Semaine du 9 juillet au 15 juillet 2001

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Alea Jacta Est pour le système MD (Missile Defense)


« We are on a collision course here ». Cette phrase de Paul Wolfowitz, témoignant devant une Commission sénatoriale du Sénat, le 13 juillet, marque le lancement du développement accéléré du système de défense anti-missile (MD), quelles que soient les conséquences et d'ailleurs avec comme principale conséquence immédiate (« C'est une question de mois, pas d'années ») la violation désormais inéluctable du traité ABM. Il s'agit certainement du grand événement de la semaine, qui met fin àplusieurs mois d'incertitude. Désormais, l'administration a clairement indiqué que l'effort maximum était lancé pour développer et déployer un système MD aussi rapidement que possible. L'administration espère un déploiement effectif des premiers éléments en 2004, avant la fin de ce mandat GW Bush. Le but est clair : lier la prochaine administration à ce programme (essentiellement au cas où la prochaine administration ne serait pas celle d'un deuxième mandat GW Bush, ni une administration républicaine d'une façon plus générale). La rapidité espérée du développement est effectivement caractérisée par la phrase de Wolfowitz citée en début du texte, selon laquelle ce développement va conduire très rapidement à une violation du traité ABM. « Pour les Américains, explique un expert européen indépendant, cette violation du traité ABM ressemble un peu au franchissement du Rubicon, dans tous les cas au niveau international et de la posture stratégique des États-Unis. En quelque sorte, le sort en sera jeté. » De ce point de vue, en expliquant le sort du traité ABM, Wolfowitz s'adressait aux partenaires stratégiques des USA, pays européens, Russie, Chine, etc. Il leur signifiait, c'est un autre point essentiel de cette décision de développement accéléré, que les USA sont engagés à grande vitesse sur la voie d'une révision stratégique sans guère de précédent, dans tous les cas sans précédent pour l'ère nucléaire. Depuis que l'arme atomique/nucléaire existe, les USA et les autres pays possesseurs de l'arme recherchaient des accords internationaux multilatéraux liant les décisions des uns et des autres (décisions de production, de déploiement, décisions de modalité opérationnelles, etc). La décision de l'administration GW Bush est, elle, clairement unilatéraliste. Elle l'est d'autant plus qu'elle a été prise parallèlement à une campagne de consultation et d'explication de la part des Américains, et alors que cette campagne ne peut certainement pas être considérée comme achevée. Du coup, les “partenaires” des Américains, alliés officiels ou pas, doivent se le tenir pour dit : on les consulte peut-être, on leur explique évidemment, mais leur attitude ne pèse guère dans la balance lorsque le moment de la décision est venue (sauf, probablement, dans le cas extrême et assez improbable d'une opposition très affirmée). Le fait que la décision américaine ait été révélée quelques jours avant le sommet du G8, c'est-à-dire qu'en aucune manière on ait tenu pour essentiel d'annoncer en primeur aux partenaires du sommet la décision de déployer la MD, est évidemment significatif du climat unilatéraliste. Évidemment, le Sénat des États-Unis est bien plus important, pour l'administration, que les alliés européens, le Japon, la Russie et ainsi de suite. Sans doutes est-ce là le plus important dans cette audition du 13 juillet et dans les circonstances qui l'entourent : quoiqu'il en soit du sort de la MD, le tournant stratégique américain est effectif et c'est certainement un fait acquis. Les États-Unis sont en train de cesser de considérer la stratégie comme une matière relative, où leurs décisions sont liées à l'attitude politique de divers partenaires, quels qu'ils soient. Désormais, la stratégie est redevenue pour eux une matière absolue : il y a leur décision stratégique, conforme à leur perception de leurs intérêts nationaux (matière à des débats sans fin) ; et, là-dessus, on peut négocier avec d'autres pays, à partir du fait acquis américain. Quoiqu'on en dise, quoiqu'on en veuille, il s'agit bel et bien d'un tournant unilatéraliste, c'est-à-dire, en clair, d'un tournant isolationniste pour la matière stratégique américaine.


En perspective : une bagarre très sévère au Congrès


Les services de relations publiques du DoD n'ont pas été longs pour annoncer, présenter, commenter dans un luxe de détails, dans la nuit du 14 au 15 juillet, le succès du test d'interception d'un engin figurant une ogive nucléaire, porté par une fusée Minuteman lancée de la base de Vandenberg, en Californie. L'intervention de Wolfowitz au Sénat était prévue pour avoir lieu avant le test, ce qui signifie que la décision de l'administration ne dépendait pas et ne dépendrait pas des résultats des tests d'expérimentation, et notamment de celui-là. Néanmoins, la réussite du test de Kwajalein du 14 juillet vient à point pour renforcer la position de l'administration dans la bataille interne autour de la MD, principalement contre les démocrates. Cette bataille va être intense, extrêmement politicienne, exacerbée par la perspective des élections mid-term (automne 2002). Elle va se dérouler essentiellement au Congrès, parce que c'est là où tout se passe quand on parle du budget. D'ores et déjà, le budget MD dans le budget 2002 du DoD atteint les $8 milliards, soit une augmentation de $5 milliards. Les prochaines années devraient voir la tendance se confirmer, et même s'accélérer. La MD va devenir le centre prioritaire du budget DoD, dont la structuration est en train de changer complètement. C'est autour du budget de la MD que se structure désormais le budget général de R&D et d'acquisition.

Qu'on le veuille ou non, c'est bien une des orientations de la réforme Strategic Review qui se met en place ici. D'autre part, deux domaines doivent être désormais suivis avec la plus grande attention : premièrement les effets de cette restructuration du budget, avec l'accent mis sur la MD, sur les autres postes du budget ; ces effets devraient être de plus en plus importants, de plus en plus déstabilisateurs, et les premiers échos d'une très sérieuse mise en cause du programme de frégate DD-21 classe-Zumwalt en témoignent. Deuxièmement, l'attitude de l'opposition démocrate, qui tient le Sénat et est bien placée à la Chambre, et occupe donc une position essentielle pour contrôler la répartition budgétaire et peser sur le développement de la MD. On devrait voir les premières indications d'éventuels abandon de programmes dans la QDR de septembre/octobre prochain. La bataille du budget, elle, aura lieu à partir de février 2002. (Sur cette question du budget du Pentagone, voir aussi notre “Analyse” publiée ce jour, « La crise du Pentagone et la question des 4% du PNB ».)


Et pendant ce temps, les relations transatlantiques


Il est manifeste que la décision américaine d'accélérer le programme MD va constituer, pour les Européens, une indication de plus du peu d'importance que les Américains accordent à leurs positions. Les Américains avaient fait une tournée d'information en avril-mai, notamment chez leurs alliés européens. En juin, ils avaient encore parlé du problème de la MD au cours des réunions OTAN et UE. Ils avaient pu mesurer la profondeur des réserves de certains alliés (notamment la France et l'Allemagne). Cela semblait suffisant pour que l'administration Bush prenne un peu de temps avant une orientation plus décidée. Au contraire, elle décide de précipiter le développement du programme. Par rapport à certaines indications et àla situation intérieure de l'équipe Bush, ce n'est pas une surprise. Quoiqu'il en soit, on a une fois de plus la mesure de ce que les Européens peuvent attendre en matière d'influence sur les Américains, lorsqu'il s'agit d'une décision qui touche directement les affaires américaines : fort peu de chose, et c'est d'ailleurs assez logique. Devant cette perspective de coopération et de consultation qui s'éloigne, selon l'analyse qu'on en fait ici, on constate que la réalité des relations transatlantiques, aujourd'hui, se trouve toujours plus du côté de la confrontation, comme le montre cette sévère empoignade entre les Européens, aidés par huit autres pays (dont des alliés fidèles des USA, comme le Japon et la Corée du Sud), et les USA, devant l'OMC, à propos de l'amendement Byrd. (A nouveau au premier rang, du côté européen, le Commissaire européen Pascal Lamy.) De plus en plus, la question de la “gestion” des relations transatlantiques s'impose comme la question fondamentale de l'agenda politique de tout dirigeant européen. C'est également, il faut le reconnaître, le socle central sur lequel l'autorité européenne en pleine ascension (qu'elle s'exprime par une organisation ou une personnalité) s'alimente pour s'affirmer, avec un transfert massif de la position européenne classique vers une dimension politique européenne, même lorsque le sujet ne l'est pas en apparence. En d'autres termes, la querelle transatlantique est, aujourd'hui, le meilleur outil de l'affirmation européenne.