Forum

Article : Notes sur les aventures du USS Harry S. Truman

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

La métaphysique pour aider à y comprendre quelque chose?

jc

  20/09/2019

(PhG titre son dernier paragraphe: "Bon signe : nous n’y comprenons pas grand’chose".)

Dans ce qui suit je me focalise sur la deuxième partie du titre (en notant cependant au passage que par la première PhG veut peut-être suggérer que le signe est un signe des temps¹).

PhG nous indique la voie à suivre dans l'article du glossaire "La crise de la raison (humaine)" où l'on relève un "La sagesse aujourd'hui c'est l'audace de la pensée."

La politique est en crise; elle dégénère un peu plus tous les jours en politique politicienne où seule compte la rhétorique (l'art de convaincre) et où les sophistes sont devenus rois ("notre" enfumeur en chef en est un exemple typique). L'état des lieux de la façon de penser des "modernes" ("La crise de la raison humaine" renvoie immédiatement à "La crise du monde moderne") est, selon moi, parfaitement décrite par le mathématicien/philosophe Gilles Châtelet dans "Vivre et penser comme des porcs".

René Thom a proposé une autre façon de penser, et j'ai relevé tout récemment la petite pépite que voici qui éclaire le propos précédent concernant les rhéteurs et les sophistes:

"On ne cherchera pas à fonder la Géométrie dans la Logique mais bien au contraire on regardera la logique comme une activité dérivée (et somme toute bien secondaire dans l'histoire de l'esprit humain), une rhétorique."

L'état des lieux de la façon de penser des "modernes" ("La crise de la raison humaine" renvoie immédiatement à "La crise du monde moderne") est, selon moi, parfaitement décrite par le mathématicien/philosophe Gilles Châtelet dans "Vivre et penser comme des porcs".  Cette façon thomienne de penser, je la résume ainsi: "Vivre et penser comme des cochons". Je justifie.

Thom propose une pensée embryologique: "La pensée conceptuelle est une embryologie permanente" et ajoute

"(...) il ne faudrait pas croire que la stabilité de la signification est due à l'invariance d'une forme inerte, comme un symbole d'imprimerie – point de vue auquel voudrait nous réduire toute la philosophie formaliste. Il faut au contraire concevoir que tout concept est comme un être vivant qui défend son organisme (l'espace qu'il occupe) contre les agressions de l'environnement, c'est-à-dire, en fait, l'expansionnisme des concepts voisins qui le limitent dans l'espace substrat : il faut regarder tout concept comme un être amiboïde, qui réagit aux stimuli extérieurs en émettant des pseudopodes et en phagocytant ses ennemis."

citation dans laquelle on voit apparaître le cochon en associant l'émission de pseudopodes à une éjaculation et le phagocytage à une réception des spermatozoîdes (ou du pénis) par le vagin.

Thom: "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité".

À la fin de SSM Thom prévient:

"Si certaines de mes considérations, en Biologie notamment, ont pu paraître au lecteur confiner au délire, il pourra, par une relecture, se convaincre qu'en aucun point, je n'ai, j'espère, franchi ce pas."

Utile précaution une fois qu'on a lu, entre autres, le paragraphe consacré  aux automatismes du langage (par ex. "Le gamète émis par le concept n'est autre que le mot (le nom correspondant). L'émission verbale apparaît ainsi comme un véritable orgasme.") qui me fascine tant, surtout depuis que j'ai lu que la plume de PhG fonctionnait ainsi ("il suffit d'un mot, d'une phrase (...) C'était un instant de bonheur fou".

Pour Thom l'intelligence c'est l'empathie: il faut s'identifier à autrui (ex: le chat aime la souris). Il ajoute que l'identification doit être autant que faire se peut en quelque sorte amoureuse, il faut se mettre dans la peau de l'être aimé (ex: l'homme et la femme). Ce qui justifie mon "Vivre et penser comme des cochons" (bien entendu pour la seule mise en regard du "Vivre et penser comme des porcs de Châtelet).

Cette façon outrageusement anthropocentrée et analogique de penser est justifiée par Thom et érigée en principe:

"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés; ainsi l'usage de vocables anthropomorphes en Physique est foncièrement justifié."

L'oeuvre philosophique de Thom concerne principalement la Biologie (je justifie le qualificatif de philosophique par le fait qu'il s'agit d'une biologie théorique et non d'une biologie expérimentale). À la parution de SSM certains ont vu Thom comme étant à la physique ancienne, aristotélicienne, l'analogue de ce que sont Newton, Maxwell, Einstein, etc. à la physique moderne. Pour moi ces savants qui arrivent à théoriser la physique sont étymologiquement des métaphysiciens (mais malgré le titre complet des "Principia" de Newton, je crois que les physiciens modernes resteront dans l'histoire des idées comme des physiciens et non comme des métaphysiciens. Par contre il me semble que quiconque s'emploie à théoriser la physique aristotélicienne est un métaphysicien; ainsi, lorsque Thom écrit que "Les livres II et III de la physique d'Aristote sont l'un des sommets de l'esprit humain", je me demande s'il ne veut pas signifier par là que Aristote s'y hisse au niveau métaphysique. De ce qui précède il va pour moi sans dire que si Aristote se hisse dès sa Physique au niveau métaphysique (réaliste à la fois au sens vulgaire et au sens philosophique) alors Thom s'y hisse également dès SSM.

Ces préliminaires établis on peut alors, à partir des principes thomiens précités, faire de la métaphysique en situation, précisément ici de la métaphysique appliquée à l'US Navy (sous forme d'ontologie appliquée à l'être US Navy), la métaphysique étant dorénavant entendue comme étant au delà de la physique aristotélienne, c'est-à-dire au delà de la science profane de la vie sur terre et dans l'univers.

Le premier problème qui se pose est celui de l'individuation, problème métaphysique s'il en est²; l'individuation de l'être US Navy résulte  évidemment de la fonction qui lui est assignée par l'être suprême, ici l'État US: l'être US Navy, dorénavant considéré comme être vivant, a pour mission de défendre les intérêts de l'être suprême sur mer, l'US Navy doit se structurer pour réaliser cette fonction (sans aucun échappatoire rhétorique possible c'est ici la fonction qui crée l'organe²).

Ensuite, puisque, conformément aux principes édictés plus haut, chacun s'identifie à l'US Navy "le plus amoureusement possible", on peut laisser divaguer son imagination en petit cochon et s'intéresser au genre: masculin ou féminin?. On voit qu'il y a une partie naturellement masculine, la partie navigante (émission de projectiles -d'avions pour les porte-avions) et une partie à terre naturellement féminine (cale de radoub, chantiers navals) et on voit apparaître le principe métaphysique aristotélicien "premier selon l'être, dernier selon la génération" (pour construire des bateaux il faut d'abord construire des chantiers navals), et les rapports de type masculin/féminin entre l'être suprême et la partie à terre de la Navy. Etc.

Pour en venir à l'article de PhG et précisément au fragment de phrase:

 "une énorme crise ontologique de l’US Navy elle-même face à l’US Navy, entre sa puissance en train de s’effilocher, avec ses nouveaux mastodontes de 100 000 tonnes entre promesse du renouveau et très-possible “JSFisation” de la toute-puissante classe Gerald S. Ford, et ses interrogations au milieu du labyrinthe d’installations navales dépassées ou en nombre insuffisant",

on a maintenant en interne un rapport de mère à fils qui a tout intérêt à être bon pour que la liaison de la Navy à terre, en position féminine, avec l'État en position masculine soit féconde de bons navires. Etc.

"Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice."


¹: Il faut lire "Le règne de la quantité..." jusqu'à la fin pour savoir quelle signification Guénon attribue aux signes des temps.

²: Traité par Guénon dans "Le règne…" et par Thom dans "Apologie du logos".

³: Cf. le court métrage "René(e)s de Godard sur Thom, à 40', disponible sur la toile.