Notes sur la fin de “La fin de l’histoire ?” (II)

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Notes sur la fin de “La fin de l’histoire ?” (II)

27 octobre 2014 – Dans la première partie de ces Notes d’analyse (voir le 22 octobre 2014), nous tentions de dresser le tableau du cadre général et du contexte historique dans lequel nous nous proposons d’analyser la situation actuelle de la politique du bloc BAO, ou dit plus décisivement, de la politique-Système. Si nous réalisons ce travail, c’est parce que nous jugeons que cette politique, qui opérationnalise l’action du Système et détermine l’état général de la crise d’effondrement du Système, se trouve, non pas à un tournant puisqu’il est question d’un processus continu, mais elle-même dans sa phase finale. Littéralement, cette politique-Système, après avoir fait sentir tous ses effets de surpuissance et produit par conséquent la dynamique d’autodestruction qui en est le corollaire inévitable, se trouve aujourd’hui aux abois.

Nous jugeons que les principaux protagonistes de cette politique-Système, c’est-à-dire ses instruments, et puisqu’il s’agit de sapiens nous dirons selon l’expression fameuse “ses ‘idiots utiles’”, manifestent eux-mêmes et d’une façon inconsciente comme tout ce qui caractérise leur action cette situation d’être “aux abois”. Parmi ces protagonistes, nous avons désigné les neocons comme en étant les principaux, et le terme devenant alors générique et non plus cantonné à un seul groupe prétendument organisé et idéologisé. Cet aspect a été largement mis en évidence dans le texte référencé, et également les liens du phénomène neocon avec la thèse doctrinale de Fukuyama (“La fin de l’histoire ?”) remise dans sa véritable perspective dont Fukuyama, autre sorte d’“idiot utile”, n’avait aucune conscience et n’en acquit jamais précisément.

(On rappellera, que ce que nous avons omis de faire dans la première partie, que le fameux échanges de l’été 2002 divulgué en octobre 2004 par le journaliste Ron Suskind [voir le 23 octobre 2004], que nous avions identifié comme la preuve de l’opérationnalisation-turbo du virtualisme [voir le 27 octobre 2012], est sans nul doute du pur-Fukuyama modèle-1996... Suskind rapportait un entretien avec un officiel de l’équipe du président GW Bush  :

«The aide said that guys like me were “in what we call the reality-based community,” which he defined as people who “believe that solutions emerge from your judicious study of discernible reality.” I nodded and murmured something about enlightenment principles and empiricism. He cut me off. “That's not the way the world really works anymore,” he continued. “We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that reality — judiciously, as you will – we'll act again, creating other new realities, which you can study too, and that's how things will sort out. We're history's actors… and you, all of you, will be left to just study what we do.”»)

Désenchantement des neocons pavloviens

Quand ils se présentent, nous ne manquons pas de mentionner et de développer les signes de cette déchéance de la politique opérationnelle, de ce désenchantement (toujours aussi inconscient chez ces pavloviens) de l’élan déstructurant des neocons. Nous avons mentionné notamment la prise de position de Robert Kagan, le 20 octobre 2014, dont nous rappelons un passage de notre commentaire.

«Ce qui est singulier dans l’interview [que Kagan] donne à RIA Novosti, c’est d’abord le fait d’une interview à un organe russe alors que les neocons professent une haine-Système impitoyable à l’encontre de Poutine et de tout ce qui est russe ; c’est ensuite le fait que ses déclarations montrent une retenue sceptique ou désenchantée, presque un certain pessimisme vis-à-vis de la puissance US et de la prétention des USA à s’affirmer comme la seule puissance (doctrine de l’exceptionnalisme) capable et décidée à assurer l’ordre dans le monde selon sa position hégémonique... Kagan laisse entendre un son de cloche bien inhabituel. Nous soulignons de gras les passages qui contrastent notablement avec le triomphalisme hégémonique et exceptionnaliste des USA, seule puissance capable d’établir un ordre mondial, devant et pouvant le faire au travers de son hégémonie incontestée...

»“While there has been a long period without a major conflict between superpowers, the world is moving back into a period of great power competition, Robert Kagan, Brookings Fellow and policy analyst, told RIA Novosti. ‘Are we moving back toward great power competition, the answer is clearly yes,’ Kagan told RIA Novosti at a Friday Brookings event on the influence of the US as a declining power or a world leader. ‘I would say that, again, some of that was inevitable because the period of no other great powers was an artificial situation,’ he added.

»“Arguing that the US ‘doesn't get to retire’ from its responsibilities and costs as a superpower, Kagan is not convinced that the US will retain that role. ‘It is possible to sustain this, but not forever. And I can't account for disasters that may occur and another recession [or] a depression’...»

Anne Applebaum et sa bouée de sauvetage

Autre exemple de ce désenchantement neocon, ici caractérisé par une évidente pathologie de la psychologie influençant le jugement de l’auteur(e) sur ce qui lui tient particulièrement à cœur, on peut citer ces remarques d’Anne Applebaum, épouse de l’ancien ministre polonais des affaires étrangères Radek Sikorski, le 17 octobre 2014 dans le Washington Post... Applebaum enterre en quatre lignes ce qui fait la colonne vertébrale même de la politique-Système au service de laquelle les neocons se trouvent absolument engagés depuis un bon quart de siècle, – dito, la politique des USA au Moyen-Orient depuis un quart de siècle ; et la datation qu’elle nous offre, évidemment, rencontre la chronologie de la thèse-Fukuyama de “la fin de l’histoire ?”.

«Looking back over the past quarter-century, it isn’t easy to name a Western policy that can truly be described as a success. The impact of Western development aid is debatable. Western interventions in the Middle East have been disastrous.

»But one Western policy stands out as a phenomenal success, particularly when measured against the low expectations with which it began: the integration of Central Europe and the Baltic States into the European Union and NATO...»

... Suit un dithyrambique exalté de la “libération” de l’Europe de l’Est par l’OTAN, et ce jugement porte évidemment la marque de cette pathologie que nous signalons : seule une psychologie épuisée, transformant la perception à mesure de son épuisement, est capable de nourrir l’esprit au point que cet esprit nous accouche d’un jugement aussi pathétique et d’une telle pauvreté conceptuelle (jugement sur la situation de l’Europe de l’Est “libérée”). Pour Applebaum, la “libération” de l’Europe de l’Est par l’OTAN, –réductionnisme sans frein d’un esprit complètement submergé par la pression épuisante du Système sur sa psychologie, – doit être considéré comme une “bouée de sauvetage” de sa pensée neocon (pensée-Système) confrontée au désastre de la politique-Système dans sa terre d’élection, dans sa Terre Promise de l’accomplissement du destin-Système qu’est le Moyen-Orient. («Western interventions in the Middle East have been disastrous.»)

La panique pavlovienne de Soros

C’est un autre signe tout récent de cet hallali, intervenu entre la rédaction des deux parties de ces Notes d’analyse, que cette intervention de deux membres éminents de l’oligarchie-Système... Nous parlons de cette caste étrange de ces personnages ayant réuni une énorme fortune selon les moyens les plus bas et les plus illégaux du point de vue principiel, tels que notre époque nous en offre la disposition, de ces bandits et malandrins absolument exposés en tant que tels s’étant glissés sans la moindre hésitation dans cette position que suggère le Système d’affirmer une influence politique pseudo-moralisatrice, humanitariste, agressivement vertueuse. Ces personnages font partie du corporate power, avec son mélange de puissance imposteuse et d’irresponsabilité de bonne conscience, choisissant pour s’affirmer plus l’influence morale de cette bonne conscience totalement fabriquée, irresponsable et d’un cynisme inconscient considérable, que la puissance de leur imposture. Ils sont typiquement postmodernistes et forment dans ce qu’on doit nommer “oligarchie-Système”, une sorte d’avant-garde du Système comme l’on parlait in illo tempore de l’“avant-garde du prolétariat”.

Nous parlions essentiellement de Soros, et accessoirement de Khodorkovski, ce 24 octobre 2014. Laissons de côté le contenu de leurs interventions, marquées de toute la pauvreté d’esprit possible, de la grossièreté de leur pensée, de l’épuisement eux aussi de leur psychologie, pour nous arrêter au fait même. Pour ce qui est de Soros, avec accessoirement d’autres comparses (l’élégant ambassadeur de France à Washington, neocon parfumé et cravaté mais petite chose-neocon comme le reste), nous écrivions ceci, qui renvoie effectivement à un hallali, à une situation d’une conception et de leur pavlovisme aux abois :

«Alors, on appréciera finalement, pour résumer le propos général en se dégageant des contraintes pesantes que nous imposent des commentateurs comme Soros, le simple commentaire de Tyler Durden, de ZeroHedge.com le 23 octobre 2014, présentant l’intervention de Soros sous le titre : “George Soros Slams Putin, Warns Of ‘Existential Threat’ From Russia, Demands $20 Billion From IMF In ‘Russia War Effort’”, et commentant ainsi : “If even George Soros is getting concerned and writing Op-Eds, then Putin must be truly winning.

»C’est donc la nouvelle principale que nous donne le pensum de Soros : le fait même de sa publication est une indication sérieuse de la panique qui règne actuellement dans les milieux des dirigeants-Système, devant ce que le Système estime être la situation en Ukraine. Au reste, cette analyse par défaut de Durden est largement confirmée par des déclarations du nouvel ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, qui vient de la représentation française à l’ONU (ambassadeur). Araud est incontestablement une sorte de neocon-à-la-française, rivalisant de hargne et d’agressivité avec sa collègue US Samantha Power à l’encontre de l’ambassadeur russe...»

Les USA devenus État-terroriste

Comme il se doit et comme c’est la nature même de processus de cette sorte, la tête du principal opérateur, ou contremaître de la politique-Système, ne cesse de développer un pourrissement irrésistible... L’hyper-désordre que déchaîne la politique-Système touche le centre qui le produit en un mouvement de blowback quasi-instantanée, jusqu’à la transmuter en une monstruosité insupportable, et donc incontrôlable. Un exemple de cette situation que nous qualifierions de désespérée de la politique extérieure des USA, ou politique-Système sans le moindre doute, on le trouve dans ces remarques de Noam Chomsky datant du 21 octobre 2014 sur le site Information Clearing House sous le titre «Les USA sont le leader des États-terroriste»

«On October 14, the lead story in the New York Times reported a study by the CIA that reviews major terrorist operations run by the White House around the world, in an effort to determine the factors that led to their success or failure, finally concluding that unfortunately successes were rare so that some rethinking of policy is in order. The article went on to quote Obama as saying that he had asked the CIA to carry out such inquiries in order to find cases of “financing and supplying arms to an insurgency in a country that actually worked out well. And they couldn’t come up with much.” So he has some reluctance about continuing such efforts.

»There were no cries of outrage, no indignation, nothing.

»The conclusion seems quite clear. In western political culture, it is taken to be entirely natural and appropriate that the Leader of the Free World should be a terrorist rogue state and should openly proclaim its eminence in such crimes. And it is only natural and appropriate that the Nobel Peace Prize laureate and liberal constitutional lawyer who holds the reins of power should be concerned only with how to carry out such actions more efficaciously.»

Le dernier degré de la dissolution

Nous prenons ce jugement abrupt, général et décisif de Noam Chomsky comme exemplaire du jugement général qu’on doit porter ; exemple d’autant plus significatif que, parmi les “dissidents” US, Chomsky est parfois critiqué pour ce qu’on considère comme certains manquements dans sa propre critique, et souvent perçu comme un dissident un peu trop institutionnalisé. N’importe, ou justement à cause de cela, ce “jugement abrupt, général et décisif” de Chomsky nous paraît alors très symptomatique de l’état d’esprit général.

Chomsky identifie la direction-Système des USA comme ayant atteint le dernier degré de dissolution, celui où l’on est proche de l’entropisation (équation dd&e, selon notre rangement). L’abandon total de toutes ses responsabilités, de toutes ses considérations structurantes et éthiques, font de cette direction-Système une entité voguant définitivement à la dérive d’un engagement politique catastrophique et promis nécessairement à sombrer à cause de son orientation dont la caractéristique principale est de n’en point avoir, par dégoût répulsif du sens et des principes, et d’engendre l’hyper-désordre qu’on mesure chaque jour.

L’absence de réactions dans les moyens institutionnels de commentaires, et notamment de la presse-Système, complète le tableau en montrant que plus personne, dans les élites-Système n’est certes capable ni de responsabilité, ni de lucidité, – mais cela, on le savait en général ; bien plus significatif, personne n’est plus capable de “sursauter” dans le sens d’avoir un sursaut comme un organisme encore vivant malgré tout... Leur réflexe de vie, décisivement transmuté en un pavlovisme universel, n’existe plus. Cela s’appelle “être aux abois”, même si la conscience de cet état leur fait défaut, – disons que nous l’avons pour deux, eux et nous.

Le Système et le processus “dd&e”

Nous parlons d’une situation de se trouver “aux abois”, en effet. Loin de juger qu’il y a dans cette impudence que décrit avec indignation Chomsky matière à observer un surcroît de puissance (surpuissance) de la politique-Système, on comprend bien que nous jugeons qu’il s’agit exactement du contraire. Nous jugeons qu’il s’agit du processus d’autodestruction engendré par la dynamique de surpuissance, qui est là en pleine vitesse de réalisation.

Il est bon, nous semble-t-il, de rappeler de façon précise ce que nous jugeons qui forme, explique, justifie et rend irrémédiable dans la logique évolutionniste du Système cette équation de la transformation de la surpuissance en autodestruction dans son chef. Pour ce faire, nous rappelons nos observations sur le détail de ce processus général, qu’on trouve dans divers articles du Glossaire.dde, sur “le Système”, le 8 juillet 2014, sur l’équation “dd&e” (“déstructuration, dissolution & entropisation”) le 7 novembre 2013, sur “l’effondrement du Système”, le 12 janvier 2014. Nous présentons un extrait du texte sur “le Système” qui, nous semble-t-il, décrit le processus d’une façon complète...

«La (sur)puissance intrinsèque du Système s’exprime nécessairement, sans autre but et objectif possible dans le sens de la déstructuration enchaînant sur le reste, selon le processus dd&e. Nous l’avons désignée comme “surpuissance” pour marquer à la fois le caractère dynamique fondamental du Système, et sa tendance évidente à toujours vouloir surpasser les effets qu’il produit, par logique évidente de sa dynamique. En quelque sorte, plus il déstructure-dissout, plus il doit déstructurer-dissoudre. Nous estimons que les grands événements historiques des deux derniers siècles et au-delà peuvent aisément être interprétés de cette façon, et même éclairés décisivement, et ainsi exprimer effectivement ce phénomène. Nous estimons que notre époque, marqué par l’accélération de l’Histoire et la contraction du temps, approche très rapidement d’un état d’achèvement de l’action du Système dans le champ de la déstructuration très certainement, dans le champ de la dissolution vers l’entropisation secondairement et non encore accomplie quoiqu’en cours accéléré d’accomplissement... (C’est pourquoi nous interprétons tous les événements, comme la globalisation, l’effondrement des principes tels que souveraineté et légitimité, le développement du désordre financier et du “capitalisme sauvage”, le recours aux moyens de force dépendant de moins en moins de normes légales, les phénomènes d’éclatements sociaux et sociétaux, le multiculturalisme, etc., du point de vue de l’affrontement entre la déstructuration et les structures, – au-dessus de toute autre interprétation et influant radicalement le jugement qu’on en peut avoir, sans aucun soucis des contradictions possibles par rapport aux classements “terrestres“, – politiques, idéologiques, etc..)

»C’est alors qu’apparaît le phénomène essentiel de basculement, d’inversion paradoxale puisque inversion vertueuse, de “surpuissance-autodestruction”. La surpuissance du Système impliquant inéluctablement et irrévocablement la destruction de tout ce qui est organisé, structuré, selon le processus dd&e, poursuit dans cette voie quand tout est effectivement devenu victime de dd&e. Or, le Système, pour mener depuis deux siècles son entreprise, a été obligé lui-même de se structurer en “machiner à déstructurer” ; en d’autres termes, il est devenu paradoxalement une entité structurée. Son besoin, son dynamisme surpuissant exponentiel de déstructuration se poursuivant, le Système qui ne rencontre plus rien à déstructurer, finit alors par s’attaquer à lui-même puisqu’il reste la seule chose à déstructurer. Il entre alors dans cette logique de basculement et d’inversion surpuissance-autodestruction puisque sa surpuissance s’emploie désormais à se détruire lui-même.»

Le processus “dd&e”, massacreur des psychologies

Là-dessus, il importe de noter la nécessité d’appliquer ce principe fondamental de fonctionnement surpuissance-déstructuration à tous les éléments impliqués dans cette dynamique, y compris et d’ailleurs principalement pour la marche du processus dans la matière humaine. Ce qui vaut pour la crise du monde/du Système, pour les événements, etc., vaut également pour les sapiens impliqués, essentiellement pour leurs psychologies.

Ainsi, nos neocons particulièrement, avec d’autres certes, subissent-ils ce sort : animés par une psychologie exceptionnellement puissante (surpuissance) au temps de leur triomphe (2001-2005 à peu près), et ainsi expliquant l’influence également exceptionnelle, – influence psychologique et nullement idéologique (faux-nez classique), – qu’ils exercèrent à l’époque, ils sont devenus aujourd’hui leur propre victime. N’ayant plus de psychologie à déstructurer puisqu’ils règnent en maître au nom du Système, mais poursuivant comme le Système leur poussée de surpuissance psychologique, ils déstructurent désormais leur propre psychologie. Ils versent alors dans la mélancolie (Kagan), dans l’hystérie maniaque (Applebaum), dans la haine-panique (Soros).

De l’“hyper-désordre ordonné” au “chaos créateur”

Une telle humeur tente de trouver une action de sauvegarde qu’elle ne peut plus susciter elle-même. Le cas est bien connu, qu’on désigne en général sous l’expression de “fuite en avant” : trouver un acte, une orientation qui, par sa dynamique proche, dissipe les causes de l’humeur, une échappée paroxystique permettant de rompre l’enchaînement infernal. A cette heure, la seule échappée possible dans cet esprit se trouve, dans la multitude des crises en cours, dans le champ crisique de la situation non pas ukrainienne mais russo-ukrainienne. L’Ukraine comme porte-drapeau d’une confrontation avec la Russie est le seul champ crisique qui offre la perspective d’un événement qui serait dans leur interprétation exacerbée d’une netteté créatrice, une sorte d’“hyper-désordre ordonné” dont le sens oxymorique est proche du “chaos créateur” qui leur est cher, – même si cela signifie une guerre, certes, une vraie de vrai, – et surtout, surtout, si l’hypothèse envisage effectivement une guerre...

Cette hypothèse, justement, était l’objet de notre commentaire du 23 octobre 2014. On comprend que les termes en sont toujours valables. «Pour nous et dans ces conditions, l’hypothèse nous paraît acceptable que le fait majeur de l’éventuelle relance d’une guerre en Ukraine serait la façon dont elle concernerait d’abord les USA et la politique-Système que cette puissance opérationnalise dans le chef de sa politique de sécurité nationale, et dont elle sent à la fois les limites, les faiblesses, et les possibilités d’effondrement. D’une certaine façon, notre hypothèse consisterait à prendre en compte l’observation du “Saker” concernant Porochenko (“...the fact is that starting a major war might well be the only way to save the Poroshenko regime which currently is in free fall”), et à la transposer pour la politique suivie par les USA. Pour nous, les circonstances pressantes de tous côtés, la situation intérieure aux USA (financière et économique) appuyée sur des narrative qui s’effritent, les menaces contre le dollar, la dissolution permanente de toutes les initiatives de politique étrangère en des situations d’hyper-désordre, conduisent la psychologie des dirigeants américanistes à une fatigue intense qui approche la pathologie et peut amener à des analyses catastrophiques et des décisions à mesure.

»C’est dans un tel cas qu’on peut imaginer que cette direction-Système américaniste en arrive à considérer que rien d’autres que “la fuite en avant” n’est concevable pour tenter de sauver l’ensemble, et cette “fuite en avant” étant alors la perspective d’un conflit ... Et, aujourd’hui, il n’y a de réelle possibilité de conflit qu’en Ukraine face à la Russie, tout le reste étant embourbé dans l’incohérence et l’hyper-désordre qu’on sait. Nous ne disons pas une seconde qu’un conflit avec la Russie est probable, encore moins inévitable ; nous disons que l’hypothèse qu’un tel état d’esprit de la direction de sécurité nationale américaniste existe est à considérer avec sérieux, avec des conséquences impossibles à prévoir, qui peuvent impliquer un conflit, mais qui peuvent aussi et surtout provoquer nombre d’autres effets et notamment sur la stabilité interne de cette direction avant toute chose.»

La rupture de 9/11 dans l’espace-temps

Dans cette “situation” des conceptions qui ont accompagné et orienté la politique extérieure et de sécurité nationale des USA, ou ce qui en tient lieu, depuis un quart de siècle et “La fin de l’histoire ?” de Fukuyama remis dans sa vraie signification, nous avons été amenés à considérer les neocons (et les assimilés comme les R2P) non comme un groupe d’influence ou/et un groupe idéologique, mais bien comme les plus purs représentants du Système. Cela signifie ainsi qu’ils sont également, objectivement considérés selon une interprétation-Système de leurs comportements et de leurs diverses variations, des “lanceurs d’alerte” inconscients et involontaires de la situation du Système. Ils expriment le Système puisqu’ils sont indissolublement liés à lui comme on l’a vu à propos de l’équation surpuissance-autodestruction. Cela explique qu’ils n’ont jamais disparu de la scène politique malgré le discrédit systématique que les vérités de situation successives ont infligé à leurs thèses et aux entreprises dont ils ont fait la promotion.

Ainsi leur état d’esprit actuel et leur propre situation indiquent-ils, comme jamais auparavant, un état de la situation de la politique-Système et du Système lui-même. Selon la logique de sa correspondance psychologique avec l’évolution du Système dans le cadre de l’équation surpuissance-autodestruction, cette interprétation semble se confirmer d’une façon acceptable dans le constat que leur humeur et la dispersion chaotique de leurs recommandations se manifestent alors qu’ils ont rarement été dans une telle position d’influence dans le pouvoir et dans une telle position de pression sur la politique-Système pour qu’elle soit effectivement conforme à ce qu’on doit attendre de la politique-Système. La conclusion hypothétique que l’on peut tirer de ces observations, et cela en concordance avec les diverses remarques qu’on peut faire sur la situation crisique de la période, est que nous sommes confrontés une fois de plus à la possibilité de l’effondrement du Système.

Une telle possibilité doit se définir comme un événement du type d’une “percée (un trou) dans le continuum espace-temps”, dans le sens où l’entendait Justin Raimondo lorsqu’il utilisa cette expression le 9 septembre 2011 dans une de ses chroniques. Nous l’avions reprise dans un texte sur “la métaphysique de 9/11”, le 11 octobre 2011 sur ce site. (La citation de Raimondo est celle-ci : «However, as I’ve pointed out before – on all too many occasions – the terrific force of the explosions that brought down the World Trade Center opened up a hole in the space-time continuum, so that Bizarro World has “leaked” into our own universe, and is slowly taking it over.») Dans ce cas, cette “percée (ce trou) dans le continuum espace-temps” romprait brutalement l’orientation imprimée par 9/11 du fait de la surpuissance du Système ; elle ne rattraperait pas l’événement en annulant purement et simplement ses effets, chose grossièrement utopique sinon absurde, mais le “prolongerait” par inversion, substituant l’autodestruction à la surpuissance, – car là, certes, est la rupture.

La question intéressante de l’effondrement du Système

Il ne saurait être question une seconde de prendre ces remarques pour une prévision. La dynamique de notre situation qui est de l’ordre du métahistorique nous interdit l’accès à cette sorte d’exercice intellectuel qui deviendrait, s’il était considéré comme tel, une spéculation gratuite et irresponsable. Il ne peut s’agir que d’une hypothèse.

On observera d’ailleurs que ce n’est pas la première fois qu’une telle hypothèse est suscitée par les événements. Il y a déjà eu, depuis 9/11, des possibilités de cette sorte, interprétées à juste raison comme autant d’hypothèses sur la possibilité pouvant devenir probabilité d’un effondrement du Système. Ces possibilités se sont manifestées en 2004-2005 avec la débâcle américaniste en Irak, lors de la crise financière de l’automne 2008, lors du “printemps arabe” de 2010, lors de l’épisode du chimique syrien impliquant les USA et la Russie en septembre 2013, tout cela d’ailleurs avec des fortunes paradoxales. (Il est paradoxal que ce soit la Russie, dans son rôle évident d’antiSystème, qui ait “sauvé” la situation avec son intervention permettant aux USA de se sortir d’un enchaînement peut-être fatal dans les remous autant intérieurs qu’extérieurs autour d’une intervention US en Syrie en septembre 2013. On peut également spéculer, pour intégrer le paradoxe dans la dynamique observée, que l’intervention russe empêcha une action US qui n’était pas décisive pour l’effondrement du Système, en infligeant aux USA une défaite de communication qui affaiblit un peu plus la perception qu’on a de leur statut de puissance, et préparant ainsi le véritable moment de vérité.)

Ce qu’il importe de mettre en évidence, c’est que dans chacune de ces occurrences qui n’ont pas vérifié l’hypothèse émise, l’issue n’a été en aucun cas un rétablissement du Système et par conséquent un renforcement, mais un affaiblissement à mesure du constat qu’aucune de ces crises n’a été réglée ni terminée. Il ne s’agit donc pas tant d’une série d’hypothèses infirmées par leurs contraires, mais d’une série d’hypothèses qui se sont révélées excessives ou prématurées, dont les effets additionnés ont contribué à un affaiblissement constant du Système par lui-même (c’est-à-dire hors de toute hypothèse de confrontation avec un adversaire). Ces épisodes laissent intact, sinon l'accélère et le renforce, le processus central de l’équation surpuissance-autodestruction avec la dynamique progressant vers l’autodestruction. L’enseignement général de cette succession d’épisodes démentant l’hypothèse de l’effondrement sans la renverser est que cette perspective d’autodestruction doit être assez puissante pour permettre l’acte métahistorique décisif de la “percée (du trou) dans le continuum espace-temps” en lui donnant la puissance (la surpuissance retournée contre le Système) qui importe. Dans le processus de la Chute, il y a la nécessité d’étapes intermédiaires, et il y a le moment où la finalité de l’effet de la chute effectivement arrivant à son terme prend le pas sur le processus de la chute en train de se faire. Nous ne pouvons rendre compte de ces phénomènes que sous la forme d’hypothèses qui mesurent ainsi notre incapacité évidente à prévoir des événements à partir de la dimension métaphysique. Notre tâche est de chercher à interpréter des événements effectivement accomplis à partir de la métaphysique en nous autorisant seulement à des hypothèses sur leur survenue.

Salut à Fukuyama : fin de séquence

Tout cela remet à sa véritable place la thèse de Fukuyama, modifiée-1996 (voir la première partie de ces Notes d’analyse : «s'il s'agit de “la fin de l'Histoire”, cela est devenu “la fin de l'Histoire” que la civilisation occidentale, centrée sur l'Europe, avait développée. L'[h]istoire américaniste doit la remplacer, elle l'a d'ores et déjà remplacée...»). Son “La fin de l’histoire ?” redéfinie à la lumière des événements des années 1990 prétendait, à l’inspiration de l’hybris américaniste inspirée par le Système, à une nouvelle métaphysique centrée sur les USA ; en fait de métaphysique, il ne s’agissait que de communication pour interpréter une vulgaire manifestation de puissance pure (surpuissance) dont on doit se convaincre qu’elle ne peut se constituer métaphysiquement.

Ainsi les événements actuels galopent-ils vers le constat de la fin de “La fin de l’histoire ?” selon l’américanisme et selon le Système. La dimension métahistorique des événements en cours ramène la thèse à ses justes proportions, ou à sa véritable prétention d’un hybris déchaîné ; déchainé certes, mais à bout de souffle jusqu’à embrasser bientôt son destin d’autodestruction. Les manigances de “La fin de l’histoire ?” s’effacent, l’Histoire avec un grand H reprend ses droits.