Notes sur la frontière-Sud

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Notes sur la frontière-Sud

28 novembre 2019 – Le président Trump a annoncé que les États-Unis sont, d’un point de vue bureaucratique, en train de déclarer la guerre aux cartels de la drogue, essentiellement mexicains, en classifiant ces organisations comme “terroristes”. L’événement peut sembler assez inhabituel selon la sémantique utilisée, – “en train de déclarer la guerre” alors qu’habituellement une déclaration de guerre est un acte urgent et instantané, – mais il correspond aux normes parfois surréalistes des pratiques bureaucratiques.

(Une organisation classifiée “terroriste” par le gouvernement US devient effectivement un ennemi contre qui sont conduites les hostilités, mais il faut effectivement du temps pour parvenir à cette classification, en coordonnant tous les services et agences impliquées après avoir fait l’unanimité sur la décision. Cette classification est d’une importance opérationnelle considérable car le cadre législatif US permet, comme on s’en doute tant ce cadre en prend à son aise, toutes sortes d’intervention contre ces organisations, y compris des “droits de suite” dans les pays où et d’où ces organisations opèrent, et évidemment comme c’est inévitable aujourd’hui avec les USA, des sanctions contre ces pays qui laissent opérer, – par complicité ou par impuissance qu’importe, – ces organisations sur leur territoire. Pour le Mexique, cela signifie le spectre d’une intervention US sur son territoire.)

Trump a annoncé  cette nouvelle  qui prend son temps dans une interview au journaliste conservateur  Bill O’Reilly diffusée mardi.

« Le président américain Donald Trump a déclaré que son gouvernement allait commencer le processus bureaucratique classifiant les cartels de la drogue mexicains comme des organisations terroristes, citant leur rôle dans le trafic de stupéfiants et de personnes. Il a refusé d’exclure une action militaire.
» En effet, lorsqu’on demandait si cette classification signifiait qu'il “commencerait à frapper les cartels avec des drones et des choses du genre”, le président américain a refusé de donner des précisions : “Je ne veux pas dire ce que je vais faire, mais tous les moyens seront considérés”.
» “J'y travaille depuis 90 jours”, a-t-il déclaré dans cette interview accordée à Bill O’Reilly, un expert conservateur, qui a été diffusée mardi. “Vous savez, la classification n’est pas chose aisée. Il faut suivre tout un processus, mais nous sommes bien avancés dans ce processus.”
» “Nous perdons 100 000 personnes par an à cause de ce qui se passe et de ce qui passe par le Mexique”, a-t-il dit, faisant référence aux décès liés au commerce de la drogue. “[Les cartels] ont de l’argent en quantité illimitée, parce que c’est de l'argent de la drogue, et de l’argent du trafic humain.” »

Du Mur à la drogue

Trump parle beaucoup de la frontière Sud des USA, ne serait-ce qu’à cause du “mur” qu’il avait promis d’y édifier pour contrôler les flux migratoires, lors de sa campagne de 2016. Dans cette rhétorique se glissait également la question de la “guerre de la drogue” et de l’activité des cartels. Cette question est devenue brusquement d’actualité après le massacre début novembre d’une famille de mormons US installés au Mexique par des tueurs d’un cartel (ce qui est peut-être la conséquence d’une erreur, cette famille en déplacement ayant peut-être été prise pour des “concurrents” par les tueurs qui ont monté l’embuscade). 

Quoi qu’il en soit, à partir de cet incident la communication s’est brusquement déchaînée dans le sens de la “guerre de la drogue”, d’abord bien entendu par Trump tweetant  le 5 novembre : « Il est temps pour le Mexique, avec l’aide des USA, de mener une GUERRE contre les cartels de la drogue et de les effacer de la surface de la terre. Nous attendons simplement un appel de leur grand président ! » 

Le “grand président”, Andrés Manuel López Obrador dit-AMLO, qui entend se situer à gauche et ne pas céder aux USA, tout en conduisant une délicate politique de pacifications avec les cartels qui revient dans certains cas à une capitulation pure et simple, répondit avec politesse qu’il remerciait les USA pour leur proposition mais n’avait pas besoin d’une aide dont il craint qu’elle devienne envahissante. En quelques jours après le 5 novembre, on commença à papoter dramatiquement à Washington D.C. de rien moins qu’une intervention militaire et la position d’AMLO n’a plus cessé de se durcir et se durcira encore bien plus, comme on le comprend au vu de ce qu’on a remarqué plus haut, si les cartels deviennent des organisations terroristes du fait des autorisations d’interventions que la législation US se donne à elle-même :

« ... Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador, indigné par la perspective d'une intervention militaire américaine, a déclaré lundi à la presse : “Nous n'accepterons jamais cela, nous ne sommes pas des vende-patrias” [vendeurs de nation], alors que le ministre des relations étrangères du pays a dit que ce serait “inutile et peu pratique”. [...]
» Bien qu’engagés depuis des années dans un conflit militaire de bas niveau avec les cartels dans certaines régions du pays, les responsables mexicains ont récemment cherché une approche et des négociations plus pacifiques. En octobre, le gouvernementa été contraint de libérer le fils du chef du cartel de Sinaloa Joqauin ‘El Chapo’ Guzman et a insisté sur le fait que c’était la bonne décision, arguant que les stratégies précédentes ne faisaient que “transformer ce pays en cimetière” »... 

La “contrainte” en question a été une vaste opération des cartels, investissant quasiment la ville de Culiacan, déployant des armes lourdes, prenant le contrôle des carrefours stratégiques,  permettant à des dizaines de prisonniers d’une prison de s’évader, enfin encerclant un bâtiment militaire où des soldats gardaient El Chapo. C’est ce qui a conduit à l’“arrangement” de la libération d’El Chapoprésenté avantageusement par le pauvre AMLO, coincé entre plusieurs forces armées qui le dépassent, avec des services de sécurité officiels (police, armée, etc.) eux-mêmes souvent corrompues par les cartels, et ainsi de suite. On comprend que l’épisode ne satisfasse guère, ni Trump, ni le Pentagone, ni les diverses agences US engagées sur la frontière Sud.

De 2006 à 2019

Mais on doit comprendre également que cet épisode, avec menace d’en venir à une sorte de conflit ouvert dans un domaine un peu oublié (la “guerre de la drogue”) relance une situation que nous avions déjà connue, et dont les origines remontent aux années 1980, – une époque où Reagan proclamait “urgence nationale” la “guerre contre la drogue” venant du Sud. Pour l’épisode actuel, il s’agit de la résurrection de l’épisode vieux de plus de dix ans de cette crise à répétition, c’est-à-dire l’été 2006 où le même AMOL avait failli être élu, ou bien avait été élu et volé de sa victoire, puis proclamé président en même temps que l’élu officiel, puis finalement abandonné par les dieux. (Ce texte que nous publiions le 1erjuillet 2006ouvrait un épisode épique de plus de deux moisoù l’on crut bien que le Mexique allait tomber dans une sorte de guerre civile, avant qu’Obrador abandonne et passe la main, se retirant dans l’ombre jusqu’à sa réapparition en 2018.)

Entretemps, cet aspect de la “crise mexicaine”, ou de la “crise mexico-américaniste”, ou de la “crise de la frontière-Sud”, – car tout cela est présent dans l’épisode de l’été 2006, – se décomposa rapidement par un retour à l’ordre, c’est-à-dire un retour au désordre mexicain administré par le Système. La détérioration de la situation au Mexique se poursuivit donc avec entrain, faisant craindre le pire à certains stratèges US, jusqu’à ce que deux événements éclipsent complètement la “crise de la frontière-Sud” :

• La crise financière de l’automne 2008, qui polarisa toutes les attentions pendant des mois, au moins jusque fin-2009-début 2010.

• La “chaîne crisique” du soi-disant “printemps arabe” qui débuta en décembre 2010 et s’étendit en quelques crise majeures, dont, à partir de fin 2011, la guerre syrienne, – ce « microsme de la Troisième Guerre mondiale » comme  la décrit Assad, – qui mobilisa toutes les attentions bellicistes, complétée à partir de 2014 par la crise ukrainienne, le déchaînement de russophobie et la crise du pouvoir américaniste ouverte en 2015-2016.

• Le Mexique redevint alors d’actualité avec la promesse de l’érection d’un “Mur” sur la frontière par le candidat Trump devenu président. Le paradoxe est que ce retour du Mexique dans l’attention de la communication ne concerna en fait que la “crise de la frontière-Sud”, essentiellement sinon exclusivement tournée vers la question du flux de l’immigration illégale, – et à peine, si pas du tout, la question de “la guerre de la drogue”.

Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est à un retour de cette question de “la guerre de la drogue”, c’est-à-dire de l’ensemble peut-être en cours de reconstitution de la “crise mexicaine”, de la “crise mexico-américaniste” et de la “crise de la frontière-Sud” en un ensemble crisique intégré du plus bel effet pouvant former un “tourbillon crisique” intéressant. Pour mieux s’y retrouver et s’informer sur le degré de dangerosité de la crise selon les stratèges US, on doit revenir à l’automne 2008 et à l’alarme signalée plus haut qui avait touché les milieux stratégiques US mais qui à l’époque fut étouffée comme on l’a vu.

L’alarme sonne depuis 10 ans

C’est dans un texte du 10 janvier 2009 que nous reprenions l’ensemble de l’épisode marquée essentiellement par un rapport très alarmiste du commandement interarmes évaluant les situations les plus dangereuses, un Joint Operating Environnment 2008 (on notera l’absence à cette époque des simulacres très en vogue actuellement de la Russie, de l’Iran, de la Chine, etc.) :

« Les planificateurs du Pentagone placent désormais dans une appréciation similaire le Mexique et le Pakistan, parmi les grands pays qui pourraient connaître un effondrement de l’État avec les troubles qui s’ensuivraient. C’est une évaluation particulièrement significative dans la gravité qu’envisage le Pentagone, et particulièrement significative en raison bien entendu de la position qu’occupe le Mexique par rapport aux USA. [...]
» C’est le commentateur de Reuters Bernd Debusmann qui a débusqué cette nouvelle évaluation du Pentagone, et qui l’expose dans une analyse en date du  7 janvier 2009.
» “Les deux pays [le Pakistan et le Mexique] sont mentionnés dans le même souffle dans une étude publiée récemment par le Commandement des forces interarmes des États-Unis, qui a notamment pour mission de jeter un regard annuel sur l'avenir pour éviter que l'armée américaine ne soit prise au dépourvu par des événements inattendus.
» “‘En ce qui concerne les pires scénarios pour le Commandement des forces interarmes et pour le monde entier, deux grands et importants États méritent d'être pris en considération pour un effondrement rapide et soudain : Le Pakistan et le Mexique’, dit l'étude – Joint Operating Environment 2008 – dans un chapitre sur ‘Les États faibles et faillis’. De tels États, dit-il, posent habituellement des problèmes chroniques à long terme qui peuvent être gérés au fil du temps.
» “Mais le phénomène peu étudié de ‘l’effondrement rapide’, selon l'étude, ‘vient habituellement comme une surprise, a un début rapide, et pose des problèmes aigus’. Pensez à la Yougoslavie et à sa désintégration en 1990 dans un enchevêtrement chaotique de nationalités en guerre et d'effusions de sang d'une ampleur effroyable.
» “Le Pakistan doté de l'arme nucléaire, où Al-Qaïda a établi des sanctuaires dans les régions accidentées limitrophes de l'Afghanistan, fait régulièrement l'objet de sombres avertissements. Thomas Fingar, qui a pris sa retraite en tant qu'analyste en chef du renseignement des États-Unis en décembre, a qualifié le Pakistan ‘d'un des endroits les plus difficiles de la planète’. C'est un langage assez courant pour le Pakistan, mais pas pour le Mexique, qui partage une frontière de 2 000 milles avec les États-Unis.
» “La mention du Mexique à côté du Pakistan dans une étude réalisée par une organisation aussi importante que le Joint Forces Command (qui contrôle presque toutes les forces conventionnelles basées sur le continent américain) en dit long sur les préoccupations croissantes concernant ce qui se passe au sud de la frontière américaine. [...]
» “Selon l'étude des forces conjointes, la possibilité d'un effondrement soudain au Mexique est moins probable qu'au Pakistan, mais le gouvernement, ses politiciens, sa police et son infrastructure judiciaire subissent tous des agressions et des pressions soutenues de la part des gangs criminels et des cartels de la drogue. L'issue de ce conflit interne au cours des prochaines années aura un impact majeur sur la stabilité de l'État mexicain.
» “‘Toute descente du Mexique dans le chaos exigerait une réponse américaine basée sur les graves implications pour la sécurité intérieure.’ La forme que pourrait prendre une telle réponse n'est qu’une supposition et l'étude ne l’énonce pas clairement, pas plus qu’elle n'aborde les implications économiques de son scénario le plus pessimiste. Le Mexique est le troisième partenaire commercial des États-Unis (après le Canada et la Chine)...” »

A la même époque et retour d’un voyage au Mexique, le général Barry McCaffrey qui avait été le “tsar” de la lutte antidrogue dans l’administration Clinton et qui s’était reclassé comme professeur à West Point, avertissait que les États-Unis devaient venir rapidement et pleinement au secours de leur voisin du Sud, « qui se bat actuellement pour survivre contre le narco-terrorisme.... Le Mexique est au bord de l'abîme, il pourrait devenir un narco-État dans la prochaine décennie. »

Rien ne s’est passé depuis et la situation mexicaine a continué d’évoluer vers cette situation d’une sorte de narco-État, puis d’un narco-État tout court. Mais cet aspect de la situation n’intéressa plus guère les USA durant cet intervalle, jusqu’à nous, jusqu’à aujourd’hui.

Drogue et flux migratoire...

Il nous apparaît intéressant de comprendre qu’il s’est passé durant cette période, entre 2007-2008 et l’orientation que pouvaient prendre les priorités de sécurité nationale, une sorte de kidnapping de la part de la faction hystérico-progressiste, dans laquelle les démocrates (par tendance globaliste) autant que les milieux bellicistes et les influences israéliennes, toute cette soupe rassemblée sous le label neocon, trouvaient leurs intérêts dans une captation de toute l’énergie de la surpuissance de la  politiqueSystème à orienter le bellicisme américaniste vers des théâtres éloignés et nullement sur la frontière-Sud, face aux narcotrafiquants. La sécurité du pays était à 10 000 kilomètres de là, pas sur ses 3 800 kilomètres de frontière-Sud dévorées par un extraordinaire développement de la domination des organisations du narco-crime organisé, souvent avec des capacités “militaires” comparables ou supérieures à celles des autorités, avec des capacités de corruption illimitées des forces qui leur sont opposées, avec un développement intérieur aux USA englobant tous les États de la zone-frontière et montant jusqu’à une ville comme Chicago vivant sous la loi des gangs et du trafic-narco.

... Ou bien inversons la proposition des causes de l’absurde priorité belliciste et observons que c’est la politiqueSystème, par le biais de ses “idiots utiles” du standard-neocon étendu à toutes les tendances, qui effectua cette manœuvre de son propre chef. Dans ce cas, l’essentiel était d’écarter la surpuissance produite par la politiqueSystème elle-même, de toute possibilité d’affrontements directement et incontestablement justifiés par la sécurité des États-Unis, – ce qui eût été catastrophique pour le Système qui ne cherche qu’à déstructurer selon la doctrine globaliste, et Dieu sait si la défense d’une frontière, d’une entité, etc., représente à cet égard un acte structurant. Cette explication-là est pour nous la plus décisive dans une période si dominée par les courants de la métahistoire.

La question de la frontière-Sud était redevenue d’actualité ces dernières années, non pas selon les priorités de la violence mais selon l’offensive de l’idéologie avantageant le Système, par la désintégration interne issue du progressisme-sociétal plaçant en avant l’impératif des frontières ouvertes et de la légalisation de l’immigration illégale. C’est sur ce terrain-là, qui faisait des narcos de simples outils indirects de cette immigration alors qu’ils représentent la menace directe d’une déstructuration furieuse de toute légitimité, que Trump évolua en acceptant les termes de la bataille imposés par ses adversaires. Les actuels prolongements font brusquement basculer les constituants de cette priorité de la frontière-Sud en plaçant comme cause principale de la déstructuration l’action et l’emprise des cartels, du trafic et du crime organisé, de la domination incontestée de villes et de régions entières sous l’“autorité” des cartels.

En 2018, le Mexique, avec plus de 30 000 victimes par assassinat, présente le bilan annuel le plus lourd jamais enregistré et ainsi le pays a-t-il atteint le stade de “narco-État” qu’annonçait en 2008 le général McCaffrey. Depuis l’assassinat de la famille des mormons US et les déclarations de Trump, depuis l’annonce par Trump de la classification de “terroristes” pour les cartels, trois porte-avions de l’US Navy (les USS NimitzHarry S. Trumanet Theodore Roosevelt) ont quitté leurs ports d’attache des côtes Atlantique et Pacifique et croisent au large des côtes mexicaines et de la frontière avec les USA,, constituant la plus forte concentration opérationnelle jamais réalisée des unités de cette classe dans un tel espace restreint, et cet espace restreint englobant la frontière et une partie du territoire national.

La crise de la frontière-Sud est en voie de passer éventuellement du domaine progressiste-sociétal au domaine de la sécurité stratégique armée pure. Il s’agirait d’un basculement complet des priorités militaires mettant en grave danger les priorités voulues par le standard-neocon au service du Systèmeidentifiant la sécurité du pays à 10 000 kilomètres de ses frontières. Il s’agit d’une dynamique entièrement nouvelle, qui prendrait un élan irrésistible si effectivement les cartels deviennent officiellement des organisations terroristes selon la classification officielle du gouvernement US, et cela dans la situation extraordinaire où l’on peut dire cette phrase terrible pour la puissance militaire US, – “sans pour autant préjuger de l’issue de l’affrontement”. C’est alors que les absurdes guerres extérieures fomentées par le standard-neocon acquis au Système pourraient basculer complètement en un conflit mettant directement en cause la sécurité intérieure vitale des États-Unis. A cette lumière, des événements tels que la farce-simulacre de la destitution, et même l’élection USA-2020 prendraient une place secondaire devant l’imminence du Present Danger, selon le terme générique utilisé pendant la Guerre froide...

Effets en cascade

Cette soudaine perspective de “guerre de la drogue” devenant véritable “guerre contre la drogue” si les cartels sont classés “organisation terroriste” pourrait et devrait avoir un effet important sur la situation actuelle de “guerre civile froide” en cours à “D.C.-la-folle”. On ne dit pas cela sur la valeur propre de l’événement mais parce que l’évènement interfère directement sur un sujet majeur, sinon le principal sujet de la “guerre civile froide” dans la capitale de l’américanisme : le flux migratoire venu du Sud, que Trump veut stopper et que les démocrates/progressistes-sociétaux veulent laisser aller, toutes frontières ouvertes. Du coup, les réactions sont confuses et ne peuvent plus être dictées par le seul affrontement radical entre antiTrump (Trumphaters) et les partisans de Trump. Plusieurs positions sont identifiables.

• Trump peut-il changer d’avis sur la classification-terroriste ? Trump change souvent d’avis ; mais, dans ce cas, il est tout de même possible qu’il ait identifié le rapport intéressant entre cette classification-terroriste et la justification que cette mesure fournit à sa politique anti-migratoire, l’un de ses principaux arguments électoraux.

• Les progressistes-sociétaux adversaires de la politique anti-migratoire de Trump se trouvent dans une contradiction difficile à résoudre. On ne peut être totalement “frontières-ouvertes” si, en même temps, est engagée une guerre contre ceux qui, les premiers, profitent des frontières-ouvertes, – les cartels de la drogue, certes. L’argument vaut d’autant plus que la drogue des cartels décime particulièrement les jeunes Africains-Américains, tant choyés par les progressistes-sociétaux.

• Les bellicistes standard-neocon sont dans de grandes difficultés. Eux, ils veulent des guerres extérieures, très loin, par pur besoin de destruction entropiques, soi-disant pour les intérêts et la sécurité des USA mais en réalité pour servir le Système. Cette fable grotesque se dissout complètement devant la perspective de concentrer l’effort militariste pour repousser et détruire les narcos devenus terroristes sur la frontière-Sud, et jusqu’à l’intérieur des USA alors que des centaines de milliers, des millions de personnes sont infectées par cette drogue aux USA.

• Les anti-interventionnistes ne peuvent pas ne pas approuver un effort puissant contre les narcos, mais ils restent prudents, sinon méfiants contre toute possibilité d’une implication massive (une “invasion”) du Mexique par les USA, qu’ils rejettent absolument. Cette position est par exemple, celle de Tulsi Gabbard.

• ... Ce qui nous amène à la question centrale si vraiment l’on passe au plan supérieur de la classification-“terroriste”, qui signifie la guerre : que va-t-il se passer au Mexique ? Y aura-t-il des prises massives d’otages civils par les narcos, et l’annexion par eux de portions de territoires mexicains (mordant éventuellement sur les USA) ? Le président Obrador tiendra-t-il devant ces remous, compte tenu de la puissance colossale des narcos ? Y aura-t-il une sorte de guerre civile au Mexique, et quelles seraient alors les répercussions aux USA où se trouve une très forte minorité d’origine mexicaine ? Etc.

“Etc.”, c’est-à-dire, là aussi, une épreuve terrible et peut-être insurmontable pour la cohésion des USA face à la possibilité d’un tel déchaînement sur sa frontière-Sud... Étrange affaire, bien à l’image de notre étrange époque : commencée dans les années1980 dans un Mexique déjà déstabilisé et une “arrière-cour” centre-américaine prête à l’emploi, avec l’organisation industrielle du trafic de drogue où la CIA prit une part non seulement active mais prépondérante (le regretté Robert Parry a beaucoup révélé à ce propos et le film Barry Seal : American Trafic est également instructif) ; ayant pris des proportions catastrophiques dès les années 1990 (le film Trafic est instructif) ; au bord de l’explosion parallèlement à l’immigration dans les années 2000 ; “étrange affaire” enterrée en 2008-2010 et réapparaissant aujourd’hui, le rose aux joues et resplendissante de santé...

Multiples splendeurs, multiples cadavres dans les multiples placards américanistes.