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Article : «Nous savions que c’était de la propagande...»

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bravo l'artiste et vietnamisation

Patrick CHAPUS

  31/08/2003

Bonjour,

Dans la revue de presse française du 28 août 2003, nous avons trouvé ces deux articles qui montrent que des analyses similaires aux vôtres commencent a apparaître dans des médias nationaux.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Très cordialement,
Patrick CHAPUS

P.S. Je ne commente pas vos analyses par manque de temps mais il faut noter qu’elles sont remarquables et très pertinentes. Un grand merci également pour vos infos !
Libe 28 03

L’épisode irakien a permis de comprendre la véritable nature de l’engagement européen du Premier ministre britannique.
Blair l’européen, la fin d’un mythe
 
   
Par Philippe MARLIERE

jeudi 28 août 2003

Philippe Marlière est maître de conférences en science politique à l’université de Londres. 
Au coeur du projet blairiste, une Europe résolument atlantiste sur le plan politique et diplomatique, et économiquement néolibérale. 

L’Europe communautaire salua l’arrivée au pouvoir de Tony Blair en mai 1997. Les partisans de l’intégration européenne se réjouirent d’accueillir un Premier ministre qui promettait de positionner la Grande-Bretagne «au coeur de l’Europe». Le nouveau locataire du 10, Downing street, rompant avec trois décennies d’obstructions britanniques, fut présenté comme le «plus européen des Premiers ministres britanniques» depuis Edward Heath. Les partisans de l’intégration européenne affirmèrent avoir gagné un allié de poids, tandis que la vague rose qui porta au même moment plusieurs gouvernements sociaux-démocrates au pouvoir laissait entrevoir la percée d’une Europe sociale et démocratique.

L’accord de défense franco-britannique de Saint-Malo en 1998 sembla donner raison à ceux qui voyaient dans la Grande-Bretagne un possible partenaire de premier plan pour la France. Peu importe que les objectifs en la matière divergeassent clairement : les Français espéraient poser les bases d’une défense européenne, autonome et, au besoin, agissant de manière indépendante à l’égard de l’Otan et des Etats-Unis. Tony Blair assura qu’il n’était pas question de construire une défense européenne qui ait vocation à agir indépendamment de l’état major de l’Otan.

Dès 1997, Tony Blair affirma que la Grande-Bretagne rejoindrait rapidement la zone euro. Six ans ont passé, et la décision de soumettre l’adhésion britannique à un référendum a encore été reportée sine die. Ce nouveau report a montré que, sur cette question, le Premier ministre est des plus timorés. Il laisse en fait la gestion de ce dossier à Gordon Brown, son chancelier de l’Echiquier, qui est plutôt hostile à l’euro. Il n’a d’ailleurs jamais montré beaucoup de courage politique pour s’opposer à la presse de Rupert Murdoch, qui est violemment antieuro.

Ce relevé de faits contradictoires ne permet pas de se faire une idée précise de la vraie doctrine Blair en matière européenne. Le Premier ministre a pu couvrir ses intentions d’un écran de fumée, propice à une double lecture de son action.

Pour comprendre la vraie nature de l’engagement «proeuropéen» de Tony Blair, il est nécessaire d’observer la scène européenne en contre-champ et d’examiner à la loupe les échanges britannico-américains. Peu de temps après la victoire du New Labour, Tony Blair reçut Bill Clinton au 10, Downing Street. La doctrine européenne du Premier ministre fut déclinée très précisément : «Une Grande-Bretagne qui mène en Europe est une Grande-Bretagne qui pourra tisser des relations encore plus étroites avec les Etats-Unis d’Amérique (27 mai 1997).» Depuis, «Blair l’Européen» n’a fait que persévérer dans cette voie.

L’épisode du conflit irakien a fourni un cas d’étude aussi édifiant que fascinant. Les médias britanniques estiment que M. Blair aurait décidé de soutenir l’invasion américaine de l’Irak dès septem bre 2002. David Stothard, un ancien rédacteur en chef du Times, a eu un accès direct au Premier ministre et à ses conseillers dans les semaines qui ont précédé le conflit et pendant la campagne militaire. Il rapporte de ses entrevues avec le coeur du pouvoir d’Etat que Tony Blair aurait décidé d’engager son pays, car il était convaincu que, quelles que soient les circonstances, George W. Bush interviendrait en Irak. Tony Blair décida donc, dès l’automne 2002, que la Grande-Bretagne devait choisir de soutenir les Etats-Unis, quelles que soient les conditions de l’engagement américain. Ces faits ont été commentés par les médias britanniques et n’ont fait l’objet d’aucun démenti de la part du gouvernement.

On comprend mieux l’obstination désespérée de M. Blair pour faire avaliser la guerre américaine par les Nations unies, ainsi que ses efforts pour convaincre les membres du Conseil de sécurité. A l’automne 2002, Tony Blair promit à George W. Bush de lui «amener l’Europe sur un plateau», s’il acceptait de passer par les Nations unies. Quand les tractations onusiennes s’enlisèrent, Donald Rumsfeld estima que l’intervention américaine pouvait avoir lieu sans le soutien des Britanniques. Le Premier ministre s’empressa de rassurer l’allié américain, reniant les assurances qu’il avait données aux parlementaires travaillistes de ne pas participer à un conflit en dehors du cadre des Nations unies.

Le gouvernement fait face actuellement à une crise politique très grave, occasionnée par le suicide de l’expert en armement David Kelly. Tony Blair est accusé d’avoir retouché des «preuves» établissant l’existence d’armes de destruction massives en Irak et d’avoir exagéré le danger qu’elles représentaient. Si le gouvernement Blair a trompé le public dans cette affaire irakienne, cette tromperie est essentiellement d’ordre politique : Tony Blair a engagé la Grande-Bretagne dans cette aventure douteuse pour rester jusqu’au bout aux côtés des Etats-Unis.

Tony Blair est inconditionnellement proaméricain, car il estime qu’avec la fin du communisme nous sommes entrés dans un monde unipolaire placé sous le pouvoir hégémonique des Etats-Unis. Mais le Premier ministre est aussi intimement convaincu que la civilisation américaine est supérieure à toute autre, qu’elle constitue l’archétype même de la modernité et du progrès humain. Il fut choqué de constater que sa vision du monde n’était guère partagée par les leaders des grandes puissances occidentales, qui, au contraire, estiment qu’un monde multipolaire offre une garantie de stabilité et non pas l’unilatéralisme guerrier des néoconservateurs américains.

Le tropisme américain de Tony Blair fournit la grille de lecture nécessaire qui donne sens à une stratégie européenne qui, à défaut, frappe par ses contradictions et ses incohérences. Ainsi, l’alliance très publique qu’il a nouée avec José Maria Aznar et Silvio Berlusconi pour une Europe des marchés, de la flexibilité et des privatisations, n’est ni une erreur de parcours ou une aberration. Elle est, pour Tony Blair, idéologiquement logique et politiquement souhaitable. Les efforts inouïs du gouvernement Blair pour vider la Constitution européenne de ses dispositions sociales renvoient au coeur du projet blairiste : l’établissement d’une Europe atlantiste sur le plan politique et diplomatique, et économiquement néolibérale.

Evoquer la «relation spéciale» pour expliquer le proaméricanisme inconditionnel de Tony Blair n’est guère suffisant. Harold Wilson avait catégoriquement refusé d’envoyer des troupes au Vietnam en dépit des demandes pressantes de Lyndon B. Johnson. Margaret Thatcher n’avait pas hésité à reprendre les Malouines, sans le soutien de Ronald Reagan, qui voyait dans la dictature argentine un rempart contre la «menace communiste». Le soutien zélé de Tony Blair à George W. Bush est motivé par une lecture idéologique du monde : il considère que la «modernisation» de l’économie et des services publics doit impérativement se faire en copiant le modèle capitaliste américain. Pour le champion de la «troisième voie», quiconque résiste à l’américanisation du monde est une force «archaïque» qui tente de ralentir la marche inexorable de l’Histoire.

Le mythe de «Blair l’Européen» aura survécu de manière plus ou moins plausible jusqu’à l’épisode irakien. Des dossiers falsifiés et l’amitié encombrante de néoconservateurs américains l’ont fracassé.



A quelques mois de la présidentielle américaine, la situation à Bagdad divise l’opinion et le Congrès.
Irak : un air de Vietnam
Par Jacques AMALRIC

jeudi 28 août 2003


Jacques Amalric est ancien directeur
de la rédaction de «Libération». 
Associer les Nations unies à la renaissance de l’Irak serait une solution mais la toute-puissance américaine l’interdit. 

  Les analogies historiques sont souvent abusives, rarement pertinentes. Difficile pourtant, à quatorze mois de l’élection présidentielle américaine, de ne pas se remémorer les débats et les interrogations qui divisaient les Etats-Unis au début des années 60. Il n’était pas question de l’Irak, à cette époque, mais bien sûr du Vietnam où plusieurs milliers de «conseillers» militaires américains, chargés d’entraîner et de motiver une armée sud-vietnamienne peu performante, commençaient à enregistrer pertes et insuccès. On connaît la suite : bien que rempli de doutes sur la finalité de l’aventure, Lyndon Johnson, qui termine le mandat de John Kennedy, se laisse convaincre notamment par son secrétaire à la défense Robert McNamara d’engager plus avant les Etats-Unis dans le conflit, aux côtés du régime sud-vietnamien, aussi corrompu qu’autoritaire. Elu brillamment en 1964 sur un programme de réformes sociales intérieures, il franchira le Rubicond en 1965 en portant les effectifs du corps expéditionnaire à plusieurs centaines de milliers d’hommes. Cinquante mille GI laisseront la vie dans cette guerre. En vain.

Autre conflit, même débat aujourd’hui. Sauf qu’il ne s’agit pas cette fois-ci de gagner la guerre d’Irak (elle l’a été, et rapidement) mais de gagner la paix. Et quelques mois après la chute de Saddam Hussein, la tâche apparaît bien plus hasardeuse qu’elle n’avait été décrite par la poignée d’idéologues qui ont convaincu George W. Bush de venger les morts du 11 septembre 2001 en libérant Bagdad de la tyrannie : l’insécurité règne dans le pays, à l’exception du Kurdistan et les 139 000 soldats américains qui y sont stationnés consacrent l’essentiel de leur temps non pas à améliorer la vie quotidienne des Irakiens mais à se protéger des attentats et à éviter les embuscades. En dépit d’un engagement américain dont le coût actuel est d’un milliard de dollars par mois (mais évalué à vingt milliards de dollars par an et pendant cinq ans pour être efficace), la reconstruction du pays stagne : l’insécurité est générale, l’électricité manque, l’eau reste rare, la production de pétrole peine à reprendre faute des investissements massifs nécessaires et du fait de sabotages, la situation sanitaire est de plus en plus critique, le chômage la règle générale.

La reconstruction politique de l’Irak, c’est-à-dire le transfert du pouvoir aux Irakiens, est également en panne. Paul Bremer, le proconsul américain, peut bien évoquer l’organisation d’élections dans un an, personne n’y croit vraiment. Encore faudrait-il en effet que le pays dispose d’ici là d’une constitution adoptée par une assemblée constituante légitime. On en est loin à voir les profondes divisions qui paralysent le Conseil gouvernemental provisoire irakien mis en place par Paul Bremer ; des divisions qui concernent aussi bien le principe du fédéralisme (auquel les Kurdes sont bien plus attachés que les chiites, majoritaires) que de l’espace à réserver à la religion (ce sont ici les chiites qui sont les plus virulents, même si une partie d’entre eux n’est pas hostile à une certaine sécularisation).

Le renvoi dans leurs foyers des centaines de milliers de soldats de Saddam Hussein n’a fait qu’ajouter à la crise de confiance entre Américains et Irakiens et a sans doute fourni nombre de volontaires aux partisans de la résistance armée. Certains experts estiment également qu’en intervenant en Irak, les Etats-Unis ont ouvert un nouveau champ du jihad et que des terroristes islamistes non-irakiens ont rejoint dans leur combat les nostalgiques du régime de Saddam Hussein. Ils en veulent pour indice le sanglant attentat perpétré contre le quartier général des Nations unies à Bagdad mais les preuves manquent encore pour étayer ces affirmations.

Quoi qu’on en dise à la Maison Blanche et au Pentagone, l’idée que les Etats-Unis se sont engagés dans une impasse en Irak, sous prétexte de guerre contre le terrorisme et de menace (toujours non avérée) d’armes irakiennes de destruction massive, progresse tout aussi bien dans l’opinion publique américaine (les sondages, jusqu’à présent favorables à George W. Bush, viennent de s’inverser) qu’au Congrès. C’est ainsi qu’au retour d’une mission d’inspection sur le terrain, trois sénateurs influents ­ deux Républicains, John McCain (Arizona) et Lindsey Graham (Caroline du Sud) ­ et un démocrate, ­ Joseph Biden (Delaware) ­ viennent de recommander l’envoi de renforts en Irak. Une idée qui répugne tant à George Bush junior (crise nord-coréenne oblige ; et on est pratiquement en année électorale alors que le président sortant avait initialement promis de réduire dès septembre la présence militaire américaine en Irak) qu’au secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, même si elle est défendue en catimini par nombre de responsables militaires, prompts à reconnaître que si la machine de guerre américaine est satisfaisante, l’armée n’a aucune compétence pour les tâches de reconstruction.

L’autre solution consisterait bien sûr à revenir devant le Conseil de sécurité pour associer les Nations unies aux tentatives de renaissance de l’Irak. Mais là encore l’idéologie dominante à Washington s’oppose à ce qui relèverait du simple bon sens. Au nom de la toute-puissance et de l’infaillibilité américaines. Même si l’arc de vertu démocratique qui devait aller d’Israël à l’Afghanistan (lui aussi au bord du gouffre) en passant par l’Irak, a vécu avant même de voir le jour.