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Article : Les neocons n’exploitent pas la thèse islamiste

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mondialisation néolibérale, flexibilisation du travail, précarisation et émiettement des perspectives de la jeunesse

Georges Menahem

  12/12/2005

Les néoconservateurs éclairés invoquent la croissance molle, le chômage élevé et les tensions sociales comme causes des violences urbaines en France. Ils ne peuvent comprendre cette réalité car ils ne peuvent admettre que le caractère néolibéral de la globalisation qu’ils célèbrent est à la source du désespoir des jeunes en France comme du rejet du modèle occidental dans les pays du Sud.
Car c’est bien la mondialisation néolibérale, la flexibilisation du travail, la précarisation et l’émiettement des perspectives de la jeunesse qui sont à la source de leur désespoir et de leur révolte nihiliste. Car les violences urbaines ne sont que l’envers des conditions de travail émiettées, parcellisées et sans avenir auxquelles la globalisation néolibérale condamne les jeunes des banlieues au 21ème siècle.

Quelques simples mises en relation vont dans ce sens :
1. Globalisation néolibérale et dualisme du marché du travail
La globalisation néolibérale, avec sa pression au développement de la concurrence et sa limitation des protections du travail et des régulations étatiques, pousse au développement de la flexibilité de l’appareil productif : les emplois sont moins protégés, donc plus facilement remis en cause, plus courts et davantage soumis aux besoins des patrons. Ceci renforce le dualisme du marché du travail, c’est-à-dire son partage entre un secteur protégé (les CDI avec conventions collectives) et un secteur flexible (les CDD, l’intérim, les stages) dans lequel les salariés doivent supporter la précarité et les conditions de travail les plus dures et les plus risquées. Ce dualisme touche aussi à la sphère des employés : les CDD sont multipliés dans les commerces, les hôpitaux, les banques ou la Poste, par exemple, où des postières connaissent plus de 300 contrats successifs en sept années.

En cas d’aléas de la production, par exemple, dès que la demande augmente, dès que survient un besoin extraordinaire ou qu’une absence “imprévue” menace d’interrompre le processus de production, les entreprises n’embauchent pas de CDI mais font appel à des contrats à durée déterminée (CDD) ou à des sociétés d’intérim. Les contrats associés durent peu de temps et accentuent la précarité des jeunes travailleurs qui, en très grande majorité, sont obligés de passer par là quand ils cherchent leurs premiers emplois.
Et, même quand ils voient leur contrat reconduit et restent plus longtemps dans l’entreprise, “ils font toujours les boulots les plus embêtants, ceux que les gars en fixe n’aiment pas faire” (comme le déclarait un ajusteur monteur venant d’achever une mission d’intérim reconduite depuis 3 ans de semestre en semestre).
Une enquête du ministère du Travail, le confirme : 40 % des ouvriers de l’intérim, contre 24% des ouvriers en contrat à durée indéterminée, réalisent des gestes répétitifs à cadence élevée plus de vingt heures par semaine ; 70 % (contre 60 %) sont debout plus de vingt heures par semaine, tandis que 50 % (contre 20 %) sont soumis à la rigidité des horaires alternés.
Dans les services de nettoiement, entre 60% et 70% des contrats sont à temps partiel, pour des horaires débutant souvent très tôt le matin et finissant tard le soir. La vie de femme ou d’homme de ménage se résume ainsi à une course entre des lieux de travail distants mais sans aucune autre perspective que la répétition des mêmes gestes fatigants et usants, tout en manipulant et respirant des produits d’entretien toxiques.

2. Plus de flexibilité d’où un surcroît d’accidents du travail et de maladies professionnelles
Les missions d’intérim sont souvent décidées au dernier moment et au plus vite, avec des personnels hâtivement sélectionnés, pour effectuer des travaux fréquemment complexes et dangereux. Aujourd’hui, une mission sur quatre ne dure pas plus d’une journée et deux sur trois moins d’une semaine, ce qui est difficilement compatible avec une formation minimum, voire avec le simple rappel des consignes de sécurité. Des durées si limitées empêchent les comités d’hygiène et de sécurité ou les médecins du travail, acteurs traditionnels de la prévention en entreprise, de se pencher sur le sort des intérimaires. Et que peut faire un intérimaire à qui est proposé au téléphone, dans l’urgence, une mission dans une entreprise et un lieu qu’il ne connaît pas ? Que peut-il faire ensuite quand il arrive dans un chantier qu’il ne connaît pas, dans lequel les consignes de sécurité ne sont pas indiquées, les équipements de protection non disponibles et les tâches de travail toutes plus urgentes les unes que les autres ? Il ne peut qu’essayer de se débrouiller sans trop demander ni se plaindre par peur de déplaire et de voir sa mission interrompue. Résultat, selon les statistiques professionnelles, les travailleurs temporaires connaissaient en France un taux d’accidents du travail 2,2 fois plus élevé que la moyenne de tous les salariés, et un taux d’accidents mortels au travail 2,1 fois plus important.

3. D’où plus de stress et d’angoisses au travail
Le poids croissant des contraintes de temps, des urgences et de la crainte des sanctions se conjugue avec d’autres éléments de tensions et d’anxiété moins quantifiables et contribue au développement du sentiment de stress des salariés. Vivre en permanence dans l’urgence ou dans l’angoisse des aléas se traduit par une surcharge psychique qui se manifeste dans des surcroîts de nervosité, dans des angoisses apparemment “sans cause” ou dans une irritabilité plus importante.  Plus les indicateurs de stress sont élevés, plus la probabilité de connaître des maladies cardio-vasculaires est importante, plus les manifestations des troubles musculo-squelettiques (TMS) associées à des gestes répétitifs sont fréquentes et plus grande est la probabilité de fumer, ce qui est un facteur de risque pour de nombreuses autres pathologies. La combinaison des divers facteurs de surcharge psychologique avec la plus grande vulnérabilité des travailleurs précaires (manque de temps pour se soigner, moindre protection sociale, etc.) se traduisent aussi très souvent dans des insomnies et la dépendance à l’égard des somnifères et psychotropes.

4. Un statut plus précaire et de grandes difficultés pour s’installer
Les personnes à statut précaire peuvent difficilement s’endetter tant il est difficile pour elles de présenter des garanties aux organismes financiers. L’absence d’un contrat de travail ou de fiches de salaires régulières empêche en effet de présenter des garanties suffisantes pour louer un logement sur le marché « libre » comme pour souscrire des emprunts nécessaires à l’achat de mobilier ou de voiture. La fragilité des perspectives d’emploi conduit alors les ménages à repousser leurs projets d’investissements et d’installation. Ce qui va avec cela, le recours aux I.V.G. à répétition ou aux avortements « sauvages » tient souvent lieu de contraception.

5. La précarisation et l’émiettement du travail interdit les projets d’avenir vivable
Un travail parcellisé entre des petits boulots sans intérêt ni avenir, une vie précarisée qui interdit tous projets d’installation, voilà le futur ordinaire et bien peu enthousiasmant que la majorité des jeunes peu diplômés ou sans diplômes doit affronter au sortir de l’appareil scolaire. Quand la société accumule les obstacles à l’entrée dans la vie active et semble refuser aux jeunes tout moyen de construire des projets, il y a là bien souvent l’occasion d’avoir « la haine » et de « péter les plombs ».

Quelques sources bibliographiques alimentent ces analyses
- ANACT (1998), TMS et évolution des conditions de travail – Les actes du séminaire 1998, coordonné par Bourgeois F, éditions de l’ANACT, Lyon.
- Cézard M., Hamon-Cholet S. (1999), “Efforts et risques au travail en 1998”, Premières Synthèses, 99.04 - 16.1, MES-DARES.
- CNAMTS (1999), Statistiques financières et technologiques des accidents du travail, Années 1994-1995-1996, Paris.
- Devillechabrolle V (1998), “L’intérim est mauvais pour la santé”, Alternatives économiques, 158, Avril.
- Gorgeu A, Mahieu R (1998a), “Filière automobile : intérim et flexibilité”, 4 pages du CEE, Centre d’études de l’emploi, Noisy le Grand.
- Gorgeu A, Mahieu R (1998b), “Restructuration productives et évolutions des organisations”, in TMS et évolution des conditions de travail – Les actes du séminaire 1998, coordonné par Bourgeois F, éditions de l’ANACT, Lyon.
- Johnson J V, Hall E M (1988), “Job strain, work place social support, and cardiovascular disease”, American Journal of Public Health, 78, pp. 1336-42.
- Héran-Leroy O, Sandret N (1997), “les contraintes articulaires pendant le travail”, Premières synthèses, n°97.06-24.4, MES-DARES, Paris.
- Jourdain C, Tanay A (2000), “Le travail temporaire au premier semestre 1999”, Premières informations, n°2000.02 - 06.1, MES-DARES, Paris.
- Lehndorff (1997), “La flexibilité chez les équipementiers automobiles en Europe”, Travail et Emploi, 172, juillet.
- Otten F, Bosma H, Swinkels H (1999), “Job stress and smoking in the Dutch labour force”, European Journal of Public Health, 9, 1, pp. 58-61.
- Ovadia C (1998), “Quand le travail casse le corps”, Alternatives économiques, 161, Juillet.
- Puech I, « Le temps du remue-ménage - Conditions d’emploi et de travail de femmes de chambre », Sociologie du travail, 46, n° 2, avril-juin, p. 150-167. en http://www.univ-paris8.fr/scpo/puech.doc
-  Rot G (1998), “Urgence et flux tendu dans l’industrie automobile”, Sciences de la société, 44, pp. 99-111.