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Article : Brzezinski et l’insurrection du monde

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question

jean-jacques hector

  28/11/2012

Je ne comprends pas la distinction que fait dedefensa entre système de la technologie et système de la communication.
En effet, la technologie, dans ses avancées les plus pointues est au coeur du système de la communication, internet, réseaux, GPS, mobiles etc…Je comprendrais mieux une nuance qui s’appuierait sur une distinction hard/soft power technologique.
Le déchaînement du matérialisme étant quant à lui évident.

La nouvelle hégémonie des années Internet

Andros

  28/11/2012

Si l’on parle de la géopolitique de la Guerre Froide, celle à laquelle on rattache le nom de Brzezinski , effectivement cette géopolitique-là n’est plus dans l’air du temps. La technologie donne d’autres moyens, et change la vision du monde. Malheur à ceux qui ne peuvent s’adapter, au risque de devenir le nouvel « Homme Malade » comme l’Empire Ottoman de jadis.

Que les États-Unis soient prisonniers de leur inertie conceptuelle n’est pas une nouveauté, tant elle s’est vérifiée dans les conflits mondiaux, ou le remake hollywoodien de la Bataille d’Alger, ou le JSF si l’on veut (on n’en parle plus beaucoup d’ailleurs), à l’âge où, pour citer de mémoire un article de Dedefensa, les pays ont « assez d’avions pour intercepter des Cessna pour les cinquante prochaines années ».

Il faut s’interroger sur l’impact des nouvelles technologies non d’un point de vue de « l’inertie conceptuelle » , comme les époux Toffler le font et le programme Félin à leur suite, à cyber-informatiser les bidasses (termes volontairement exagérés, pour mesurer l’inadaptation de la chose), non plus d’un point de vue opérationnel, comme l’impact des téléphones portables sur l’organisation des émeutes de novembre 2005, mais dans un aspect plus fondamental.

Car la technologie change l’humain, et la géopolitique doit concerner les humains d’aujourd’hui tels qu’ils sont, et non tels qu’ils l’étaient à l’époque de la Guerre Froide.

Ces humains d’aujourd’hui fonctionnent différemment, et finalement répondent à d’autres impératifs. D’un côté, ce sont des créatures qui se savent transparentes pour « la Toile », qui se cherchent et se trouvent par moteurs de recherche interposés, bien conscient de l’empreinte à jamais indélébile qu’ils laissent de leurs activités (de leur activité, même, au singulier).

Qui construit leurs conceptions politiques ? Les gens d’aujourd’hui se moquent de la « grand-messe de 20 heures » de l’époque PPDA, personnage d’ailleurs de transition entre notre monde et celui des Zitrone, Mourousi (et Bruno Masure, *personnal favourite*). Le journal de 20h était une arme de propagande redoutable à l’époque de Carter, aujourd’hui c’est Alex Jones.

Car grâce à Internet, on peut s’informer des Grandes Causes Profondes de l’état du monde, et un Alex Jones (ou une Sorcha Faal, pour le compte) laisse une marque profonde et pérenne dans plus de cerveaux français que le journal de 20 heures, l’Express ou « C dans l’air » ne pourront jamais atteindre.

Pensez donc, ces médias frelatés qui non seulement n’ont pas le bon goût de parler du complot mondial des illuminatis (ou de la reine Elisabeth II en reptilienne camouflée, idée presque plus poétique que fantastique), mais qui en adoptant un point de vue très clair à propos du 11 septembre 2001 se sont discrédités de manière structurelle. Plus jamais un article de « main stream media » ne pourra être lu sans qu’on ne commence d’abord à en douter, et le récit des diverses péripéties des apprentis-démocrates syriens libres ne font que rajouter à l’affaire.

La communication de masse a muté, aujourd’hui les gens ne savent plus s’il faut se faire vacciner ou non : qui d’Alex Jones ou de David Pujadas dit la vérité ?

Alors on s’engueule dans des forums selon les bribes de sens que l’on a pu s’extraire d’internet, et qu’on a essayé de relier comme on pouvait, vu qu’il n’existe plus de vérité absolue. Forums et blogs où la technique du « grassroots » ou plutôt de l’ « astroturf » (gazon artificiel) permet de créer ex nihilo des mouvements massifs comme le Tea Party (et le phénomène Ron Paul) et autres OWS.

Dans ce cadre, les films bizarroïdes sur le prophète Mahomet ont toute leur place, fragments d’argumentation dans ce biotope vibrant des idées, préconceptions, stéréotypes et autres choses que l’on dira à la prochaine soirée, si tant est qu’on puisse encore parler d’autre chose que de ce qui se passe dans la Technosphère, même à l’échelle personnelle. (La Technosphère, où se mélangent les différents modes d’utilisation d’internet, auxquels on ajoutera les SMS et mails, le Mp3 et tant de choses portant le signe de l’Apple de la connaissance du Bien et du Mal, déjà croqué...)

Du coup, quelle place occupent Moubarak, Morsi, Israël, la Bande de Gaza dans ce magma conceptuel ? Les opérations de guerre comme « coup » marketing avec un nom qui sonne, comme on le ferait pour un nouveau shampooing, n’est-ce pas déjà trop « old school » ? (« Market Garden » c’était déjà pris).

La « rue arabe », s’agit-il encore d’individus portés par un projet politique clair , comme, mettons, celui des Trois Glorieuses de 1830, ou bien s’agit-il d’électrons excités par le bombardement de mauvais films Z sur Mahomet et canalisés par Twitter dans le bon endroit au bon moment ? Une « révolution colorée » qui se commande aussi rapidement qu’une pizza, sans aucune conséquence à long terme.

Comme il est loin le temps des années Walesa (puisqu’on le mentionne) ! A la bonne époque, une révolution colorée prenait son temps, avec toute cette longue cuisine de grand-mère, les ingrédients mijotés par Radio-Free-Europe et à distiller entre intellectuels stipendiés mais dissidents, toute une idéologie à monter de bric et de broc, des régimes qu’il fallait reprendre en main ensuite et l’un ou l’autre Printemps d’Europe de l’Est qu’on devait parfois laisser tomber.

Dans le temps c’était comme ça. Brzezinski aimait bien la bonne cuisine, et vu qu’il a aujourd’hui du Domino’s Pizza dans son assiette, il le dit.