence de l’UE et dont le ministre de l’Economie nous affirme que “l’Europe est en danger” et que “si la zone euro s’effondre, l’Union Européenne ne survivra pas”, les Polonais ont invité leur collègue américaniste à la réunion des ministres européens des finances de demain, à Varsovie. Il ne faut pas s’exclamer pour autant, ni y voir un signe de servilité particulière, – nous n’en sommes plus là, – mais y voir très simplement la marque d’un immense désarroi, d’une immense incompréhension commune, tout cela absolument en commun, comme marque assurée du bloc américaniste-occidentaliste. (De Ian Traynor, le 14 septembre 2011 dans le Guardian.)

«International pressure on Merkel and other European leaders surged, with the US, China, Russia and others demanding they get a grip. In a display of Washington's alarm, the US Treasury secretary, Timothy Geithner, is to take part in the Wroclaw meetings. The American fear is that a Greek collapse would trigger a renewed European banking crisis which would spill over into the US, a reverse of what happened in 2008, when the collapse of Lehman Brothers was exported across the Atlantic. A fresh crisis could plunge America back into recession and damage Barack Obama's re-election hopes.

»The US markets reacted to the news from Europe with another jittery day., but the Dow Jones Industrial Average closed up more than 140 points having fallen more than a 100 earlier in the day. Damon Vickers, a Seattle-based hedge fund manager, said the jitters were likely to continue. “This is anxiousness, fear, it's 2008 all over again. That crisis was about banks and the consumer, this is about countries,” he said. “The sooner we get this over with the better, then we can move on,” he said.

»John Canally, economist and investment strategist at LPL Financial, said investors were torn between the “fear that we are going to see a collapse in the euro and a country is going to fail and the belief that everything is going to be OK.” He said all eyes were now on the meeting of European finance ministers this Friday and the US Federal Reserve next week. “The markets want to see a bold policy move in Europe,” he said. “If they don't see that, this will continue.”»

… Mais rassurons-nous en poursuivant la liste des nouvelles, Berlusconi, séducteur, 74 ans, a d’autre part émis un jugement catégorique sur l’Allemagne et la Merkel : “inbaisable”, dit à propos de la chancelière, – ou «unfuckable lard-arse», selon l’enregistrement subreptice et “fuité” vers la presse d’une conversation entre le Premier ministre italien et son fournisseur de prostituées, – et l’on pourrait ingénument se demander quelle place Merkel pouvait bien occuper dans une telle discussion… Joyeux a parte qui apparaît, symboliquement certes, comme le signe que ces dirigeants politiques ne sont nullement, par bonheur, dans un état permanent de transe, face à la crise. Berlusconi poursuit donc ses occupations favorites, Sarko se précipite (avec Cameron) en Libye pour ne pas se voir doublé par Erdogan qui y sera demain (ceci a beaucoup plus à voir avec cela qu’on ne pourrait imaginer), les “marchés” voudraient bien que les dirgeants politiques deviennent sérieux, autant qu’ils le sont eux-mêmes.

Si la situation n’était tragique, on croirait qu’elle fait plutôt partie de la catégorie comique ; adoptons donc l’expression de “tragi-comique par l’absurde”. Ce qui nous importe, c’est effectivement de reconnaître dans tout cela l’évolution non consciente de la psychologie que nous avons signalée plus haut. Tout comme les crises s’intègrent les unes aux autres pour se conformer au concept GCCC (GC3), poussées à cela par l’aspect déstabilisant de ce phénomène du “la crise est en crise”, les psychologies évoluent elles-mêmes. A partir des chocs et des blessures (“psychological scars”) qu’elles subissent parce que les crises évoluent de cette façon si imprévue et rapide, les psychologies se transforment à mesure ; c’est donc bien qu’on soigne ses plaies d'une façon originale, ou bien sont-elles simplement la marque de l’agression autoritaire et brutale de la vérité du monde (des crises), et cela qui oblige les psychologies à changer…

Ce qui se passerait dans le cadre de cette hypothèse, c’est que les psychologies intègrent rapidement (et toujours inconsciemment) les grandes données de la “Grande Crise de la Contre-Civilisation”, passant effectivement de la perception sectorielle des crises diverses vers l’acceptation que toutes ces crises sectorielles n’en forment qu’une, gigantesque et affectant la civilisation (la Contre-Civilisation) et le Système. Cela n’implique nullement que les dirigeants politiques et leur environnement, y compris les commentateurs divers, soient plus proches d’une capacité de résolution de ces crises (de cette crise générale), ce qui est évidemment hors de toute possibilité ; cela impliquerait plutôt qu’ils sont plus proches de mesurer les dimensions et la force du cataclysme, et d’être contraints d’accepter de plus en plus l’idée que le cataclysme touche l’entièreté du Système. On peut commencer à envisager que la réalisation du caractère inéluctable de cet immense bouleversement va pénétrer ces psychologies. Du côté des dirigeants politiques, à part quelques exceptions qui ne font certainement pas partie du bloc BAO, cette réalisation n’amènera aucun changement notable, sinon une résistance de moins en moins grande à la prise en compte de la signification du phénomène, et donc une croyance de plus en plus réduite dans la narrative à la gloire du Système qui leur tient lieu de “pensée”, et une efficacité à mesure avec l’affaiblissement constant de leur conviction de communication dans l’exposé de cette narrative. Du côté des commentateurs, c’est-à-dire le réseau très dense de communication qui enserre les dirigeants politiques, les conséquences seront plus radicales, sans pouvoir prédire dans quel sens. Nous ne sommes plus très loin du moment, – “Grand Moment Fédérateur”, peut-être, selon le terme de l’inénarrable Barroso à un autre propos, – où l’analyse et l’appréciation de la situation va basculer du côté de la vérité, savoir la situation de la crise générale et sans retour. Si cela ne permet en aucun cas de prévoir une amélioration des choses de telle ou telle façon, par contre il s’agit d’un changement fondamental de climat psychologique, qui ouvre la perspective sur des possibilités complètement différentes dans le climat, dans les perceptions et les conceptions, etc. C’est alors qu’on peut commencer à envisager des hypothèses de “révolution des esprits”, qui joueront leur rôle pour les processus de rupture complet qui nous attendent.


Mis en ligne le 15 septembre 2011 à 11H04