L'entropisation des forces armées US

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L'entropisation des forces armées US

La semaine dernière, il y a eu aux États-Unis le Memorial Day, qui est le jour où les armées US et la communauté nationale regroupée autour d’elles célèbrent leurs vétérans, tous ces hommes et femmes qui se sont battus pour leur patrie et, pour certains, ont donné leurs vies pour elle. Comme l’écrit le texte ci-dessous, c’est en général l’occasion, pour le Système, pour ses dirigeants-zombies, pour la presseSystème, d’étaler un enthousiasme guerrier et belliciste, et cela particulièrement depuis le 11 septembre 2001. Cette année, ce fut un peu, beaucoup très-différent jusqu’à son contraire...

Pour ce Memorial Day, l’U.S. Army avait eu la malencontreuse  idée de tweeter une sorte de référendum d’initiative plutôt impopulaire, sur ce thème, s’adressant aux vétérans : « Comment votre service vous a-t-il affecté ? » Il y eut un déluge (plus de 11 000) de réponses horriblement dramatiques, accusatrices, furieuses, etc., qui dépeignaient ainsi l’effet catastrophique des guerres menées actuellement et les dégâts humains qu’elles infligent aux soldats US durant et surtout après leurs services, des suicides aux traumatismes divers, aux déstructurations individuelles et familiales, etc

On ne peut, on ne doit pas s’empêcher de rapprocher cette circonstance, largement détaillée ci-dessous par WSWS.org, par exemple de tout ce qu’Orlov nous brosse dans  sa chronique du jour même, et qui est largement documentée. Il s’agit de l’état calamiteux des forces armées US, aggravée par une logistique extrêmement lourde, une pléthore de matériels souvent mal entretenus, etc. Il y a déjà eu des commentateurs qui, comme Orlov aujourd’hui, se sont demandés, – et cela ajouté à l’état mental et moral des soldats tel que l’expose cette avalanche de réponses documentée par WSWS.org, – si la situation catastrophique des opérations autant que l’état d’usage des moyens (et non pas la masse des moyens qui est considérable) ne pourraient pas conduire à des nécessités urgentes de retrait qui, finalement, conduiraient au seul retrait du personnel directement vers des établissements psychiatriques aux USA s’il y a des places disponibles, tandis que le matériel serait abandonnés sur place.

Cet état des forces armées est accentué, dans le sens de l’inefficacité et du gaspillage affectant gravement autant l’efficacité des opérations que l’équilibre psychologique des soldats, par une inadaptation évidente des moyens alors que les forces armées US partaient, depuis1991 (guerre du Golfe) et surtout depuis 2001-2003 (deuxième attaque de l’Irak), d’une position de force jugée par elles-mêmes proches de l’invincibilité absolue pour plusieurs décennies. Aujourd’hui, cette situation est régulièrement moquée par les adversaires que les USA ont eux-mêmes défiés après avoir suscité leur hostilité. Le cas de  la vulnérabilité des porte-avions  est un exemple dans ce sens, avec les chefs militaires iraniens répétant sans cesse que leurs armes nouvelles, dont on suppose qu’on y trouve des missiles hypersoniques livrés par les Chinois, ne feront qu’une bouchée explosives de ces mastodontes (ce qui pourrait être le sens de la nouvelle déclaration faite par le nouveau chef des Gardiens de la Révolution, hier encore). 

Ainsi s’agit-il d’une sorte de désagrégation-entropisation des forces armées US,  se réalisant dans plusieurs domaines parallèlement, avec des effets croisés entre chaque domaine. Les forces armées US ont déjà connu à deux reprises des situations très difficiles, et paradoxalement à chaque fois dans un contexte de puissance extrême, soit même de victoire ou de “non-défaite”. En 1945, ce fut un véritable effondrement du à un désordre provenant d’une démobilisation extrêmement rapide, incontrôlée, involontaire de la part des chefs de ces forces (la démobilisation fut accélérée au-delà de tout contrôle par des décisions unilatérales du Congrès et des démarches unilatérales, parfois personnelles constituant de véritables désertions de facto de soldats par milliers). (Voir les circonstances de cet effondrement, – entre septembre et décembre 1945, – parfaitement ignoré de l’histoire officielle dans notre Glossaire.ddesur « Le “Trou Noir” du XXème siècle »). La deuxième circonstance est mieux connu : la période de grand trouble dans les forces armées, avec des mutineries, des insubordinations, etc. qui accompagne et suivit la fin de l’engagement militaire US au Vietnam, entre 1959 et 1974.

Dans les deux cas, l’une des grandes causes factuelles évidentes était qu’il s’agissait de forces armées de conscription, avec une forte interférence des conditions civiles aux USA. En un sens, la crise s’expliquait par un facteur extérieur à l’armée et l’on pouvait accepter l’idée que ce n’était une crise propre à l’armée elle-même. Ce n’est absolument pas la structure de la crise aujourd’hui, où l’armée est complètement une armée de métier, complètement détachée de la population civile et de ses exigences. La situation actuelle ne relève pas d’un même cas, même si la situation civile aux USA est très difficile et connaît elle aussi un effondrement progressif. Le cas des forces armées est complètement une illustration de la situation des forces armées, une crise propre aux forces armées, et elle renvoie directement au moins à quatre facteurs essentiellement voulus par le Système : 

• des guerres extrêmement impopulaires, illégales, sans aucune justificationpolitique acceptable ni aucune nécessité stratégique, et marquées par des destructions et des massacres considérables dans les infrastructures et populations des pays touchés ;

• des structures d’encadrement et de commandement des forces US extrêmement corrompues et irresponsables, extrêmement médiocres sur les plans tant stratégiques que tactiques,  toutes tendues vers leurs propres promotions, vers l’affirmation de narrative faussaires, etc. ;

• Des équipements sacrifiant tous à un technologisme effréné, le plus souvent amenant des situations de blocages et d’inefficacité pour les soldats sur les champs de bataille, et dont le développement et l’acquisition répondent essentiellement aux intérêts du complexe militaro-industriel et aux orientations inflexibles des bureaucraties ;

• Un appel de plus en plus important à des forces mercenaires, des sous-traitants de sociétés sécuritaires privées, des groupes pseudo-terroristes manipulés par des agences concurrentes au sein du Système, tout cela amenant un accroissement du désordre, de la perte du sens de la hiérarchie, du devoir et de l’honneur, et du patriotisme habituel des forces armées.

Ci-dessous, on trouve un texte du site WSWS.org du 28 mai 2019, qui détaille bien, – une fois écartées mes scories du catéchisme trotskiste, – ces incidents de communication survenus à l’occasion du Memorial Day, essentiellement sur la situation des vétérans qui sont actuellement plus de deux millions, alors qu’en 2018 un vétéran se suicidait toutes les heures aux USA...

dedefensa.org

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L’US Army propagatrice de l’antiguerre

L'armée américaine n'a pas obtenu la réponse qu'elle attendait lorsqu'elle a demandé sur un tweet la semaine dernière : “Comment votre service vous a-t-il affecté ?” Au lieu d'être un argument pour la fonction militaire, les réponses ont montré l’horrible réalité de la guerre à l'échelle mondiale et profondément affecté la célébration annuelle du militarisme américain au cours de la fin de semaine du Memorial Day.

Lundi soir, il y avait plus de 11 000 commentaires en réponse à la question de l'armée américaine. Les mensonges et les platitudes officielles utilisés par l'élite dirigeante et les médias pour exalter la guerre ont été taillés en pièces par le récit de calvaires individuels sans nombre, détaillant l'enfer imposé à des millions de vies.

L'afflux de  réactions sur les médias sociaux a été si massif que la chose a été couverte comme un événement exceptionnel par les médias grand public lundi soir, une rareté singulière lors d'une journée habituellement consacrée au chauvinisme aveugle. L'incident a même fait la une dans divers journaux dans le monde entier, expression du vaste impact mondial du militarisme américain.

Suicides d'anciens combattants, dépression, violence, cauchemars récurrents, syndrome de stress post-traumatique, toxicomanie, addictions diverses, alcoolisme, viol et agression sexuelle par des supérieurs hiérarchiques, soins de santé inadéquats, traumatisme générationnel, exposition aux agents chimiques, crimes de guerre. Ce ne sont là que quelques-uns des récits cauchemardesques qui ont émergé.

Les histoires déchirantes de suicides d'anciens combattants sont légion. L'histoire de Shane Burley a été répétée sous diverses formes par de nombreuses personnes. « Mon meilleur ami du lycée s'est vu refuser son traitement de santé mentale et fut désigné pour retourner en Irak pour un troisième déploiement malgré un traumatisme si profond qu'il pouvait à peine se déplacer, écrit Shane. Il a pris une poignée de somnifères et s'est tiré une balle dans la tête deux semaines avant son départ. »

Sean a décrit ce qu'il a appelé « le “cocktail de combat” : SSPT, dépression sévère, anxiété. Isolement. Tentatives de suicide. Une rage sans fin. Cela m'a coûté ma relation avec mon fils aîné et mon petit-fils. Ça a coûté tellement plus cher à certains de mes hommes. En quoi le service m'a-t-il influencé ? Demandez à ma famille. »

Les réactions ont également montré une opposition aux mensonges utilisés pour fabriquer le consentement public à la guerre. « Ne fabriquez pas d'ennemis et ne poussez pas des Américains innocents dans des guerres qui tuent des civils innocents, écrit un vétéran. Vous n'avez rien gagné de toutes les guerres réunies. C'est l'enfer pour le monde. »

Malgré la glorification nauséabonde des militaires par les médias et l'establishment politique, ceux qui servent dans l'armée comme chair à canon sont généralement des conscrits économiques à la recherche d'une issue à la pauvreté et à d’une possibilité d'obtenir un diplôme universitaire. La réalité, c'est qu'ils finissent mutilés, brisés et marqués, avec des générations de familles et d'amis touchés par le traumatisme.

Plus de 5 500 anciens combattants se sont suicidés l'an dernier, et le nombre de suicides chez les militaires en service actif a atteint un sommet sans précédent en 2018. Plus de 321 des personnes en service actif dans l'armée se sont tuées en 2018, dont 138 dans la seule US Army.

Une étude réalisée en 2018 par le Council on Foreign Relations a révélé que les recrues provenant de familles dont le revenu annuel est inférieur à 38 400 $ représentaient 19 % des soldats. Plus de 60 p. 100 des recrues proviennent de familles dont le revenu annuel est inférieur à 61 403 $ et plus de 80 p. 100, de familles dont le revenu est inférieur à 80 912 $. L'étude n'a pas montré les niveaux auxquels les 5 pour cent ou les 1 pour cent supérieurs ont participé aux guerres, mais ils constituent sans aucun doute une minuscule minorité.

De nombreux commentateurs du fil Twitter de l'armée américaine ont fait référence aux déclarations du major-général Smedley Butler, qui observait en 1933 : « La guerre n'est qu'un racket. Seul un petit groupe interne sait de quoi il s'agit. Elle est menée au profit d'un très petit nombre au détriment des masses. »

Il y a une forte opposition à la guerre dans la classe ouvrière aux États-Unis et sur la scène internationale. Cependant, comme pour toute autre question politique, les intérêts réels de la grande majorité de la population ne sont pas pris en compte dans la vie politique officielle.

Dans la période qui a précédé l'invasion de l'Irak en 2003, ce sentiment s'est traduit par des manifestations de masse de millions de personnes dans le monde entier. L'opposition à la guerre en Irak a été canalisée derrière le Parti démocrate et a culminé avec l'élection de Barack Obama en 2008. En prolongeant la “guerre contre le terrorisme” de l'administration Bush en Irak et en Afghanistan, Obama a attaqué plus de sept pays, dont la Libye et la Syrie, et tué des milliers de civils innocents dans une guerre de drone.

L'administration Trump prévoit maintenant d'envoyer 1 500 nouvelles troupes au Moyen-Orient et a menacé de “rayer l'Iran de la carte”. Son administration a également annoncé la doctrine du conflit des “grandes puissances”, préparant des conflagrations militaires encore plus importantes contre la Russie et la Chine qui précipitent le monde vers une troisième guerre mondiale.

En 2017, le ministère des Anciens Combattants, sous l'administration Trump, a proposé de fermer plus de 1 100 établissements dans le but de privatiser les soins de santé. Alors que $220 milliards ont été alloués à Anciens combattants pour le budget de 2020, plus de $718 milliards ont été demandés par le Pentagone, soit une augmentation de cinq pour cent par rapport à l'année précédente. Si la tendance se maintient, plus de $7 000 milliards seront consacrés à la guerre au cours de la prochaine décennie.

De plus, avec le soutien du Parti démocrate, l'administration Trump intensifie sa campagne contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, pour avoir dénoncé les crimes de l'impérialisme américain.

Les démocrates ont mené leur opposition à Trump en grande partie sur la demande que l'administration adopte une position plus agressive contre la Russie et étende la guerre en Syrie et au Moyen-Orient. Les démocrates ont cherché à se positionner en tant que parti de l'armée et des agences de renseignement, saluant comme des héros des guerriers aussi admirables que le regretté sénateur républicain John McCain.

Et les organisations de la classe moyenne supérieure complaisante et privilégiée qui entourent le Parti démocrate sont devenues les partisans les plus farouches de l'impérialisme américain.

Les sentiments exprimés dans les réponses au tweet de l’US Army doivent trouver une forme plus organisée. L'opposition massive à la guerre doit être liée aux luttes croissantes des travailleurs, aux États-Unis et dans le monde, contre l'inégalité et l'exploitation. Le soutien croissant au socialisme doit être lié à un mouvement politique conscient de la classe ouvrière internationale contre le capitalisme et l'impérialisme.

George Marlowe, WSWS.org