La “routinisation” de la Troisième Guerre mondiale

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La “routinisation” de la Troisième Guerre mondiale

On ne peut pas dire que le site WSWS.org, de la Ive Internationale (trotskiste) soit particulièrement optimiste. Il annonce régulièrement la préparation de conflits considérables et il ne recule jamais devant l’évocation de la Troisième Guerre mondiale que le système capitaliste mondial déclenchera un jour ou l’autre, conformément à l’enseignement de Trotski. Cette fois, pourtant, nous le prenons au mot, parce que le site a fait une expérience intéressante en envoyant un de ses reporteurs, le 3 novembre, assister à trois auditions de commissions spécialisées du Congrès US sur des questions militaires n’ayant pas trait à des évènements mais aux équipements des forces armées US, à leurs capacités, et à des scénarios où ces équipements et ces capacités seraient mis à l’épreuve d’un conflit.

Il s’agissait, le matin, d’une longue audition de la Commission des Forces Armées du Sénat sur la cyberguerre, et l’après-midi de deux auditions de sous-commissions dépendant de la Commission des Forces armées de la Chambre sur la flotte actuelle des porte-avions de l’US Navy et sur la modernisation des armes nucléaires. WSWS.org publie un premier article général sur les impressions du reporteur et nous promet des articles plus détaillés. L’intérêt du propos, comme toujours avec WSWS.org, est qu’à côté d’attitudes idéologiques un tantinet obsessionnelles comme celles qu’on a évoquées, les comptes-rendus des évènements sont précis, détaillés, d’une façon où l’on peut aisément séparer l’appréciation idéologique de la réalité de ce qui est observé et commenté. Cela donne accès à certaines vérités-de-situation très utiles.

Ce que met en évidence l’auteur Patrick Martin, c’est ce qu’il baptise de l’expression intéressante de “routinisation de la Troisième Guerre mondiale” (“the routinization of World War III”). Le mot existe dans un emploi français bien que nous soyons fort incertain sur son origine ; quoi qu’il en soit, il existe, WSWS.org en fait usage et, de plus, il dit très bien ce qu’il veut dire : l’idée de la Troisième Guerre mondiale devenue “routinière” (banalisée, habituelle, business as usual). En effet, ce qui a frappé Patrick Martin, c’est la façon dont tous les acteurs des auditions, les gens du Pentagone dont les militaires d’un côté, les sénateurs et députés des commissions de l’autre. La perspective de la guerre mondiale est évoquée à la fois comme allant de soi et comme la plus probable dans les hypothèses de conflit. Qui plus est, souligne Martin, ces questions sont évoquées en termes d’années pour leur possibilité de concrétisation, et non pas à un terme plus lointain et par conséquent plus théorique, comme ce serait le cas avec une évocation en termes de décennies. La question du terrorisme, qui inondait les esprits il y a quelques années, au moins jusqu’au “coup de Kiev” de février 2014, qui semble encore essentielle pour nombre de commentateurs, d’acteurs divers, cette question est à peine évoquée et très vite évacuée : aucun intérêt. Les “adversaires”, non pas potentiels mais assurés des USA, sont bien entendu la Chine et la Russie, les deux ensembles ou bien l’un et l’autre, ou bien l’un après l’autre, qu’importe.

Un autre point qui rend ces auditions à la fois totalement irréalistes et totalement irresponsables, – alors que les acteurs se devraient d’être les plus réalistes et les plus responsables dans l’ensemble de sécurité nationale US, – est l’ignorance ou le désintérêt complet pour l’aspect majeur d’une Guerre mondiale entre ces puissances, c’est-à-dire l’extrême probabilité qu’un tel affrontement dégénèrerait nécessairement en une guerre nucléaire stratégique. (« Aucune des auditions n’a abordé le sujet le plus large des préparatifs et des implications d’un  tel conflit pour les USA, c’est-à-dire ce qu’impliquerait pour la survivance de la race humaine, sinon pour toute vie sur la planète la perspective d’une guerre de haut niveau entre ces puissances nucléaires stratégiques. ») Il s’agit sans aucun doute d’un fait remarquable quand l’on compare cette atmosphère avec le courant de cette sorte d’auditions durant la Guerre froide, où l’évocation d’une guerre mondiale se faisait dans des conditions intellectuelles très précautionneuses, avec la présence massive dans les esprits du risque de guerre nucléaire et de ses conséquences.

Un autre point que ces auditions mettent en évidence, c’est celui de la mobilisation populaire qu’impliquerait un tel conflit pour les USA, c’est-à-dire l’appel sous les drapeaux, d’une façon ou d’une autre (rétablissement de la conscription en catastrophe, par exemple), une mobilisation industrielle considérable, etc. Cet aspect du débat n’est nulle part abordé et ne semble nullement soulever le moindre problème. On doit rappeler ici ce que représente pour les USA une perspective de guerre conventionnelle à haut niveau, notamment dans un cas qui a été étudié en détails en 2007, – le cas d’une guerre totale avec l’Iran, qui est un cas important, mais pourtant sans comparaison avec une guerre avec la Chine ou avec la Russie, ou avec les deux. Nous en avions rappelé l’hypothèse telle qu’elle est décrite et détaillée, dans un texte du 17 octobre 2012 :

« On doit rappeler ici l’hypothèse d’une attaque de l’Iran avec une invasion terrestre, qui est un projet encore éloigné en volume et importance de ce que pourrait être une “guerre mondiale”. Cette option est considérée comme la plus sûre pour contrôler totalement le programme nucléaire iranien, imposer un changement de régime et contrôler le pays, et “sécuriser” la région selon les appréciations théoriques des stratèges du bloc BAO. Elle a été étudiée en 2007 par des universitaires travaillant pour le Pentagone, notamment avec le National War College, et a conduit à la conclusion qu’il faudrait une force d'un million à 1,2 millions de combattants US, impliquant une masse telle avec le soutien logistique qu’une mobilisation massive serait nécessaire, sans doute avec un retour à la conscription, et des hypothèses de délais minimums selon les objectifs et les conditions (parfaites, normales, etc.) de 12-18 mois à deux-trois années de préparation logistique aux USA au-delà du niveau actuel, avant d’envisager seulement les préparatifs logistiques de l’invasion elle-même. Dans le climat actuel, la perception des instabilités civiles intérieures notamment dans les pays du bloc BAO, l’activisme du système de la communication et l’incontrôlabilité des situations opérationnelles en cours, dans la région et ailleurs, la chose (cette option de l'invasion terrestre de l'Iran) est non seulement impossible mais tout simplement impensable, comme d'un autre temps et d'un autre monde ; c’est-à-dire qu’elle serait rejetée du simple processus de planification avant même d’être étudiée. L’on retrouve évidemment le même cas dans toute planification d’une opération de cette envergure. Les conditions courantes des situations civiles et civiques, – c’est-à-dire l’état courant de la crise d’effondrement du Système, – interdisent d’une façon générale les grandes planifications de type mobilisation qui sont nécessaires au concept de “guerre mondiale”.

» La seule alternative sérieuse pour une vraie “guerre mondiale” devient une attaque nucléaire, qui est bien entendu théoriquement possible mais qui recèle un tel degré d’incontrôlabilité qu’elle se rapproche décisivement de l’idée du suicide collectif...»

Toutes les conditions égrenées dans cet extrait sont valables, et même se sont aggravées pour les USA. Le potentiel militaire des USA a baissé relativement à ses “adversaires” potentiels par rapport à 2007, d’une façon assez importante. C’est par exemple le cas des porte-avions, comme l’affirme un des témoins entendus lors de ces auditions suivies par WSWS.org, qui assure que les USA, qui disposent de onze porte-avions (mais actuellement 4-5 en opérations, le reste étant en relâche, radoub, modernisation, etc.), devrait accroître notablement cette force. Il estime qu’il faudrait un minimum de 15 porte-avions, et en réalité 21 si l’on tient compte de toutes les menaces actuelles. Là aussi, l’irréalité est complète par rapport aux délais et aux moyens nécessaires pour de telles perspectives de réarmement : il faut en principe 4-5 ans pour construire un porte-avions, en général avec des délais supplémentaires de plus en plus systématiques (huit ans pour construire le USS George H.W. Bush, opérationnel en 2010), pour un prix qui n’a cessé d’exploser et approche aujourd’hui les $15 milliards. (On n’ajoutera pas, pour ne pas alourdir le débat, que le principe du porte-avions comme arme navale dominatrice est aujourd’hui en train d’être fortement mis en cause devant les capacités anti-porte-avions de la Russie et de la Chine. Certains commencent à comparer le porte-avions à ce que fut le cuirassé durant la Deuxième Guerre mondiale, – le “roi des mers” soudain devenu impotent, justement à cause de l’émergence du porte-avions et de ses capacités aéronavales.)

On doit donc caractériser ces débats d’appréciations diverses dont aucune n’a à voir avec une conception normale et habituelle des débats stratégiques par rapport aux armements, aux capacités, aux délais, aux conditions psychologiques, etc. Il s’agit d’une irréalité complète, des débats dans des conditions non-existantes, se référant à des narrative gigantesques, à des références d’une psychologie marquée par la pathologie, etc. Le problème est que les questions traitées ont, au bout du compte, une terrifiante réalité quant aux capacités de destruction qui sont implicitement évoquées.

• Ces débats peuvent être interprétés comme reflétant l’état d’esprit d’exceptionnalisme des USA tel qu’il règne, – tel qu’il continue à régner actuellement. A cet égard, deux mondes parallèles se côtoient. D’un côté, les commentateurs US ne tarissent pas d’éloges sur les capacités russes, ils estiment que ce pays a regagné son rang de superpuissances. Sur la Chine, ils sont moins diserts à cause des circonstances, mais ne sont pas loin de classer cette puissance dans une catégorie proche. Qui plus est, bien entendu, les deux ont des capacités nucléaires stratégiques connues, avec tout ce que cela suppose de puissance potentielle et de risque suicidaire pour tous les belligérants dans un affrontement.

• ...Mais on pourrait croire, à entendre le rapport de ces auditions, que ces faits n’ont pas été connectés, et encore moins confrontés, avec la façon d’aborder le domaine de la possibilité, sinon la probabilité d’une guerre mondiale dans les échanges rapportées. La “routinisation de la Troisième Guerre mondiale” ne semble concerner que les USA seuls, avec leur exceptionnalisme bien connu ; ce sont eux qui la déclencheraient ou la laisseraient être déclenchée à leur heure, qui la voudraient éventuellement, et ainsi ce seraient eux qui l’emporteraient évidemment sans qu’il soit nécessaire de tenir compte de l’adversaire (des adversaires). De ce point de vue, la psychologie américaniste joue un rôle fondamental, exacerbé dans les cas qui nous occupent par le conformisme du type-groupthinking qui règne dans la technocratie-démocratie américaniste ; cette psychologie que nous caractérisions ainsi, dans un texte expliquant justement l’attitude américaniste/bloc BAO envers la Russie :

« Dans cette attitude jouent à fond les deux caractères que nous avons identifiés, de la psychologie américaniste d’abord puis de la psychologie-Système selon notre évolution, – inculpabilité et indéfectibilité, dont nous parlons dans divers textes et notamment dans celui du 7 mai 2011 : l’inculpabilité est le sentiment qu’on ne peut être coupable en rien de ce nous faisons, l’indéfectibilité le sentiment que nous ne pouvons être vaincu en aucune façon, et ceci expliquant cela certes. »

• Bien entendu, il existe une autre explication, qui est celle de juger que la même technocratie-démocratie américaniste envisage la guerre mondiale parce qu’elle sent la supériorité militaire lui échapper partout et l’influence US également en déclin accéléré, et qu’il lui faut la déclencher pour l’emporter avant d’être dépassée. Cette explication est une question d’analyse et de choix, que donc personne ne peut trancher d’une façon assurée. Pour nous, elle nous semble hautement improbable, justement à cause des remarques faites plus haut et de l’étrange incapacité de la psychologie US de mettre en connexion pour en tirer des conclusions fusionnées le fait de l’avancée russo-chinoise et celui de l’effritement accélérée de la puissance US. Si les analystes et experts US sont capables de déterminer que la puissance US est en déclin, – notamment pour obtenir plus de budgets, mais également parce qu’ils savent identifier la chose, – toute cette capacité analytique disparaît dès qu’il s’agit de comparer la puissance US au reste du monde. Dès qu’on est sur ce territoire, l’exceptionnalisme écrase tout le reste et l’indéfectibilité (“sentiment que nous ne pouvons être vaincu en aucune façon”) règne en maîtresse absolue. A cet égard, il semble bien que le 11 septembre ait provoqué un choc psychologique irréversible paradoxal, la psychologie américaniste voyant dans cette attaque contre le territoire sacré de l’exceptionnalisme américaniste l’exception qui a nécessairement verrouillé une règle déjà latente, mais désormais devenue règle de toute pensée – l’invincibilité des USA (“We are an empire now , and when we act, we create our own reality....”, disait Karl Rove au journaliste Ron Suskind en 2002)... Ainsi donc peut-on préparer en toute tranquillité la Troisième Guerre mondiale.

... Cela écrit, il nous paraît bien improbable que ces dialogues relevant de l’hôpital psychiatrique ne se transcrivent jamais en doctrine opérationnellement appliquée. Par contre, bien entendu, ils confirment une fois de plus la possibilité de risques d’incidents graves, quoique le frein bureaucratique lorsqu’il s’agit de transcrire ces folies dans la planification soient d’une redoutable puissance à cause de l’inefficacité de cette bureaucratie. D’autre part, nous tenons plus que jamais à l’idée que cet état psychologique catastrophique, multiplié par les déboires US partout dans leur certitude d’exceptionnalisme, a de fortes chances de provoquer à Washington des remous internes considérables, sinon décisifs, avant d’en venir à la troisième dernière.

Ci-dessous, voici le texte de WSWS.org, du 5 novembre 2015, sous le titre éloquent de “Washington se prépare pour la Troisième Guerre mondiale”. (Actualisation : ce 6 novembre 2015, nous avons introduit la traduction française de l’article, par le site WSWS.org lui-même, qui fournit en général d’excellentes traductions. Le texte en français apparaît en premier.)

dedefensa.org

 

 

Washington se prépare pour la Troisième Guerre mondiale

Le complexe militaire et du renseignement américain est engagé dans des préparatifs systématiques pour la Troisième Guerre mondiale. Pour le Pentagone, un conflit militaire avec la Chine et / ou la Russie est inévitable, et cette perspective est devenue la force motrice de sa planification tactique et stratégique. Trois audiences au Congrès américain mardi ont démontré cette réalité. Dans la matinée, le Comité des services armés du Sénat a tenu une longue audience sur la cyberguerre. Dans l’après-midi, un sous-comité du Comité des services armés de la Chambre des représentants a discuté de la taille et du déploiement actuelles de la flotte américaine de porte-avions, tandis qu’un autre sous-comité du même panel a discuté de la modernisation des armes nucléaires américaines. Le World Socialist Web Site fournira un compte rendu plus détaillé de ces audiences, auxquelles a assisté un reporter du WSWS, mais certaines observations préliminaires peuvent déjà être faites.

Aucune des audiences n’a discuté des implications plus larges des préparatifs de guerre américains, ni de ce qu’une guerre majeure entre des puissances dotées d’armes nucléaires pourrait signifier pour la survie de la race humaine, et même pour la vie sur notre planète. Au contraire, ces audiences étaient des exemples de ce qu’on pourrait appeler la banalisation de la Troisième Guerre mondiale. Une guerre des États-Unis contre la Chine et /ou la Russie était l’hypothèse de base, et les témoignages des intervenants ainsi que les questions des sénateurs et des représentants, démocrates comme républicains, portaient sur les meilleures méthodes pour l’emporter dans un tel conflit.

Ces audiences font partie d’un processus continu. Les témoins ont parlé de leurs écrits et de leurs déclarations passés. Les sénateurs et les représentants ont fait référence au témoignage précédent d’autres intervenants. En d’autres termes, les préparatifs de la guerre mondiale, utilisant des armes cybernétiques, des porte-avions, des bombardiers, des missiles et toutes les autres armes disponibles, sont en cours depuis longtemps. Ces préparatifs ne sont pas une réponse à des événements récents, que ce soit en mer de Chine du Sud, en Ukraine, en Syrie ou ailleurs.

Chacune de ces audiences considère comme acquis un conflit majeur des États-Unis avec une autre grande puissance (parfois sans la nommer, parfois explicitement désignée comme la Chine ou la Russie) dans un laps de temps relativement court, des années plutôt que des décennies. Le danger du terrorisme sans cesse matraqué pour créer une panique de l’opinion publique, a été minimisé et dans une certaine mesure écarté. À un moment de l’audience du Sénat sur la cyberguerre, en réponse à une question directe de la démocrate Jeanne Shaheen du New Hampshire, les témoins du panel ont tous déclaré que leur plus grande préoccupation venait des États-nations, pas des terroristes.

L’un des intervenants à cette audience était le Dr Peter W. Singer répertorié comme un « stratège et collaborateur émérite » de New America, un groupe de réflexion de Washington. Il a intitulé son exposé, « Les leçons de la Troisième Guerre mondiale ». Il a commencé sa déclaration par la description suivante de ce conflit qu’il imagine : « Des navires de guerre américains et chinois se livrent bataille en mer, usant de toutes les armes, des canons aux missiles de croisière et aux lasers. Des avions de combat furtifs russes et américains s’opposent dans l’air, avec des drones robotiques en auxiliaires. Des cyberpirates à Shanghai et dans la Silicon Valley se battent en duel sur les terrains numériques. Et les combats dans l’espace décident qui gagne dessous sur Terre. Ces scènes, sont-elles tirées d’un roman ou bien ce qui pourrait effectivement avoir lieu dans le monde réel après-demain ? La réponse est les deux ».

Aucune des audiences n’a donné lieu à un débat soit sur la probabilité d’une guerre majeure ou sur la nécessité de gagner cette guerre. Personne n’a contesté l’hypothèse que la « victoire » dans une guerre mondiale entre les puissances nucléaires soit un concept sensé. La discussion a été entièrement consacrée aux technologies, aux équipements et aux ressources humaines nécessaires pour que l’armée américaine l’emporte.

Ce fut tout aussi vrai pour les sénateurs et les représentants démocrates que pour leurs homologues républicains. Selon la coutume, les deux partis sont disposés sur les flancs opposés du président du comité ou du sous-comité. Sans cette disposition, il n’y aurait aucun moyen de déterminer le parti auquel ils adhèrent, tellement leurs questions et les opinions qu’ils exprimaient se ressemblaient. Contrairement à la représentation de Washington dans les médias comme profondément divisé entre des partis aux perspectives politiques inconciliablement opposées, il y avait un accord bipartite sur la plus fondamentale de questions, la préparation d’une nouvelle guerre impérialiste mondiale.

L’unanimité des représentants politiques du grand patronat n’implique en aucun cas qu’il n’y ait pas d’obstacles à cette marche vers la guerre. Chacune des audiences s’attaquait, de différentes manières, à la crise profonde à laquelle est confronté l’impérialisme américain. Cette crise a deux composantes principales : le déclin de la puissance économique des États-Unis par rapport à leurs principaux rivaux, et les contradictions internes de la société américaine, avec l’aliénation grandissante de la classe ouvrière et en particulier des jeunes.

Lors de l’audience du sous-comité de la Chambre des représentants sur les porte-avions, le président a fait remarquer que l’un des intervenants, un amiral haut gradé, avait exprimé sa préoccupation au sujet « d’une marine à 11 porte-avions dans un monde où il en faudrait 15 ». Il y a tellement de défis auxquels est confronté Washington, a-t-il poursuivi, qu’en réalité il faudrait en avoir 21 – le double du nombre actuel, ce qui entraînerait la faillite même d’un pays avec beaucoup plus de ressources que les États-Unis.

L’audience du Sénat sur la cybersécurité a abordé brièvement l’opposition interne au militarisme américain. Le principal intervenant, le général à la retraite Keith Alexander, ancien directeur de la National Security Agency et ancien chef du CyberCommand du Pentagone, a déploré l’effet des fuites de l’ancien employé de la NSA, Edward Snowden et du soldat Chelsea Manning, déclarant que « les attaques d’initiés » étaient l’une des menaces les plus graves auxquels l’armée américaine était confrontée. Le sénateur démocrate Joe Manchin de Virginie occidentale lui a demandé directement, en se référant à Snowden, « Faut-il le traiter comme un traître » ? Alexander a répondu, « Il doit être traité comme un traître et jugé comme tel ». Manchin hocha la tête vigoureusement, en accord évident. Alors que les témoins et les sénateurs ont choisi d’utiliser les noms de Snowden et de Manning pour incarner « l’ennemi intérieur », ils étaient clairement conscients que l’opposition intérieure à la guerre est beaucoup plus large que ces quelques lanceurs d’alerte.

Ceci n’est pas simplement une question de la révulsion profonde chez les travailleurs en réponse à 14 ans d’interventions sanglantes impérialistes en Afghanistan, en Irak, en Somalie, en Libye, en Syrie, au Yémen et en Afrique du Nord, si importante soit-elle. Une guerre entre les États-Unis et une grande puissance comme la Chine ou la Russie, même s’il était possible d’empêcher son escalade en un échange nucléaire tous azimuts, impliquerait une mobilisation colossale des ressources de la société américaine, à la fois économiques et humaines. Cela signifierait de nouvelles réductions spectaculaires des conditions de vie du peuple américain, combinées avec un lourd tribut de sang qui tomberaient inévitablement et principalement sur les enfants de la classe ouvrière.

Depuis la guerre du Vietnam, l’armée américaine a fonctionné uniquement sur la base du volontariat, en évitant la conscription, qui a provoqué une large opposition et un défi direct dans les années 1960 et au début des années 1970. Une guerre non-nucléaire avec la Russie ou la Chine signifierait la réintroduction de la conscription et imposerait le coût humain de la guerre à chaque famille en Amérique. Dans ces conditions, peu importe le renforcement des pouvoirs de la police et le recours à des mesures répressives contre les sentiments anti-guerre, la stabilité de la société américaine serait mise à l’épreuve. L’élite dirigeante américaine a profondément peur des conséquences politiques, et elle a raison de l’avoir.

Patrick Martin (WSWS.org.)

 

 

Washington prepares for World War III

The US military-intelligence complex is engaged in systematic preparations for World War III. As far as the Pentagon is concerned, a military conflict with China and/or Russia is inevitable, and this prospect has become the driving force of its tactical and strategic planning. Three congressional hearings Tuesday demonstrated this reality. In the morning, the Senate Armed Services Committee held a lengthy hearing on cyberwarfare. In the afternoon, a subcommittee of the House Armed Services Committee discussed the present size and deployment of the US fleet of aircraft carriers, while another subcommittee of the same panel discussed the modernization of US nuclear weapons. The World Socialist Web Site will provide a more detailed account of these hearings, which were attended by a WSWS reporter. But certain preliminary observations can be made.

None of the hearings discussed the broader implications of the US preparations for war, or what a major war between nuclear-armed powers would mean for the survival of the human race, and even of life on our planet. On the contrary, the hearings were examples of what might be called the routinization of World War III. A US war with China and/or Russia was taken as given, and the testimony of witnesses and questions from senators and representatives, Democrats and Republicans alike, concerned the best methods for prevailing in such a conflict.

The hearings were component parts of an ongoing process. The witnesses referred to their past writings and statements. The senators and representatives referred to previous testimony by other witnesses. In other words, the preparations for world war, using cyber weapons, aircraft carriers, bombers, missiles and the rest of a vast array of weaponry, have been under way for a protracted period of time. They are not a response to recent events, whether in the South China Sea, Ukraine, Syria or anywhere else.

Each of the hearings presumed a major US conflict with another great power (sometimes unnamed, sometimes explicitly designated as China or Russia) within a relatively short time frame, years rather than decades. The danger of terrorism, hyped incessantly for the purposes of stampeding public opinion, was downplayed and to some extent discounted. At one point in the Senate hearing on cyberwarfare, in response to a direct question from Democrat Jeanne Shaheen of New Hampshire, the panel witnesses all declared that their greatest concern was nation-states, not terrorists.

One of the witnesses at that hearing was Dr. Peter W. Singer, listed as a “Strategist and Senior Fellow” for New America, a Washington think tank. He titled his presentation, “The Lessons of World War 3.” He began his prepared statement with the following description of that imagined conflict: “US and Chinese warships battle at sea, firing everything from cannons to cruise missiles to lasers. Stealthy Russian and American fighter jets dogfight in the air, with robotic drones flying as their wingmen. Hackers in Shanghai and Silicon Valley duel in digital playgrounds. And fights in outer space decide who wins below on Earth. Are these scenes from a novel or what could actually take place in the real world the day after tomorrow? The answer is both.”

None of the hearings saw any debate about either the likelihood of a major war or the necessity of winning that war. No one challenged the assumption that “victory” in a world war between nuclear-armed powers is a meaningful concept. The discussion was entirely devoted to what technologies, assets and human resources were required for the US military to prevail.

This was just as true for the Democratic senators and representatives as for their Republican counterparts. By custom, the two parties are seated on opposite sides of the committee or subcommittee chairmen. Without that arrangement, there would be no way of detecting, from their questions and expressions of opinion, which party they belonged to. Contrary to the media portrayal of Washington as deeply divided between parties with intransigently opposed political outlooks, there was bipartisan agreement on this most fundamental of issues, the preparation of a new imperialist world war.

The unanimity of the political representatives of big business by no means suggests that there are no obstacles in the path of this drive to war. Each of the hearings grappled, in different ways, with the profound crisis confronting American imperialism. This crisis has two major components: the declining economic power of the United States compared to its major rivals, and the internal contradictions of American society, with the deepening alienation of the working class and particularly the youth.

At the House subcommittee hearing on aircraft carriers, the chairman noted that one of the witnesses, a top Navy admiral, had expressed concern over having “an 11-carrier navy in a 15-carrier world.” There were so many challenges confronting Washington, he continued, that what was really needed was a navy of 21 aircraft carriers—double the present size, and one that would bankrupt even a country with far more resources than the United States.

The Senate hearing on cybersecurity touched briefly on the internal challenge to American militarism. The lead witness, retired Gen. Keith Alexander, former director of the National Security Agency and former head of the Pentagon’s CyberCommand, bemoaned the effect of leaks by NSA contractor Edward Snowden and Army private Chelsea Manning, declaring that “insider attacks” were one of the most serious threats facing the US military. Democratic Senator Joe Manchin of West Virginia asked him directly, referring to Snowden, “Should we treat him as a traitor?” Alexander responded, “He should be treated as a traitor and tried as such.” Manchin nodded heartily, in evident agreement.

While the witnesses and senators chose to use the names of Snowden and Manning to personify the “enemy within,” they were clearly conscious that the domestic opposition to war is far broader than a few individual whistleblowers.This is not a matter simply of the deep-seated revulsion among working people in response to 14 years of bloody imperialist interventions in Afghanistan, Iraq, Somalia, Libya, Syria, Yemen and across North Africa, important as that is.

A war between the United States and a major power like China or Russia, even if it were possible to prevent its escalation into an all-out nuclear exchange, would involve a colossal mobilization of the resources of American society, both economic and human. It would mean further dramatic reductions in the living standards of the American people, combined with a huge blood toll that would inevitably fall mainly on the children of the working class.

Ever since the Vietnam War, the US military has operated as an all-volunteer force, avoiding conscription, which provoked widespread opposition and direct defiance in the 1960s and early 1970s. A non-nuclear war with China or Russia would mean the restoration of the draft and bring the human cost of war home to every family in America. Under those conditions, no matter how great the buildup of police powers and the resort to repressive measures against antiwar sentiments, the stability of American society would be put to the test. The US ruling elite is deeply afraid of the political consequences. And it should be.

Patrick Martin (WSWS.org.)