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2642Nous reprenons ci-dessous un texte que nous avions publié en 2003, qui apporte des éléments extrêmement intéressants sur les conditions de la “mobilisation industrielle” des USA pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce point est particulièrement important dans la mesure où cette “mobilisation” servit de référence, – et l’on découvre ici que la référence a des allures de mythe, – aux capacités, à la productivité, à la rationalisation et à la coordination structurée du capitalisme américaniste. Cela fut une contribution puissante, comme on peut s’en douter, à l’image irrésistible de la puissance américaniste à partir de1945, à son influence, à son hégémonie.
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Il y a deux jugements impératifs dans l’évaluation hagiographique, hollywoodiennes et virtualiste de l’Amérique durant la Deuxième Guerre mondiale. Il y a l’Amérique généreuse et vertueuse qui a sauvé la civilisation que les démocraties européennes décadentes (la France en premier, tandis que le Royaume-Uni est laissé dans une incertitude océanique) laissaient s’effondrer sous les coups de la barbarie nazie; il y a l’Amérique, miracle industriel et pinacle de la vertu capitaliste grâce à une mobilisation industrielle qui est et restera la référence du genre. Restons-en au second dans ce texte… Les USA en guerre, c'est cette capacité industrielle considérable, qui fournit une base technologique et une production industrielle d’une telle puissance qu’elles permirent, à peu près à elles seules, la victoire, – CQFD, l’Amérique a bien remporté la guerre à elle seule. Si l’on veut, en bon petit soldat, affiner le commentaire hagiographique qui permet en général d’accéder au paradis du commentateur libre et indépendant, on détermine que le “miracle” américaniste général se subdivise en quatre “sous-miracles” qui permettent d’ainsi mieux détailler le bonheur qui fut le nôtre à cette occasion.
• Miracle du volume de la production. La production industrielle américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale (303.000 avions, plus d'une centaine de porte-avions d’attaque, etc.) est perçue, dans son volume et dans son rythme d'expansion, comme un phénomène unique de l'histoire industrielle. C'est effectivement défini comme un “miracle”.
• Miracle de la productivité. Il est également entendu que la performance quantitative de la production américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale se double d'une performance quantitative, avec l'affirmation que l'industrie américaine réussit à établir une capacité de productivité également hors du commun, avec amélioration constante des produits, rentabilisation,, etc.
• Miracle de la restructuration industrielle. L'image ambiante est également que l'industrie américaine réussit à passer, de manière massive et en un laps de temps extrêmement court (1939-42 au plus, plus sûrement 1940-42), d'une industrie de consommation civile à une industrie militarisée, produisant l'ensemble des systèmes nécessités par une guerre moderne de la plus haute intensité concevable.
• Miracle de la coordination et de la direction industrielle, enfin. Le quatrième “miracle”/cliché est que tout cela fut dirigé de main de maître, par un gouvernement américain prenant soudain en mains toutes les commandes de l'économie du pays, dans un consensus général figurant l'union sacrée dont on raconte qu'elle est la cause principale de la victoire des alliés en 1945.
Bien entendu, il s'agit de “clichés”, comme on l'a déjà laissé entendre. L'intervention de la puissance industrielle américaine pendant la guerre fut un facteur important de cette guerre, sans doute l'un parmi un certain nombre de facteurs déterminants. Mais ce n'est point le résultat d'une activité humaine hors du commun, activant des conditions exceptionnelles et les maîtrisant de bout en bout. Cette idée permet de susciter de façon plus générale d'une part l'idée de l'exceptionnalisme à la fois du système, de la population et de la direction américaine, d'autre part l'idée de la Deuxième Guerre mondiale comme une sorte de “guerre sacrée”, légitimant l'entrée de l'Amérique dans le monde et son hégémonie sur le monde par une vertu idéologique et morale sans contestation possible. On voit l'avantage de l'entretien de ces clichés.
L'explication des réalisations américaines pendant la guerre est plus simple. Elle tient simplement à la puissance naturelle de l'Amérique, un pays qui est aussi grand qu'un continent, qui possède à la fois les ressources naturelles d'un continent, les ressources humaines d'une population largement alimentée par une immigration sollicitée dans le but explicite du renforcement de l'économie, et les ressources structurelles d'un système qui est très peu entravé par une intervention du gouvernement systématiquement favorable aux puissances économiques.
Nous nous recommandons la lecture d'un document qui se trouve accessible sur Internet, qui est diffusé par l'Institut INSS (Institute for National Security Studies), de la National Defense University dépendant du département de la défense. Les références sont donc impeccables. Le document est diffusé dans la série McNair Papers et porte le numéro 50 en date d'août 1996. Le titre de l'étude est: «Mobilizing U.S. Industry in World War II» et l'auteur est Alan L. Gropman. (Gropman, ancien colonel de l'USAF, ancien cadre dirigeant de la Syscon corporation, diplômé de Boston University et de Tufts University, professeur d'histoire au National War College, a été nommé président du Department of Grand Strategy, Industrial College of the Armed Forces, National Defense University, en juillet 1996.)
L'étude est très complète et permet d'avoir une référence précise sur la période considérée, dans le domaine très peu connu en Europe, – à part les clichés – de la mobilisation industrielle aux USA. On y découvre que la “mobilisation” pour 1941-45 représenta une activité industrielle certes soutenue mais nullement exceptionnelle; que la productivité US ne fut pas non plus exceptionnelle, puisque d'autres pays belligérants la surpassèrent; qu'il n'y eut pas de restructuration massive, une partie très importante de l'industrie restant à destination du secteur civil (le seul domaine de restructuration concerna une partie importante de l'industrie automobile, prenant en charge une production de guerre, notamment aéronautique); que la production fut plutôt l'effet d'un processus industriel naturel et que les interventions gouvernementales furent souvent maladroites et improductives.
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Nous vous donnons ci-dessous un extrait du chapitre 9 (U.S. Production in World War II). On y trouve une comparaison entre la période 1921-25 du début des Roaring Twenties, période de paix et de grande prospérité, et la période 19041-45.
«It is equally true, however, that there was no production ''miracle'' in the United States during World War II. Unquestionably, munitions production expanded greatly, but the base on which the expanded production was measured was a depressed one. Compare, for example, the period 1941 to 1945 with another period of rapid industrial expansion (and peacetime at that), 1921 to 1925. Wartime farm output increased about 25 percent in the former and peacetime output increased by more than 28 percent. In the case of total industrial production, the peacetime output increase was double that of wartime (53 percent versus 25 percent). If the period 1941 to 1944, when wartime production peaked and before it turned down, is compared with the period 1921 to 1924, the wartime figure is 7 percent higher (45 percent compared to 38 percent). How then did the United States produce the hundreds of thousands of airplanes, tens of thousands of tanks, tens of thousands of landing craft if the output increase in the early 1940s was no greater than it had been in the early 1920s.? Through massive conversion of the industrial base and generous government funding for infrastructure construction.»
Ci-dessous, un autre extrait, cette fois du chapitre 14 de cette étude (People mobilization, “Rosie the Riveteer”).
«There should be no doubt, therefore, that United States industrial production in World War II was no miracle. United States production in World War II was about what one should have expected given the size of the prewar technological-industrial base, the population size (three times that of Britain, nearly twice that of Germany, and greater than that of the Soviet Union after Hitler's conquests in 1941). In the face of allied bombing and sea blockade, and with her troops scattered from the north of Norway to the Pyrenees, and from the North Sea and Atlantic Ocean to the Caucasus, Germany increased its productivity by 25 percent between 1943 and 1944 – a percentage that exceeded that in the United States. The Soviet Union lost 40 percent of its most productive territory and tens of millions of its people but still produced at a furious pace. Great Britain, while suffering bombing and rocket attacks, produced more tanks, ships (but not submarines), and airplanes than Germany, with about 60 percent of Germany's population. Paul Koistinen argues that when viewed in terms of “prewar potential and when compared with other belligerents, America's World War II munitions production effort was not outstanding.”
»Koistinen assembles productivity statistics to make his case. The United States, even mired in the depression in the period 1936 to 1938, manufactured almost one-third of the world's products (32.2 percent). The United States outproduced Germany about three times (10.7 percent) and Japan almost ten times (3.5 percent). Taking the United States prewar productivity in terms of production per man-hour as the standard and giving it a value of 100, the following chart indicates the relative productivity ranking of World War II foes:
»…Between Pre War War (’35-’38) and 1944 – All Manufacturing Munitions Country Industries Industries: United States 100 –100, Canada 71 – 57, United Kingdom 36 – 41, Soviet Union 36 – 39, Germany 41 – 48, Japan 25 – 17…
»One must not forget, however, that the United States was “almost alone in increasing rather than diminishing consumer output during the war.” To reiterate the point, all belligerents fiercely produced munitions during the war, not just the United States. America possessed advantages that none of the other warring states had. Its output, while noteworthy, was what a prewar analyst might have expected given the size of the country, its educated population, the status of its technology, the abundance of its raw materials, the quality of its transportation network. In short, America's munitions production in World War II was no “miracle.”
»Could the United States have been more productive? Could it have produced more munitions more rapidly at a lower cost? Almost certainly, although it is difficult to determine what difference it might have made by August 1945. Robert Cuff, a generally friendly critic of the U.S. World War II mobilization effort, argues that U.S. Federal Government administrative machinery was not up to the task of managing the economy for war from a central position: “administrative personnel and control coordinating machinery was rudimentary at best.” More critically, “A cadre of political appointments loyal to the President is not the same as a higher civil service” and “Wartime Washington was awash with competing centers of administrative decision-making.” Where were the weaknesses? “Those with governmental authority did not possess relevant knowledge and control in technical matters, while those with technical knowledge and industrial control did not possess governmental authority.” In a war the objective was to “bind them together, not drive them apart” and to create cohesion when the country, before Pearl Harbor was attacked, “divided on the very issue of war itself.” The uneasy alliance between business executives and bureaucrats was patched together by Roosevelt and senior government officials (often from the worlds of business or finance) much as Bernard Baruch had pieced together a government/business coalition in World War I. In World War II, as in World War I, the “alliance” was not designed to be permanent, and it did not last beyond the emergency. Given the structure of United States policy, it could not have lasted, and it was never cohesive.»