Leur « dernière chance »

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Leur « dernière chance »

• Le climat en Russie après l’entretien téléphonique Poutine-Trump : dur, intransigeant, largement prêt à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire. • Pour mesurer ce climat, voir le discours de Medvedev à un Forum Juridique de Saint-Petersbourg, auquel participait Alexander Mercouris. • Cette résolution russe, qui englobe sans aucun doute son dirigeant suprême Poutine, est exprimée avec force, y compris avec ses perspectives philosophiques où il perçoit la possibilité d’une alliance Russie-USA, par le philosophe Alexander Douguine.

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Le dialogue téléphonique Trump-Poutine a provoqué de très nombreux effets, aussi bien parce qu’il avait eu lieu, qu’il avait duré deux heures, et parce qu’il s’y était dit ce qui s’y était dit. Les interprétations ont été très diverses et nombreuses, avec comme d’habitude les classements des deux candidats comme s’il avait été question d’un combat qui n’avait pas eu lieu. Après l’entretien, Poutine tressait quelques couronnes prudentes à Trump et Trump laissait échapper en privé « This Putin is a nice genleman ».

Mais ce qui doit nous intéresser ici est d’abord et avant tout la réaction en Russie. Elle est s’est très vite formée en une quasi-unanimité. Au début, il y a eu quelques ronchonnements, critiques, etc., avec essentiellement le soupçon que Poutine s’était laissé piéger sur une voie où il serait conduit à faire l’une ou l’autre concession dans un programme d’exigences dont il a toujours été dit qu’elles n’étaient justement pas négociables. Mais très vite, ces discordances se sont apaisées et l’on peut aujourd’hui lire dans la plupart des commentaires deux points :

• Le dialogue téléphonique a permis à Poutine de verrouiller un positionnement de Trump plutôt favorable aux Russes et certainement très défavorables à Zelenski (et aux Européens), assurant la volonté des USA-Trump de pas participer au conflit (« Ce n’est pas ma guerre, ce n’est pas notre guerre »).

• La perspective des négociations n’a nullement suscité un espoir d’arrangement avec l’Ukraine de Zelenski, mais au contraire est apparu comme la « La dernière chance » qu’on donnait à Zelenski d’une paix la moins dévastatrice possible dans les conditions actuelles, ou bien, – deuxième terme de loin le plus probable de l’alternative, – un échec des négociations et le lancement d’une offensive massive sur le terrain avec comme seule issue une capitulation sans condition de l’Ukraine.

Medvedev à Saint-Petersbourg

Dans ce concert général, le discours qu’a fait Medvedev à un Forum Juridique International (outre ses fonctions politiques et de sécurité, Medvedev est un avocat et un légiste de grand talent et c’est en tant que tel qu’il parlait à ce  Forum) constitue une référence très forte et très importante. La rapport qu’en donne RT.com ne semble pas nous faire comprendre cette force et cette importance par rapport à ce que nous en dit Alexander Mercouris (voir plus loin) qui était invité comme intervenant (Mercouris est avocat et juriste) à ce même Forum.

Donc, quelques mots de RT. com :

« Les autorités de Kiev disposent d'une “dernière chance” de préserver une forme d'État après la résolution inévitable du conflit ukrainien, a déclaré l'ancien président russe Dmitri Medvedev, exhortant Kiev à engager des négociations de paix.

» S'exprimant mardi lors d'un forum juridique international à Saint-Pétersbourg, Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, a admis que Moscou n'apprécie “pas du tout” le régime politique actuel à Kiev. Néanmoins, il a suggéré que les dirigeants ukrainiens disposent d'“une dernière chance de préserver, sous certaines conditions, après la fin des opérations militaires, une forme d'État ou, si l'on préfère, une personnalité juridique internationale, et de bénéficier d'une chance de développement pacifique”.

» Bien que le gouvernement ukrainien soit dépourvu de toute souveraineté et constitue un “quasi-État failli” dans sa forme actuelle, Moscou reste ouvert à la tenue de négociations de paix directes et inconditionnelles qui prendraient en compte les réalités du terrain et s'attaqueraient aux causes profondes du conflit, a déclaré Medvedev.

» Moscou s'inquiète du fait qu'il n'y ait actuellement en Ukraine aucune personne légalement habilitée à signer un quelconque accord de paix avec la Russie, a-t-il souligné. Cette inquiétude tient principalement au fait qu'un traité signé par les dirigeants actuels pourrait être rejeté une fois le nouveau gouvernement ukrainien élu, a-t-il expliqué. »

Mercouris, qui était donc à Saint-Petersbourg, a consacré hier après-midi en urgence, – il était sur le point de partir à l’aéroport pour regagner l’Angleterre sans doute par un parcours très complexe, – une très courte (pour lui) chronique portant uniquement sur ce discours de Medvedev qu’il a qualifié de « plus grand et très grand événement du jour ». Les jours précédents (il est resté trois jours à Saint-Petersbourg), il avait pu se faire au travers de ses divers contacts une idée du climat régnant en Russie : résolu, extrêmement dur, favorable très largement à la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire.

C’est dans ce sens bien entendu qu’a parlé Medvedev. Mais Mercouris a pu sentir et percevoir l’exacte position de Medvedev : dur, bien entendu, et cela sans surprise, sur la question de l’Ukraine mais nullement comme un simple acolyte ou adjoint de Poutine exprimant tout haut certaines pensées extrêmes dont Poutine a besoin pour conforter sa propre position plus “centriste” ; nullement non plus comme un personnage certes important mais défendant une position extrême un peu isolée. Au contraire, pour lui Medvedev a parlé en tant que porte-parole à la fois du gouvernement et à la fois de la fraction la plus dure, majoritaire sans aucun doute, de la direction politique russe, dont il serait approprié d’en faire le chef de file.

« Medvedev est une voix très importante dans la politique russe et dans la politique ukrainienne, soit parce qu'il expose une position commune de l'ensemble du gouvernement russe, impliquant Poutine depuis le début, soit parce qu'il reflète un accord conclu au sein du Kremlin sur une position à exposer.

» [C’est en tant que tel] que Medvedev a a déclaré lors de ce forum juridique que ces négociations représentaient la dernière chance de l'Ukraine d’éviter [la poursuite de la guerre et la défaite totale]. ».

Douguine et les restes d’un coup de fil

Mercouris nous expose donc, en présence de cette intervention qui a une telle importance, une situation où la direction de la Russie autant que l’opinion publique (près de 70% des Russes sont opposés à cette négociation et veulent la guerre jusqu’à la victoire) sont absolument résolu, au cas où ils n’obtiendraient pas toutes les exigences qu’ils ont exprimées (Poutine, dans son discours du 24 juin 2024 au ministère des affaires étrangères) à poursuivre les hostilités jusqu’à la victoire... A ce moment, on pourra parler d’un cessez-le-feu, comme par la force des choses et des armes déposées par l’adversaire.

C’est dans ce climat que nous publions un texte de Douguine sur cette situation qui nous semble être une parfaite illustration de cette résolution nationale russe, – d’ailleurs sans cacher, d’une façon peut-être presque trop pessimiste, la tâche opérationnelle extrêmement difficile qu’il reste à accomplir pour une victoire totale de l’armée russe.

Bien entendu, Alexander Douguine est particulièrement intéressant parce qu’il ajoute au seul constat de cette résolution, ses réflexions de philosophe, qui portent sur ce qui nous paraît essentiel, c’est-à-dire la place centrale que cette guerre d’Ukraine prend dans l’affrontement entre globalistes et populistes-traditionnalistes ; ou plutôt la place centrale que “l’affrontement entre globalistes et populistes-traditionnalistes” a assignée à la guerre en Ukraine. Il fait notamment intervenir le facteur de la position des USA de Trump et ce qui constitue objectivement un lien, une communion d’intérêt entre les USA du trumpisme et la Russie du poutinisme.

dedefensa.org

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Alliance Poutine-Trump contre l'UE

Malgré notre récente offensive militaire, qui fut réussie, nous n'avons toujours pas atteint une supériorité évidente sur l'ennemi dans les opérations. Certes, tout l'Occident s'oppose à nous, ce qui explique bien sûr cette situation. Mais il n'en reste pas moins vrai que nous n'avons pas encore atteint ces positions de force qui nous permettraient de dire : ça y est, ça nous convient, c'est la victoire, ceci, c'est notre territoire et cela, c'est une zone tampon.

Et c'est à nos conditions que nous proposerions à l'ennemi de se rendre. Et à certains égards, nous pourrions même faire un compromis, si nous pouvions prendre certaines régions occidentales de l'Ukraine, que nous pourrions ensuite abandonner.

Mais aujourd'hui, à proprement parler, nous n'avons pas de conditions préalables pour engager de bons pourparlers de paix. Jusqu'à présent, ils ne peuvent pas nous mener à quelque chose de substantiel. Il n'y a pas lieu d'espérer que Trump lui-même nous offre ces résultats militaro-stratégiques sur un plateau d'argent. Cela dépasse le domaine du possible. Par conséquent, dans un avenir proche, toutes les conversations entre Poutine et Trump porteront sur autre chose de notre côté.

Trump veut mettre fin à cette guerre. Mais les conditions de cette fin des hostilités doivent être différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui. Et leur gage est notre victoire militaire sur le régime de Kiev et l'établissement d'un contrôle, en plus des quatre régions à libérer dans leur totalité, sur au moins 4 à 5 autres régions de l'ancienne Ukraine. En fait, c'est le seul moyen d'entamer de véritables pourparlers de paix. Mais on en est encore loin, et c'est pourquoi la guerre n'est pas finie pour nous, parce qu'il n'y a pas de vraie victoire, et qu'un cessez-le-feu dans ces conditions équivaut à reconnaître sa défaite. Et ça, ce serait fatal pour notre État.

Bien sûr, beaucoup de gens le comprennent parfaitement. Et en premier lieu Poutine. Cependant, Trump veut mettre fin à la guerre le plus rapidement possible sur des bases plus ou moins « neutres », selon lui. Mais pour nous, même de tels motifs « neutres » sont catégoriquement inacceptables. Même si nous apprécions la bonne volonté de Trump de mettre fin à la guerre. Bien sûr, nous n'avons pas le droit de l'ignorer, et il est très important que le président des États-Unis, contre qui nous avons combattu et combattons toujours en Ukraine, ait dit « ce n'est pas ma guerre », ce qui permet à beaucoup de choses d'avancer.

Oui, il est probablement très difficile de faire dire à Trump que la Russie n'a besoin que de la victoire. Mais notre président est un grand leader historique, alors j'espère qu'il pourra le faire d'une manière qui ne va pas dans le sens d'une confrontation directe avec Trump. Surtout lorsque nous parlons d'un ordre mondial complètement nouveau, ce qui est exactement ce qui peut et doit être discuté. Par conséquent, il est très important de transmettre à Trump l'idée la plus importante : ses ennemis sont nos ennemis, et vice versa. En fait, les forces qui ont déclenché une guerre contre nous en Ukraine sont les mêmes que celles qui ont déclenché une guerre contre Trump et ses partisans aux États-Unis.

Cela dit, l'UE est aujourd'hui le dernier bastion des globalistes en Europe. Et dans toutes les élections, qui se déroulent actuellement dans tous les États européens, elle lutte simultanément contre Poutine et Trump (un exemple est celui des récentes élections en Roumanie, où la victoire a été volée au souverainiste George Simion – non pas un candidat pro-russe, mais un candidat pro-Trump – au moyen de falsifications et d'autres manipulations).

Dans le même temps, les globalistes, de manière extrêmement sournoise, comme ils le font toujours, veulent s'assurer que Trump continue à se battre pour eux en Ukraine contre la Russie. Ainsi, par ses mains, ils peuvent infliger une défaite stratégique à notre pays et pour que Trump lui-même, empêtré dans cette guerre qui ne peut être que fatale pour lui, affaiblisse sa position auprès de ses partisans et finisse par être renversé.

Je pense qu'il est très important que Trump prenne conscience de cet ensemble de faits. Et j'espère que Poutine pourra lui expliquer tout cela de manière claire et argumentée. Que les ennemis de la Russie sont les ennemis de Trump, et que les ennemis de Trump sont les ennemis de la Russie. En fait, ce rejet du globalisme devrait être la base de nos nouvelles relations. Et peut-être même de notre nouvelle alliance.

Alexander Douguine