Semaine du 13 au 19 mai 2002

Journal

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 849

La Russie, comme si elle était dans l'OTAN : quelle signification, quelles perspectives ?

Personne ne doit s'y tromper : les nouvelles relations établies entre l'OTAN et la Russie signifient que la Russie a désormais un droit de veto à l'OTAN, qu'elle se trouve dans une position où “tout se passe comme si” la Russie se trouvait dans l'OTAN. C'est un acte important, mais plus dans son aspect de symbolique politique que dans la réalité, parce que l'Acte Fondamental donne déjà à la Russie une place très importante dans l'OTAN. Mais c'est un acte important, et même essentiel, à cause du contexte, c'est-à-dire de l'importance quasi-exclusive et absolue donnée désormais par les USA au terrorisme et de l'importance que ces mêmes USA attribuent à la Russie dans la lutte contre le terrorisme. Cette place donnée à la Russie par cette décision signifie que l'OTAN est plus que jamais considérée par les Américains comme une machine au service des Américains, qu'elle est transformée dans cette logique, ou qu'on (les Américains en premier) essaie de la transformer en machine à lutter contre le terrorisme. C'est effectivement dans cette logique que la Russie y aurait une place essentielle, plus importante que celle attribuée aux alliés européens traditionnels.

Il faut être précis. Cette interprétation ne signifie pas que l'OTAN est transformée (au bénéfice de tous). Cela signifie que les Américains veulent transformer l'OTAN (au bénéfice d'eux-mêmes) et qu'avec cet acte d'en rapprocher décisivement la Russie, ils croient y être parvenues. On comprend la nuance fondamentale entre les deux phrases pour ce qui est du statut de l'alliance. Pour l'instant, avec l'arrivée de la Russie et tout ce que cela signifie pour l'OTAN, et, surtout, tout ce que cela signifie autour de l'OTAN en matière de politique et de symbolique politique, notre appréciation est qu'il n'y a qu'une seule certitude qu'on puisse avancer, et que c'est celle selon laquelle les Américains ont donné le coup de grâce à l'OTAN originelle. Quant au nouvel arrangement, qui implique une autre OTAN, spécialisée dans la chasse au terrorisme (vaste programme pour la bureaucratie de l'OTAN), tournée vers l'est et les confins euro-asiatiques et du sous-continent indien (ce qui justifie d'autant plus l'élargissement en cours), c'est une autre histoire. C'est bien l'orientation de la “nouvelle OTAN”, mais il est loin d'être assuré qu'elle mènera à une situation satisfaisante.

L'appréciation complémentaire de cette analyse est que le rapprochement décisif de la Russie avec l'OTAN ressuscite d'une certaine façon, mais d'une façon plus positive et plus active en théorie du point de vue des deux acteurs, le condominium USA-URSS de la Guerre froide, cette fois au coeur de l'OTAN. William Pfaff note qu'il s'agit a contrario d'un puissant appel aux Européens de l'Ouest pour établir une défense autonome de l'OTAN et des États-Unis, au coeur de l'UE.

« When the Europeans decided to establish a common foreign and security policy they expected to cede a serious measure of sovereignty in those matters to Brussels, in the interest of greater European autonomy (vis-à-vis Russia, for example). The United States, through NATO, is today making a separate and competitive claim on their defense and security resources, which would have the effect of reducing European autonomy.

» That is the issue of the unspoken debate between the Europeans and Americans at NATO, and between Europeans and other Europeans. »

Le dernier point qui doit être mentionné pour cet événement si important est dans la logique du précédent et concerne la Russie. Jusqu'où la Russie est-elle prête à jouer le jeu américain qui la place indirectement, et peut-être même directement, contre les intérêts des Européens de l'Ouest partisans d'une défense autonome ? La question est posée et les arguments en faveur d'un jeu poussé avec les USA (préoccupations russes pour le terrorisme avec la Tchétchénie, illusions de restauration d'un statut de super-puissance) existent autant que les arguments pour une évolution différente (excellents rapports des Russes avec l'Europe de l'Ouest, tendance de Poutine à être plus proche de l'Europe de l'Ouest, notamment des Allemands).

Woody Allen au Festival de Cannes, et avec lui un rappel des constantes de la querelle culturelle entre l'Europe et le système américain

L'acteur et réalisateur américain Woody Allen est, cette année, la vedette du Festival de Cannes (il reçoit une Palme spéciale, en même temps qu'il présente son film Hollywood Ending). Sa venue à Cannes s'est faite sur fond de brouhaha polémique, puisque les organisations juives américaines demandaient aux Américains d'Hollywood, particulièrement aux juifs, de boycotter la France et le Festival. (Les organisations juives entendaient protester contre la soi-disant renaissance de l'antisémitisme en France, évidente selon elles depuis les derniers événements jusqu'aux élections présidentielles.) Aucun Américain, et par conséquent aucun Américain juif, n'a boycotté la France et le Festival. Woody Allen, Américain et juif, a repoussé d'un commentaire furieux cette suggestion d'un boycott (« Je trouve ça [le mot d'ordre de boycott] absolument débile et ridicule. Ce qui s'est passé en France après le premier tour est tout à l'honneur de ce pays, ceux qui comme moi aiment la France ont de quoi en être fiers. »)

A Cannes, Woody Allen a “présidé” à la célébration d'un autre cinéma américain, c'est-à-dire d'un cinéma différent de celui que l'on a coutume d'évoquer. Ainsi Le Monde évoque-t-il cet événement (la présence de Allen, Cannes cette année, la présidence de David Lynch) dans ses éditions du 15 mai : « De Lynch, chantant les louanges du ''meilleur festival du monde'' à Allen (et en attendant Scorsese, président du jury des courts métrages), c'était bien une autre idée du cinéma américain qui était célébrée, en opposition implicite avec celle qui domine les écrans des Etats-Unis et du monde. »

Beaucoup nous est dit par Woody Allen lui-même, dans ses déclarations, telle que les rapporte le Guardian. Woody Allen brosse en quelques phrases une appréciation des conceptions culturelles françaises (et européennes) par rapport, ou contre les mêmes conceptions soi-disant culturelles du système hollywoodien. Il dit notamment ceci, — qui nous en dit beaucoup sur les différences culturelles fondamentales entre le système américaniste et les Européens (Français en tête) :

« The French people have been so supportive of my films for so many years, and so affectionate to Cannes that I thought I ought to make a gesture of reciprocity,'' he said. ''I always find it very, very amusing and very endearing about the French that they discover our artists before we do. For some reason it takes the validation of the French to recognise our most important artists. When you think of Edgar Allan Poe, William Faulkner, any number of film directors, any number of important jazz musicians, they were all appreciated in France first. European culture takes the arts more seriously than we do.'' »