Vertige et délire, – suite...

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Vertige et délire, – suite...

Nous revenons sur un document rapidement mentionné dans notre F&Cd’hier, l’« étude de la National Defense Strategy Commission, service interne au Pentagone, mettant en évidence la possible/probable incapacité de la puissance militaire US de l’emporter dans une guerre contre la Chine et/ou la Russie. » Nous le faisons parce qu’un texte de WSWS.org en fait une analyse détaillée sur un ton remarquable par son alarmisme. Gens sérieux, les analystes du site trotskiste ont lu avec attention le document, mais ils l’ont lu avec un état d’esprit particulier qui, dans son intensité, rencontre celui des membres de la commission qui ont rédigé la chose. Ainsi, deux choses nous intéressent dans ce texte :

ce qu’il nous dit du contenu du document, analysé avec précision et selon les axes qui importent comme fait d’habitude WSWS.org ;

la façon dont WSWS.org reçoit et commente ce document, selon un état d’esprit qui est similaire en intensité (bien que radicalement opposé d’un point de vue politique) à celui du document, ce qui mérite qu’on s’attache bien entendu à ce phénomène.

Contrairement à d’autres rapports sur ce document, WSWS.org insiste sur l’aspect d’un cri d’alarme et d’un appel à la mobilisation générale des forces armées US face à la probabilité d’une guerre massive avec l’une des deux puissances (ou les deux), – Chine et Russie, – dans un très court délai. Parmi les scénarios cités, il y a celui d’une guerre avec la Chine débutant en 2022 à la suite d’une déclaration d’indépendance de Taïwan et du lancement d'une invasion de Taïwan par la Chine. Le fait même d’un tel conflit n’est pas débattu dans toutes ses possibilités, et notamment et essentiellement la possibilité que les États-Unis puissent agir pour éviter le susdit conflit : la chose est présentée comme étant inéluctable, fatale, inarrêtable... « En énumérant les différents défis auxquels seraient confrontés les États-Unis pour combattre et gagner une guerre contre la Russie ou la Chine, aucun des membres distingués du comité n’est parvenu à la conclusion apparemment évidente selon laquelle les États-Unis ne devraient peut-être pas mener une telle guerre. »

D’une façon très affirmée, WSWS.org admet cette possibilité de l’absence de recherche d’une façon d’éviter un tel conflit dont la venue est par ailleurs affirmée comme une certitude alors qu’il ne s’agit que d’une hypothèse au profit de laquelle le comportement même des USA contribue très fortement. La comparaison est faite avec le comportement de Hitler tandis que la responsabilité d’un tel état d’esprit est portée au crédit du capitalisme en faillite et, – assez curieusement et sans démonstration aucune, – du “système des États-nation”...

« Mais en cela, [les rédacteurs du rapport] représentent l’énorme consensus au sein des cercles politiques américains. Dans ses derniers jours, Adolf Hitler aurait déclaré à maintes reprises que si la nation allemande ne pouvait pas gagner la Seconde Guerre mondiale, elle ne méritait pas d'exister. La classe dirigeante américaine est entièrement attachée à un plan d’action qui menace de faire disparaître non seulement une grande partie de la population mondiale, mais également la population américaine elle-même.

» Ce n'est pas la folie des individus, mais la folie d'une classe sociale qui représente un ordre social dépassé et en faillite, le capitalisme et un cadre politique également obsolète, le système des États-nation... »

L’état d’esprit de WSWS.org rencontre celui dont le rapport est imprégné tant les commentateurs trotskistes ne cessent d’annoncer la survenue inéluctable d’un conflit mondial, conventionnel au plus haut niveau, avec la panoplie des armes conventionnelles les plus puissantes, et jusqu’à l’escalade nucléaire que toute analyse raisonnable d’une telle hypothèse jugerait effectivement comme inévitable. Cela conduit le commentateur à affaiblir ou à ignorer des remarques qui sembleraient pourtant évidentes à la lecture d’un tel rapport, – à commencer, pour mémoire si mémoire il y a, une remarque à propos de l’équilibre de la psychologie collective de ces individus, en tant qu’individus tout simplement et individus américanistes, plus qu’en tant que représentant de cette “classe sociale qui représente un ordre social dépassé et en faillite”.

En effet, il n’y a pas un Hitler avec sa folie paranoïaque de la fin de la guerre parmi ces dirigeants-Système, et pas de climat qui puisse se rapprocher des années apocalyptiques 1944-1945 dans l’Allemagne nazie. Si l’on tient à cette comparaison il faut la replacer dans la chronologie et l’on observera qu’Hitler n’a jamais préparé et annoncé la guerre en doutant une seule seconde qu’il ne l’emporterait pas puisqu’il parlait au contraire d’un “Reich pour mille ans”, alors que les auteurs du rapport évoquent puissamment la possibilité d’une défaite pour une guerre dont tout semble indiquer que les USA auraient la part principale dans son déclenchement. Il est bien question ici d’un état mental en grand dérangement dans cette urgence de s’armer pour une guerre qu’on songe à déclencher soi-même sans être menacé le moins du monde, et dont on sait qu’on risque bien de la perdre. (Sans doute y a-t-il des lecteurs du Lincoln de 1839 parmi ces analystes : « ... En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. »)

Finalement, les dispositions conseillées de toute urgence par la commission pour un réarmement d’urgence des USA relèvent d’une étrange logique et d’une vision en forme de monstrueux simulacre de la situation. Le Pentagone tourne à plein régime avec un budget colossal de plus de $700 milliards officiels, et dépassant largement les $1 000 milliards en réalité. Les capacités de production de l’armement sont aujourd’hui chaotiqueset florissantes aux USA, avec l’imbrication antagoniste de divers programmes (par exemple, l’imbroglio des avions de combat avec l’actuelle génération en pleine décrépitude mais privée de budget pour la remettre à niveau, et le maître du chaos qu’est le programme F-35). L’idée de “militariser” l’économie US en l’orientant vers un effort de guerre total, et cela dans les quatre années qui viennent puisqu’on suggère un conflit pour 2022, est surréaliste. (« Enfin, toute la société doit être mobilisée derrière l’effort de guerre. Une approche “pangouvernementale” doit être adoptée, notamment “la politique commerciale, l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques”. »)

Sur ce point, au reste, la présentation de WSWS.org rejoint également l’état d’esprit que le site trotskiste dénonce  chez les auteurs du rapport. Cette présentation accrédite l’idée que la direction occulte des USA (les usual suspects du DeepState), se tenant aux manettes derrière la couverture factice des agitations de “D.C.-la-folle” qui n’auraient aucune importance, avanceraient masqués en cachant au public US cette préparation à une guerre totale(à ne pas confondre tout de même avec une “théorie complotiste”) :

« Il est impossible de comprendre quoi que ce soit dans la politique américaine sans reconnaître une réalité fondamentale: les événements et les scandales qui dominent le discours politique, qui font l'actualité du soir et qui font la une des journaux télévisés et des médias sociaux, ont peu à voir avec les considérations de ceux qui prennent réellement des décisions. Les responsables des médias jouent les rôles qui leur sont assignés, sachant qu’ils doivent limiter les sujets abordés dans des limites très circonscrites.

» Ceux qui élaborent les politiques – un groupe restreint de membres éminents du Congrès, de responsables du Pentagone et de personnel de groupes de réflexion, ainsi que des collaborateurs de la Maison Blanche – parlent entre eux une langue tout à fait différente et ils savent que leurs appréciations ne seront pas connues du grand public parce que les grands médias ne feront pas d’analyses sérieuses à cet égard.

» Ces personnes acceptent toutes comme un fait évident des déclarations qui, si elles faisaient la une des journaux télévisées de grande écoute seraient considérées comme des “théories complotistes”... »

On reste quelque peu étourdi d’étonnement... Il s’agit, selon les hypothèses envisagées d’une période de quatre ans, pour mobiliser une industrie énorme et fragmentée, aux capacités de production dévastées, pour rétablir une armée gonflée de $milliards, de gaspillages et de pléthores de matériels inutiles, et pour retourner toute une société vers la perspective d’une guerre totale de dévastation où les USA risqueraient, nous n’en sommes pas loin, d’être anéantis eux-mêmes. Tout cela se ferait dans l’esprit de confiance de la direction occulte et dissimulée, sans que le public ne s’aperçoive de rien, y compris sans doute lorsqu’il sera appelé à servir puisque de si grandioses alertes et démarches de ré-ré-réarmement (il y en a eu tant depuis 9/11) impliqueraient sans guère de doute le rétablissement au moins partiel de la conscription pour gonfler les effectifs, – à moins, certes, qu’on mobilise pour piloter les drones de la CIA, les chars de l’US Army et les avions (F-35, certes) de l’USAF, les troupes de Daesh et d’al Qaïda.

Peut-être bien que le théâtre de “D.C.-la-folle” est un simulacre comme les Folies Bergères et les Bouffes Parisiennes pour dissimuler le DeepState mais l’on se demande si le spectacle n’a pas finalement englobé et très fortement influencé tous les experts convoqués pour ce rapport et les diverses directions occultes qui pullulent à Washington, – et un tout petit peu, WSWS.org également... Tout cela, certes, hors de toute allusion à la moindre “théorie complotiste”.

Ci-dessous, adaptation en français du texte « Bipartisan panel: US must prepare for “horrendous,” “devastating” war with Russia and China », du 16 novembre 2018 sur WSWS.org.

dedefensa.org

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Se préparer à une guerre “horrible” et “dévastatrice”

Une commission bipartite nommée par le Congrès a publié mardi un long rapport soutenant les plans du Pentagone visant à préparer une guerre de « grandes puissances » contre la Russie, la Chine ou les deux, précisant que la politique belligérante de l’administration Trump était partagée par le Parti démocrate.

Conscients que ses conclusions ne seront jamais sérieusement relatées par les médias, les auteurs du rapport ne mâchent pas leurs mots concerenant les conditions d'une telle guerre. Une guerre entre les États-Unis et la Chine, qui, selon le rapport, pourrait éclater d'ici quatre ans, sera « horrible » et « dévastatrice ». L'armée « fera face à des pertes plus importantes qu'à tout autre moment depuis des décennies ». Une telle guerre pourrait conduire à une « escalade nucléaire rapide », et des cibles civiles américaines seront attaquées avec de nombreuses pertes.

Il est impossible de comprendre quoi que ce soit dans la politique américaine sans reconnaître une réalité fondamentale: les événements et les scandales qui dominent le discours politique, qui font l'actualité du soir et qui font la une des journaux télévisés et des médias sociaux, ont peu à voir avec les considérations de ceux qui prennent réellement des décisions. Les responsables des médias jouent les rôles qui leur sont assignés, sachant qu’ils doivent traiter des sujets abordés dans des limites très circonscrites.

Ceux qui élaborent les politiques – un groupe restreint de membres éminents du Congrès, de responsables du Pentagone et de personnel de groupes de réflexion, ainsi que des collaborateurs de la Maison Blanche – parlent entre eux une langue tout à fait différente et ils savent que leurs appréciations ne seront pas connues du grand public parce que les grands médias ne feront pas d’analyses sérieuses à cet égard.

Ces personnes acceptent toutes comme un fait évident des déclarations qui, si elles faisaient la une des journaux télévisées de grande écoute seraient considérées comme des “théories complotistes”.

Le dernier exemple de cette situation est un nouveau rapport publié par la Commission de la Stratégie de Défense Nationale, un organe créé par le Congrès pour évaluer la nouvelle stratégie de sécurité nationale du Pentagone publiée au début de cette année, qui déclare que « la compétition entre les grandes puissances, – et non le terrorisme, – est désormais le principal objectif » de l'armée américaine.

Les conclusions du panel peuvent se résumer comme suit : L’armée américaine a parfaitement raison de se préparer à la guerre avec la Russie et la Chine. Mais le Pentagone, qui dépense chaque année plus que les huit plus grandes forces militaires nationales combinées, doit bénéficier d’une augmentation massive de son  budget, qui se fera aux dépens de coupes dans les programmes sociaux fondamentaux tels que Medicare, Medicaid et la sécurité sociale.

En d’autres termes, le rapport est une confirmation complète du Congrès de l’effort militaire de l’administration Trump, décrivant ce que le Congrès a accompli cette année lorsqu'il a adopté, avec un soutien écrasant des partis, la plus importante augmentation du budget militaire depuis la Guerre froide.

Mais au-delà de la reconnaissance du fait que les États-Unis doivent se préparer à une guerre imminente impliquant l’ensemble de la société, avec des conséquences « dévastatrices » pour la population américaine, le document met en garde contre une autre réalité fondamentale : les États-Unis pourraient très bien perdre une telle guerre, qui exige en effet la conquête militaire de la planète entière par un pays comptant moins de cinq pour cent de la population mondiale.

Les États-Unis « pourraient avoir du mal à gagner, ils pourraient même perdre une guerre contre la Chine ou la Russie », affirme le document. Ces guerres ne se dérouleraient pas uniquement à l’étranger, mais viseraient probablement la population américaine : « Il serait imprudent et irresponsable de ne pas attendre des adversaires qu'ils tentent des attaque de type cinétique, cybernétique ou d’autres actions paralysantes contre des Américains alors qu’ils chercheraient à vaincre nos forces armées à l’extérieur. »

Il ajoute: «En cas de guerre, les forces américaines devront faire face à des combats plus difficiles et à des pertes plus importantes qu’elles n’ont essuyés depuis des décennies. Il convient de rappeler que pendant la guerre des Malouines, un adversaire nettement inférieur, l’Argentine, a paralysé et a coulé un important navire de guerre britannique en le frappant avec un seul missile guidé. Le volume de destruction qu’un adversaire de grande puissance pourrait infliger aux forces américaines pourrait être d’une ampleur considérable. »

Pour illustrer son propos, le rapport décrit un certain nombre de scénarios. Le premier concerne la déclaration d'indépendance de Taiwan par rapport à la Chine en 2022, ce qui provoquerait des représailles de la part des Chinois. « Le Pentagone informe le président que les États-Unis pourraient probablement vaincre la Chine dans une longue guerre, si toute la puissance de la nation était mobilisée. Pourtant, ils perdraient d'énormes quantités de navires et d'aéronefs, ainsi que des milliers de vies, en plus de subir de graves perturbations économiques – le tout sans aucune garantie d'avoir un impact décisif avant que Taïwan ne soit envahie ... Mais éviter cette issue causerait des pertes horribles. »

Le rapport conclut que la solution est une armée beaucoup plus grande, financée par des augmentations constantes et pluriannuelles des dépenses. « La crise de la défense nationale doit faire face à une urgence extraordinaire », écrit-il.

L'armée a besoin de « plus de blindés, d’artillerie à longue portée, d’unités de logistique, d’unités de défense aérienne. » L'Armée de l'air a besoin de « plus de chasseurs et de bombardiers à longue distance furtifs, de ravitailleurs en vol, de capacités de transport, de plateformes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. » Les forces nucléaires ont besoin de plus de missiles. Et ainsi de suite.

Pour payer tout cela, il faut hacher dans les dépenses sociales. « Les programmes d’aide sociale obligatoire entraînent la croissance des dépenses », se plaint le rapport, exigeant que le Congrès se penche sur ces programmes, notamment Medicare, Medicaid et la sécurité sociale. Il avertit que « de tels ajustements seront sans aucun doute très douloureux ».

Enfin, toute la société doit être mobilisée derrière l’effort de guerre. Une approche « pangouvernementale » doit être adoptée, notamment « la politique commerciale, l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques ».

En énumérant les différents défis auxquels seraient confrontés les États-Unis pour combattre et gagner une guerre contre la Russie ou la Chine, aucun des membres distingués du comité n’est parvenu à la conclusion apparemment évidente selon laquelle les États-Unis ne devraient peut-être pas mener une telle guerre.

Mais en cela, ils représentent l’énorme consensus au sein des cercles politiques américains. Dans ses derniers jours, Adolf Hitler aurait déclaré à maintes reprises que si la nation allemande ne pouvait pas gagner la Seconde Guerre mondiale, elle ne méritait pas d'exister. La classe dirigeante américaine est entièrement attachée à un plan d’action qui menace de faire disparaître non seulement une grande partie de la population mondiale, mais également la population américaine elle-même.

Ce n'est pas la folie des individus, mais la folie d'une classe sociale qui représente un ordre social dépassé et en faillite, le capitalisme et un cadre politique également survécu, le système État-nation. Et il ne peut être combattu que par une autre force sociale: la classe ouvrière mondiale, dont les intérêts sociaux sont internationaux et progressistes, et dont l'existence même dépend de l'opposition aux objectifs de guerre mégalomane du capitalisme américain.

André Damon, WSWS.org