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Article : Falloujah en technicolor

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L'Amérique : un paradoxe de la civilisation

Misanthrope modéré

  31/12/2007

>>> One thought going around now is: ‘Why doesn’t Iraq look like [post-World War II] Germany or Japan, which knew they had been defeated?’” says John Pike, a military analyst who heads Globalsecurity.org in Alexandria, Va. “One of the challenges we are facing now is these people don’t know they have been defeated,” he says. “Fallujah will be an opportunity for them to be crushed decisively and for them to taste defeat.

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Le propos de votre billet me fait vraiment penser à une discussion que j’ai eue sur un forum avec un intervenant atlantiste (du type technophile/rationaliste plutôt que civilisationnellement “conservateur”). Je lui expliquais - avec des arguments qu’il puisse accepter - les problèmes auxquels se heurtait l’Amérique.

Je ne résiste pas à replacer ici mon intervention, tant sa problématique ressemble à celle que vous exposez (elle y ressemble seulement car les prémisses que j’ai acceptées, dans l’intérêt de la discussion avec mon interlocuteur, vous paraîtront beaucoup trop complaisantes, voire erronées).

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> Comment l’Amérique a-t-elle pu devenir [la première puissance du monde,] ce pays “futuriste”, “technophile” ?

> grâce à un mécanisme darwinien d’émulation des talents, au détriment des rentes et des féodalités.

> Comment se caractérisait ce mécanisme ? Comme un système favorisant l’autonomie individuelle de préférence aux pesanteurs du groupe. Ce système a pu émerger grâce aux textes garantissant les droits des citoyens, notamment, et surtout, face aux abus du gouvernement. La capacité d’innovation américaine ne saurait se passer du socle des droits de l’Homme (interprétés dans leur dimension libérale).

> Or ce droit-de-l’hommisme suppose la célébration d’un individu abstrait, dont la valeur correspond à la valeur ajoutée qu’il peut offrir à la collectivité. Tout jugement de l’individu relativement à ses attaches identitaires est donc exclu (moyennant quelques adaptations à ce principe, telles que la discrimination positive ; encore n’est-ce là qu’une entorse à la lettre de ces principes égalitaires afin de ne pas en compromettre l’esprit par une application trop formelle, tendant à l’autisme).

> L’impératif de la conception abstraite de l’individu, par opposition à celle de l’homme enlisé dans sa “glèbe” identitaire (BHL), interdit donc de désigner un ennemi pour ce qu’il est (de tel peuple, de telle ethnie) mais oblige à le caractériser par ce qu’il fait (il choisit le terrorisme, l’Islam radical, hier le communisme).

Raisonner autrement conduirait l’Amérique a renoncer au “logiciel” qui lui a permis de supplanter économiquement et, donc, culturellement, le reste du monde.

Ainsi l’Amérique, si elle veut rester ce qu’elle est, ne peut se permettre d’essentialiser son ennemi. Elle doit considérer que tous les hommes de la Terre sont des Américains potentiels. Certains font le bon choix, un bon usage du libre arbitre dont la Providence les a doté : ils émigrent aux Etats-Unis ou tâchent, au moins, de rendre leurs sociétés plus semblables à l’Amérique. D’autres font le mauvais choix, parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion de connaître la bonté du peuple américain, ou alors, s’il la connaissent, c’est qu’ils ont choisi le Mal.

Mais face à des peuples qui refusent cette main tendue de l’Amérique, cette opportunité offerte à toute l’humanité de vivre le rêve américain (à condition bien sûr de travailler dur : c’est le droit à la poursuite du bonheur, pas au bonheur lui-même) que faire ? On peut, disais-je, punir chaque individu mauvais un par un, mais il faut attendre qu’il se soit caractérisé comme ennemi par son comportement.

On peut même faire des Dresde et des Hiroshima, puisque les victimes de ces bombardements ne sont, dans cette hypothèse, que des victimes collatérales (même si la quantité de pertes civiles a aidé les gouvernements allemands et japonais à recouvrer la raison). Le Japon et l’Allemagne ayant compris qu’ils devaient s’amender et respecter les droits de l’homme, tout est bien qui finit bien.

Mais que se passerait-il si les peuples adverses, malgré des pertes sans cesse plus lourdes infligées du fait de l’avance technologique écrasante de l’Amérique, que se passerait-il si ces peuples persistaient dans leur attitude hostile ? Même si ces peuples perdaient, du fait de leur refus d’entendre raison, un quart, la moitié, les deux tiers de leur population ? De tels peuples ne montreraient-ils pas une folie inouie ?

Mais, s’il existait sur terre de tels peuples, d’un niveau civilisationnel si bas qu’ils ne comprennent pas qu’ils ne peuvent vaincre l’Amérique et qui ne comprennent pas que toute résistance est futile ? Et si ces peuples, donc, quelles que soient leur pertes, ne reconnaissaient jamais leur défaite ?

L’Amérique ne devrait-elle pas, soit venir à bout de tels ennemis par attrition génocidaire (expression de Ludovic Monnerat - qui ne prône bien sûr pas cela), soit renoncer à imposer les droits de l’Homme à ces pays ?

Dans le premier cas, ne s’agirait-il pas d’une trahison par l’Amérique de ses propres principes de nature à faire bugger son “logiciel” civilisationnel (si l’on se permet de génocider un peuple, quelle conséquence en tirer pour la population diverse des Etats-Unis) ?

Dans le second cas, ne serait-ce pas encore une capitulation de l’Amérique, elle qui avait expliqué qu’il fallait combattre l’ennemi sur son terrain pour de ne pas avoir à le subir à domicile ? Ne serait-ce pas une capitulation d’autant plus frustrante que cet ennemi se situe à l’extrémité opposée de l’échelle civilisationnelle (un ennemi moins sous-développé entendrait raison, lui) ? N’est-ce pas frustrant de devoir jeter l’éponge parce que l’ennemi est trop con pour comprendre qu’il est inférieur ? Parce qu’il est trop con pour comprendre qu’il est en train de perdre ? Parce qu’il est trop con pour comprendre cela, il ne laisserait donc à l’Amérique d’autre possibilité que de le génocider pour s’occuper de son cas… Or justement une telle solution détruirait les principes mêmes sur lesquels repose l’hégémonie planétaire de l’Amérique : le respect des droits de l’Homme comme matrice du libéralisme.

N’est-il pas frustrant qu’un ennemi gagne parce qu’il est trop nul, parce qu’il est trop con ?

Une certaine boucle ne serait-elle pas bouclée de manière absurde ? L’Amérique doit sa victoire sur ses rivaux à sa plus grande capacité d’innovation, son investissement plus important dans l’intelligence, et ce serait justement cette hypertrophie de l’excellence - qui l’avait renforcée face à des adversaires moyennement évolués - qui la pénaliserait face à une bande de bédouins ? A quoi bon, alors investir dans l’innovation, à quoi bon se faire chier à produire de la richesse ?