Les super-hawks US sur la défensive (!) et quelques éléments sur la psychologie de guerre aux USA

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Les super-hawks US sur la défensive (!) et quelques éléments sur la psychologie de guerre aux USA

Nous observions il y a trois mois que l'extrême-droite américaine de la sécurité nationale avait pris le pouvoir à Washington. Les événements ont confirmé depuis qu'elle est fermement installée au coeur du pouvoir washingtonien, elle-même et/ou ses idées. Qu'il s'agisse de la création de l'OSI, du discours de GW Bush sur l'état de l'Union (« the axis of devil »), de l'annonce qu'un gouvernement secret est activé depuis le 11 septembre, de la volonté d'attaquer l'Irak et jusqu'aux révélations sur la NPR, toutes les thèses de cette extrême-droite de la sécurité nationale triomphent. On pourrait d'ailleurs élargir le propos par le constat qu'il est inapproprié de limiter ainsi l'étendue de la pénétration de ces idées. Ni GW Bush, ni Rumsfeld, ni Candoleeza Rice, etc, ne sont spécifiquement des personnes qu'on pourrait assimiler à cette extrême-droite neo-conservative de sécurité nationale. Mais ils adoptent les idées de ce groupe. (On devrait se défier des étiquettes, non seulement parce que les significations diffèrent complètement entre USA et Europe mais aussi parce que la situation a conduit à un énorme déplacement de la psychologie vers une situation beaucoup plus marquée par l'autoritarisme et l'alarmiste, faisant de l'extrémisme le sentiment général courant de l'administration sans qu'il soit nécessaire de faire appel systématiquement à des hommes politiquement marqués. Il y en a certes, mais ils sont loin d'être en majorité.)

La plus récente nouvelle de cette extrême-droite triomphante est qu'elle est complètement sur la défensive ... Le 11 mars, a été présenté une nouvelle organisation de l'extrême-droite de la sécurité nationale : AVOT, pour Americans for Victory Over Terrorism, qui est un groupe de lobbying. On retrouve dans AVOT les principaux leaders de l'extrême-droite US, tels qu'on les avait rapidement présentés en décembre dernier. William Bennett, Frank Gaffney et James Woolsey (ancien directeur de la CIA) semblent notamment les chevilles ouvrières de la fondation de l'AVOT. Sur le site Alternet;com, Jim Lobe présente cette organisation sous le titre : « The War on Dissent Widens », montrant par là que le but de l'organisation est largement de lutter contre ce qui est perçu comme une menace intérieure, celle des adversaires de la Grande Guerre contre la Terreur aux USA même, évidemment avec les moyens classiques dans ce genre de citoyens supposée (moyens expérimentés notamment à l'époque du maccarthysme). Lobe écrit :

« Groups and individuals, AVOT claims, need to be resisted both here and abroad. A full-page AVOT advertisement carried in the March 10 Sunday New York Times pointed to radical Islam as ''an enemy no less dangerous and no less determined than the twin menaces of fascism and communism we faced in the 20th century.'' At the same time, the $128,000 ad lambasted those at home ''who are attempting to use this opportunity to promulgate their agenda of 'blame America first.''' ''Both [internal and external] threats,'' the ad continues, ''stem from either a hatred for the American ideals of freedom and equality or a misunderstanding of those ideals and their practice.''

» To expose the internal ''threats,'' AVOT has compiled a sample list of statements by professors, legislators, authors and columnists that it finds objectionable. The strategy appears similar to an earlier, much-criticized effort to monitor war dissidents by the American Council of Trustees and Alumni (ACTA), a group founded by Lynne Cheney, the wife of Vice President Dick Cheney, and neo-conservative Democratic Senator Joseph Lieberman. »

Un article de USA Today du 14 mars détaille les conditions de la création de l'AVOT. L'intérêt de cet article est qu'il s'attache à l'aspect intérieur de l'AVOT (la lutte contre le soi-disant ennemi interne) et s'interroge sur la réalité de cet ennemi.

« Thirty years ago, similar groups used to make pilgrimages to the Nixon White House to buttress the president's spirits during the dark days of Vietnam. Back then, they were the right wing's answer to the peace movement. But these days, there is no anti-war ferment in America, aside from a handful of college students who naively believe that world peace can be achieved through sugar-free bake sales. The latest USA TODAY/CNN/Gallup Poll found that 91% of Americans approve of our military action against terrorism. So who is the target of Bennett's heavy rhetorical artillery? Who is weakening America's resolve? Are we back to blaming George McGovern and Jane Fonda? »

Les réponses précises de Bennett et compagnie à cette sorte de questions, qui leur ont effectivement été posées, sont embarrassées. Bennett cite vaguement l'ancien président Carter, critique de la guerre de GW Bush. Mais sa rhétorique est faiblarde. Les arguments exposés par USA Today, tout le monde les a à l'esprit : personne, aux USA, aujourd'hui, ne constitue une menace, ni même une critique sérieuse contre le courant belliciste. Finalement, les fondateurs de l'AVOT le reconnaissent indirectement.

« Bennett even felt compelled to warn, ''There was more unanimity and less dissent in the early days of the Vietnam War in the early '60s than there is now.'' And in a further echo of Vietnam, Gaffney chimed in to raise concern about some outlandish future congressional effort to cut off funding for the war effort »

Ces remarques éclairent la démarche de l'AVOT. L'association n'est pas constituée contre une menace réelle, existante, mais bien contre ce qui pourrait apparaître comme menace, dans le futur. Gaffney parle de contrecarrer « some outlandish future congressional effort » contre le budget de la défense, — et l'on comprend que, dans cette phrase, c'est le mot « future » qui a toute son importance.

Cet état d'esprit n'est pas propre à Gaffney, ni à la seule extrême-droite de la sécurité nationale. Les exemples ne manquent pas. On cite celui de Thomas Friedman, qui n'est pas un homme d'extrême-droite, qui serait plutôt un libéral (signification proche de celle de progressiste en Europe), mais de la catégorie née durant la guerre du Kosovo : le libéral ultra-belliciste, ou humanitariste-belliciste, celui qui parle des « bombardements humanitaires » (expression empruntée à un discours de Vaclav Havel, autre exemple d'humaniste-belliciste, dans un discours d'avril 1999). C'est dire si Friedman n'est pas contre le courant belliciste actuel, tout en cultivant sa différence. Dans un article du 13 février, dans le New York Times, article intitulé « Crazier Than Thou », Friedman comprend, voire partage les appréhensions des Européens devant les idées d'« axis of evil », d'attaque contre l'Irak, etc. En même temps, il précise ceci :

« The Europeans don't favor any military action against Irak, Iran or North Korea. Neither do I. But what is their alternative? To wait until Saddam Hussein's son, Uday, who's even a bigger psychopath than his father, has bio-weapons and missiles that can hit Paris? »

On retrouve la même idée que dans le cas d'AVOT, pour ce qui concerne l'Irak cette fois : l'attaque de l'Irak est finalement une bonne chose parce qu'elle nous protége de Uday, fils de Saddam, qui viendra au pouvoir au jour, c'est écrit, et dont nul n'ignore qu'il est « a bigger psychopath » que son père, — une sorte de diable-junior pire que le tenant du titre, qui ne manquera pas de développer toutes les armes terribles qu'on imagine. Exactement comme dans la phrase de Gaffney, il s'agit de nous armer, d'attaquer, de frapper un danger futur, certes avant qu'il n'existe.

Il s'agit à notre sens bien plus d'une démarche psychologique que d'un choix idéologique. Il y a le reflet de l'attitude actuelle des États-Unis, qui était justement définie par Alexander Kaletsky, chroniqueur économique de The Times de Londres (et par ailleurs pro-américain bien-connu), de cette façon : « Is American about to snatch defeat from the jaws of victory? To judge by the incoherent paranoid mood of the World Economic Forum in New York, American politicians, businessmen and media commentators appear to be on the Brink of collective nervous break-down. » Le titre de l'article (du 7 février) de Kaletsky était significatif : « Arrogance and fear: an American paradox.  » Faut-il s'étonner que les plus durs parmi les plus durs, ceux qui inspirent les entreprises les plus agressives des USA, soient, dans un tel climat, conduits également à se regrouper dans des associations de défense et à s'effrayer des dangers d'après-demain ?

Nous sommes naturellement ramenés à notre antienne : dans la crise mondiale qui nous bouleverse depuis l'attaque du 11 septembre, l'essentiel est la crise américaine. Ce n'est pas une crise extérieure, en ce sens qu'elle pourrait être définie comme une crise géopolitique, une attaque du monde extérieur contre l'Amérique. Cette attaque a certes eu lieu (quelles que soient les circonstances) mais elle n'a été que le détonateur d'une crise intérieure, — au double sens du mot : intérieur à l'Amérique et intérieur à la psychologie américaine. Les événements et les citations que nous rapportons ici sont d'abord et essentiellement des signes de cette crise doublement interne des États-Unis, des signes de la crise psychologique américaine. Inutile d'ajouter, tant c'est l'évidence, que la situation n'est pas plus rassurante pour autant.