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Article : Tocqueville et la peur du monde moderne

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Qui vole en rase motte ne doit pas se plaindre du crash...

EricRobertMarcel Basillais

  15/01/2020

Le point de vue de Tocqueville ( ou de Guénon d'ailleurs) est purement aristocratique ou élitististe : mais ces ''meilleurs'' là n'ont de meilleurs que le titre ou l'autoproclamation…

Et puisque tout ce beau monde se proclamait croyant, il eût été profitable qu'ils s'intéressassent au point de vue de Dieu dans cette Histoire…

Peut-être que ce défaut , ce manque de hauteur trahit justement ce qui n'allait pas, déjà, au Temps de Capet, de Pépin, de Mérovée, de Constantin et, pour reprendre le Véritable Seigneur, au temps de César…

Défense de la démocratie (et de la féminité)

jc

  15/01/2020

NB: "Plus la crise terminale du monde moderne ou postmoderne se rapproche, plus il faudrait faire une lecture guénonienne de Tocqueville."

J'ai découvert Guénon en arrivant sur ce site (il y a quatre ans environ). En tant que matheux j'ai évidemment commencé par parcourir "Principes du calcul infinitésimal" et ai été heureux de voir les idées de RG sur les paradoxes de Zénon rejoindre celles de Thom sur ce point.

J'ai alors ensuite parcouru  "La crise du monde moderne" (il y a un ou deux ans) et ai retenu la position de RG sur l'individualisme et la démocratie. J'ai donc reparcouru ajourd'hui le chapitre VI et suis tombé sur:

"L'argument le plus décisif contre la « démocratie » se résume en quelques mots : le supérieur ne peut émaner de l'inférieur, parce que le « plus » ne peut pas sortir du « moins » ; cela est d'une rigueur mathématique absolue, contre laquelle
rien ne saurait prévaloir."  ("La crise du monde moderne", chap. VI, "Le chaos social".)

Cette phrase ne m'avait pas arrêté à ma première "lecture" (il y a deux ans?) parce que j'identifiais alors (comme RG -et NB?-) démocratie et thermocratie (concept cher à Gilles Châtelet, qui rime avec entropie).

Mais j'ai changé depuis et je défends maintenant le "Vox populi, vox Dei". Pourquoi? D'abord parce que je suis tombé sur une citation de Machiavel: « Ce n’est pas sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse, qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les biens et les maux.» , citation qui était un tremplin pour faire une audacieuse analogie. (PhG: "La sagesse, aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée.")

Ici je fais une parenthèse.

(Je suis passionné par l'oeuvre philosophique de René Thom, en particulier par sa théorie de l'analogie, selon lui la première depuis celle d'Eudoxe et Aristote. J'ai pris l'habitude d'en user (même et surtout hors théorie des catastrophes -qui est une théorie de l'analogie), d'autant que je transgresse ainsi le diktat scientifiquement correct "comparaison n'est pas raison" . C'est le moment de rappeler une autre citation, cette fois de Thom: "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité": en jouant quasi systématiquement de l'analogie, j'ai fait des analogies insignifiantes et des analogies délirantes et il est certain que j'en ferai d'autres encore.

Je dois rappeler une analogie thomienne, selon moi absolument fondamentale et génialissime, nécessaire -mais hélas insuffisante- pour comprendre son oeuvre. C'est l'analogie entre développement d'un embryon en biologie d'une cellule totipotente avec le développement de Taylor d'une fonction¹ (cf. SSM, 2ème ed., p.32)

Revenant au problème posé (argumenter en faveur du "Vox populi, vox Dei"), j'ai alors osé l'analogie cellule totipotente/Dieu tout puissant², ce qui m'a amené à faire l'analogie Peuple tout puissant/Dieu tout puissant (Dieu tout en puissance). Par cette analogie le problème de faire émerger le plus du moins, c'est-à-dire de faire émerger une élite du peuple est analogue au problème d'actualiser Dieu (passage de la puissance à l'acte).

Comment les élites ont-elles émergé? Il me semble que l'article évoque (et évoque seulement) deux sortes d'émergence: l'aristocratique transcendante et la thermocratique immanente. Pour Thom le problème de l'origine du pouvoir est le problème central de la sociologie, son aporie fondatrice pour reprendre ses propres termes³.

Peut-on faire émerger (sans aide extérieure) une élite depuis le peuple? Il est clair pour moi que le mode actuel de sélection de l'élite en Occident a prouvé son inefficacité catastrophique (et il est pour moi non moins clair -ce n'est pas le lieu de développer ici- que c'est lié à la profanation de la science sacrée (Cf. le chap. IV) ). Et je suis convaincu -ce n'est pas non plus le lieu de développer ici- que le point crucial qui condamne ce mode sélection est la façon grossièrement statistique qui "prend le pouls" de la démocratie en l'entropisant en thermocratie.

En terme thermodynamique, la faisabilité équivaut à la néguentropie, autrement dit impose de violer son célèbre deuxième principe, ce que RG résume fort bien (et avec qui je suis d'accord à condition de remplacer "mathématique" par "thermodynamique"): "Le "plus" ne peut pas sortir du "moins". Mais est-ce possible autrement, mathématiquement par exemple? L'analogie suivante éclaire la situation. Numérotons les 30 millions de votants français -le peuple- aux entiers de 1 à 30 millions et l'élite à ceux de ces nombres qui sont premiers. Il est clair au matheux basique qu'aucune méthode statistique, thermocratique, ne permettra de sélectionner (ça se saurait depuis longtemps). Mais les mêmes matheux savent que la méthode de cribles successifs due à Ératosthène résout la question⁴. (Pour les non-matheux il suffit de penser aux chercheurs d'or qui néguentropisent en utilisant un jeu de tamis.)

Une première remarque avant de finir. On peut résumer en termes guénoniens: la statistique profane -désacralise- le nombre premier, nombre "sacré". Y-a -t-il eu, dans les civilisations qui nous ont précédé, des processus opérationnels de sélection faisant émerger une "élite sacrée" (notre actuelle pseudo-élite étant évidemment profane)? Comment les moines tibétains sélectionnent-ils leur futur Dalaï-lama?

Pour finir. En plus de l'analogie pour "ranger ma pensée", j'essaye quasi systématiquement de sexuer, de genrer les concepts que je manipule, concepts que j'essaye ensuite de regrouper par affinité, puis, si possible, de marier. Ici l'analogie oeuf totipotent/peuple tout puissant impose de féminiser le peuple. Il vient alors tout naturellement deux façons de regrouper l'aristocratie et la démocratie:

1. l' Aristodémocratie, régime patriarcal; 2. la démoaristocratie, régime matriarcal. "Allons enfants de la patrie…" ou "Allons enfants de la matrie…"? L'analogie entre "peuple tout puissant" et "oeuf totipotent" suggère une fécondation du peuple par un "spermatozoïde" , c'est-à-dire, à mon avis, une Idée platonicienne. Cette Idée peut-elle venir du peuple, autrement dit le peuple contient-il en lui-même son propre principe? Idée intérieure (immanente) ou Idée extérieure (transcendante)? Je pense que PhG et NB penchent pour l'Idée extérieure au peuple, inaccessible par lui, transcendante.

Une idée peut-elle être à la fois dedans et dehors? Cela semble logiquement impossible⁵, mais c'est peut-être possible en adoptant une embryo-logique. Car l'opération de retournement d'une sphère par invagination est mathématiquement possible⁶.


¹: Cf. SSM, 2ème ed., p.32.

²: Suggérée dans ES, p.216.

³: Cf. AL p.481.

⁵: Mais pas plus impossible que d'être à la fois mort et vivant, comme le chat de Schrödinger.

⁴: J'ai ailleurs proposé de cribler la population française en communes, cantons, départements et provinces pour attaquer le problème de l'émergence du pouvoir dans cette configuration familière.

⁵: Mais pas plus impossible que d'être à la fois mort et vivant, comme le lapin de Schrödinger (la petite mort en rapport avec la grande?)

⁶: https://en.wikipedia.org/wiki/Boy%27s_surface https://www.jp-petit.org/nouv_f/lacan_jpp.pdf  (p.10)