Notes sur L'OTAN de nos tourments

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Notes sur L’OTAN de nos tourments

Le retour annoncé, prévu, programmé de la France dans l’OTAN, a déclenché en France un débat dont “le petit Nicolas” se serait bien passé. Par ailleurs, c’est un débat excellent, de la sorte qui nous manque en général, éventuellement pour réaliser ce que c’est qu’être dans l’OTAN et ce que c’est que la souveraineté et l’indépendance.

On a pu mesurer combien, dans un tel débat, à propos d’une idée (le retour dans l’OTAN) dont l’on disait qu’il correspondait aux voeux d’une majorité des élites françaises, la thèse du retour dans l’OTAN se trouve constamment sur la défensive, obligée de plaider le détail, la réserve, l’utilitaire sans gloire. On a pu mesurer combien l’idée de la souveraineté et celle, complémentaire, de l’indépendance, d’habitude tenues pour acquises et un peu “rancies”, – selon l’idée générale de nos élites lorsqu’il s’agit de la France, – retrouvent toute leur gloire et leur actualité élevée lorsqu’il s’agit d’en débattre pour l’immédiat. Il existe ainsi des conceptions pérennes, comme l’on dit encore, qui retrouvent toute leur force, toute leur puissance dévastatrice lorsqu’elles sont débattues, qui renvoient à l’“écume des jours” et des modes éphémères les habiletés temporaires des petits esprits qui croient régner aujourd’hui.

Ce qui est bon et irréfutable pour la souveraineté et l’indépendance l’est moins pour l’OTAN, et pour le “retour dans l’OTAN”. C’est-à-dire que la réaffirmation tonitruante des principes n’implique pas nécessairement une condamnation de la même veine de la cause de leur réaffirmation antagoniste. C’est que la thèse du “retour dans l’OTAN” n’est plus ce qu’elle était il y a deux ans, ni même ce qu’elle était il y a six mois, disons avant le 15 septembre 2008.

La rapidité du temps historique est à couper le souffle, comme la crise, comme l’ampleur de la crise, comme sa dimension systémique et sa dimension eschatologique. Les conceptions changent de jour en jour, peut-être d’heure en heure. Le jugement doit être à mesure.

Le cas du retour dans l’OTAN: la sottise et l’inutilité de cette décision d’un point de vue théorique

En théorie et d’une façon générale, il est manifeste que la décision de revenir dans l’OTAN est d’une sottise exemplaire. Qui plus est, elle est inutile, – mais ceci va avec cela, après tout. Pour ses conséquences, c’est une tempête dans un verre d’eau, – ce qui veut bien dire ce que cela veut dire: la décision elle-même est, en importance, de l’ordre du verre d’eau dans le vaste univers.

La sottise est certainement en ce qu’on prend une décision qui est, au départ, disons si elle avait été prise en 1974 ou en 1983, ou en 2003, une véritable félonie; qui n’a plus du tout cette dimension aujourd’hui mais qui en garde le fumet assez fortement pour la faire passer en procès selon cette accusation, sans que celle-ci paraisse dépassée alors qu’elle l’est. On sent bien que le cas du retour dans l’OTAN est d’abord une vanité d’auteur, sinon de plagiaire; le président Sarkozy a suffisamment écorné ses engagements pro-américanistes qui forment le fond de commerce de son accession romantique à la compréhension de la grande politique internationale, pour ne pas en conserver avec acharnement le dernier carré. La décision de réintégration de l’OTAN prend ainsi une allure de caprice, d’anachronisme et de dérision. Si ce n’est sottise et inutilité cela y ressemble sans aucun doute, tant qu’on céderait au désir de rappeler une fois de plus le mot de Montherlant: «va jouer avec cette poussière», adressé à l’auteur de la chose. Le ridicule a occulté le tragique, ce qui est un signe de l’époque.

Cette décision l’est-elle pour autant, tout cela, et ne faut-il pas s’en expliquer plus avant? Après avoir examiné la chose d’un point de vue général, par rapport aux tendances politiques générales qui nous apparaissent, ne peut-on trouver, plus avant, des constats et des observations qui nous feraient, disons, nuancer des jugements fort abrupts? Fort bien, exécutons-nous et faisons notre métier.

Observons d’abord ce que tout le monde sait, qui est que l’OTAN n’est plus ce qu’elle était. Arrêtons-nous à un point de théorie stratégique. Les stratèges otaniens et pro-otaniens font grand cas d’un “concept stratégique” en cours d’élaboration, comme si l’on allait tailler la pierre philosophale, et qu’évidemment il faudrait que la France en fût partie prenante. Il faut retenir son sourire. Le travail de l’OTAN dans ce domaine dépend essentiellement (disons, à 99%) des USA, de la posture stratégique des USA, de la puissance supposée des USA, des objectifs des USA. Une présence française à l’intérieur du processus pourrait être justifiée par la volonté de profiter de la puissance US; cet argument hautement contestable n’a aujourd’hui aucune validité.

Ce que représentent les USA dans l’OTAN, et ce qu’y amènent les USA dans le temps présent, c’est le désordre et la paralysie. La situation au Pentagone est bien définie par la situation de la principale revue stratégique, la Quadrienal Defense Review, qui a lieu tous les quatre ans (la prochaine, fin 2009). Lors d’un séminaire à Washington le 11 mars, Anthony Cordesman, du CSIS, définit la QDR par rapport au budget du Pentagone: «Is $533.7 billion in FY2010 and 4.2% of the GNP enough? Enough for what? Our most recent QDR is a morass of half thought-out ideas—many calling for further study or otherwise deferring tangible action. We don’t have a force plan. We don’t have a clearly defined procurement plan. We don’t tie it to end strength goals that are clearly defined and costed. We haven’t provided meaningful budget figures because the FYDP is not tied to the QDR. We haven’t set clear goals to be achieved. We have no metrics.» D’une façon plus générale, la situation du Pentagone est bien définie, ce même 11 mars, par Arlan Ullman, de la National Defense University et de l’Atlantic Council: «[T]he forces that brought Wall Street and Main Street to their collective knees affect the Pentagon in strikingly similar ways. [...T]hese factors [...] will do to the Pentagon what has happened on Main Street and Wall Street…»

En nous transportant vers la situation US sur ce point particulier, nous voulons surtout signaler ce qu’est devenue la situation US au niveau de la sécurité nationale; et que, par conséquence de la prépondérance absolue des USA dans l’OTAN, dans le domaine des structures stratégiques et autres, on ne fera que se rapprocher d’un pôle de désordre et d’impuissance qui risque de conduire le Pentagone à une situation d’effondrement semblable à celle de l’architecture financière en septembre 2008. L’ignorance européenne, et française en particulier, de cette situation bureaucratique et stratégique des USA est un phénomène absolument fascinant par son ampleur.

On ne veut pas dire que tout l’OTAN, les pays membres de l’OTAN, seront entraînés dans cette chute éventuelle; on veut dire qu’en étant dans l’OTAN, ces pays membres sont effectivement confrontés à une situation de désordre et d’impuissance véhiculée par l’usine à gaz stratégique US, qu’ils n’ont rien d’autre à attendre de cette situation otanienne, du point de vue fondamental. S’en rapprocher pour prétendre en gagner un surcroît de puissance constitue un argument schizophrénique.

Du point de vue plus large de la vision stratégique, c’est la même chose. La situation US est à peu près similaire, accrue par le fait que, depuis septembre 2008, tout est remis sens dessus-dessous. L’importance accordée au terrorisme et aux conflits attenants se vide de toute substance à une prodigieuse rapidité. On observera que les Français n’ont pas besoin d’être dans l’OTAN pour continuer à exercer cette absurdité pour leur compte; certes, mais s’en rapprocher ne les aide en rien. Dans tout cela, on ne voit rien d’absolument catastrophique à “revenir” dans l’OTAN mais on voit encore moins quoi que ce soit de la moindre utilité, du moindre avantage stratégique ou conceptuel. Cette inutilité avérée réduit l’aspect pratique de la décision, dans ce domaine des avantages, au négatif négligeable et justifie évidemment le jugement de sottise qu’on est tenté de lui appliquer.

Le cas du retour dans l’OTAN: le jugement modifié pragmatiquement selon l’évolution de l’OTAN et l’évolution des USA

Nous allons poursuivre dans une orientation que nous privilégions d’une façon très systématique, parce que cette orientation définit si bien notre époque. Il s’agit de l’orientation paradoxale. En effet, un bon cas, un vrai cas pour plaider en faveur de la présence dans l’OTAN, voire d’un rapprochement de l’OTAN, serait de réaliser la véritable situation de l’appareil de sécurité nationale des USA, et d’avoir la résolution de contribuer à la dégradation accélérée de cet appareil. Cela, aucun dirigeant européen, et surtout aucun dirigeant français, n’a l’audace intellectuelle de le réaliser et la force de caractère de s’y résoudre. La pensée française est gouvernée par un sentimentalisme de midinette, dont la conviction théorique du chef de l’Etat dans l’acclamation rhétorique de “nos amis américains” constitue le couronnement, et certainement pas une contradiction.

En d’autres termes et pour faire plus net, nous dirions que nous ne sommes pas loin de penser à une situation hypothétique où le général serait aux affaires, et où il envisagerait comme une option machiavélique de réintégrer complètement les structures de l’OTAN pour pouvoir manoeuvrer dans le sens de contribuer à la destruction de la machinerie bureaucratique US (complexe militaro-industriel et Pentagone). Bien entendu, ce serait envisager la décision de rapprochement d’une façon diamétralement opposée à l’état d’esprit qui l’accompagne aujourd’hui. Ce serait réaliser également qu’aujourd’hui, tout le monde est prisonnier de cette machinerie bureaucratique, y compris Obama à la Maison-Blanche, y compris, peut-être, l’amiral Mullen (le président du JCS). C’est d’ailleurs exactement le cas, avec Gates lancé dans une tentative de réforme du Pentagone. Cela pourrait inspirer aux Européens (aux Français et à Sarkozy) des suggestions de réforme de l’OTAN donnant une place moins grande à ce Pentagone en faillite.

Nous n’avons pas, nos dirigeants n’ont pas de ces pensées-là. Le cas du retour de l’OTAN n’est finalement que ce qu’on en fait, c’est une décision qui doit se jauger d’un point de vue pragmatique, réaliste. A notre sens, elle n’engage pas de principes si l’on ne veut pas qu’elle engage nos principes, – point final. Le cas technique justifiant, en partie, la décision de De Gaulle en 1966 (le mécanisme du commandement intégré dans le cas très précis de l’engagement contre l’URSS, et toute la planification contraignante qui allait avec) n’existe plus aujourd’hui. Le cas de l’Afghanistan montre à suffisance combien tout le monde, notamment et essentiellement parmi les plus alignés, se fout du tiers comme du quart de la solidarité; combien les consignes US de tenir le rôle de supplétifs, devenues objurgations furieuses ou désespérées au fil des ans et des réunions “décisives” et ministérielles de l’OTAN, n’ont pas le moindre effet concret. Là encore, il faut être Français comme l’est le président en cours, et encore “hors” de l’OTAN pour ce cas, pour croire à ce qu’il dit lui-même sur l’Afghanistan, sur la “défense de la liberté” et sur la “solidarité occidentale”. L’on remarquera néanmoins que, même pour lui, la conviction ne va pas au-delà de quelques centaines d’hommes de renfort. Tout cela réduit la polémique à des dimensions bien faiblardes.

C’est notre incapacité complète à comprendre que les relations avec les USA sont un problème en pleine évolution, parce que les USA sont dans une crise profonde, qui empêche le retour de la France dans l’OTAN d’avoir quelque sens et quelque intérêt. Mais la même situation existe “hors de l’OTAN”, parce que nous ne comprenons pas plus le caractère réel de nos relations avec les USA, et la situation aux USA. La décision de “réintégrer” l’OTAN pourrait être une décision tactique répondant à la fameuse méthode trotskiste de l’“entrisme”, et alors elle aurait un sens. Il s’agirait bien d’une décision tactique, et nullement d’une décision fondamentale, et c’est effectivement l’importance qu’il faut lui accorder.

La situation dans l’OTAN est la même que dans toutes les structures, organisations, concepts et cadres doctrinaux occidentaux. C’est une situation de crise systémique, parce que la crise qui nous touche est justement systémique, qu’elle n’épargne rien par conséquent. On peut concevoir d’y entrer pour “travailler” comme il faut, c’est-à-dire en mettant en cause systématiquement, – à l’image de la crise et aidés en cela par la crise, – toutes les situations et tous les principes destructeurs qui y trônent.

La France est dans l’UE et l’on a vu le “travail” de Sarkozy lors de la présidence française; travail admirable sans intention de l’être vraiment dans le sens où il a évolué, c’est-à-dire sans conscience de la chose; Sarkozy a passé son temps à mettre en cause tous les principes absurdes et destructeurs qui trônent au coeur de l’UE. En quelques mois, et bien entendu avec l’aide impérative de la crise, il a rétabli toute la puissance, avec les principes qui vont avec, de la nation dans l’ensemble communautaire. Bravo certes, – mais on sait bien que personne ne se doutait de rien avant que la présidence ne commençât, bien heureusement favorisée par la crise (en fait, les crises: la Géorgie et l’effondrement financier).

Dans le cas de l’OTAN, le retour aurait un sens s’il s’appuyait sur une intention manifeste, et proclamée distinctement, de remettre tout en cause au sein de cette Organisation, et d’abord, et particulièrement les relations avec les USA. Cela supposerait une belle dose de caractère, un «cerveau de glace dans une âme de feu» comme le philosophe Manuel de Diéguez qualifie Chateaubriand, et qui pourrait aussi qualifier de Gaulle, – c’est-à-dire une pensée absolument maîtrisée au sein d’une vision épique de l’Histoire. Cela supposerait d’abandonner la vision romantique et étonnamment sentimentale que les élites françaises entretiennent vis-à-vis des USA, leur American Dream en un sens. Ce problème dépasse largement le “retour” dans l’OTAN. Reste à voir comment le “retour” dans l’OTAN pourrait influer sur lui.

Le cas du retour de l’OTAN: des perspectives absolument imprévisibles et dans tous les cas manipulables

Il y a aussi, dans cet acte du “retour” dans l’OTAN, comme dans tout acte politique aujourd’hui, une part très grande d’impondérable. Cela tient aux grandes tendances du temps, qui sont marquées par l’immense difficulté des dirigeants à maîtriser les événements d’une part, à apprécier véritablement leur sens et, par conséquent, leurs effets possibles d’autre part. Cela tient aussi bien à la situation politique où la crise est devenue la substance même de la situation du monde qu’à l’importance fondamentale de la communication qui relativise toutes les situations en les liant à autant de perceptions subjectives qu’il y a de dynamiques de communication, aux dépens d’une éventuelle situation objective.

Le “retour” de la France dans l’OTAN se fait dans une organisation qui n’a, littéralement, plus de sens. Le sens objectif de l’OTAN n’existe plus (depuis la fin de l’URSS) et l’OTAN n’a pas la capacité de s’imposer un sens à elle-même, – ceci allant avec cela pour un artefact qui n’a de cohésion que dans la mesure où il reflète une cohésion extérieure. A l’image du monde, l’OTAN est en crise de désordre, et doublement en crise puisqu’elle dépend complètement de la situation du monde, puisqu’elle n’a pas de substance propre (comme l’on dirait d’une substance régalienne pour une nation).

Malgré tous les désirs de ses Etats membres, y compris de la France dans certaines occurrences, l’OTAN n’est même plus le réceptacle de l’alignement sur l’Amérique (certains diraient: de “la servilité volontaire”) parce que cet alignement lui-même est en crise. Il est très difficile de trouver aujourd’hui un sens à l’alignement sur l’Amérique; d’une part parce que l’Amérique perd elle-même le sens d’elle-même; d’autre part parce que dans un monde qui a fait de la crise sa substance, la question du sens se résout par l’absence, – la question n’a pas de sens.

Cela induit que, quelles que soient les intentions qu’on a, y compris celle de la “servilité volontaire”, on ne peut être sûr de rien. D’où l’idée que, si le “retour” de la France dans l’OTAN n’a aucun sens, notamment par l’absence de hauteur et de caractère des dirigeants français, il se pourrait qu’il en acquiert sous la pression des événements. Aujourd’hui les hommes proposent à peine, ou proposent faussement, et l’Histoire dispose absolument, complètement, sans la moindre hésitation ni la moindre considération pour les petits hommes; il arrive même, de plus en plus souvent, qu’elle impose sans que personne ne lui ait rien proposé.

Les caractères annexes et les incidents du caractère, ces faiblesses et futilités avérées des dirigeants et particulièrement des dirigeants français, vont jouer à plein, et certainement dans des mesures qui pourraient nous surprendre agréablement. C’est à ce point, bien entendu que se situent des occurrences à venir, que nous qualifiions par avance d’“imprévisibles et dans tous les cas de manipulables”.

Nous connaissons aujourd’hui le caractère de ces hommes, de ces dirigeants postmodernes dont le président français est l’archétype. Des caractères “sans caractère”, fascinés par l’effet, l’éclat, le distinguo pas subtil du tout. Mais dans tout cela on se trouve attaché, dans ce cas, pour sa propre promotion, à la réputation et au statut de la France, avec leur poids et leur puissance. On a déjà vu comment Sarkozy s’en arrange. Son goût de l’effet va au plus facile, et le plus facile pour lui c’est d’utiliser à son avantage apparent tout ce qui fait la réputation et le statut de la France, dans tout leur poids et toute leur puissance. Par conséquent, il y a fort à attendre que, comme en d’autres occurrences, Sarkozy saura utiliser, pour la gloire de son image, les avantages que lui donnent la réputation, c’est-à-dire “ce qui fait la réputation de la France”. Ce processus humain qu’on décrit manque singulièrement de grandeur; mais ce qui nous intéresse, c’est l’effet pour la France dans l’OTAN.

Il ressort de tout cela, à notre sens, que Sarkozy n’aura de cesse, dès l’OTAN réintégrée, de s’y distinguer à son avantage, pour se prouver à lui-même qu’il avait raison et aux autres qu’il avait effectivement raison. Ayant retrouvé à son grand soulagement sa vertu atlantique, il lui importera de s’en servir pour mettre en question, sans s’en aviser, tout ce qui fait, en général, la vertu atlantique pour ceux qui savent ce dont on parle. Il affirmera l’indépendance de la France, sa prétention à influer sur l’orientation de l’OTAN. Cela provoquera des heurts et des étincelles bien peu atlantistes, bien plus qu’au temps où la France était sur la réserve.

Ainsi, avec la France dans l’OTAN, tout est possible, même le meilleur, complètement par inadvertance. Ceux qui ont conçu cette idée sont si maladroits, si complètement obsolètes (ils aiment bien ce mot pour le ficher au coeur de leurs adversaires), qu’ils pourraient, par inadvertance, nous en faire sortir d’excellentes choses; par exemple, s’ils croyaient dur comme fer pouvoir enfin “dialoguer” avec “nos amis américains”, avec fermeté, sur les matières stratégiques.

Résumons-nous avant de conclure. Au fond, l’action du “retour dans l’OTAN” de Sarkozy est comme le troisième volet d’un triptyque. Le premier volet, c’était la modernisation de la France en la faisant rentrer dans le système libéral et dans la globalisation. Quelle est la situation aujourd’hui? Le système libéral s’effondre, la globalisation est en miettes et Sarkozy en est, pour se distinguer, à proposer une refonte anti-libérale. Le second volet c’est l’Europe devenue fédérale, dans laquelle Sarko voulait faire entrer la France. La présidence française a pulvérisé le modèle en réaffirmant hautement la place de la nation. L’OTAN, c’est le troisième volet: puisqu’on y revient, sans doute pour se moderniser à l’aune d’une organisation complètement dépassée et en crise profonde, il est possible que la même course soit suivie: faire exploser l’OTAN, après la globalisation et l’Europe? Sacrée ambition, bien digne du destin historique de la France.

Si le “retour de l’OTAN” a une seule utilité, ce sera celle de réaffirmer la spécificité française

Enfin, le “retour” dans l’OTAN met-il en danger la souveraineté et l’indépendance française? On pourrait justement le craindre mais on n’aurait pas vraiment raison. La souveraineté et l’indépendance ne dépendent pas d’un complément mécanique d’une position déjà fortement imbriquée dans l’OTAN. Elles dépendent d’une volonté politique, qui peut être soit le reflet d’une grande pensée, soit la réaction d’une perception médiatique ayant la plus grande préoccupation de l’effet. Le poids symbolique de l’idée du retour sera énorme, alimentant tous les soupçons de servilité, et il sera absolument nécessaire de lutter constamment, avec éclat et emphase, – symbolisme pour symbolisme, – pour écarter ces soupçons qui ternissent l’image.

Nous ne sommes plus dans une époque aux “mains libres”, où les uns et les autres peuvent activer leurs puissances respectives pour contraindre ce qui peut l’être. Nous sommes dans une époque de crise systémique, où tout le monde est sur la défensive, en position de repli. Pour la France, il n’y a qu’une seule défensive, un seul repli, la souveraineté et l’indépendance. Cela ne promet aucune grandeur (hors de l’OTAN non plus, d’ailleurs) mais cela garantit qu’on protégera souveraineté et indépendance, y compris à l’intérieur de l’OTAN, parce que ces deux attributs ont l’utilité de ménager un repli. Pour le reste, tout le monde est le jouet de la tempête du monde, y compris les “amis américains”.

Jugé sur la théorie de la chose, le retour dans l’OTAN est une décision stupide et inutile mais ce n’est ni la première ni la dernière dans le chef des dirigeants français postmodernes, – ceux-là et ceux qui ont précédé. Une fois qu’elle est prise, comme c’est le cas, il reste à voir si elle ne dissimule pas des opportunités accidentelles intéressantes. La chose devient elle-même intéressante, et conforme à l’esprit d’un temps paradoxal.