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Article : Déconstruire la structuration déstructurante

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Bien penser, mal penser...

jc

  20/06/2020

Bien penser, mal penser… mais en tout cas penser, ce qui est difficile dans un Système qui s'ingénie à nous empêcher de le faire (typiquement l'environnement éducatif, qui formate beaucoup plus de crétins diplômés -pour reprendre une expression d'Emmanuel Todd- qu'il ne forme d'esprits capables de penser par eux-mêmes).

On remarquera -en prolongement de mon commentaire de l'article "Mémoire médiévale"- que pour communiquer avec ses semblables il n'est pas nécessaire de penser -par soi-même, cela va de soi…-, il suffit d'avoir un langage commun purement conventionnel (être conventionnaliste, c'est-à-dire nominaliste, suffit). Les débatteurs en continu des chaînes d'information contenue nous le rappellent en permanence.

il n'en va pas de même si l'on s'efforce de penser par soi-même, car on s'aperçoit alors plus ou moins rapidement que le langage qui permet d'exprimer ses propres pensées est nécessairement tout autre chose qu'un langage qui permet de seulement communiquer. PhG insiste sporadiquement sur ce point, en particulier en citant George Steiner:

"« “Le point de vue ‘logocratique’ est beaucoup plus rare et presque par définition, ésotérique. Il radicalise le postulat de la source divine, du mystère de l’incipit, dans le langage de l’homme. Il part de l’affirmation selon laquelle le logos précède l’homme, que ‘l’usage’ qu’il fait de ses pouvoirs numineux est toujours, dans une certaine mesure, une usurpation. Dans cette optique, l’homme n’est pas le maître de la parole, mais son serviteur. Il n’est pas propriétaire de la ‘maison du langage’ (die Behausung der Sprache), mais un hôte mal à l’aise, voire un intrus… ”

Thom consacre un paragraphe du dernier chapitre de SSM (2ème ed.), chapitre intitulé "De l'animal à l'homme: pensée et langage" (chapitre pour moi fascinant), paragraphe intitulé: "La double origine du langage " dans lequel il définit ce qu'il entend par penser:

"L'apparition du langage répond chez l'homme à un double besoin: une contrainte de nature individuelle de nature évolutive, visant à réaliser la permanence de son moi en état de veille et une contrainte sociale, exprimant les grands mécanismes régulateurs du groupe social.
La première contrainte répond au besoin de virtualiser la prédation. L'homme en éveil ne peut, comme le nourrisson de neuf mois, passer son existence à saisir les objets pour les mettre en bouche. Il a mieux à faire: aussi, va-t-il penser, c'est-à-dire saisir des êtres intermédiaires entre les objets extérieurs et les formes génétiques: les concepts.
La seconde contrainte exprime la nécessité pour le groupe social de transmettre rapidement en son sein les informations nécessaires à sa survie (présence au voisinage de proies, d'ennemis, etc.). Le langage fonctionne alors comme un relais sensoriel: il permet à un individu X de décrire à un individu Y ce que lui, X, est en mesure de voir et que Y, placé plus bas par exemple, ne peut pas voir."

Remarque: en ce qui concerne la façon contemporaine de penser, le bouquin du mathématicien-philosophe Gilles Châtelet "Vivre et penser comme des porcs" (1999) me paraît incontournable (la macronie en action me rappelle irrésistiblement les Cyber-Gédéons et les Turbo-Bécassines de Châtelet).

 

Bien penser, mal penser... .1

jc

  21/06/2020

(Complément au .0)

Bien entendu ceux qui savent penser "à la Thom" possèdent nécessairement un langage qui leur permet de faire communiquer l'ésotérique et l'exotérique, c'est-à-dire qui leur permet de les faire communier au monde. Je ne fais pas partie de ces (heureux?) élus. Mais je suis convaincu que certains humains, peu nombreux, ont cette capacité: Thom évidemment¹ (à mon sens). Grothendieck (lire "La clef des songes")? Grasset (lire "La Grâce de l'Histoire")? Certains poètes² (les véritables), bien sûr. Et, les derniers mais pas les moindres, les animaux dits "inférieurs" qui font énergiquement leur longue et lourde tâche, comme le loup de Vigny,

Tenter de retrouver ce langage universel pour ne plus vivre et penser comme des porcs, c'est la lourde tâche que Thom s'est fixée. Il termine son dernier bouquin de vulgarisation "Prédire n'est pas expliquer" (1991) par une citation de Nietzsche: "Les idées neuves arrivent toujours sur des pattes de colombe…".


¹: - "La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur: qui connaît l'Homme connaîtra l'univers. Dans cet essai d'une Théorie générale des modèles |sous-titre de SSM], qu'ai-je fait d'autre, sinon de dégager et d'offrir à la conscience les prémisses d'une méthode que la vie semble avoir pratiquée dès son origine?" (fin de l'épilogue de la conclusion de SSM).

²: Thom cite Baudelaire à ce propos: "La Nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuse paroles. L'homme y passe à travers des forêts de symboles qui l'observent avec des regards familiers" (Topologie et signification, MMM)