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2181Pour accompagner et, commenter en un sens, notre appréciation et notre analyse du texte du critique britannique Jonathan Jones de ce jour sur l’art américain (américaniste), ou “art moderne”, nous avons pensé qu’il était judicieux de mettre en ligne, – sorte d’“avant-première” – un extrait de notre rubrique Analyse du numéro du 10 mai 2007 de notre Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie (dd&e).
Le sujet est effectivement que le modernisme a introduit, notamment par un processus historique et un processus idéologique, une subversion totale de l’esthétique qui est une explication centrale de l’effondrement actuel (plus que décadence) de notre civilisation. Cette subversion touche tous les domaines de la vie, de l’environnement, de la pensée, et elle a créé une civilisation qui constitue une agression fondamentale contre notre psychologie. Bien entendu, l’ “art moderne” (américaniste) est un outil de pointe de cette évolution.
Ci-dessous, l’extrait annoncé. On pourra trouver, enligne, sur le site edde.eu, dès le 7-8 mai, le numéro complet de dd&e, pour 19 euros. (Extrait de “La laideur triomphante”, rubrique Analyse, Volume 22 n°16 du 10 mai 2007.)
Nous insistons: c’est la laideur qui nous intéresse, et non pas la “beauté trahie”. La laideur est, toujours selon Robert, le «caractère, [l’]état de ce qui est laid»; et le “laid” est ce qui «produit une impression désagréable en heurtant le sens esthétique; qui s’écarte en un genre, un domaine spécifique, de l’idée du beau, de la beauté». Le Robert “culturel” consacre une petite colonne aux définitions additionnées des deux mots et 16 colonnes aux définitions, mais aussi concepts, théories, thèses, etc. des deux mots “beau“ et “beauté”. Les philosophes, — car ce dictionnaire présente la culture du point de vue évidemment philosophique de l’inévitable intelligence française, — s’ébattent avec délice dans le beau et dans la beauté depuis les origines. Le laid et la laideur, par contre, les ennuient considérablement.
L’“avantage” de ne parler que de la beauté est qu’on peut élargir le concept sans frein particulier, jusqu’à y englober peu à peu ce qui, selon le sens commun, serait de la laideur. Ce point particulier, nous le trouvons explicité selon un penchant intellectuel moderniste, justement dans la rubrique que consacre le même Robert “culturel” au concept de “beauté”. L’auteur de la rubrique, Alain Rey, termine celle-ci en s’appuyant sur des citations, exprimant ce qu’il nomme “jeux verbaux” d’André Breton et de Salvador Dali, et écrit: «Echappant aux couchers de soleil, aux cathédrales et aux musées, répandus dans les supermarchés et dans les débris du quotidien, le beau se veut aujourd’hui le signe transcendant du réel, de tout le réel.»
La boucle est bouclée. Le “beau” a échappé aux cathédrales (c’est ça la liberté et nous voilà soulagés) pour se “répandre” (terme bienvenu) dans les supermarchés. Le beau est partout. Tout est beauté, puisque la réalité elle-même est entièrement beauté. La réalité? C’est-à-dire, aussi bien, la réalité virtuelle que construit le virtualisme. Comme Fukuyama nous annonçait “la fin de l’Histoire”, on nous présente “la fin de la beauté” (dans le sens de: qu’est-ce qui est beau et qu’est-ce qui ne l’est pas?). L’idéologie égalitaire est sauvée par la démocratie qui en est l’expression finale (est-ce “la fin de l’idéologie”?) en instituant que tout est beau.
On comprend pourquoi la laideur fait bien peu recette puisque cette forme de pensée sur la beauté décrète que la laideur n’existe plus. Nous sommes à l’extrême d’une évolution que nous tentons de décrire de cette façon, où l’évolution de l’art entraîne l’évolution du concept de beauté:
• Avec l’affirmation de l’individu après la Renaissance, l’art s’est individualisé. Il a subi un processus de subjectivisation. Il a échappé aux règles objectives de la beauté.
• Les artistes livrés à eux-mêmes ont conservé pendant un certain temps (jusqu’au début du XXème siècle) une conscience aiguë de la beauté. Ils travaillent en conséquence, en tant qu’individus. Ils sont devenus les gardiens de la beauté. Cette mission créa une “aristocratie de l’esthétique”, les artistes se percevant à part, comme une élite de la beauté et de la hauteur de l’esprit.
• Ce risque d’élitisme, qui s’est affirmé au XIXème siècle au milieu du triomphe de la démocratie bourgeoise, impliquait un danger fondamental de contradiction avec ce courant idéologique de démocratisation, qu’il soit libéral ou radical. La chose était évidente dans un temps (le XIXème) où les artistes les plus “avancés” (ils auraient du être en principe les plus démocrates) s’affirmaient esthétiquement de farouches adversaires de la médiocrité démocratique (Flaubert, Baudelaire, Byron, Berlioz, etc).
• Le XXème siècle a connu un courant visant à éliminer ce risque, et qui correspond assez bien au phénomène que nous avons tenté de décrire du côté de l’histoire: une objectivation (dans ce cas, une “ré-objectivation”) de l’art, sous la forme de l’acceptation de toutes les subjectivités. Le complément impératif était la transformation de la beauté en simple «signe transcendant du réel, de tout le réel». On peut dire que, puisque “tout” est beau, “tout” est art. Il s’agit simplement, dans le système exclusivement dominant, d’être habile en marketing et en communication pour acquérir l’étiquette d’“art” et le titre d’“artiste”.
Le résultat pratique de ce processus conceptuel est évident. La beauté a perdu ses critères originels. Elle est tombée dans le chaos et s’est insensiblement transformée en laideur. C’est dans tous les cas l’affirmation centrale que nous posons, sans éprouver la moindre nécessité de la prouver. Comme d’autres disent que la démocratie est le régime vertueux par essence, nous disons que la situation de la “beauté trahie” revient aujourd’hui à une situation de laideur triomphante. Poser l’affirmation que la beauté a déserté les cathédrales pour rejoindre les supermarchés vaut matière de confirmation sans discussion de notre affirmation, quelle que soit la beauté (sic) du raisonnement par ailleurs, — et la manipulation subversive de la raison impliquée naturellement. Il ne nous importe ici en rien de prouver notre affirmation, d’avoir un débat à ce propos. Nous avons d’autres chats à fouetter et l’évidence nous suffit.
La “laideur triomphante” signifie une trahison de la beauté. Les artistes, ou “artistes” c’est selon, ne sont pas les coupables; tout juste les complices ou les victimes. Souvent, ils sont aussi des révoltés, apportant paradoxalement de l’eau au courant de la trahison de la beauté au nom d’une révolte justifiée contre le système qui pousse, voire qui force à cette trahison. Présenter des chiottes souillées comme une oeuvre d’art implique éventuellement (si l’“artiste” a de l’humour, comme en avait Dali) de moquer la grossièreté et l’inculture du bourgeois qui vient l’admirer en se bouchant le nez, mais aussi de souscrire à la manoeuvre générale du système. Là-dessus, les intellectuels, disposant de locaux remis à neuf où les “toilettes” ont remplacé les chiottes, s’attellent à leur tâche quotidienne de nous montrer que les chiottes souillées sont une partie du «signe transcendant du réel, de tout le réel». C’est ainsi que le piège se referme, avec un claquement sec.
Mais l’oeuvre d’art ainsi transformée dans nos temps postmodernes n’est que la quintessence initiale du phénomène de trahison de la beauté. Ce phénomène est en fait un système. De la circonstance de la beauté trahie, nous passons au système de la laideur triomphante. De l’accident individuel, nous passons au phénomène systémique collectif.
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