Une saga de série Z

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Une saga de série Z

Le spectacle du relèvement du plafond de la dette américaine a été une sinistre pantalonnade, ou plutôt un film de série Z au pays d’Hollywood. Le scénario était entièrement prévisible, les acteurs plutôt pathétiques et la mise en scène médiatique pitoyable.

Le nouvel épisode de la saga, qui porte sur l’abaissement de la note souveraine américaine par Standard and Poor’s n’est hélas pas meilleur. L’événement était inévitable, ne serait-ce qu’au regard des déficits publics. Les acteurs et metteurs en scène sont les mêmes et le scénario reste tout aussi superficiel et connu pour une bonne part.

Tout d’abord, on reste totalement dans l’univers du virtualisme et/ou de l’élitisme. On glose encore et toujours sur la finance mondiale, mais rien n’est dit sur les souffrances quotidiennes du peuple américain. Les élus, malgré leur corruption morale et/ou pécuniaire, savent que leurs électeurs souffrent. Mais en parlent-ils ? Non.

Pourtant 15% de la population américaine (soit 46 millions de personnes) reçoivent des coupons alimentaires. Le taux de chômage reste officiellement bas, mais c’est parce que de nombreux Américains sont radiés des listes et/ou cessent de chercher un emploi et disparaissent des statistiques. La situation de l’emploi est tellement catastrophique qu’une grande vague de recrutement chez MacDo en avril a viré au drame.

Les grands médias en parlent-ils ? Bien sûr que non.

Ensuite le timing est risible ou affligeant selon l’humeur :

• D’une part, la dégradation a eu lieu durant la saison estivale, tout comme la révélation du problème des subprimes il y a quatre ans. Cette période est bien sûr la meilleure pour révéler des informations très négatives ou pour faire passer des lois impopulaires.

• D’autre part, cette dégradation intervient quelques mois APRES que la Fed soit devenue l’acteur fondamental si ce n’est unique du marché la dette américaine (environ 70% des dettes américaines en début d’année mais près de 90% actuellement selon certaines estimations.

Le Japon s’est en effet retiré du circuit depuis Fukushima, la Chine refuse d’acheter plus et le printemps arabe secoue le Moyen-Orient obligeant ses dirigeants à acheter la paix sociale (90 milliards d’euros d’aide sociale pour la seule Arabie Saoudite). Durant ces quelques mois, les taux obligataires américains n’ont guère évolué et il est peu probable qu’ils atteignent les valeurs observées en Europe où les acteurs sont nombreux.

Enfin Standard and Poor’s a endossé le rôle du méchant, du traître – il en faut toujours un dans ce genre d’histoire. Elle a probablement endossé ce rôle à regrets, comme le timing particulièrement favorable semble l’indiquer. Mais on ne peut exclure que les critiques occidentales à l’encontre des agences de notation aient fini par forcer cette société à rompre les rangs du Système pour survivre. Peu importe que ces critiques (idéologie, partis pris, conflits d’intérêt…) soient fondées ou non. Peu importe qu’elles soient nécessaires. Les agences de notation faisaient le méchant idéal (désormais critiquées par les pays du monde entier). Fort heureusement pour le spectacle, Standard and Poor’s a décidé de jouer son rôle de méchant jusqu’au bout. Elle vient de dégrader les notes de Fannie Mae et Freddy Mac ainsi que celles de nombreux organismes américains qui détiennent des obligations américaines à long terme.

Dans le même temps, les principaux créanciers étrangers des USA tiennent leur rôle en récitant des formules incantatoires, espérant gagner du temps : la Chine appelle à plus de rigueur (la stabilité du régime chinois pourrait en pâtir), le Japon renouvelle en apparence sa confiance mais cherche seulement à rapatrier ses investissements pour financer sa reconstruction, les pays arabes restent pour le moment cois, étant trop occupés par le “printemps arabe”…

Que se passera-t-il au cours des prochains mois ? Quels seront les prochains opus de cette sinistre saga ? Difficile à dire, mais plusieurs choses semblent probables :

• Pris à leur propre piège et n’ayant plus aucune issue, les USA chercheront à faire durer le plus longtemps possible cette mascarade. La réunion de la Fed qui s’est tenue hier l’a encore démontré.

• Les taux obligataires américains resteront bas, contrairement à ce qu’on observe sur les taux européens où les acteurs sont plus nombreux et moins complices. Un scénario rêvé pour tous les partisans du Système qui y verraient une confirmation du statut exceptionnel des USA. Au demeurant c’est l’option qui lèserait le moins les créanciers étrangers.

• Le retrait des forces américaines en Afghanistan sera accéléré, bien aidé en cela par les Talibans qui ont fait très très mal aux USA depuis un mois comme le signale fort judicieusement Pepe Escobar en éliminant plusieurs de leurs hommes liges. Avec un bon plan de communication, on pourra présenter cette expulsion comme un rapatriement accéléré visant à réduire le déficit public.

• La guerre monétaire se poursuivra et même s’intensifiera, l’objectif américain étant de ruiner le reste du monde avant de s’effondrer. L’hubris américain ne saurait en effet tolérer que d’autres restent debout quand le géant s’effondre.

Au pays d’Hollywood, le happy end est la règle. Les dirigeants américains rêvent probablement d’un scénario à la Independance Day ou à la Guerre des Mondes. Ils espèrent pouvoir rebâtir plus vite que le reste du monde grâce au formidable dynamisme de leurs concitoyens. Mais c’est sans compter sur l’impact psychologique dévastateur de la fin de l’American Dream…

C’est décidément une bien mauvaise saga qui nous est proposée. Le problème, c’est que nous ne pouvons y échapper.

Bilbo