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Article : Le mur de Berlin et la grande fissure

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L'Apocalypse et le rien-tout

Alex Kara

  15/11/2019

Merci beaucoup pour cette synthèse très profonde.
La monnaie, à sa création , servait à parvenir à une parité dans le troc de marchandises. C'est fondamentalement une chose dont on va admettre qu'elle a une valeur car ça arrange tout le monde. Aujourd'hui, la monnaie se présente sous forme de papier, et tout le monde admet sa valeur, alors que ce n'est que de la fiction "nécessaire". Les élites qui se basent sur l'argent se basent littéralement sur rien.

C'est pourquoi il leur faut tout. D'un côté, disons le côté le plus intellectuel, il leur faut tout contrôler pour donner une valeur à leur rien-monnaie, qui dès lors est le seul passage obligé vers les biens et les services. De l'autre côté, le plus instinctif disons, il leur faut tout contrôler car ils n'ont aucune substance sous la main. Non seulement leur richesse est conditionnelle (elle dépend du bon vouloir de leurs domestiques / gardes du corps qui pour l'instant sont encore humains) mais elle est insuffisante. On ne peut obtenir du courage ou de la vitalité de cet argent, et c'est pourquoi sur le plan de l'expérience de la vie n'importe quel habitant de la favela est plus riche.

Ce qui est génial, c'est qu'avec les taux d'intérêts, le rien-monnaie se crée lui-même par parthénogenèse. Ce qui lui est insupportable, c'est la valeur d'usage des objets, qui elle se reproduit encore de manière affreusement réac, du style croître durant la belle saison avec de l'eau et la lumière du soleil. Ou bien aussi la confiance en la parole donnée, qui se construit au fil des années par l'expérience humaine, et non par la réclame.

Ce qui n'a de réelle valeur c'est ce dont on a besoin (de la nourriture, de la chaleur, du repos). Toute la valeur crée par l'art du marchand (jalousie, envie, cupidité) ne vaut rien, nous le savons bien en redécouvrant dans nos tiroirs les objets abandonnés que nous avions jadis ardemment convoités.

Ce qui est salutaire, c'est que dans cette course à la maîtrise de toute chose, ceux qui sont dépourvus, (c'est-à-dire tout le monde maintenant), apprend à se passer du rien-monnaie et reviennent à des choses fondamentalement humaines comme la parole donnée ou l'entraide. C'est la base des systèmes moraux qui renaissent (que l'on a toujours voulu contingenter dans des religions dirigées par une élite) tandis que les élites s'approchent de leur but : le rien qui s'empare de tout.

L'apocalypse, au sens de révélation, est, pour un côté la réalisation de la part infime de la matière dans une vie humaine (essentiellement, la nourriture) et de l'autre côté, le rien-tout (Lucifer) qui parle de tout pour y mettre une valeur (un interdit ou une convoitise), c'est le discours qui détruit son sujet aussitôt lorsqu'il est prononcé.

Car finalement, la marque de la Bête par lequel tout s'échange juste avant l'Apocalypse, ce n'est pas un nombre, c'est le discours-pipo qui prétend dicter la valeur de chaque chose et de chaque action. Greta Thunberg, en donnant une valeur morale aux ressources et aux comportements, met une étiquette de prix/ un code-barre dessus.

Le Malin c'est aujourd'hui la télévision & les médias des élites auxquels personne ne croit plus, et qui doit recourir à la coercition et à la menace du délit d'opinion pour maintenir son assise, se décrédibilisant ainsi encore davantage.

Fissures dans le langage

jc

  16/11/2019

George Steiner (via PhG) :

- “[Maistre] fit valoir la congruence essentielle existant entre l’état du langage, d’un côté, la santé et les fortunes du corps politique de l’autre. En particulier, il découvrit une corrélation exacte entre la décomposition nationale ou individuelle et l’affaiblissement ou l’obscurcissement du langage : ‘En effet, toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage’… ”

En parcourant l'item "Désinence" de Wikipédia, je suis tombé sur le paragraphe "Désinence et synthétisme vs. analytisme", par lequel on peut entrevoire l'état de décomposition¹ du langage des langues indo-européennes. Sans surprise pour moi ce sont les anglo-saxons qui sont à l'honneur²:

"En examinant les langues indo-européennes, par exemple, on voit que dans leur état actuel, la déclinaison s’est conservée à des degrés très différents. La plupart des langues slaves (russe, serbe, etc.), par exemple, ont une déclinaison relativement riche. Parmi les langues germaniques, en allemand la déclinaison est plus développée qu’en anglais, qui l’a presque complètement perdue par rapport au vieil anglais. "

Les exemples modernes de cette fissuration du langage sont nombreux; ainsi l'écriture cursive³ et attachée (continue) qui fait progressivement place à l'écriture script (discrétisée), ainsi la toute récente manie -pour moi grotesque- qui consiste à détacher l'article du nom en le prononçant (manie sans doute héritée de l'usage des prompteurs), bref tout ce qui fissure la subtile association signifiant/signifié (association qui m'apparaît fort dégradée dans la glose-simulacre des "communicants-Système").


¹: Analytique renvoie à analyse et donc à lyse qui "est un radical provenant du mot grec ancien luô signifiant « délier », « détacher ». Il se retrouve comme suffixe de mots tels qu'analyse, catalyse, dialyse, électrolyse, pyrolyse, autolyse…" (Wikipédia)

²: En rapport avec la philosophie analytique?: "La philosophie de type analytique est pratiquée majoritairement dans le monde anglophone et quelques autres pays ; elle est assez peu présente en France et en Europe en général. " (Wikipédia)

³: Thom: "Une lettre est un animal stylisé."

 

Il est venu le temps non pas des cathédrales ...

patrice sanchez

  17/11/2019

mais de la construction de monuments spirituels dédiés à la libre pensée avec des principes zoroastriens , ces seuls proncipes où bien et mal sont intimement mélés et intriqués qui permettraient aux hommes de bonne volonté de redécouvrir leurs âmes soeur  éternelle comme Nietzsche, grâce à son ascèce de la liberté, nous en apporte le lumineux témoignage dans son Zarathoustra que les commentateurs philosophiques ont été infoutus de décrypter obnubilés et aveuglés qu'ils sont par ce système matérialidste mortifère ! 
« N'es-tu cette lumière que réclame mon feu ?
N'es-tu pour mon discernement cette âme qui est une soeur ?
Ensemble nous avons tout appris ; ensemble nous apprîmes, plus haut que nous mêmes, à nous élever jusqu'à nous-mêmes, et à sourire sereinement.– à sourire sereinement là-haut, sourire des yeux clairs et des immenses lointains lorsqu'au dessous de nous exhalent leur pluvieuse vapeur contrainte et but et faute.
Et je cheminais seul ; de qui avait elle faim, mon âme, sur des sentiers de nuits et d'égarement ?
Et lorsque je gravis des montagnes, qui cherchais-je jamais si ce n'est toi, sur les montagnes ?
Et tout mon cheminement et toutes mes escalades, rien que nécessité et expédient d'inexpert ; – voler, c'est cela seul que veut mon entier vouloir, jusqu'au dedans de toi, voler !
Et qu'ai-je plus haï qu'errantes nuées et tout ce qui le souille ?
Et j'ai même haï ma propre haine parce qu'elle te souillait !
A ces errantes nuées j'en veux, à ces chattes ravisseuses qui se glissent ; elles nous privent tous deux de ce qui nous est commun : l'immense et sans limites dire Oui et dire Amen ! » Ainsi parlait Zarathoustra

 L'extrait de " Ecce Homo " où Nietzsche nous décrit lumineusement son expérimentation de l'inspiration venue d'un ailleurs !

POURQUOI J'ÉCRIS DE SI BONS LIVRES

Je raconterai maintenant l'histoire de Zarathoustra.
Quelqu'un a-t-il une idée nette, à la fin de ce XIX siècle, de ce que les écrivains des époques vigoureuses appelaient l'inspiration ? Si non je vais vous l'expliquer. Pour peu que nous soyons restés superstitieux, nous ne saurions nous défendre de l'impression que nous ne sommes que l'incarnation, le porte-voix, le médium de puissances supérieures.
L'idée de révélation, si l'on entend par là l'apparition soudaine d'une chose qui se fait voir et entendre à quelqu'un avec une netteté et une précision inexprimables, bouleversant tout chez un homme, le renversant jusqu'au tréfonds, cette idée de révélation correspond à un fait exact. On entend, on ne cherche pas ; on prend, on ne demande pas qui donne ; la pensée fulgure comme l'éclair, elle s'impose nécessairement, sous une forme définitive : je n'ai jamais eu à choisir. C'est un ravissement dont notre âme trop tendue se soulage parfois dans un torrent de larmes ; machinalement on se met à marcher, on accélère, on ralentit sans le savoir ; c'est une extase qui nous ravit à nous-mêmes, en nous laissant la perception de mille frissons délicats qui nous parcourent jusqu'aux orteils ; c'est un abîme de félicité où l'horreur et l'extrême souffrance n'apparaissent pas comme le contraire, mais comme le résultat, l'étincelle du bonheur, comme la couleur nécessaire au fond d'un tel océan de lumière ; c'est un instinct du rythme qui embrasse des mondes de formes - car l'ampleur du rythme dont on a besoin donne la mesure de
l'inspiration : plus elle écrase, plus il élargit… Tout cela se passe involontairement, comme dans une tempête de liberté, d'absolu, de force, de divinité...
C'est dans le cas de l'image, de la métaphore, que ce caractère involontaire de l'inspiration est le plus curieux : on ne sait plus du tout ce qui est symbole, parallèle ou comparaison : l'image se présente à vous comme l'expression la plus juste, la plus simple, la plus directe. Il semble vraiment, pour rappeler un mot de Zarathoustra, que les choses mêmes viennent s'offrir à vous comme termes de comparaison (« - Toutes les choses viennent alors pour flatter ton discours et pour te caresser : car elles veulent que tu les portes. Chaque symbole t'offre son aile pour t'enlever vers chaque vérité. Tous les trésors du verbe s'ouvrent d'eux-mêmes pour toi ; tout être veut devenir verbe et tout devenir veut apprendre de toi à parler. ») Telle est mon expérience de l'inspiration ; et je suis sûr qu'il faudrait remonter jusqu'à des milliers d'années dans le passé pour trouver quelqu'un qui eût le droit de dire : « Cette expérience est la mienne aussi » Friedrich Nietzsche, “ Ecce Homo “