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Article : Le transhumanisme et la concurrence

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Dieu s'en fout un peu...

Luc Meystre

  11/10/2021

Quand j'étais étudiant en philo il y a quarante ans, les profs d'épistémologie ironisaient volontiers sur les scientifiques (souvent américains) qui proclament à chaque nouvelle découverte, ou même d'ailleurs en l'absence de toute découverte, que ça y est c'est prouvé, démontré, sûr et certain et le doute n'est plus permis : Dieux existe !

Chacun a ses doutes et chacun a aussi ses points de repère, alors je suis ici très fier de proclamer au monde (qui s'en fout, certes), via dedefensa, une des idées que je crois avoir comprise une fois pour toutes et dont l'apréciation pour ce qui me concerne ne variera plus : aucune découverte, aucun nouveau paradigme, ne prouvera jamais l'existence de Dieu car il s'agit de domaines et niveaux de réalités fondamentalement différents. Les scientifiques qui publient des bouquins laissant entendre le contraire sont pénibles, oiseux, ressassent à l'infini les mêmes thèmes rebattus et sont eux-mêmes dans la confusion. On peut aussi préciser qu'ils débouchent très vite sur la politique et / ou sur le spectacle à vocation commerciale, ce qui n'est pas sans rapport.

Notons qu'il s'agit souvent dans ces discours de retrouver un thème à la mode - et réellement important, certes. Exemple : la communication a pris aujourd'hui une importance décisive. Alors, on va supposer (en dehors de toute démarche proprement scientifique, bien entendu), que, avant que le monde existe, il y avait déjà virtuellement comme sa signification, son programme en quelque sorte, voire, sa finalité. Mais, ne s'agirait-il pas en l'occurrence de réinventer et reformuler quelque chose du genre : "Et le Verbe se fit chair" ? Tiens tiens, ça nous rappelle des souvenirs. Le scientifique qui s'engage sur cette voie n'a nullement prouvé que ses théories mènent à Dieu, mais bien plutôt qu'il avait déjà ce schéma chétien en tête, bien avant de poser la moindre équation. Il a juste fait un détour pour revenir à ses vieilles leçons de catéchisme. Evidemment sondiscours trouvera un immense écho auprès d'un public issu du même background culturel que lui.

Perso, comme on dit aujourd'hui, je préfère me référer aux temps où l'on considérait le spectacle de la nature, observable à l'oeil nu sans instrument et surtout sans équations, comme une "preuve" tout aussi valable de l'existence de Dieu, ou des Dieux. Ca convient tout à fait à mon tempérament mi animiste, mi druidique : je prône l'esprit des sources, des sous bois et du lard fumé, toutes choses dont la provenance et la nature divines ne sauraient absolument pas être remises en cause, par personne.

Récup orwellienne du Dieu : oser tout

mumen

  11/10/2021

Dans cet article, il y a du renversement dans l’air. Orwellien. Quand Hawking est cité, je me méfie. Il est et demeure un des puissants garants du Rationalisme hégémonique, très intelligent et inébranlable. Son idée du trou noir, c’est au fond celle de l’idéalisme platonicien. Si l’ontologie est informe, ce que requiert ce Rationalisme quand il daigne la remarquer, alors on met ce qu’on veut où on veut, il n’y a qu’à affirmer et ruser tous en chœur, c’est facile avec les mots. Mais si l’ontologie est formelle dire n’importe quoi c’est une autre paire de manches. On n’en est pas là.
 
Peut-être que les constantes de la physique n’ont pas besoin d’être réglées par un mécano céleste, peut être qu’elles sont corrélées d’une manière qu’on ignore totalement. Peut-être que l’information n’existe pas sans matière et que les expériences de pensées des Scientifiques ne tiennent pas compte d’une ontologie qu’ils aiment à néantiser ? Peut-être.
 
Et soudain tombe littéralement « du ciel » un fameux « Qui » ressemblant furieusement au « Qui » d’avant, le Dieu des monothéismes, selon une identique conception anthropomorphique qui ferait mieux de s’ignorer en ces sujets et de parler d’un « Quoi » quand même moins gonflé de l’orgueil d’être le sommet de la création « à l’image de Dieu », justement.
 
La construction des arguments de ces extraits du Figaro, si peu exigeante, mais si aguichante et apparemment si peu nécessaire d’être mise à l’épreuve, fait exactement penser à ce que font les grands médias pour faire gober tout à ce qu’ils veulent.  Je ne vois dans ces élucubrations même pas originales que calcul, « pensées à la place de », fondations de narratives à venir. En vérité je vous le dis, Hawking philosophe est louche et là on assiste non pas à la révélation de Dieu dans les sciences (elle prend d’autres formes quand elle est sincère), mais à l’essence de la récupération. Dieu est mort, la religion nous manque : voici Science-Dieu, chef du Disneyworld. Et vous verrez, même ce pseudo-pape en cours sera d’accord avec ça : le big bang, c’est le Dieu des religions.
 

Du logos au nomos

jc

  08/11/2021

Je retombe sur cet article que j'avais rapidement parcouru et que je n'avais pas commenté pour ne pas ressortir ma sempiternelle ritournelle thomienne à la suite des deux commentaires plutôt opposés aux thèses que je défends ici -et ailleurs- sans guère de succès apparent, mais peu m'importe.

PhG distingue ici la science (s minuscule)-et les scientistes qui vont avec- de la Science majusculée, et c'est la première fois que je note cette différence soulignée sous sa plume :

"Ce que nous nommons “la Science” (majusculée pour l’occasion)",

distinction qui me renvoie immédiatement à la guénonienne distinction science sacrée/science profane.

À la toute fin de Esquisse d'une sémiophysique (1988) Thom classifie comme suit (je cite de mémoire) les façons d'appréhender le monde :
1. Approche globale du monde global, la philosophie sous-jacente étant démiurgique; c'est celle de la Physique théorique contemporaine;
2. Approche globale du monde local, la philosophie sous-jacente étant herméneutique; c'est celle de la Théorie Générale des Systèmes, celle de la Théorie des singularités et celle de la Théorie (thomienne) des Catastrophes;
3. Approche locale du monde global; c'est la découverte du monde au petit bonheur la chance, à la petite cuiller, sans philosophie sous-jacente, sans principes ni idées préconçues, où on se contente d'accumuler "données" et "faits"; approche très en vogue à l'ère des puissants ordinateurs actuels qui les "traitent" -voire les génèrent… -;
4. Approche locale du monde local, la philosophie sous-jacente étant le réductionnisme; approche encore très en vogue (quoique, peut-être, avec son acmé derrière elle -cf. la Biologie moléculaire…), priorité étant encore donnée à l'analyse (indéfinie?) sur la synthèse.

Pour moi seules les deux premières approches méritent l'appellation de Science majusculée.

La démiurgie de la Physique moderne me fait considérer celle-ci comme une théonomie, théonomie profane car la science moderne (s minuscule) n'accepte que les lois (nomos) vérifiables expérimentalement  -ce qui exige des appareillages de plus en plus considérables et coûteux-. Thom donne son point de vue sur cette Science démiurgique à la fin de sa vidéo intitulée "La théorie des catastrophes" -que je qualifie de testament- (de 37'55 à 40'35) : https://www.youtube.com/watch?v=fUpT1nal744 .

L'approche herméneutique par la théorie thomienne des catastrophes est pour moi également une théonomie -et même une théogonie puisqu'il y est question de morphogenèse-. Dans "une échappée en métaphysique extrême que le lecteur me pardonnera peut-être" (Esquisse d'une Sémiophysique p.216) Thom écrit que "le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie [l'Être en soi], d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur". Cette échappée suggère avec insistance ("hormis les considérations tirées de la régulation biologique") l'analogie Dieu tout puissant/œuf totipotent, analogie qui renvoie à l'analogie œuf totitpotent/fonction indéfiniment différentiable non spécifiée et non différentiée (Thom fait l'analogie développement de l'embryon/développement de Taylor d'une fonction, analogie qui est -selon moi- au principe de sa tentative de théorisation de la Biologie -SSM p.32-). L'analogie Dieu/fonction différentiable conduit à voir "au commencement des temps" Dieu tout puissant comme une fonction différentiable indifférentiée dont toutes les variables (en nombre infini puisqu'il s'agit de Dieu…) sont cachées, donc comme un Dieu Janus qui nous montre (ou plutôt nous cache) sa face obscure, sa face yin, féminine, sa face Khaos. Puis, progressivement, ces variables apparaissent à la lumière ("et lux in tenebris lucet"), les premières à apparaître étant celles qui varient le plus lentement -à tel point qu'elles paraissent constantes (ainsi la constante de gravitation universelle de Newton)-, les autres -les variables rapides selon la terminologie thomienne- restant cachées "dans la boîte noire". À la "fin des temps" on a, si l'on suit -je crois…- Thom, on a un Dieu "en acte et en pleine lumière" entièrement différencié/différentié, un Dieu Cosmos : "la formule d'Aristote  "Premier selon l'être, dernier selon la génération". suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée."(ES p.216). (Je tire de ces audacieuses spéculations thomiennes que la mathématique est une théologie, le théo de théorème ayant, pour moi qui ne suis pas helléniste, même étymologie que le théo de théologie…)

Peut-être verra-t-on un jour des considérations de ce genre dans un article du Figaro? Dans sa vidéo-testament précitée Thom pense que ce n'est pas demain la veille de ce jour (de 49'55 à 50'10) : "Quand j'ai écrit Stabilité structurelle et morphogenèse je pensais avoir un demi-siècle d'avance sur la biologie de mon temps. Je crois que j'étais encore optimiste.". Je crois qu'il faudra subir beaucoup d'articles sur le transhumanisme (alias la métaphysique zuckerienne) avant de s'apercevoir qu'il est peut-être temps de passer à autre chose.

Newton précurseur de Thom?

jc

  10/11/2021

C'est la question que je me pose après la découverte coup sur coup d'une conférence du mathématicien Patrick Popescu-Pampu sur le dynamisme des formes instables (https://www.youtube.com/watch?v=OUerqZrDd_k), conférence dont le moteur est la théorie thomienne des singularités d'une part, et, d'autre part, l'interview du philosophe Charles Robin sur les centres d'intérêt de Newton où l'on découvre un Newton ésotérique s'intéressant à l'explication qualitative bien différent du Newton exotérique s'intéressant à la prédiction quantitative que la modernité tient à nous présenter (1).

Dans l'interview de Robin j'ai noté plusieurs passerelles Newton/Thom, dont :

11'10 : analogies règne animal/règne minéral: sexualité, dévorations, ensemencements, embryologie chtonienne dans le règne minéral. Vision de la nature où, finalement, des phénomènes que l'on va observer dans certains règnes vaudront dans d'autres règnes, et dans certaines échelles vaudront pour des échelles supérieures (analogies microcosme/macrocosme). Je rappelle à ce propos la citation thomienne : "La synthèse ici entrevue des pensées "vitaliste" et "mécaniste" en Biologie n'ira pas sans un profond remaniement de notre conception du monde inanimé" (Une théorie dynamique de la morphogenèse, conclusion, MMM). Je rappelle aussi que la théorie thomienne des catastrophes est une théorie de l'analogie ("la première depuis Aristote", écrit Thom).

13'00 : "Pour Newton Dieu interagit avec la matière avec une interface qui est l'espace pour lui donner son animation.". Thom : "En dépit de mon admiration pour Aristote je reste platonicien en ce que je crois à l'existence séparée (« autonome ») des entités mathématiques, étant entendu qu'il s'agit là d'une région ontologique différente de la « réalité usuelle » (matérielle) du monde perçu. (C'est le rôle du continu — de l'étendue — que d'assurer la transition entre les deux régions.). (Je rappelle que pour Thom "selon de nombreuses philosophies Dieu est géomètre; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu.")

20'. "Pour Newton le monde n'est pas animé seulement par une seule force mécanique, il y a aussi une vie qui organise la matière qui s'explique par des esprits actifs qui vont devenir des forces.". Thom échafaude sa Biologie théorique sur le postulat de l'existence de champs morphogénétiques dont les singularités structurellement stables seraient les êtres vivants ; il écrit à ce propos : "La nature ultime dudit champ, savoir s'il peut s'expliquer en fonction des champs connus de la matière inerte, est une question proprement métaphysique ; seule importe au départ la description géométrique du champ, et la détermination de ses propriétés formelles, de ses lois d'évolution ensuite.".

De la conférence de Popescu j'apprends que Newton a fait une classification qualitative des courbes planes cubiques à la façon de la classification connue depuis l'antiquité des courbes quadratiques (en trois classes : ellipse, parabole et hyperbole). Newton trouve plus de 70 classes (il en oublie, paraît-il quelques unes), ce qui montre l'augmentation considérable de la difficulté du problème (problème que l'on retrouve dans les classifications des singularités et des catastrophes élémentaires qu'étudie Thom). On trouve ainsi déjà chez Newton la singularité "bec à bec" (deux fronces face à face) -et Popescu fait l'analogie biologique de la becquée chez les oiseaux- et la singularité "lèvre" (deux fronces -les commissures- dos à dos réunies par deux lignes de plis (les lèvres supérieure et inférieure) privilégiées par Thom car structurellement stables. Thom s'est fait prendre en photo en train d'examiner les singularités de l'écorce d'un tronc d'arbre (chêne ?) où l'on trouve à profusion des "lèvres" et des "bec à bec".

Thom : un nouveau Newton? C'est ce qu'un grand quotidien a titré en 1972 à la sortie de "Stabilité structurelle et morphogenèse", essentiellement à la biologie. Thom un Newton de la biologie? Il se pourrait bien, selon moi, que l'on s'aperçoive un jour (encore lointain…) que c'est effectivement le cas.

En attendant c'est Darwin qui est décrété par la modernité comme étant l'actuel "Newton de la biologie" (Thom a ironisé à ce sujet dans sa préface du livre de Jacques Costagliola "Faut-il brûler Darwin?"  (http://j-costagliola.over-blog.com/article-un-programme-pour-la-biologie-theorique-par-rene-thom-medaille-fields-preface-a-faut-il-bruler-darwin-l-harmattan-1995-52930252.html) : "On ne pourra reprocher à notre auteur d’avoir fait preuve de la moindre clémence vis-à-vis d'un « Newton de la biologie ». Son livre est un réquisitoire sans faille de l’Origine des espèces… ", ce qui, selon moi,  renvoie à la citation (1) ci-dessous (car que devient le Système si le darwinisme s'écroule?)

 
(1) Pour moi la citation suivante de PhG concernant Newton vaut également pour Thom, peut-être pour les mêmes raisons (je rappelle à ce propos que Stabilité structurelle et morphogenèse a mis cinq ans avant d'être publié -en 1972 chez Benjamin-) :

"Nombre des documents alchimistes de Newton que mentionne Mathieu sont disponibles en ligne (lui-même, Mathieu, les étudie, préparant un livre sur cette question). Pour autant, l’“image” officielle de Newton n’a changé en rien ; l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière."

La véritable coupure galiléenne

jc

  11/11/2021

La modernité nous présente la coupure galiléenne comme le passage du géocentrisme à l'héliocentrisme. Cette présentation est peut-être intéressée, autrement dit la remarque que fait PhG à propos de la face cachée de l'œuvre de Newton ("l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière") vaut aussi peut-être -voire sans doute- pour la coupure galiléenne.

A la suite de Thom je défends ici l'idée que la véritable coupure galiléenne concerne le passage de l'étude traditionnelle -prégaliléenne- de la nature-phusis, traitée comme vivante (la nature se disait φύσις en grec ancien (1)), à l'étude moderne postgaliléenne, où la nature-physique est traitée comme inerte.

Pour moi Newton a participé activement à cette coupure avec son œuvre majeure (selon la modernité) qui est Philosophiæ naturalis principia mathematica, œuvre qui va dans le sens de la célèbre citation de Galilée selon laquelle le livre de la nature est écrit en langue mathématique (2). Il y a clairement pour moi une coupure entre le Newton 70% phusicien-herméneute, s'intéressant à la qualité et à l'explication, et le Newton 30% physicien-démiurge lançant son orgueilleux "Hypotheses non fingo", s'intéressant à la quantité et à la prédiction.

L'un des buts que se fixe Thom dans son œuvre philosophique est de refermer cette coupure. Citations :

"(...) une vision plus claire du programme métaphysique de la théorie des catastrophes : fonder une théorie mathématique de l'analogie, qui vise à compléter la lacune ouverte par Galilée entre quantitatif et qualitatif." :

"L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne." .

Pour ce faire Thom mathématise le concept spinozien d'être structurellement stable ("tout être se doit de persévérer dans son être"), ce qui le conduit à opposer à la "dureté" de la calculabilité une certaine flexibilité qui permet d'espérer pénétrer les sciences "molles" (biologie, sociologie, linguistique en particulier)  :

"La physique (avec ses grandes lois classiques) nous a donné l'exemple d'une théorisation « dure », fondée sur le prolongement analytique et permettant le calcul numérique explicite, donc la prédiction. Tout récemment, l'introduction de la théorie dite des catastrophes suggère un autre usage des mathématiques en science : une théorisation « molle », à caractère uniquement local. Une telle modélisation se réduit pratiquement à une théorie des analogies.".

Mais Thom prévient :

"(...) on est fondé à affirmer que stabilité structurelle et «calculabilité» sont, dans une certaine mesure, des exigences contradictoires ; (...) la physique actuelle a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité ; je veux croire qu'elle n'aura pas à se repentir de ce choix.";

"Le miracle des lois physiques est un miracle isolé, et l'on a payé fort cher en croyant que comprendre les phénomènes était un luxe dont on pouvait fort bien se dispenser, du moment qu'on avait la formule qui permet la prédiction." .

(Il me semble clair que Thom a un faible pour l'approche aristotélicienne, vue généralement comme plutôt matérialiste (3), étant bien entendu qu'il s'agit de phusis traditionnelle, herméneutique et qualitative, et non de physique actuelle, démiurgique et quantitative. Cette approche permet d'entrevoir pour les siècles à venir (dès maintenant?) un matérialisme vitaliste qui viendrait succéder au matérialisme mécaniste qui a cours en Occident depuis la coupure galiléenne (et qui semble gagner l'Orient si on en juge par l'évolution actuelle de l'extrême-orient). Il me semble non moins clair que la voie du transhumanisme est le prolongement "naturel" au XXIème siècle de la voie démiurgique ouverte par la physique mécaniste et que lui opposer une autre approche (celle de Thom) c'est poser les premiers jalons pour la mettre en échec.)

Ce commentaire  concernant essentiellement la partie "Newton l'alchimiste", je termine par deux citations thomiennes que l'on peut, selon moi, voir considérer comme  "alchimiques", voire théologiques:

"De même qu'on commence à se rendre compte que le génome des Eukariotes est très différent de celui des Prokariotes, parce qu'il ne remplit pas les mêmes fonctions, on pourrait bien un jour s'apercevoir que ce ne sont pas les molécules qui font la vie, mais au contraire la vie qui façonne les molécules." ;

"(...) la science veut construire la vie à partir de la mécanique, et non la mécanique à partir de la vie."  (4 ) .


(1) En anglais moderne un physician est un médecin (Wiki : "Around the world the term physician refers to a specialist in internal medicine").
(2) Je ne suis donc pas d'accord avec la formulation de Frédéric Mathieu : « Newton, qu’on dit être au cœur de la révolution scientifique, l’architecte des sciences modernes, n’est pas l’inventeur de quelque chose mais le continuateur d’une tradition. [...] Ainsi, l’on pourrait dire que la véritable révolution newtonienne c’est un retour à la tradition » .
(3) Dans la préface de "Apologie du logos", le philosophe Jean Largeault parle d'un Thom "plutôt matérialiste" (cité de mémoire).
(4) Wiki : "L'intérêt de Newton pour l'alchimie résiderait [selon Richard Westfall] dans une « rébellion » contre les limites restrictives imposées par la philosophie mécaniste ainsi que par la volonté de dépasser le mécanisme de René Descartes." .
 

L'infini en mathématiques et en physique théorique

jc

  12/11/2021

L'infini n'effraie plus les mathématiciens et les physiciens théoriciens contemporains (les querelles philosophiques lors de l'apprarition du calcul infinitésimal ayant été oubliées…).

Cependant, bien que le calcul infinitésimal soit à la base de la topologie différentielle, de la théorie des singularités et de la théorie ds catastrophes Thom l'herméneute répugne à l'utilisation de l'infini (1) et insiste sur le fait que le seul calcul infinitésimal ne suffit pas pour résoudre les paradoxes de Zénon et donc pour comprendre le mouvement et le changement alors qu'au contraire les physiciens démiurges -c'est-à-dire les physiciens théoriciens- en raffolent (2). Citation thomienne à l'attention des mathématiciens et physiciens démiurges:

"En plaquant ainsi sur le monde l'infini mathématique, l'homme ne fait-il pas preuve de la même présomption inconsciente que le magicien primitif qui commandait aux Dieux… ?

Le protoptype du mathématicien démiurge est pour moi Cantor qui a postulé pour sa théorie des ensembles l'existence "en acte" d'un nombre entier infini, plus grand que tous les nombres entiers usuels et en quelque sorte dieu transcendant car inaccessible à partir d'eux par les opérations usuelles (addition, multiplication, exponentiation, etc.). J'ai du mal à me sortir de la tête que Cantor et Gödel -qui a passé beaucoup de temps à la fin de sa vie à tenter de prouver formellement l'existence de Dieu- ont tous deux sombré dans la folie parce qu'il ont eu la présomption de vouloir commander aux dieux. À ce propos il est pour moi piquant de voir le philosophe résolument athée Alain Badiou, platonicien selon ses dires, est fasciné par la théorie des ensembles en général et la théorie des grands cardinaux -euphémisme pour ne pas parler de grands dieux- en particulier (3), (4).


(1) Thom insiste sur le fait que le seul calcul infinitésimal ne suffit pas pour résoudre les paradoxes de Zénon et donc pour comprendre le mouvement et le changement, un atomiste ne peut résoudre le problème, il faut être continuiste : "Et peut-être faudra-t-il renverser l'interprétation traditionnelle des paradoxes des Eléates. Ce n'est pas le continu qui fait problème, mais bien le continu, dans sa réalisation d'infini actuel, qui justifie l'infini dénombrable : car, n'est-ce pas, Achille finit par dépasser la tortue…". Pour moi le Guénon des deux derniers chapitres de  "Les principes du calcul infinitésimal" est à ranger parmi les très rares penseurs du continu.

(2) L'espace de Hilbert (espace hermitien -euclidien complexe- de dimension infinie) est un prérequis des postulats de la mécanique quantique.

(3) Les curieux de ces choses pourront consulter le bref exposé de Patrick Dehornoy : "À quoi sert l'infini en mathématiques?" ( https://streaming.univ-rouen.fr/videos/a-quoi-sert-linfini-conference-de-patrick-dehornoy/ ). On notera que la première citation de l'exposé due à Kronecker s'oppose diamétralement à la citation thomienne de (1). (Thom a d'ailleurs ironisé sur cette citation de Kronecker dans un passage de son article "Les mathématiques modernes : une erreur pédagogique et philosophique?" (Apologie du logos), passage où, précisément, il se pose en penseur du continu face à un mathématicien -banquier à ses heures- penseur du discret.)

(4) Bien que je sois complètement opposé aux idées politiques de Badiou, je lui suis reconnaissant de tenter de renouer avec les traditions pythagoricienne* et platonicienne en considérant que les mathématiques sont partie intégrantes de la philosophie. Ceci dit, je lui reproche une philosophie où je ne perçois aucune naturalité (au sens de la philosophie naturelle de Newton et de Thom). (* Guénon rappelle que le terme de philosophe est apparu pour désigner Pythagore.)

 

Singularités

jc

  12/11/2021

[ À ceux qui croient en leurs intuitions -éventuellement hautes-, je prolonge ici mon commentaire sur l'infini en citant la conclusion de l'exposé de Dehornoy (à partir de 58'20), citation qui, selon moi, conforte en quelque sorte l'option du pari pascalien :

"Même si on ne croit pas à l'existence de l'infini (...) il serait regrettable de se priver des intuitions qu'il apporte.".

Cette version de l'exposé n'est pas si courte que ça -contrairement à ce que j'ai annoncé- car l'auteur s'y met en scène (contrairement aux versions antérieures, beaucoup plus concises, mais moins vivantes ).]

Le mot est à la mode mais polysémique : la singularité des technologues est "l'hypothèse selon laquelle l'invention de l'intelligence artificielle déclencherait un emballement de la croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles dans la société humaine. " (Wiki). Ce n'est pas celle de philosophes comme Chantal Delsol (1) ni celle des mathématiciens et des physiciens sur lesquels je concentre la suite de ce commentaire.

En physique théorique il y a singularité soit lorsqu'une quantité devient infinie ou indéfinie. C'est également le cas en mathématiques mais les matheux -Thom en particulier- considèrent également comme singulières les valeurs de fonction dérivable -ou, plus généralement, différentiable- pour lesquelles la dérivée s'annule -plus généralement où la différentielle n'est pas de rang maximal- (2). Les valeurs singulières sont des valeurs au voisinage desquelles il y a en général changement qualitatif de la fonction (3).

À la lecture de la fiche Wiki de S. Hawking je découvre que celui-ci a élaboré avec Penrose des théorèmes sur l'existence de  singularités gravitationnelles puis cosmologiques conduisant à l'inéluctabilité d'une singularité primordiale de l'univers à l'origine des temps ou à l'origine d'un cycle "universel" (4). Cela me conforte dans l'idée d'un Dieu-Khaos-yin singulier tout-en-puissance (tout-puissant) à l'origine des temps (ou d'un cycle) qui s'actualise progressivement (comme la graine germe pour devenir fleur) au cours des temps (ou du cycle) par mise en ordre progressif du chaos initial -autrement dit par régularisation de la singularité initiale-pour aboutir à la fin des temps (ou du cycle) à un Dieu-Cosmos-yang (5) tout-en-acte, comme le pense -je crois- Thom : "Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe [de Porphyre] on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"." (ES p.216)

(1) Cf. le résumé de son "Éloge de la singularité".
(2) Les autres valeurs sont bien naturellement qualifiées de régulières.
(3) Les plus allergiques aux mathématiques n'ont sans doute pu éviter dans leur cursus les tableaux qui expriment les changements de variation d'une fonction (croissance ou décroissance) au voisinage d'un point où la dérivée s'annule.
(4) Puisque Frédéric Mathieu parle des intuitions/analogies érotiques du Newton ésotérique (théologien et alchimiste), je ne peux m'empêcher de citer ici l'origine du monde selon Courbet.
(5) Une étymologie couramment acceptée de cosmos est : ordre (voire ordre, harmonie, équilibre…).

Plaidoyer pour la philosophie naturelle

jc

  12/11/2021

Au début de son entrevue avec Charles Robin Frédéric Mathieu commence par rappeler ce qu'on entendait par philosophie naturelle à l'époque de Newton et, à la façon dont il parle de ses études de philosophie, on peut se demander s'il ne regrette pas l'absence de cursus de théoréticien/métaphysicien qui couvrirait à la fois les mathématiques et la physique théorique actuelle, la physique aristotélicienne -la phusis- et la théologie (1).

Thom se revendique explicitement comme philosophe de la nature, très certainement, selon moi, au sens où Newton concevait la chose. Il a écrit à ce sujet un article qui figure dans son "Apologie du logos" intitulé "La philosophie naturelle : une quête de l'intelligible" et est revenu à maintes reprises sur le sujet. Un point pour lui fondamental est que le philosophe de la nature tel qu'il le conçoit ne saurait être démarcationniste car il s'agit pour lui de refermer la coupure galiléenne qui a séparé la science moderne de la philosophie :

"Le « philosophe de la nature » que j'envisage aura un point de vue résolument anti-démarcationniste. On peut imaginer un spectre quasi continu joignant les assertions les plus solidement établies (par exemple un théorème de mathématique) aux affirmations les plus délirantes. La pratique de notre épistémologue peut être ainsi décrite. Partant des points de contact obligés entre science et philosophie, il s'efforcera d'épaissir l’interface entre science et philosophie ; il sera donc philosophe en sciences, et scientifique en philosophie." ;

"C'est plutôt dans ce rôle du gardien de l’intelligible que je verrais essentiellement sa fonction [de notre philosophe de la nature]. Lutter continuellement contre les dérapages pragmatistes qui tendent à gauchir nos prégnances et à créer des significations abusives ou factices, telle est, je crois, la fonction centrale de notre philosophe. Fonction à coup sûr difficile, car elle l'oblige à se mettre constamment à contre-courant des flux locaux d'intérêts qui agitent la communauté des savants. Avoir raison trop tôt, c'est bien souvent avoir tort dans l'immédiat. Il lui faudra accepter une fois pour toutes les conséquences de ce choix"."

À mon niveau de formaté-scientifique il s'agit de renouer les liens brisés à la coupure galiléenne entre la démiurgique physique moderne et l'antique physique aristotélicienne, c'est-à-dire l'herméneutique phusis telle que Thom la conçoit. Dans mon précédent commentaire sur les singularités j'ai noté des analogies entre les points de vue de Thom et de Hawking. Je rajoute ici une autre passerelle possible entre la théorie du tout qui a essentiellement occupé Hawking à la fin de sa vie et la théorie des catastrophes, qui pourraient se retrouver dans la classification ADE des systèmes de racines , le système E8, lié au dodécaèdre régulier (solide que Platon associe à sa quinte essence) étant peut-être pas trop éloigné de la solution cherchée par Hawking (2), alors que, par un théorème du mathématicien russe Arnold, les sept catastrophes élémentaires thomiennes sont liées à A2, A3, A4, A5, D4 (+ et -) et D5 (3).

Les points de contact avec la philosophie ne sont pas mon rayon mais les appels de Thom en direction des philosophes ne manquent pas dans son œuvre (7).

Avec cette idée en tête de philosophie naturelle, je me demande, à la lecture de son "Cosmos", si ce n'est pas ce que recherche également Michel Onfray, résolument matérialiste tendance vitaliste -et non mécaniste- (l'existence implique pour lui l'essence), nominaliste et atomiste, à peu près exactement l'opposé de là où j'essaye de me maintenir (matérialiste tendance vitaliste, conceptualiste tendance réaliste-platonicien et continuiste). Dans la partie 4 intitulée Cosmos il adopte le point de vue de son ami Jean-Pierre Luminet et de ses multivers "chiffonnés" qui, renseignements pris en fouillant sur la toile, me semblent assez proches de E8 puisqu'y apparaît un dodécaèdre (et donc potentiellement solutions du problème que se posait Hawking) (4)(5).

Peut-être que dans un temps pas trop lointain se constituera un noyau de philosophes de la nature médiatiquement visibles qui réussiront à capter l'attention des grands médias et les gens pour briser le plafond de verre qui fait écrire à PhG : "l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène (l'existence de philosophes de la nature comme le Newton ésotérique] soit mis en pleine lumière.".

Frédéric Mathieu écrivant sur Thom un bouquin dans le ton de la thèse qu'il est en train d'écrire sur Newton? Michel Onfray se convertissant à la philosophie naturelle et au continuisme -tel Paul sur le chemin de Damas- pour en faire autant (6)?


(1) :Mathieu  "Je me suis approché de la philosophie plus par défaut que par réel choix parce que je pensais que ceci me permettrait de faire des synthèses entre les différentes branches de la connaissance. Je pensais que la philosophie avait cette qualité, en fait, de se pencher par dessus les disciplines et de tirer des généralités dont on pourrait tirer, dans un ordre supérieur, des enseignements pour une vie, pour l'existence, etc. Cela n'a pas tout-à-fait été ce que j'ai vécu lorsque j'ai fait mes premières études de philosophie."
(2) Cf. plus loin à propos de Jean-Pierre Luminet.
(3) Cf. la fin du chapitre 5 de http://www.entretemps.asso.fr/maths/ecole.pro.pdf
(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Root_system
(5) Tout ce qui est dit ici déborde largement et ma partie et mon niveau…
(6) J'en doute un peu mais sait-on jamais.
(7) J'ai été étonné (c'est un euphémisme) que Régis Debray ne parle pas dans son "Éloge des frontières" des axiomes thomiens ABP (l'Acte est le bord de la Puissance) et FBM (la Forme est le Bord de la Matière).

Singularités.1

jc

  13/11/2021

Après relecture du .0 je dois distinguer le cas cyclique (qu'indique la Tradition, au moins en ce qui concerne les civilisations) du cas non cyclique (la position de Thom).

Position de Thom.

Un entretien entre Paul Nimier et Thom (1) se termine par :

"- N: Et au cours de votre scolarité est-ce que c'était, sous une forme ou sous une autre, des problèmes [la théorie des singularités] qui vous intéressaient ?
- T: Oh ! à ce moment-là, j'étais beaucoup plus scolaire, je pense. Je ne me souviens pas d'avoir pensé des choses sous cette forme '.
Mais je me souviens que vers dix-sept ans, j'ai commencé à m'intéresser à la dynamique. Je ne me souviens plus à quelle occasion j'avais remis un papier à mon professeur de math-élem, où je parlais de l'éternel retour vu d'un point de vue dynamique, les théories de l'éternel retour ...
C'était l'idée qu'on pouvait avoir un espace-temps, un univers dans lequel il y aurait l'éternel retour, c'est-à-dire où la dynamique serait périodique, mais je crois que c'est à peu près la première fois que j'ai réellement pensé les choses en terme de dynamique ...".

Il ne fait guère de doute pour moi que l'adulte a évolué par rapport à l'adolescent. Deux citations vont pour moi dans ce sens:

1. "Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"." (ES, p.216) ;

2. "(...) il m'est difficile de voir pourquoi un être pleinement différencié ne pourrait être immortel." .

Mais Thom a, je crois, conscience que cet perfection n'est atteinte qu'au bout d'un temps infini, à la fin d'un nombre infini de cycles dont la répétition donne l'impression d'un éternel retour mais qui progresse vers un état cosmique parfait fait d'ordre, d'harmonie et d'équilibre. Citation allant dans ce sens:

"(...) il y a une certaine incompatibilité entre l'immortalité de l'individu et les possibilités évolutives ultérieures de l'espèce. La mort serait alors le prix à payer pour préserver toutes les possibilités de perfectionnement futur de l'espèce.".


Position traditionnelle (selon ce que j'ai tiré de la lecture de Guénon)

C'est, je crois, plutôt la position d'un éternel retour. Dans ce cas l'état cosmique d'ordre, d'harmonie et d'équilibre ne peut être atteint à la fin du cycle car la fin du cycle est la fin de "l'âge de fer. cosmique". Si on fait l'hypothèse d'une respiration au cours du cycle, d'abord expansion-régularisation qui s'achève à mi-cycle par un acmé cosmique d'ordre, d'harmonie et d'équilibre (relatifs car imparfaits), suivi par une contraction-singularisation qui se termine à la toute fin de l'âge de fer par une implosion qui devient quasi instantanément une explosion (quand les morceaux se croisent!), explosion qui ouvre un nouveau cycle d'expansion/contraction. C'est en gros, je crois, le modèle civilisationnel que propose François Roddier(1), modèle qui s'accorde bien, selon moi, avec le modèle thomien du lacet de prédation impliquant la catastrophe fronce.

En ce qui concerne les sociétés humaines Thom dit à Jean-Luc Godard  -qui l'interviewe (volontairement?) horriblement mal (2)- qu'il ne fait pas de doute que dans les sociétés c'est la fonction qui crée l'organe. Personnellement je tempère en : dans les sociétés jeunes, en cours d'organisation, c'est la fonction qui crée l'organe. Car je pense que plus les sociétés vieillissent plus elles se rigidifient, plus c'est la structure qui s'impose à la fonction, ce qui gêne l'adaptation et se termine inéluctablement par la rigidification ultime, cadavérique : la mort (3).


(1) https://www.dedefensa.org/article/vers-un-effondrement-de-civilisation
(2) https://www.youtube.com/watch?v=B1t_o_CMA_E (40') . Thom fera du film le compte-rendu suivant : « Quand Jean-Luc Godard est venu me filmer à mon Institut, je m’attendais à être traité selon l’hagiographie traditionnellement en usage à l’égard des célébrités de la science. Il n’en fut rien et je fus fort déconcerté ; les questions posées étaient d’une grande platitude et ne prêtaient à aucun développement (…). Quinze mois plus tard, j’eus enfin l’occasion de visionner René(e). Ce fut pour découvrir, sous un habillage irrévérencieux et souvent étonnant, une sorte de fidélité profonde à ce qui aurait pu être mon message. »
(3) L'irruption du e-commerce illustre mon propos : Amazon en pleine jeunesse met en faillite les anciennes formes de commerce par correspondance (La Redoute, Les trois Suisses) et les anciennes entreprises de transport des lettres et paquets (typiquement La Poste) peinent à s'adapter face aux nouvelles entreprises nées avec l'apparition du e-commerce. L'athée Michel Onfray fait ce genre d'analyse pour le catholicisme. À ce propos il m'apparaît de plus en plus nettement que l'ordinateur a sur notre société de plus en plus mondialisée un énorme pouvoir rigidifiant.

 

Plaidoyer pour la philosophie naturelle.1

jc

  13/11/2021

Je complète le .0 par deux citations qui illustrent la coupure galiléenne vue comme une opposition phusis vitaliste/physique mécaniste, et suggèrent le travail à accomplir -selon moi- par les philosophes de la nature pour refermer cette coupure qui recoupe(!) la coupure qui est en train de s'opérer entre le scientisme profane, technologiste et la transhumaniste d'une part et le cœur de la véritable Science, que je vois peut-être pas si éloignée que ça de la science sacrée dont parle Gguénon. J'ai déjà plusieurs fois reproduit ces citations en commentaires sur ce site, la première figurant en épigraphe d'un chapitre de SSM, la seconde due à l'acteur Bernard Giraudeau :

« Le mécanisme de n'importe quelle machine, une montre par exemple, est toujours construit de manière centripète, c'est à dire que toutes les parties de la montre, aiguilles, ressorts, roues, doivent d'abord être achevées pour être ensuite montées sur un support commun.
Tout au contraire la croissance d'un animal, tel le triton, est toujours organisée de manière centrifuge à partir de son germe; d'abord gastrula il s'enrichit ensuite de nouveaux bourgeons qui évoluent en organes différenciés.
Dans les deux cas, il existe un plan de construction; dans la montre, il régit un processus centripète, chez le triton, un processus centrifuge. Selon le plan les parties s'assemblent en vertu de principes opposés. » (J.V. Uexkull, Théorie de la signification) ;

"Il y a peu, une équipe de recherche plus hardie a voulu en savoir plus sur la pharmacopée amazonienne. Ils ont demandé aux shamans comment ils pouvaient reconnaître la bonne plante sans l'expérimenter sur les hommes et faire quelques dégâts. Les shamans ont répondu: on n'a pas besoin de tuer les animaux pour savoir si une herbe ou une racine est efficace. Alors comment faites-vous? Nous nous asseyons devant la plante choisie, en silence, le temps nécessaire, et elle nous parle. Les chercheurs sont repartis marris." (Cher amour, p.40) .
 

Singularité et inversion

jc

  13/11/2021

En prélude à un éventuel commentaire à venir sur l'article "Le charme discret de l'inversion".

[Pour introduire le  présent commentaire je remarque l'inversion "Borrolé" au lieu de "Bolloré" dans les tags qui apparaissent lorsqu'on lance le moteur de recherche du site sur l'article ici commenté.]

Thom a écrit un article intitulé "Philosophie de la singularité" qui figure dans le recueil "Apologie du logos" dont je cite le dernier paragraphe car celui-ci indique la façon dont je vois l'inversion :

"Cette opposition entre une singularité créée comme un défaut d'une structure propagative ambiante, ou une singularité qui est source de l'effet propagatif lui-même pose un problème central qu'on retrouve pratiquement à l'intérieur de presque toutes les disciplines scientifiques. La Physique contemporaine admet plutôt le premier (1) aspect : la particule est source d'un champ qu'elle génère ; Einstein, en Relativité Générale, verra plutôt dans la particule la singularité d'une métrique de l'espace-temps. On
retrouve ici cette aporie fondamentale du continu et du discret qui est au cœur de la mathématique. On retrouvera cette même aporie jusqu'en psychologie : est-ce que nous parlons parce que nous pensons, ou au contraire est-ce que nous pensons parce que nous parlons ?"

Pour moi, avant de décider du bon sens, il faut s'efforcer d'inverser le sens que l'on a privilégié (instinctivement, intuitivement, culturellement, rationnellement ...) avant de décider lequel est le bon -ou le meilleur, ou le moins mauvais… -, sans perdre de vue que le bon sens est fluctuant, car pouvant s'inverser selon le lieu et l'époque, comme on le constate avec le phénomène des marées. Dans un conflit binaire Il faut selon moi systématiquement s'efforcer de se mettre successivement dans la peau de chacun des actants (2). Ainsi, en Physique moderne, Thom prend résolument le parti du Einstein de la relativité générale (3) et voit les corpuscules comme des singularités, des maladies de l'espace-temps initialement lisse et immaculé.

Pour moi la question est de savoir si le bon sens va de l'antériorité ontologique vers la postérité ontologique ou l'inverse:

- la forme vers la matière ou l'inverse (4) ?
- le Verbe avant la chair ou l'inverse (5) ?
- la puissance vers l'acte ou l'inverse ?
- le continu vers le discret ou l'inverse ?

Dans le dernier cas Thom a tranché en faveur du continu -et moi à sa suite- avec l'argument qu'on peut générer du discret à partir du continu grâce à la notion de singularité alors qu'il semble impossible de générer du continu à partir du discret (selon moi on peut tout au plus générer du contigu) (5).


(1) Il me semble qu'il s'agit plutôt du second (inversion thomienne inconsciente?).
(2) Thom : "L'intelligence est la capacité de s'identifier à autre chose, à autrui.".
(3) Cf. ES.
(4) Daniel-Rops (à propos du "Balzac" de Rodin) : "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice." PhG a annoncé qu'il ferait de cette citation l'un des pôles du tome III de "La Grâce…".
(5) le pape François a édicté en principe: "La réalité est supérieure à l'idée".
(5) Pour Guénon le continu et le discret sont des quantités (cf. "Le règne de la quantité...", chap. II). Pour Thom c'est l'opposition discret/continu qui domine la pensée (et non l'opposition matière/forme comme il m'apparaît de ce que j'ai lu de l'œuvre de Guénon).

Plaidoyer pour la philosophie naturelle.2

jc

  15/11/2021

Frédéric Mathieu :

"Newton est un philosophe, au même titre que Platon, Socrate, qui étaient à la fois des philosophes, des physiciens, des moralistes.".

Autrement dit, du temps de Newton, un philosophe était alors quelqu'un qui était perçu par ses contemporains pour sa capacité à dominer la pensée de son époque. Avec l'augmentation des connaissances (1) cette prétention à dominer la pensée de son temps devient évidemment de plus en plus difficile à réaliser. Ainsi il me semble que, déjà à l'époque de Kant, ce n'était plus le cas, la coupure galiléenne commençant à faire son effet par un divorce de plus en plus prononcé entre science -au sens moderne- et philosophie traditionnelle, divorce actuellement assez béant. Pour moi, sans surprise pour ceux qui ont le courage de parcourir mes commentaires, René Thom est l'un des rares (des rarissimes?) tels penseurs contemporains. Quelques citations de penseurs contemporains (étiquetés philosophes ou non):

- Hawking;

"Hawking soutient dans une conférence en 2011 que la philosophie est morte, et que : « Les philosophes n'ont pas suivi les développements modernes de la science. Particulièrement la physique » (en anglais : Philosophers have not kept up with modern developments in science. Particularly physics). Les philosophes ont été selon lui remplacés par les scientifiques pour répondre aux grandes questions sur l'univers et le temps : « Les scientifiques sont devenus les porteurs du flambeau de la découverte dans notre quête de la connaissance » (Scientists have become the bearers of the torch of discovery in our quest for knowledge)." (Wiki) :

- Lévi-Strauss:

"En 1934, lassé de plusieurs années d'engagement politique autant que de la philosophie institutionnelle, Lévi-Strauss abandonne son activité militante et recherche activement un poste d'ethnologue, qu'il obtient au Brésil au début de 1935. Il conservera toute sa vie de ce basculement de carrière une double aversion, pour la politique autant que pour la philosophie. Ce « compte à régler » avec les philosophes reviendra en force dans le « Finale » de l’Homme Nu (tome IV des Mythologiques) où Lévi-Strauss affirmera ne pas avoir « de philosophie qui mérite qu'on s'y arrête […]. Contraire à toute exploitation philosophique qu'on voudrait faire de mes travaux, je me borne à signifier que, à mon goût, ils ne pourraient, dans la meilleure des hypothèses, contribuer qu'à une abjuration de ce qu'on entend aujourd'hui par philosophie ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_L%C3%A9vi-Strauss#Le_rejet_pr%C3%A9coce_de_la_philosophie_classique) ;

-Onfray:

1. "La philosophie est une activité urbaine; (...) Toute la philosophie? Non, la philosophie dominante essentiellement. car les marges philosophiques qui me plaisent et me nourrissent montrent que la pensée peut aussi être une quintessence des champs." (Cosmos, conclusion)

[2. "Il s'agit de permettre à chacun de se mettre au centre de lui-même - tout en sachant que le cosmos s'y trouve déjà" (dernière phrase de la conclusion de Cosmos) (2).]


- Thom :

1. "Il était de bon ton – il l'est encore sans doute – dans les milieux scientifiques, de dauber sur la philosophie. Et cependant, qui pourrait nier que les seuls problèmes réellement importants pour l'homme sont des problèmes philosophiques ? Mais voilà, les problèmes philosophiques, étant les plus importants, sont aussi les plus difficiles ; dans ce domaine faire preuve d'originalité est très difficile, a fortiori découvrir une nouvelle vérité. C'est pourquoi la société, fort sagement, a renoncé à subventionner les recherches sur des sujets philosophiques, où le rendement est trop aléatoire,
pour consacrer son effort à la recherche scientifique, où, Dieu merci, il n'est pas besoin d'être un génie pour faire « œuvre utile »." ;

2. "(...) si la science progresse, c'est en quelque sorte par définition. Alors que l'art et la philosophie ne progressent pas nécessairement, une discipline qui ne peut que progresser est dite scientifique. De là on conclura que le progrès scientifique, s'il est inévitable, ne peut être le plus souvent qu'illusoire." ;

3. C'est dans cette voie de l'élaboration de nouvelles formes d'intelligibilité que je verrais la tâche essentielle d'un philosophe de la nature. On a peut-être trop vite condamné la Naturphilosophie allemande dont l'acquis scientifique n'a pas été aussi négligeable que les tenants de l'expérimentalisme au 19ème siècle (à la suite de Helmholtz) ont voulu nous le faire croire ; c'est dans le rôle d'élaboration et de justification de l'intelligibilité en Science que je verrais volontiers la fonction essentielle d'un tel philosophe." ;

4. "Finalement, le problème de la démarcation entre scientifique et non scientifique n'est plus guère aujourd'hui qu'une relique du passé ; on ne le trouve plus guère cité que chez quelques épistémologues attardés – et quelques scientifiques particulièrement naïfs ou obtus." ;

5. "(...) Les Philosophes ont abandonné aux savants la Phusis et se sont repliés dans la forteresse de la subjectivité. Il leur faut réapprendre la leçon des Présocratiques, rouvrir les yeux grands sur le monde, et ne pas se laisser impressionner par l'expertise souvent dérisoire d'insignifiance de l'expérimentateur. Inversement la science doit réapprendre à penser." ,

6. J.-A. Miller : — Pouvez-vous différencier l'accueil fait à votre théorie selon les disciplines ?
R. Thom : — Jusqu'à présent, il n'y a pas eu réellement d'application par des professionnels. Le seul modèle est celui de la dénaturation des protéines en biologie, et ce n'est pas tout à fait de la biologie. Tout l'aspect philosophique a été jusqu'à présent laissé de côté, et d'ailleurs largement incompris. Ce qu'il en sortira, je n'en sais rien. J'ai personnellement beaucoup d'espoir que cela permettra une renaissance de la philosophie naturelle, et que l'on pourra de nouveau spéculer dans les sciences. Jusqu'à présent on n'a pas pu, parce qu'il y a ce tabou qu'il faut toujours trouver des choses vérifiables par l'expérience. On n'ose pas spéculer en science, c'est considéré comme irrelevant, et stupide, et dangereux. Qu'on accepte l'idée qu'une certaine forme de spéculation est possible il y aura un effet libérateur considérable. Et en même temps, ça permettra de lisser un peu la distinction entre science et philosophie." .


(1) Étymologiquement: des sciences.
(2) Phrase que j'ai aussitôt rapprochée de la fin de l'épilogue de SSM : "... en écrivant ces pages j'ai acquis une conviction; au cœur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de toutes les forces extérieures agissent, ou en attente, sont prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire. La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur: qui connaît l'Homme connaîtra l'univers. Dans cet essai d'une Théorie générale des modèles [sous-titre de SSM], qu'ai-je fait d'autre, sinon de dégager et d'offrir à la conscience les prémisses d'une méthode que la vie semble avoir pratiquée dès son origine?"

La véritable coupure galiléenne.1

jc

  16/11/2021

En réécoutant l'interview de Frédéric Mathieu je me demande s'il n'y a pas en même temps un Newton à 70% analogiste (1) et un Newton à 30% naturaliste (1), un Newton à 70% herméneute pour qui il va de soi que l'homme de science fait partie d'une nature dans laquelle le surnaturel a sa place, et un Newton à 30% démiurge pour qui l'homme n'accepte plus le surnaturel (mort de Dieu) et pour qui la culture s'oppose à la nature, un Newton penseur du continu, intuitif et inductif, à 70% "cerveau droit d'abord" et un Newton penseur du discret, calculateur et déductif, à 30% "cerveau gauche d'abord". (Bien entendu je considère que "mon" Thom est 100% analogiste et 100% "cerveau droit d'abord", autrement dit qu'il est 100% véritable philosophe de la nature.)

Je ne sais pas si Newton s'exprime à ce sujet (la réponse est peut-être dans la malle d'inédits découverte dans les années 1930) mais je suis convaincu que c'est à partir de cette époque que le naturalisme a progressivement pris le pas sur l'analogisme, pour accoucher du matérialisme et du technologisme qui ont pris à leur tour de l'ampleur jusqu'à régner actuellement pratiquement en maîtres (en attendant le transhumanisme…). J'attends donc de voir avant de valider ce que PhG retient de ce que dit Mathieu :

" Newton, qu’on dit être au cœur de la révolution scientifique, l’architecte des sciences modernes, n’est pas l’inventeur de quelque chose mais le continuateur d’une tradition. [...] Ainsi, l’on pourrait dire que la véritable révolution newtonienne c’est un retour à la tradition ." .

Pour moi Kant exprime parfaitement l'idée que je me fais du naturalisme descolien dans la préface de la deuxième édition de sa "Critique de la raison pure" :

"Lorsque Galilée fit rouler sur un plan incliné des boules dont il avait lui-même déterminé la pesanteur, ou que Torricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait être égal à une colonne d'eau à lui connue, ou que, plus tard, Stahl transforma des métaux en chaux et celle-ci à son tour en métal, en y retranchant ou en y ajoutant certains éléments, alors une nouvelle lumière vint éclairer tous les physiciens. Ils comprirent que la raison n'aperçoit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements suivant des lois constantes, et forcer la nature à répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière; car autrement des observations accidentelles et faites sans aucun plan tracé d'avance ne sauraient se rattacher à une loi nécessaire, ce que cherche pourtant et ce qu'exige la raison. Celle-ci doit se présenter à la nature tenant d'une main ses principes, qui seuls peuvent donner à des phénomènes concordants l'autorité de lois, et de l'autre les expériences qu'elle a instituées d'après ces mêmes principes. Elle lui demande de l'instruire, non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais comme un juge qui a le droit de contraindre les témoins à répondre aux questions qu'il leur adresse. La physique est donc redevable de l'heureuse révolution qui s'est opérée dans sa méthode à cette simple idée, qu'elle doit, je ne dis pas imaginer, mais chercher dans la nature, conformément aux idées que la raison même y transporte, ce qu'elle veut en apprendre, mais ce dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est ainsi qu'elle est entrée dans le véritable chemin de la science, après n'avoir fait pendant tant de siècles que marcher à tâtons.".

Je ne suis pas du tout convaincu que l'approche démiurgique choisie par la physique moderne puisse permettre de fournir des preuves de l'existence de Dieu.



(1) au sens de l'anthropologue Descola.
 

À propos de la classification de Descola

jc

  17/11/2021

Descola classe les rapports de l'homme à la nature en quatre catégories *: animisme, totémisme, analogisme et naturalisme en fonction de deux critères : l'opposition intériorité/extériorité (esprit/corps) d'une part et l'opposition identité/rupture (ressemblance/différence). Cela donne : analogisme: différence des intériorités et des extériorités; totémisme: ressemblance des intériorités et des extériorités; naturalisme: différence des intériorités et ressemblance des extériorités; animisme: ressemblance des intériorités et différence des extériorités. Il suit pour Descola que chaque type de société a un problème fondamental à résoudre. Ainsi pour l'analogisme c'est relier ce qui est différent, c'est-à-dire faire des regroupements, des analogies; pour le totémisme c'est l'inverse, c'est différencier. On retrouve là la classification du mathématicien-philosophe Olivier Rey qui distingue les communautés (le "je" est le singulier du "nous"), dont le problème central est la différenciation des individus de la communauté) et les sociétés (le "nous" est le pluriel de "je"), dont le problème central est l'intégration.

Pour Thom l'opposition intériorité /extériorité n'a pas lieu d'être (1). Si on le suit -mon cas- on est amené à regrouper dans la classification de Descola l'analogisme et le totémisme d'une part et l'animisme et le naturalisme d'autre part. Dans les sociétés analogistes, une fois opérés des regroupements, il reste à ordonner l'intérieur de chaque groupe/strate et à ordonner -hiérarchiser- les strates entre elles. C'est précisément le travail auquel s'est attelé Thom avec sa théorie des catastrophes où, pour moi, les catastrophes élémentaires (pli, fronce, etc.) jouent le rôle des totems.

Il suit que pour moi, en bon thomien, les bonnes sociétés humaines sont les sociétés analogistes-totémistes et (donc?) les sociétés animistes-naturalistes sont mauvaises. Dans de précédents commentaires de cet article je me suis exprimé longuement sur les défauts des sociétés naturalistes -nous y sommes-, et ai situé à la coupure galiléenne le point de bascule de l'analogisme(-totémisme?) au naturalisme(-animisme?) à la coupure galiléenne.

Olivier Rey explique le passage des communautés aux sociétés par une question de taille (distinction qui n'a pas lieu d'être si on accepte d'unifier analogisme et totémisme). Pour moi l'augmentation considérable de la taille des sociétés (de quelques centaines dans les sociétés primitives à des centaines de millions actuellement) a donné une importance de plus en plus grande aux comptables, et donc aux nombres profanes et à la calculabilité. Peut-être peut-on reprocher aux sociétés naturalistes ce que Thom reproche à la Physique actuelle:

"Le naturalisme a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité; je veux croire qu'il n'aura pas à se repentir de ce choix.".

Je n'ai qu'une idée très vague de ce qu'est l'animisme (Wiki…) . Différencier l'écologie de l'écologisme comme on différencie la science du scientisme. Proposition de définition descolienne de l'écologisme : couplage de l'animisme et du naturalisme ?

Pour moi le couplage analogisme-totémisme recoupe le couplage macrocosme-microcosme : connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers (Dieu est en toi) et réciproquement, connais l'univers et tu te connaîtras (Dieu est dans le Cosmos) (2) (3).

(1) : ""C'est sans doute sur le plan philosophique que nos modèles présentent l'apport immédiat le plus intéressant. Ils offrent le premier modèle rigoureusement moniste de l'être vivant, ils dissolvent l'antinomie de l'âme et du corps en une entité géométrique unique." (SSM, 2ème ed., conclusion)
(2) : George Smoot sur la photographie d’un univers de 380 000 ans d’après le Big Bang, montrant une image étrange et chatoyante où l’on pourrait croire un visage : « C’est comme voir le visage de Dieu. ».
(3) : Michel Onfray : ""Il s'agit de permettre à chacun de se mettre au centre de lui-même - tout en sachant que le cosmos s'y trouve déjà." (dernière phrase de la conclusion de Cosmos).

* : https://wiki.p2pfoundation.net/Matrices_Ontologiques_-_Philippe_Descola

 

La véritable coupure galiléenne.2

jc

  17/11/2021

Finalement je commente ici (par cohérence) et non -comme annoncé- en marge de l'article https://www.dedefensa.org/article/le-charme-discret-de-linversion .

Il s'est pour moi opéré une catastrophique inversion à la coupure galiléenne : l'inversion qui a transformé l'analogisme en naturalisme (et la philosophie naturelle en ce que j'appelle un philosophisme naturaliste -dans philosophisme il y a sophisme-).

À ma connaissance (1) c'est le seul cas dans l'histoire où des sociétés ont choisi ce rapport à la nature (et aux autres sociétés, humaines en particulier). C'est d'ailleurs comme ça que j'interprète Jacques Ellul, que je cite de mémoire :

"Toutes les sociétés humaines ont, d'une façon ou d'une autre, sacralisé la nature. Toutes sauf la nôtre, qui a choisi de sacraliser ce qui la désacralise, à savoir la technique." .

Dans les autres cas, si on suit Descola, les sociétés humaines sont soit animistes, soit analogistes, soit totémistes (soit analogistes-totémistes ou animistes-naturalistes si on accepte le monisme thomien).

L'inversion analogisme/naturalisme (2) se lit clairement dans la classification descolienne : différence des extériorités pour l'analogisme, identité pour le naturalisme (le rapport aux intériorités restant le même: différence dans les deux cas).
 
On entrevoit les catastrophiques conséquences du rapport au monde des naturalistes car ceux-ci peuvent décréter que certains autres dans le monde (éventuellement humains) n'ont pas d'âme et peuvent donc être traités comme des animaux, voire des végétaux ou des minéraux -un naturaliste n'est pas un animiste-, d'où dérives eugénistes (qui reviennent en force actuellement) et réductionnistes, émergence de la vie par hasard (pas d'intervention surnaturelle, pas de téléologie, pas de dessein intelligent, darwinisme et néo-darwinisme, la plupart des naturalistes -en particulier les scientifiques- refusant le surnaturel, le transcendant).

(  J'ai trouvé très intéressante l'interview de Descola (que je découvre) par "Les cahiers philosophiques : https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2011-4-page-23.htm )

* : au sens de Descola.
(1) Je ne suis ni anthropologue ni ethnologue.
(2) l'inversion totémisme/naturalisme me semble plus problématique. Je ne sais pas si elle a été observée par les anthropologues.
 

De Derrida à Descola

jc

  18/11/2021

Descola nous montre que le structuralisme n'est pas mort (et qu'il est même, selon moi, bien vivant), malgré les efforts des post-structuralistes (Derrida, Deleuze et cie) pour le discréditer.

Pour moi, la façon qu'a Descola de classer les rapports des groupes humains au reste du monde est un véritable plan général d'organisation sociale (PGOS) en quatre catégories (1), plan général qu'il ne me semble pas déraisonnable de mettre en regard du plan général d'organisation animale (PGOA) proposé par Thom (2), structuraliste à ses heures (3).

(1) : Descola considère que sa classification ne concerne que les superstructures (il laisse aux ethnologues le soin de s'occuper des infrastructures ( https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2011-4-page-23.htm ).
(2) Cf. Esquisse d'une sémiophysique.
(3) Pour Jakobson il n'y avait de son temps (années 1960) que quatre structuralistes (outre lui-même) : Saussure, Lévi-Strauss, Troubetskoï et Thom. Ce que Thom reproche aux structuralistes "classiques" c'est leur incapacité (ou leur refus) de considérer les choses du point de vue du continu : "Le grand vice du structuralisme est son caractère discret, qui ne lui permet pas de prendre en compte les variations continues des formes, en particulier leur mouvement.".
 

À propos de la classification de Descola.1

jc

  19/11/2021

J'ai fait une erreur grossière dans le .0 . L'identification intériorité/extériorité (monisme thomien (1) ) conduit en effet à ne considérer que l'analogisme* et le totémisme* puisque, la différence intériorité/extériorité n'existant plus, il ne reste que l'opposition identité/rupture (ressemblance/différence). Donc avec le choix du monisme thomien -mon cas- exeunt l'animalisme* (tant pis?) et le naturalisme* (tant mieux) (2) .

* Pour moi il s'agit ici du sens descolien.

(1) : "C'est sans doute sur le plan philosophique que nos modèles présentent l'apport immédiat le plus intéressant. Ils offrent le premier modèle rigoureusement moniste de l'être vivant, ils dissolvent l'antinomie de l'âme et du corps en une entité géométrique unique." (SSM, 2ème ed., conclusion) ; "(...) le problème classique de l'opposition : « réalisme-idéalisme » ne se pose pas pour nous ; car on se place à un niveau (celui de l'image homomorphe du réel dans l'esprit) où cette distinction s'abolit." .
(2) Je lis dans Wikipédia que pour Lévi-Strauss « le totémisme est une unité artificielle, qui existe seulement dans la pensée de l'ethnologue, et à quoi rien de spécifique ne correspond au dehors ».
 

Projection politique

jc

  19/11/2021

Pour moi les sociétés idéalistes et monothéistes sont plutôt à ranger parmi les sociétés totémistes* alors que je range plutôt les sociétés matérialistes et polythéistes du côté des sociétés analogistes*.

Compte tenu de mes précédents commentaires descoliens le thème de l'immigration qui domine actuellement la pré-campagne présidentielle (thème vigoureusement impulsé par Éric Zemmour) devient celui de l'intégration d'une société totémiste (l'Islam) dans une société laïque qui refuse idéologiquement l'idée d'intériorité, donc une société soit naturaliste* soit analogiste* . Aussi, pour moi très logiquement, EZ prône un retour au statu quo ante de la civilisation judéo-chrétienne également totémiste pour pouvoir s'opposer à l'Islam à armes égales.

L'athée Michel Onfray, athée matérialiste moniste (2) et droit-de-l 'hommiste pense, lui aussi très logiquement de mon point de vue, que notre civilisation est en train d'évoluer catastrophiquement (au sens usuel du terme) vers le transhumanisme. Toujours compte tenu de ce qui précède il me semble logique que MO évolue vers l'option analogiste (3).

En ce qui me concerne il y a longtemps que j'oppose ici le matérialisme mécaniste XIXème à un matérialisme vitaliste (ou un vitalisme matérialiste…) XXIème que je propose avec conviction (4), matérialisme peut-être pas si éloigné que ça du matérialisme aristotélicien (5). Si j'ai compris correctement l'esprit de la classification descolienne je crois qu'on peut ranger sans trop de dommages le matérialisme XIXème parmi les sociétés naturalistes et le matérialisme XXIème parmi les sociétés analogistes.

Je rappelle à ce propos que, dès le début de son pontificat, le pape François a édicté quatre principes dont l'un -"La réalité est supérieure à l'idée"- me semble s'opposer quasi frontalement au plus classique "Et le verbe s'est fait chair" (participant ainsi à justifier de traiter François de pape matérialiste). L'idée de François serait-elle de faire basculer le catholicisme du totémisme à l'analogisme ?


(1) L'usage chrétien (entre autres) d'attribuer le prénom d'un saint du calendrier (Michel, Paul et .... Pascal, Noêl, Toussaint): tradition totémiste ?
(2 Au sens où l'existence implique l'essence (sens différent de celui que donne Thom).
(3) Michel sur le chemin de Chambois tel Paul sur le chemin de Damas?
(4) Thom : "Ce n'est pas faire preuve de vitalisme que de déclarer qu'un être vivant est une structure globale, c'est constater une évidence. Ce qui est inadmissible, en effet, et entaché de métaphysique vitaliste, c'est d'expliquer les phénomènes locaux par la structure globale" ; "(...) on pourrait rapporter tous les phénomènes vitaux à la manifestation d'un être géométrique qu'on appellerait le champ vital (tout comme le champ gravitationnel ou le champ électromagnétique)".
(5) Esquisse d'une sémiophysique est sous-titré "Physique aristotélicienne et théorie des catastrophes".
 

Projection politique.1

jc

  19/11/2021

Je viens d'apprendre que le parti que créerait EZ s'appellerait Vox populi : pour moi une bonne introduction pour ce .1 .

J'ai entendu que EZ se réclame fréquemment de de Gaulle et du gaullisme (1) en je me souviens de ce que de Gaulle disait du peuple :

"La révolution n'a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu'est la bourgeoisie. En réalité il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d'argent, à droite, et la bourgeoisie intellectuelle, à gauche. Mais les deux font la paire, elles s'entendent comme larrons en foire pour se partager le pouvoir, même si c'est contraire aux intérêts de la France. Tandis que le populo ne partage pas du tout ces sentiments, le populo est patriote, le populo a des réflexes sains, ... , le populo sent où est l'intérêt du pays , le populo ne s'y trompe pas souvent." .

EZ s'affichant bonapartiste, je pense qu'il consultera le peuple "à la de Gaulle" : question(s) posée(s) par le chef auquel le peuple acquiesce ou non, avec démission à la clef si la réponse est négative (les référendums sont pour eux des plébiscites et, à mon avis,  il n'est pas, par principe, question pour eux de votation populaire impérative).

(En "bon" thomien je ne peux m'empêcher de faire les analogies soma/peuple et germen/élite. Avec ces analogies je compare la position constatée de de Gaulle et présumée de Zemmour en transposant à la société le dogme central du néo-darwinisme qu'est l'existence d'une barrière (dite de Weismann) qui interdit toute action directe du soma sur le germen (2). Il est pour moi clair que De Gaulle allait chercher son inspiration autre part que dans le peuple (transcendance de l'origine du pouvoir), et je présume que EZ pense de même : pour eux il y possibilité d'action directe de l'élite sur le peuple mais impossibilité d'action directe du peuple sur l'élite (il y a possibilité d'action indirecte: destitution du chef par référendum). Tel est pour moi l'esprit de la Vème (mais pas de la lettre, qui permet (?) aux présidents de se passer des référendums (3)).)

Le "vox populi" zemmourien appelle un vox dei. Pour moi l'esprit de la Vème c'est plutôt l'inverse, à savoir "Vox dei, vox populi", c'est plus l'aristo-populisme jacobin patriotique que la démo-aristocratie girondine matriotique (4).

La citation de Machiavel qui suit est, une fois n'est pas coutume, machiavélienne et non machiavélique:

 « Ce n’est pas sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse, qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les biens et les maux.».

Cette citation laisse entrevoir une autre possibilité d'organisation sociale qui serait analogiste -au sens de Descola-, où le peuple contiendrait en lui-même son propre principe (immanence de l'origine du pouvoir), ce qui lui permettrait de sécréter lui-même sa propre aristocratie (démo-aristocratie). en procédant de bas en haut par analogie depuis le local (la famille -l'atome social pour Auguste Comte- et le village, la commune…) jusqu'au global (La France, l'Europe, le monde) selon le principe de la subsidiarité ascendante (girondisme tel que je le conçois) (5). L'œuvre de Thom va, selon moi, dans ce sens puisque pour lui d'une part sa théorie des catastrophes est en quelque sorte immanente (6) et d'autre part :

"En ce qui me concerne, je préfère croire à un réel – non globalement accessible parce que de structure stratifiée – dont l'herméneutique de la théorie des catastrophes permettrait de dévoiler progressivement les « fibres » et les « strates ». Mais tout progrès dans la détermination d'une telle ontologie stratifiée en « couches » d'être exigera : i) L'emploi de mathématiques pures spécifiques – parfois bien difficiles – dans les théories jusqu'ici purement conceptuelles des sciences de la signification ; ii) La reprise d'une réflexion philosophique sur la nature de l'être que les divers positivismes et pragmatismes ont depuis bien longtemps occultée."

La liberté me semble a priori potentiellement plus grande dans une organisation sociale de type analogiste où tout diffère que dans une organisation de type totémiste où tout se ressemble (7).

J'ai écrit précédemment que je verrais bien évoluer Michel Onfray vers l'analogisme. Je me demande si ce n'est pas quelque chose comme ça que cherche Alain de Benoist, présenté sur Wikipédia comme l'un des leaders de la nouvelle droite, dont j'apprends -toujours sur Wikipédia- qu' "il apporte son suffrage à Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l'élection présidentielle française de 2017, en raison de son virage « populiste » lors de la campagne présidentielle".


(1) J'ai également entendu dire que si EZ se déclare candidat alors sa déclaration de candidature sera faite à Colombey.
(2) Darwin acceptait ce genre typiquement lamarckien d'action (cf. sa théorie des gemmules).
(3) De l'interprétation de la conjonction "et" dans l'article 2 : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum".
(4) Chateaubriand : "La France est ma patrie et la Bretagne est ma matrie" (et peut-être du Bellay aurait-il pu écrire "Le monde est ma patrie et mon petit Liré est ma matrie). Pour tenter de rester dans le cadre de l'article, j'ai appris à ce propos que Jean-François gautier était farouchement charentais.
(5) À la suite d'une votation les suisses ont récemment  introduit dans leur constitution le principe de subsidiarité -mais sans préciser s'il s'agit de subsidiarité ascendante ou descendante-.
(6) "Le monde de l'analogie est un monde qui porte son ontologie en quelque sorte avec soi".
(7) Dans "nos" grandes religions monothéistes le rôle de la femme est parfois pratiquement totalement occulté (y a-t-il un autre choix possible dans les sociétés totémistes que celui d'occulter le rôle soit de l'homme soit de la femme?).
 

Projection politique.2

jc

  22/11/2021

Le problème fondamental de l'analogisme -au sens de Descola- est d'établir des liens assurant la cohésion entre les atomes sociaux (les individus ou les familles) et c'est, je crois, l'un des principaux obstacles avancés par les jacobins (depuis Philippe le Bel) pour refuser une organisation sociale girondine selon le principe de la subsidiarité ascendante. Dans le .1 j'ai souhaité que Michel Onfray et Alain de Benoist s'intéressent à l'analogisme (1).

Dans le tome II de "La Grâce…" PhG cite un certain Daniel Vouga à propos de Maistre et Baudelaire: "Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l’Unité perdue…", citation qui est pour moi un indice de la façon qu'a PhG de voir les choses.

Une raison pour lui aussi de s'intéresser à l'analogisme descolien et à l'œuvre de Thom? Car pour espérer retrouver l'Unité perdue il est bon d'avoir une idée de la façon dont elle a été perdue. Thom donne -selon moi- de précieuses indications à ce sujet dans la citation suivante (que je fais ici souvent) (ES, p.216) :

""L'image de l'arbre de Porphyre me suggère une échappée en "Métaphysique extrême" que le lecteur me pardonnera peut-être. Il ressort de tous les exemples considérés dans ce livre qu'aux étages inférieurs, proches des individus, le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience. En revanche, lorsqu'on veut atteindre les étages supérieurs, on est conduit à la notion d' "hypergenre", dont on a vu qu'elle n'était guère susceptible d'une définition opératoire (hormis les considérations tirées de la régulation biologique). Plus haut on aboutit, au voisinage du sommet, à l'Être en soi. Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal alpha (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur. Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer."

"Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"."


(1) : "Cette forme d'ontologie est « très commune » sur la face du monde. «." (https://wiki.p2pfoundation.net/Matrices_Ontologiques_-_Philippe_Descola)

Le transhumanisme et son concurrent

jc

  24/11/2021

Pour moi ce qui caractérise l'état actuel de notre civilisation occidentale c'est la disparition progressive de l'intériorité, ce qui aboutit au matérialisme XIXème et au transhumanisme XXIème. J'ai tendance à situer le début de cette disparition à la coupure galiléenne, mais auparavant il y a eu la lente disparition de l'essentialisme au profit du nominalisme. ainsi que celle de l'intériorité dans l'art (τέχνη en grec ancien) devenu technique (et dans l'artisan devenu technicien) (1).

La disparition des intériorités dans le monde actuel plonge celui-ci dans une sorte de coma. Il est pour moi essentiel et urgent de faire réapparaître l'âme, de réanimer les matérialistes, en particulier les scientifiques. Mais, prévient Thom, réanimer le matérialisme mécaniste du XIXème pour un matérialisme vitaliste du XXIème ne sera pas une mince affaire :

"La synthèse ici entrevue des pensées « vitalistes » et « mécaniste » en Biologie n'ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions du monde inanimé. ("Une théorie dynamique de la morphogenèse", conclusion, MMM).

Ce n'est pas autre chose que veut dire Thom lorsqu'il écrit que "la science doit réapprendre à penser" car pour lui penser c'est relier l'intérieur et l'extérieur :

"L'homme en éveil ne peut, comme le nourrisson de neuf mois, passer son existence à saisir les objets pour les mettre en bouche. Il a mieux à faire: aussi va-t-il penser, c'est-à-dire saisir des êtres intermédiaires entre les objets extérieurs et les formes génétiques: les concepts" (2).

Inversement il souhaite que ceux qui ont tendance à trop intérioriser se tournent vers l'extérieur :

"Les Philosophes ont abandonné aux savants la Phusis et se sont repliés dans la forteresse de la subjectivité. Il leur faut réapprendre la leçon des Présocratiques, rouvrir les yeux grands sur le monde, et ne pas se laisser impressionner par l'expertise souvent dérisoire d'insignifiance de l'expérimentateur.".

Il y a pour moi deux grandes catégories de penseurs, ceux qui pensent d'abord le monde depuis l'extérieur et ceux qui, à l'inverse, le pensent d'abord depuis l'intérieur. Pour moi Thom le pense plutôt d'abord depuis l'intérieur :

"(...) en écrivant ces pages j'ai acquis une conviction; au cœur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de toutes les forces extérieures agissent, ou en attente, sont prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire. La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur: qui connaît l'Homme connaîtra l'univers. " (SSM, épilogue) ,

"(...) notre modèle offre d'intéressantes perspectives sur le psychisme, et sur le mécanisme lui-même de la connaissance. En effet, de notre point de vue, notre vie psychique n'est rien d'autre qu'une suite de catastrophes entre attracteurs de la dynamique constituée des activités stationnaires de nos neurones. La dynamique intrinsèque de notre pensée n'est donc pas fondamentalement différente de la dynamique agissant sur le monde extérieur. On s'expliquera ainsi que des structures simulatrices des forces extérieures puissent par couplage se constituer à l'intérieur même de notre esprit, ce qui est précisément le fait de la connaissance.".


Nous arrivons à un point de bifurcation. Première option: continuer dans la voie du mécanisme et du transhumanisme, celle choisie par l'élite-Système. Deuxième option : choisir la voie du vitalisme, voie concurrente de la précédente.

Mais de même que la mort fait partie de la vie, de même pour Thom, je crois, le mécanisme fait partie intégrante du vitalisme géométrique qu'il a en vue et est destiné à être absorbé par lui comme un cas marginal:

"L'hypothèse réductionniste devra peut-être un jour être retournée : ce sont les phénomènes vitaux qui pourront nous expliquer certaines énigmes de la structure de la matière ou de l'énergie. Après tout, n'oublions pas que le principe de la conservation de l'énergie a été exprimé pour la première fois par von Mayer, un médecin…".




(1) Cf. "Des cathédrales à la tour de Doubaï" ( https://www.dedefensa.org/article/dialogues-3-le-grain-de-sable-divin )
(2) Cette citation indique que Thom est conceptualiste, entre nominalisme et essentialisme (et pour une continuité entre les deux pôles "ante rem" et "post rem", avec cependant, à mon avis, un penchant pour l'essentialisme).

 

Projection politique.3

jc

  24/11/2021

Dans le .2 j'écrivais (de quoi je me mêle!):

"Dans le tome II de "La Grâce…" PhG cite un certain Daniel Vouga à propos de Maistre et Baudelaire: "Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l’Unité perdue…", citation qui est pour moi un indice de la façon qu'a PhG de voir les choses. Une raison pour lui aussi de s'intéresser à l'analogisme descolien et à l'œuvre de Thom? Car pour espérer retrouver l'Unité perdue il est bon d'avoir une idée de la façon dont elle a été perdue.".

Pour moi PhG a une idée très précise -car quotidienne- de la façon dont se perd l'unité. Il l'écrit dans le tome III de "La Grâce…" :

« Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une citation à placer en tête, la chose inspiratrice qui ouvre la voie et là-dessus se déroule le texte, à son rythme, entièrement structuré, avec sa signification déjà en forme et en place. Je n’ai rien vu venir et j’ignore où je vais, mais j’ai toujours écrit d’une main ferme et sans hésiter… et toujours, à l’arrivée, il y avait un sens, une forte signification, le texte était devenu être en soi… C’était un instant de bonheur fou. ».

Le mot, la phrase, la citation à placer en tête représente pour moi l'unité, le centre organisateur, l'être en soi en puissance dont parle Thom dans sa citation concernant l'arbre de Porphyre, alors que l'être en soi dont parle PhG est l'être en soi déployé, en acte.

Quel rapport avec la biologie? Dans son œuvre philosophique Thom s'intéresse principalement à la biologie, à la linguistique et tout naturellement, puisque sa théorie des catastrophes est une théorie de l'analogie, aux relations entre les deux :

"(...) l'homme est pourvu d'un dispositif universel qui, sur un champ de dynamique neuronique, peut en reconstituer le centre organisateur. Véritable gonade mentale, ce dispositif condense les champs en mots, vraies semences d'idées ; placé dans un contexte approprié, le mot germe et éclate dans l'esprit de l'auditeur, et la forme globale ainsi reproduite est l'idée. Ainsi, la pensée conceptuelle est une Embryologie permanente.";

"La signification d'un mot peut être considérée comme un oscillateur (...) de la dynamique neuronique. Un tel système [régulé] forme une sorte de passage obligé entre deux types d'activités psychiques : l'activité sensorielle ou affective, d'une part, qui nous pousse à dire quelque chose, et l'activité motrice d'autre part : car tout mot est finalement, au stade de l'émission, un champ moteur musculaire (une chréode au sens de Waddington), affectant les muscles du thorax, de la glotte, des cordes vocales, de la bouche…. L'aspect « entrée » peut être considéré comme une embryologie de la forme sémantique ; une fois que celle-ci est constituée dans sa plénitude, elle atteint le stade de la « maturité sexuelle » : dans une zone spéciale de la figure de régulation, l'analogue de la gonade des êtres vivants, elle engendre une forme qui, par simplification progressive, retourne au centre organisateur de la structure, comme chez les gamètes des êtres vivants. L'énergie apportée par l'évanouissement de cet oscillateur local sert alors à déclencher le champ moteur musculaire. Ces deux processus constitution et destruction de la forme sémantique peuvent être considérés — en première approximation — comme inverses l'un de l'autre. Après émission du mot, la forme sémantique devient instable et se désagrège rapidement (peut-être subsiste-t-elle quelque temps dans la mémoire immédiate comme un souvenir stérile à l'instar d'un individu âgé devenu incapable de procréer).".

Si les vues de Thom sont correctes, dégenrer le genre des mots (1), ce que tentent de faire actuellement les déconstructeurs, est peut-être (très probablement pour moi) contre nature, car "l'activité sensorielle et affective qui nous pousse à dire quelque chose" nous pousse à mon avis à inconsciemment genrer certains mots, ce genre étant commun à toutes les langues parlées par les humains (2).

(1) Je pense au "iel".
(2) Je suppose, je ne suis pas linguiste.

Le transhumanisme et son concurrent.1

jc

  25/11/2021

Dans le .0 j'ai cité "Le grain de sable divin". En le reparcourant j'y retrouve le passage suivant dans le paragraphe intitulé "Des cathédrales à la bataille de Verdun" :

"L’état-major français voulait décrocher devant la violence inouïe (artillerie) de l’attaque allemande du 21 février 1916; les chefs en place à Verdun (général Langles de Cary) préparaient déjà le retrait de la rive Est de la Meuse, d’ailleurs selon une tactique très raisonnable du point de vue militaire classique. Mais le soldat français a refusé en tenant, en s’accrochant, en se sacrifiant, mu par un instinct auquel il serait bon que l’on prêtât des vertus mystiques. C’est lui, le poilu, qui a imposé Verdun tel que Verdun fut. Il faut la visite d’inspection en urgence de Castelnau, adjoint de Joffre, les 24-25 février (tiens, Castelnau, surnommé “le capucin botté”, catholique fervent, pourtant général favori du franc-maçon Briand contre Joffre, – il faut être en France pour voir cela); et Castelnau, devant l’évidence et avec une certaine prescience de l’essence de la chose, décide qu’on résistera, c’est-à-dire qu’on fera comme veut le poilu.".

Deux commentaires.

1. Bel exemple, selon moi, d'action du soma/peuple sur le germen/élite. En totale contradiction avec le dogme central du néo-darwinisme (existence de la barrière dite de Weismann).

Thom : "La reconstitution de la dynamique germinale n'a lieu en principe que dans les cellules de la lignée germinale ; (...) Ce mécanisme est a priori si complexe, qu'on ne pourra que s'étonner – dans un futur pas tellement lointain – de l'étonnant dogmatisme avec lequel on a repoussé toute possibilité d'action du soma sur le germen – tout mécanisme « lamarckien ». " (ES)

2 Thom : "(...) la vie collective impose souvent — et seuls sont exclus les individus de la lignée germinale — une déformation de la figure de régulation de l'individu. Cette déformation, en stabilisant un col de la crête, donc en l'abaissant, diminue la stabilité individuelle de l'élément. De fait, dans un organisme biologique, certaines cellules peuvent même recevoir un ordre de suicide pour assurer la régulation spatiale ou physiologique de l'organisme entier (cellules de l'épiderme, hématies). Dans les sociétés humaines, cette déformation de la figure de régulation de l'individu porte le nom de morale ; ainsi qu'il est bien connu, l'égoïsme d'une société se fonde sur l'altruisme des individus qui la composent.".

Le transhumaniste et son concurrent.2

jc

  26/11/2021

|Le changement de transhumanisme en transhumaniste n'est pas une erreur]

En continuant la relecture de "Le grain de sable divin" je tombe sur le paragraphe suivant, intitulé "Hypothèse du “système anthropomystique” ", où PhG oppose sa façon anthropomystique de voir les choses à la façon anthropotechnique que JPB (1) a de les voir. Il est intéressant, selon moi, de lire la réponse de JPB (2) et de mesurer l'abîme qui sépare les mondes vus par le transhumaniste JPB et son concurrent PhG, abîme qui est selon moi en rapport avec celui -peut-être un peu moins abyssal- qui sépare le matérialisme mécanique XIXème dans lequel évolue JPB de la position de Thom proche, selon moi, d'un matérialisme vitaliste. Car ce qui distingue, toujours selon moi, les points de vue de Thom et de PhG, c'est que PhG est un logocrate alors que Thom est d'abord un topocrate (3), PhG étant exclusivement pour "Et le Verbe s'est fait Chair", alors que Thom accepte aussi l'inverse ("Et la Chair s'est faite Verbe"), PhG n'acceptant que de descendre l'arbre de Porphyre alors que Thom accepte également de le remonter. La citation suivante indique que pour Thom la mystique est du côté du topos :

"(...) il y a une certaine opposition entre géométrie et algèbre. Le matériau fondamental de la géométrie, de la topologie, c'est le continu géométrique; étendue pure, instructurée, c'est une notion « mystique » par excellence. L'algèbre, au contraire, témoigne d'une attitude opératoire fondamentalement « diaïrétique ». Les topologues sont les enfants de la nuit ; les algébristes, eux, manient le couteau de la rigueur dans une parfaite clarté."

Le rapport entre les âmes de Verdun et la dernière citation thomienne du .1 est, pour moi, le point de contact le plus profond -et de loin- entre les visions du monde qu'ont Thom et PhG. Je ne suis pas opposé à qualifier le système de pensée dans lequel évolue Thom d'anthropotechnique, à condition de redonner à la technique moderne le supplément d'âme (qu'elle a perdu aux alentours de la coupure galiléenne) en revenant à son sens ancien d'art., et à la Physique son sens ancien de Phusis.

Thom : "Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés. L'usage de vocables anthropomorphes en Physique se trouve ainsi foncièrement justifié." (SSM, conclusion, cité de mémoire) (4)

(1) Je rappelle qu'il y a  une dizaine d'année eu lieu sur ce site une série d'une trentaine d'échanges entre Philippe Grasset et Jean-Paul Baquiast (JPB), énarque à propos duquel on lit (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_Baquiast): "Jean-Paul Baquiast a consacré sa carrière de haut fonctionnaire aux technologies de l'information et de la communication dont il a été l'un des pionniers au sein de l'administration française.".
(2) https://www.dedefensa.org/article/dialogues-4-lindividu-dans-lhistoire
(3) Pour moi "Apologie du logos" est plutôt une apologie du topos.
(4) Il est clair pour moi que dans cette citation Physique doit être pris non seulement au sens moderne mais surtout au sens ancien (phusis).

Le transhumanisme et son concurrent.2.1

jc

  27/11/2021

Dans le .2 j'écrivais : "Car ce qui distingue, toujours selon moi, les points de vue de Thom et de PhG, c'est que PhG est un logocrate alors que Thom est d'abord un topocrate, PhG étant exclusivement pour "Et le Verbe s'est fait Chair", alors que Thom accepte aussi l'inverse ("Et la Chair s'est faite Verbe"), PhG n'acceptant que de descendre l'arbre de Porphyre alors que Thom accepte également de le remonter.". Je précise un peu.

Je vois l'arbre de Porphyre comme un toboggan que PhG emprunte (tous les jours?) avec plaisir ("Il suffit d'un mot ... C'était un moment de bonheur fou"), la différence avec Thom étant que ce dernier a une théorie (1) sur la façon de descendre le toboggan et, par suite, a des idées sur la façon de le remonter (par une échelle que j'apparente à l'échelle de Jacob, dont les sept premiers barreaux sont les sept catastrophes élémentaires (1)). Il m'apparaît de plus en plus clair que, pour Thom, l'évolution se déroule conformément à un plan (2)-"sauf accident, συμβεβηκός dirait Aristote", rappelle Thom-, vision qui, actuellement, n'est pas vraiment courant principal (3)(4) !

(1) Le chapitre où Thom propose un modèle d'apparition des organes sexuels utilisant la catastrophe "champignon" (alias ombilic parabolique) est épigraphé "Et le verbe s'est fait chair".
(2) Thom : "Expliquons-le [le mécanisme formel qui, à mes yeux commande toute morphogenèse] de manière assez élémentaire, par l'analogie suivante avec le développement d'un embryon d'une part, et une série de Taylor à coefficients indéterminés d'autre part" (SSM, p.32).
(3) Jean-Paul Baquiast : "Je voudrais d'abord revenir sur le darwinisme et plus précisément sur l'évolution darwinienne. Selon moi et je pense pour la plupart des darwinistes, il n'est pas possible d'imaginer que cette évolution soit orientée dans le sens d'une finalité quelconque, accomplissement de la vie, de l'humain, de l'esprit, voire pour les mystique montée vers la panspiritualité de Teilhard de Chardin." (Préalable sur le darwinisme, https://www.dedefensa.org/article/dialogues-4-de-lindividu-dans-lhistoire )
(4) JPB: "Il est toujours possible a postériori de décrire la succession des formes et les succès ou impasses auxquelles celles-ci ont donné lieu, mais ce travail est fait par un observateur qui projette sur le monde ses propres grilles mentales d'analyse, lesquelles ont été construites dans son cerveau par les types de contraintes évolutives que ce cerveau lui-même a précédemment subi.". Thom : "Un des problèmes centraux posés à l'esprit humain est le problème de la succession des formes." (l'une des premières phrases de SSM, et Thom va s'attacher à montrer que les formes se succèdent dans un certain ordre -et va appliquer ce postulat général pour produire des modèles mathématiques de l'embryogenèse).

Le transhumanisme et son concurrent.2.2

jc

  27/11/2021

Pour moi le point de contact le plus serré entre les scientifiques mécanistes et les vitalistes est mis en évidence par le prigoginien François Roddier, comme on peut le voir dans son article " " (1) où apparaissent côte à côte la falaise de Sénèque, d'origine thermodynamique et quantitative, et la fronce thomienne d'origine mathématique et qualitative pour modéliser les mêmes cycles évolutifs (2). À la suite de Thom je crois qu'à ce niveau "le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience", et que ce n'est pas loin d'être le point de vue le plus ultime qu'un positiviste darwinien (comme JPB?) puisse accepter, laissant ainsi entrevoir l'abîme qui sépare Thom de Prigogine (3).

Je me suis mis récemment à m'intéresser à ce qu'écrit Alain de Benoist parce que je suis intrigué par les motivations profondes qui ont amené l'un des chefs de la nouvelle droite à s'intéresser à Mélenchon. Dans "La place de l'homme dans la nature" il commence par mettre Prigogine et Thom dans le même sac (p.145), pour juste ensuite prendre une position plus vitaliste/biologique/concurrence/thomienne que mécaniste/biochimique/transhumaniste/prigoginienne : "c'est en tant qu'il est porteur d'une nature biologique porteuse de propriétés émergentes qui lui sont propres que l'homme est devenu proprement humain". Thom précise dans SSM ce qui, selon lui, différencie l'humain des autres Vertébrés supérieurs :

"Ici se pose le problème de savoir comment la cervelle humaine, anatomiquement et physiologiquement si peu différente de la cervelle des Vertébrés supérieurs, a pu réaliser cette architecture compliquée, cette hiérarchie de champs dont les animaux paraissent incapables. Je crois, personnellement, que tout tient en une discontinuité de caractère topologique dans la cinétique des activités neuroniques ; dans le cerveau humain s'est réalisé un dispositif simulateur des singularités auto-reproductrices de l'épigenèse qui permet, en présence d'une catastrophe d’espace interne Y et de déploiement U, de renvoyer le déploiement U dans l'espace interne Y, réalisant ainsi la confusion des variables internes et externes. Un tel dispositif n'exige pas de modification considérable des supports anatomiques et physiologiques.". Je pense que Mélenchon aurait beaucoup de mal à franchir le fossé conceptuel qui sépare Prigogine et Thom. Quid de AdB ?


(1) https://www.dedefensa.org/article/vers-un-effondrement-de-civilisation
(2) Thom : "Malgré son caractère non quantitatif, qui a suscité la dérision des scientifiques professionnels, il [le modèle "fronce" de l'agressivité du chien de Christopher Zeeman] a l'avantage inestimable de montrer ce qui fait la supériorité d'un modèle géométrique sur une construction conceptuelle. Expliquer linguistiquement  son contenu oblige à des paraphrases compliquées dont la cohérence sémantique n'est pas évidente." (AL, Envoi)
(3) Thom : "La Physique actuelle a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité. Je veux croire qu'elle n'aura pas à se repentir de ce choix."
 

Le transhumanisme et son concurrent.2.3

jc

  06/12/2021

PhG : "C’est une sorte de réflexion de fantasme qui répondrait à la fameuse formule des scientifiques matérialistes du hasard et de la nécessité (« Le Hasard et la Nécessité », fameux best-seller du professeur Monod en 1970, ne tenant guère de compte de l’aspect transcendant de la logique du ‘Big Bang’). Ce désordre est l’indice effrayant de l’inéluctable de la logique du désordre qu’on n’arrive plus à se priver de détailler.", citation reprise en ironique écho dans l'article suivant (Covid, le 'great revelator'): "on sait, depuis le ‘Big Bang’, que le hasard fait bien les choses". (https://www.dedefensa.org/article/covid-le-great-revelator)

Selon moi l'un des drames de l'actuel "scientifiquement et politiquement correct" est de lier hasard et liberté en mettant hasard et nécessité dans le même rapport que liberté et déterminisme. Wikipédia termine son long compte rendu du livre de Monod par les deux citations suivantes :

1. « Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux de l'évolution, cette notion centrale de la biologie moderne n'est plus aujourd'hui une hypothèse, parmi d'autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d'observation et d'expérience. » ;

2.  « L'ancienne alliance est rompue ; l'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. ».

On ne peut, selon moi, guère être plus clair quant à la voie dans laquelle le Système s'est empressé de s'engouffrer tant il sert ses intérêts car c'est alors à l'élite Système "de choisir entre le Royaume et les ténèbres". Et, très nettement pour moi, cette élite a choisi les ténèbres (hasard rime avec brouillard) avec la voie du transhumanisme.

Je note que "Le hasard et la nécessité" est sous-titré "Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne", ce qui me renvoie à la citation de PhG : "(...) l’“image” officielle de Newton n’a changé en rien [après la découverte de son œuvre alchimiste] ; l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière.". J'abonde dans le sens de PhG quand je vois le soin apporté par Wikipédia au commentaire de "Le hasard et la nécessité" et l'absence totale de commentaire de "Stabilité structurelle et morphogenèse" qui porte pourtant essentiellement sur le même sujet (la biologie) (1) et qui aurait donc pu, lui aussi, être sous-titré "Essai sur la philosophie naturelle de la biologie".

Il y a eu au début des années 1980 une importante querelle à propos du déterminisme entre Thom et Prigogine (2). l'actuel scientifiquement correct étant du côté du "hasardeux" Prigogine (3), Thom étant bien entendu beaucoup plus déterministe mais en restant néanmoins assez "libéral", très certainement -selon moi- parce que le principe même de stabilité structurelle l'exige (4).

Les non-scientifiques, en particulier les philosophes, argueront peut-être qu'il ne s'agit que d'une querelle interne à l'épistémologie ou à la philosophie des sciences. Ce n'est pas la position de Thom qui se pose en philosophe de la nature non démarcationniste : 1. "Le « philosophe de la nature » que j'envisage aura un point de vue résolument anti-démarcationniste." ; 2. "Finalement, le problème de la démarcation entre scientifique et non scientifique n'est plus guère aujourd'hui qu'une relique du passé ; on ne le trouve plus guère cité que chez quelques épistémologues attardés – et quelques scientifiques particulièrement naïfs ou obtus.".

La voie proposée par Thom est-elle le concurrent des ténèbres dont parle Monod? Je n'en sais évidemment rien. Mais je suis assuré de ceci : si on veut répondre à cette question il est nécessaire d'avoir une idée de son œuvre, et donc d'en faire un minimum de publicité dans les encyclopédies.


(1) Il est question de langage dans le dernier chapitre.

(2) Krzysztof Pomian, Stefan Amsterdamski , David Ruelle , Edgar Morin, Ivar Ekeland, René Thom, Jean Petitot , Jean Largeault , Antoine Danchin , Henri Atlan , Ilya Prigogine , Isabelle Stengers.

(3 "En 1979, Prigogine a fait paraître, avec I. Stengers, La Nouvelle Alliance, réflexion philosophico-scientifique appelant à une reconsidération du "dogme" de la science classique, déterministe, mécaniste. L’argumentaire développé est fortement inspiré par les nouvelles théories sur la stochasticité et la Mécanique statistique. Sur ces exemples, Prigogine et Stengers concluent à un "nécessaire" abandon du déterminisme, à la prise en compte de l’irréversibilité et du temps dans la théorie physique, à une pensée "complexe". A l’opposé de ces convictions, le mathématicien R. Thom réagit en publiant un article "Halte au hasard, silence au bruit" défendant très vigoureusement le déterminisme et condamnant les positions non déterministes comme "anti-scientifiques". Le sujet est sensible et montre que le déterminisme est un themata bien ancré, et très tranché, dans les épistémologies scientifiques.

(4) Le matheux médaillé Fields Alain Connes, fin connaisseur -et promoteur- de la physique quantique est beaucoup plus déterministe que Thom (malgré le principe d'incertitude d'Heisenberg…).

Le transhumaniste et son concurrent.2.4

jc

  08/12/2021

Je ne peux m'empêcher de mettre en regard la position de Monod (et de nombre de biologistes) et celle de Thom, extraite de la conclusion de "Une théorie dynamique de la morphogenèse" (1) :

"La Biologie actuelle fait de la sélection actuelle le principe exclusif -le deus ex machina- de toute explication biologique; son seul tort, en l'espèce, est de traiter l'individu (ou l'espèce) comme une entité fonctionnelle irréductible : en réalité la stabilité de l'individu, ou de l'espèce, repose elle-même sur une compétition entre "champs" de caractère plus élémentaire, dont la lutte engendre la configuration géométrique structurellement stable qui assure la régulation, l'homéostasie du métabolisme et la stabilité de la reproduction. C'est en analysant ces structures sous-jacentes plus profondément cachées, qu'on parviendra à une meilleure compréhension des mécanismes qui déterminent la morphogenèse de l'individu et l'évolution de l'espèce. La "lutte" a lieu, non seulement entre individus et espèces, mais aussi à chaque instant, en tout point de l'organisme individuel. Rappelons ce qu'a dit Héraclite : "Il faut savoir que le conflit est universel, que la justice est une lutte, et que toutes choses s'engendrent par la lutte et par la nécessité".

(1) Article de MMM extrait de "Towards a theorical biology" ,Univ. of Edimburg press, C.H. Waddington editor (1967). L'article est suivi d'une correspondance entre Thom et Waddington (qui préfacera les deux éditions de SSM). On notera que dans l'article "Morphogenèse" de Wikipédia c'est la filiation d'Arcy Thompson/Waddington/Turing qui est retenue, la filiation d'Arcy Thompson/Waddington/Thom -selon moi historiquement plus naturelle, Thom ayant généralisé le concept waddingtonien de chréode-n'étant pas évoquée (SSM est -quand même!- cité en bibliographie) ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphogen%C3%A8se#Histoire )