La terre nous est étroite

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La terre nous est étroite

Juste avant l’invention de la civilisation, la nôtre, l’actuelle, celle-ci qui a à la fois cultivé la terre, domestiqué les animaux et les a élevés pour s’en nourrir puis construit des villes, l’homme n’était pas un loup pour l’homme.

Il chassait, cueillait et pêchait. Il était devenu efficace pour vivre des fruits de la terre.

La taille de ses outils était devenue précise, raffinée.

Il avait fabriqué des harpons et parvenait à attaquer des herbivores de plus en plus grands.

Depuis longtemps, il dressait des sépultures et décorait parfois de coquillages les dépouilles enterrées de ses proches à leur décès.

Il y a trente mille ans environ, l’humanité a été réduite à sa variante sapientielle. L’extinction des autres lignées, hommes néandertaliens, est sans doute due à leur dilution dans l’espèce résultante par le nombre élevé d’appariements matrimoniaux croisés.

La terre lui était devenue étroite.

Il a connu le problème de l’équilibre entre sa multiplication liée à l’acquisition de son habileté à chasser et le gibier devenu le facteur limitant à son expansion démographique.

L’humanité a survécu car elle a su surmonter cet antagonisme entre une maîtrise prédatrice de son environnement, alimentation moins aléatoire et défense contre les animaux carnassiers, et l’épuisement de ses ressources en raison de l’usage intensif de son outillage. Elle a pratiqué l’échange.

Bien plus que la capacité organisationnelle d’un groupe animal à se nourrir, cette étape a été décisive de l’humanisation car elle a relié des groupes entre eux, les a solidarisés et a permis l’émergence d’une entité supérieure à chacun des groupes humanoïdes isolés.

Cet échange a été celui de biens.

Celui des objets et des denrées.

Mais plus encore, celui des femmes. L’exogamie avec ses règles très contraignantes qui obligent un groupe à s’allier à un autre et interdit l’accouplement au sein du groupe lui-même a été l’invention de la loi et de la politique à la fois.

De proche en proche, le sapiens semi-nomade a colonisé le monde habitable à partir du Proche-Orient en réalisant un brassage génétique. La paix est venue de surcroît comme l’aboutissement d’un long travail politique de métissage qui a permis l’harmonie au sein d’un écosystème.

Le néolithique, avec son araire et son étable, a concentré les humains et leurs richesses dans des cités. L’abondance des denrées localisée de façon hétérogène s’accompagne d’une protection de celles-ci à l’intérieur de remparts, de frontières avec sécrétion d’une organisation militarisée de défense et ou d’agression. La terre est devenue trop vaste, le territoire à exploiter pour la survie du groupe est de la taille d’un champ ou d’un pâturage.

Début du deuxième millénaire.

Le monde s’est rétréci sérieusement.

L’énergie fossile gratuite est en train de faire défaut.

À point nommé, car la demande mondiale en hydrocarbures baisse, signe pathognomonique de récession. La “croissance” non souhaitable eu égard à la destruction de l’écosystème humain s’est arrêtée comme d’elle-même devant cet impératif vital.

Quelques éléments illustrent la fin du système dominant qui protégeait son fonctionnement et assurait ses approvisionnements en ancrant la majeure partie de sa politique de domination au Moyen-Orient.

La famille des Séoud a été incapable de compenser le déficit de production libyen au moment de la révolution démocratique commise par l’OTAN. Elle a atteint depuis au moins 2009 son niveau de ‘plateau ondulant’ de production. Pour des raisons alléguées d’une rentabilité immédiate insuffisante, l’entreprise Conoco Phillips, troisième firme pétrolière étasunienne, s’est désistée comme partenaire des Séoud. Ils confient actuellement à un acteur chinois, China Petroleum & Chemical Corporation (SINOPEC) la construction d’un site de raffinage pour son brut lourd qui sera achevé en 2014. La période de l’extraction à faible coût est dépassée. L’or noir résiduel y est d’une densité péjorative et d’une haute teneur en contaminants divers. La région a perdu de son intérêt stratégique pour le capitalisme étasunien. Il en résulte le changement d’orientation tout à fait perceptible dans le manque d’enthousiasme de l’administration étasunienne à s’engager contre l’Iran pour le compte d’Israël et des Séoud. Les majors étasuniennes ne peuvent ni ne veulent investir dans des forages trop coûteux en Irak, le terrain a été abandonné ici aussi à des firmes chinoises qui ont une profusion de dollars à convertir. La première puissance militaire de la planète préfère envoyer 5000 soldats protéger ses négociations avec le Conseil National de la Transition, un transitoire d’une grande longévité malgré l’assassinat de Qadhafi, et s’arroger l’exploitation très aisée du brut libyen léger et sans soufre.

L’Afrique reste un pôle d‘intérêt minier et énergétique croissant mesurable au nombre de conflits déclenchés et entretenus.

Le Nigeria est le premier fournisseur africain des Us(a) d’un pétrole aux qualités suffisamment rares pour qu’un conflit au masque ethnique y ait été engagé. La population du delta du Niger dont l’air, les nappes phréatiques et les terres sont polluées par les hydrocarbures est plongée dans la plus grande des détresses par les pompages sans précaution qui ont déversé l’équivalent de plus de 3000 marées noires.

Au terme de convulsions sur plus de trente années, le Soudan a subi une sécession pour punition de sa richesse en pétrole dans le Sud.

L’humanité est de nouveau confrontée à l’étroitesse de son monde.

L’échange est fétichisé. Il n’est plus la relation qui transfère des biens réels ou symboliques pour un usage réel. Tout objet est marchandise et toute relation est une transaction marchande dont le but est l’accumulation aberrante aux mains d’un très petit nombre du moyen universel de paiement. L’argent n’est plus bien commun, il est devenu Marchandise qui absorbe toute l’activité humaine et lyse tout rapport humain qui n’est pas au service de sa multiplication.

Lequel argent, unité de compte, moyen d’échange et de thésaurisation s’est éloigné de la figuration réelle de métal poinçonné pour n’être plus qu’une convention numérisée, une croyance commune en un artefact immatériel. Toute l’architecture des relations sociales et selon toutes les échelles, interindividuelles ou internationales repose sur cet édifice de crédits sans symétrie. Le détenteur de l’émission de l’argent monnaie sans contrepartie d’une création de marchandise réelle dispose d’un pouvoir illimité sur le reste de l’humanité.

Illimité tant qu’il prétend l’asseoir sur la puissance d’anéantissement de qui ose contrevenir à sa loi. Les armes ne sont qu’un argument presque explétif dans la panoplie de la puissance.

Sa vraie force est dans l’hégémonie de son discours et la bonne disposition des esprits à son endroit. La Federal Reserve instituée en tant que banque centrale imprime et numérise des dollars et les distribue à son gré, à ces institutions financières privées qui la constituent.

Sous l’effet de cette double rareté, l’une réelle de l’énergie fossile sur laquelle toute l’économie mondiale repose et l’autre factice, l’argent, autant que peut l’être une convention humaine artificielle et non essentiellement vitale maintenant mortifère pour les sociétés des humains, le monde se réduit à un défilé étroit.

Les servants des temples pharaoniques, États sans souveraineté régissant des peuples atones, continueront-ils d’apporter des offrandes aux statues alors que ces divinités de pierre les ignorent et restent muettes pour que le Soleil continue de prendre son char tous les matins? Chaque jour, les institutions financières exigent des immolations et facilitent quand elles ne fomentent pas la guerre de tous contre tous.

Les scribes et les prêtres argumentent, les medias sont leurs voix.

Et nous, délestés de notre chair et de notre sang, sommes le substrat de ce manque, feu qui calcine notre espace, le rend inhabitable.

À moins, à moins que ne se lève en nous comme un prochain destin un désir politique à la mesure de la prescription de l’exogamie par nos ancêtres.

Badia Benjelloun


La terre nous est étroite


«Elle nous accule dans le dernier défilé

»et nous nous dévêtons de nos membres pour passer.

(…)

»Où irons-nous après l’ultime frontière ?

»Où partent les oiseaux après le dernier Ciel ?

»Où s’endorment les plantes après le dernier vent ?....

Mahmoud Darwish