Réflexions et commentaires pour un lecteur l’autre (I)

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Réflexions et commentaires pour un lecteur l’autre (I)

Ce texte pourrait être aussi bien intitulé : “Comment est né et s’est développé le site dedefensa.org”. (Il sera complété par un autre texte sur nos projets.) Il est inspiré au départ par une remarque d’un lecteur en date du 21 août 2007. La fin de notre texte pourrait, elle, s’intituler: “mais dedefensa.org a aussi ses humeurs qu’il n’entend pas dissimuler”.

Voici, pour rappel et une meilleure accessibilité au sens du débat, le texte de notre lecteur :

«Bonjour, dedefensa! Je suis donateur, modeste certes, mais j'ai déjà opéré plusieurs versements. Je le dis d'entrée parce que cela me met à l'aise pour exprimer une certaine incompréhension quant à ces besoins d'argent qui semblent si élevés. Je m'explique. Il existe une version papier de dedefensa à laquelle je ne suis pas abonné parce qu'elle est fort chère, justement. Dedefensa est donc rémunéré par ces abonnements. Ce qui apparaît sur le site consiste en reprises, résumé, etc., de la lettre papier. Le site internet ne devrait donc pas nécessiter de personnel supplémentaire. Quant au coût de l'hébergement du site, il est négligeable. Une récolte de fonds de plus ou moins 6000 euros semble donc à première vue confortable. Quand je dis que je ne comprends pas bien ça signifie exactement ce que je dis, ni plus ni moins. J'entends par là que je ne soupçonne aucunement dedefensa de malhonnêteté ni de cupidité! Ainsi, si vous pouviez éclairer ma lanterne, ainsi que celle des autres lecteurs qui, peut-être se posent les mêmes questions, cela lèverait sans doute certaines réticences. Bien cordialement.»

A ces demandes d’explication comme à d’autres, nous pourrions répondre par le simple bon sens : en quoi tout cela concerne-t-il nos lecteurs? Mais non, jouons le jeu. Nous le faisons, nous l’avouons, selon un réflexe professionnel, — pour vous informer de nos conceptions, de notre façon de voir, autant que de notre situation. Et puis aussi, disons ce mot que nous répéterons : par courtoisie.

A nous, donc. Nous précisons qu’il n’y a rien, dans ce qui va suivre, qui relève de l’amertume personnelle, de la rancœur, de la polémique, et notamment pour les lecteurs cités qui le sont, — ils nous pardonneront, — pour la commodité de l’exemple. Par contre, il doit apparaître que d’autres messages, consacrés à notre campagne de donation, que vous trouverez ici et là, ont fait progresser à mesure notre réflexion.

Comment est né dedefensa.org

Ce site est né d’un besoin qui devenait une frustration. La Lettre d’Analyse étant par essence une publication d’analyse, elle observe les événements à bonne distance et en tire une réflexion générale où les événements sont moins les moteurs de la réflexion que son illustration. (La rubrique dedefensa notamment, est originale : 8 pages bimensuelles de chronique faisant entre 60.000 et 65.000 signes. La formule est telle, comme nous l’avons raffinée, qu’elle suscite par sa forme une réflexion différente ; même si nous devions abandonner la Lettre d’Analyse sous sa forme actuelle de fabrication [papier], nous garderions cette formule de chronique pour l’enrichissement que sa forme inspire à la pensée.)

Le fondement de la réflexion, lui, est né et s’est développé avec l’addition de diverses choses accumulées et enrichies au fil du temps: l’expérience, la réflexion que nous osons qualifier d’historique sur près de quarante ans de journalisme et de chronique, l’engagement par rapport aux idéologies en cours (plutôt que l’“engagement idéologique”), l’intuition sur les valeurs différentes des événements en cours à la lumière de ce qui précède. Nous ne nous laissons pas guider par les événements, nous les choisissons selon l’importance que nous leur attribuons (ce qui justifie notre idée de “subjectivité objective” pour qualifier notre démarche).

Il y a dans ce qui précède l’exposé d’une “méthode” qu’on retrouve dans dedefensa.org et d’une distance par rapport aux événements qu’on ne retrouve pas dans dedefensa.org. Au contraire, dedefensa.org réagit à l’immédiat, à l’actualité pure, en tentant de lui donner un sens. Le site est né de ce besoin : puisque cette réaction à l’immédiat n’existe pas dans la Lettre, nous étions frustrés. Le site est né pour guérir cette frustration.

Il ressort de ce qui suit deux point fondamentaux qui contredisent l’analyse de notre lecteur:

• Le site n’est absolument pas une reprise simplifiée et délayée, ou résumée, du contenu de la Lettre.

• Il l’est d’autant moins qu’il existe chronologiquement avant la Lettre, comme vous le comprenez évidemment.

Le fait est que notre journée de travail est consacrée, sauf 3-4 jours par mois au moment des “bouclages” des Lettres, à hauteur de 10%-15% aux deux Lettre, et le reste au site. Même la recherche de la documentation d’actualité est d’abord destinée au site, nous voulons dire : “selon l’esprit du site”. Bien évidemment, toute la connaissance accumulée servira à la Lettre, parce qu’on ne divise pas les cerveaux, parce que nous exécrons par-dessus tout le cloisonnement des choses, des événements, des démarches intellectuelles, — en un mot, parce que cela va de soi.

Concurrence entre la Lettre et le site

… Il ressort de ce qui précède que ceux qui pourraient être inquiets d’un “doublonnage” sont d’abord et exclusivement les lecteurs de la Lettre (qui payent, eux). Cela fut notre préoccupation constante dès l’origine : comment ne pas “doublonner”? Nous pensons, sur 5 ans d’activité, ne pas avoir trop mal réussi. Mises à part les données incompressibles et évidentes, et qui font l’intérêt de toute publication quelle qu’elle soit, — la “méthode” de travail, les choix ou non-choix idéologiques, — nous jugeons à vue de nez qu’il y a en “travail brut” autour d’un maximum de 5%-10% de “matériel” commun entre la Lettre et le site. Il n’y a jamais de reprise directe, du mot à mot ou tout comme, mais dans les cas les plus proches de la similitude un travail de récriture. Notre travail sur le site n’a rien à voir avec les sites des journaux MSM qui se contentent de reprendre les articles publiés sur papier, gratuitement ou pas cela dépend.

(Nous mettons à part les reprises de certaines rubriques des Lettres dd&e et Context dans les rubriques correspondantes du site, qui n’interviennent pas dans cette comptabilité, qui sont faites sauf cas exceptionnels plusieurs semaines après leur publication et sont plutôt présentées comme archives aux lecteurs du site, qui bénéficient ainsi gratuitement d’un service que d’autres paient. Leur mise en ligne sur le site et l’intérêt qu’ils suscitent montrent évidemment que leur contenu est différent du contenu du site.)

Mais il s’agit d’une évaluation arbitraire de notre travail et tout le monde peut la contester. Nous n’avons aucun moyen de la prouver statistiquement (!). D’ailleurs, nous n’en avons cure. Nous avons notre bonne foi intellectuelle et l’expérience du travail réellement effectué, — et faites-en ce qu’il vous plaira.

Il n’empêche que la concurrence du site s’est exercée malgré nos précautions parce qu’il existe une pression psychologique inconsciente dans ce sens. Le résultat a été une érosion des abonnements. Cela nous a conduits, — d’ailleurs avec beaucoup d’allant, tant nous préférons la formule du site, — à évoluer en faveur du site. C’est un choix que le succès du site n’a cessé de renforcer, bien sûr. Mais ce choix est à nos risques et périls, sans aucun doute, — nous voulons dire : économiquement.

Nous exposerons dans un autre texte cet aspect de dedefensa.org, disons notre “stratégie”. Ce sera une bonne information pour nos lecteurs. Il va de soi que, si notre choix est mauvais, nous devrons envisager d’autres voies. Car enfin…

Choisir le monde où l’on vit

Et là, sans aucun doute, nous nous montrerons critiques de l’intervention de notre lecteur, qui nous assigne €6.000 annuels comme un budget “confortable”. Là, en vérité, nous bondissons un peu de notre confortable fauteuil.

Vivons-nous dans le même monde qu’Antiwar.com? En huit jours (14-21 août), ils récoltent 1.335 donations pour un total de $68.201 et ils ne sont pas contents (ils veulent $70.000, — qu’ils obtiennent le 9ème jour en prolongeant leur campagne d’un jour et en dépassant les 1.500 donations). Et ils répètent l’opération quatre fois par an, chaque fois avec succès. Nous ne sommes pas dans la même catégorie d’Antiwar.com (90.000 entrées par jour) mais nous parlons de l’esprit de la chose ; et les frais d’Antiwar.com ne sont certainement pas 28 à 30 fois supérieurs à ceux de dedefensa.org (si nous nous en tenons au chiffre annuel “confortable” qu’on nous assigne), — simplement selon l’observation évidente que les services fournis sont incompressibles et que seuls changent dans ce cas l’audience et, semble-t-il, l’esprit de la chose chez les lecteurs.

Il est caractéristique que notre lecteur mette dans son décompte tout ce qui est la mécanique de la chose (découpages d’article, résumés, etc., au demeurant hypothèse inexacte, et le paiement du serveur, et basta). C’est un point qu’on retrouve dans nombre de remarques de lecteurs, en général. Aucune référence à l’aspect humain : le travail intellectuel, la création, la recherche documentaire, le travail d’entretien du site, les interventions au niveau du graphisme. Cela semble être considéré comme un dû, ou bien ne pas exister vraiment. Ce n’est pas le cas.

L’information, l’analyse, la chronique, la création ne sont pas des passe-temps agréable pour vous permettre de vous détendre, le soir au coin du feu, après une harassante journée de travail. L’information, l’analyse, la chronique, la création, c’est notre métier et nos harassantes journées de travail à nous et nous estimons que c’est, aujourd’hui, dans l’urgence des temps, le métier le plus précieux du monde. Est-ce une affirmation “arrogante”, comme dit une lectrice, et devrions-nous nous replier sur notre bonheur de ne rien gagner pour permettre à notre vie courante de ne pas se faire? Alors, nous ne sommes pas dans le même monde.

Un exemple : la traduction de l’anglais

… Oui, est-ce bien dans le même monde que nous vivons, vous, chers lecteurs qui pensaiennt de la sorte, et nous, journalistes et chroniqueurs pas si chers? Un exemple : la traduction des textes anglais en français. C’est une demande récurrente. Un lecteur, très récemment (“Julien”, le 22 août), nous dit à propos de l’article du Bloc-Notes Werther/Cordesman : «Voilà pourquoi j'hésite encore à apporter mon modeste soutien financier. 3/4 de l'article en anglais... pas le temps de traduire. Est ce que si vous bénéficiez d'assez de soutiens, vos articles serait traduit?»

Prenons une hypothèse : nous donnerions une réponse positive à notre lecteur si la somme nécessaire aux frais de traduction était ajoutée à ce que nous demandons par ailleurs, par donation, pour poursuivre notre travail. Logique, non? Honnête, n’est-ce pas? Aucun soupçon n’est possible. Voyons cela et voyons ce qui vous attend en fait d’exigences financières.

Il se trouve que nous connaissons le marché de la traduction, parce que nous publions une Lettre d’Analyse que nous faisons traduire en anglais (Context). Nos frais de traduction pour un numéro sont de €2.000. Context fait entre 35.000 et 40.000 signes. Nous calculons qu’en moyenne nous publions sur le site, chaque jour, entre 5.000 et 10.000 signes de textes anglais. (Evaluation extrêmement basse. Rien que le texte anglais du texte Bloc-Notes sur Werther/Cordesman fait 2.534 signes ; nous publions souvent 2-3 textes Bloc-Notes par jour, et un F&C, pour le courant, avec d’autres textes d’autres rubriques plus épisodiquement ; par exemple, le 21 août il y aurait eu 9.726 signes à traduire.) Prenons l’hypothèse la plus basse, qui est en vérité très basse : 5.000 signes. Prenons une moyenne de 28 à 30 jours par mois qui, avec dedefensa.org qui ne part pas en vacances, n’est vraiment pas exagéré. Au tarif que nous avons indiqué et en prenant l’hypothèse la plus basse (35.000 signes) pour Context, cela fait autour de €8.000 par mois, soit autour de €96.000 par an. (Pour la bonne mesure, ajoutez-y la question des délais car une bonne traduction est un processus lent.)

Dans quel monde choisissez-vous de vivre? Pour être clair sur la question de la traduction, notre réponse est : un amical mais “resounding ‘NO’”.

Quelques évidence de nous à vous

Disons, pour conclure, qu’il nous semble qu’il ne faut pas renverser les rôles. A lire certain(e)s, nous avons parfois l’impression que c’est dedefensa.org qui doit quelque chose à ses lecteurs, notamment rendre des comptes et justifier de devoir simplement vivre. Cela nous semble beaucoup, c’est-à-dire beaucoup trop.

Alors, nous terminons par quelques évidences :

• Le travail de defensa.org est un très gros travail et un travail de qualité, qui remplit nos journées, qui se fait en toute indépendance et qui a souvent comme compagne l’angoisse des lendemains qui ne chantent pas du tout ou qui chantent faux. Ce travail, il sera rétribué d’une façon ou d’une autre par ceux qui s’en servent, et à l’estime de ceux qui le font, — ou il ne sera plus.

• Les lecteurs qui s’offusquent de nos demandes de donation ont une solution simple : ils peuvent évidemment ne pas donner. D’ailleurs, ils ne s’en privent pas. Au bout du compte, on fera les comptes et les conséquences seront tirées.

• Pour le reste, les lecteurs qui trouvent notre information et nos commentaires de qualité et viennent jusqu’à nous lire mais trouvent déraisonnable que nous ayons besoin de vivre trouveront un jour porte close ou accès payant. Il leur restera à aller sur le site du Wall Street Journal de Rupert Murdoch. Lequel est payant, mais en $.

• A ceux qui s’indigneraient à propos d’argent alors qu’il s’agit de donation, c’est-à-dire d’un acte volontaire, — alors qu’avec accès payant ils n’auraient qu’à se taire : payer et lire ou ne pas lire, selon les lois du marché, — à ceux-là nous leur demanderions s’ils ont bien compris ce que nous écrivions dans un précédent message: «N’appréciez-vous pas à sa juste valeur une occasion où, pour une fois, l’argent a une autre valeur que l’intérêt stupide et cupide dont tous les imbéciles et crapules du monde entier qui nous conduisent vers l’enfer font leur vertu en nous promettant la nôtre pour le paradis des boursicoteurs de Wall Street?»

• … Car certains nous parlent de l’“esprit d’Internet” (y compris certains de nos chers collaborateurs, qui nous instruisent là-dessus). Il nous semble parfois que l’“esprit d’Internet”, pour nombre d’internautes, semblerait se résumer à la pratique de la gratuité de l’accès au site. Pourquoi pas? Mais alors, chers lecteurs, votre référence c’est l’argent ? (Payer ou ne pas payer, c’est toujours se référer à l’argent.) C’est un constat étrange dans une communauté où l’habitude est de vilipender, condamner, moraliser, rudoyer, exécrer le capitalisme, ses ors et ses préoccupations vénales. Nous, ce n’est pas le cas. Notre référence c’est la liberté. Et, selon les expressions consacrées, — la liberté est sans prix, ce qui signifie que la liberté ça n’a pas de prix, ce qui signifie que s’il faut payer pour l’avoir, — eh bien payons puisque l’argent n’est pas notre référence de comportement et n’est qu’un moyen dans un système où nous sommes tous même si nous lecombttons. Voilà dans tous les cas ce que nous imaginions à propos de l’état d’esprit de nos lecteurs.

• Cela n’empêchera pas, — cadeau à nos lecteurs, — que nous leur feront part dans un texte très prochain de nos projets et de nos intentions. Par courtoisie, répétons-le, pas par arrogance ni par goût conformiste de la soi-disant “transparence”. Bref, en toute liberté.

• Un dernier mot, qui sera celui de la reconnaissance, — terme qui a comme racine, en plus du sens courant, qu’on “se reconnaît”, — et dernier mot qui sera absolument apaisé. Ce mot pour cette sorte de lecteur qui nous lit, qui ne s’interroge pas ni ne nous interroge précisément, qui comprend et goûte l’effort que nous poursuivons sans débattre de son coût, qui contribue à la vie du site en faisant sa donation, parfois de sommes fort respectables dont le montant nous plonge dans la confusion, — ce lecteur qui nous conduit à nous dire à nous-mêmes: “Ainsi, cela existe toujours, la confiance spontanée, simplement pour saluer et pour nourrir l’affinité intellectuelle?” … Et qui fait tout cela en silence, sans tambour ni trompette. Pour celui-là, chapeau bas.

• Et, pour une fois mais comme toujours, ami lecteur, nous vous recommandons : faites comme il vous plaira. Nous ne vous disons pas “à vous la main”, formule un peu lourdingue de notre campagne de donation. Vous la prenez vous-même si vous le voulez. En toute liberté.


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