Douguine et le “temps du chaos”

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Douguine et le “temps du chaos”

• On nous pardonnera d’avoir commencé cette présentation par un plagiat chaleureux pour faire du ‘Temps de l’amour’, le ‘Temps du chaos’ ; de paraître en apparence chaotique pour décrire le chaos. • Il nous plaît d’être parfois, – de plus en plus souvent, – d’apparence chaotique pour décrire le chaos du monde. • Ce chaos-là, bien sûr, est emmené à bon train par le chaos trumpiste, champion sans précédent du domaine. • Pour y comprendre quelque chose et qu’il y a un enjeu énorme dans ce chaos, le commentaire de Douguine est essentiel.

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12 juillet 2025 (12H15) – S’il faut tenter de qualifier cette époque qui éclate en millions de particules cherchant à comprendre le sens de leur existence et la raison de la séparation qu’on leur impose, – on dira que c’est simplement le jugement en forme de -plaisanterie des dieux qui nous suggère de le nommer « C’est le temps du chaos ». Nous décidâmes de ne faire rien d’autre que de reprendre une chanson de notre patrimoine populaire, et là le plagiat nous fit hésiter entre la “Java du Diable” de Charles Trenet et l’une des premières mélodies de Françoise. Nous fîmes notre choix.

Refrain d’une belle écriture (elle avait un tel talent !) ; repose en paix Françoise, tu n’avais pas vu le meilleur...

C'est le temps du chaos, le temps des barjos
Et de l'aventure
Quand le temps va et vient, on ne pense à rien
Malgré ses blessures
Car le temps du chaos, c'est long et c'est court
Ça dure toujours, on s'en souvient

Pauvre Mercouris dans sa dernière chronique, du 11 juillet, – mais non, ne le plaignons pas ! Ce que nous découvrons chez lui, si sérieux, si mesuré d’habitude, c’est un remarquable sens de la dérision grotesque, du bouffe élevé en une immense statue que nous venons consulter en pouffant de rire. Mercouris a la vertu inattendue de ce qu’on nomme le sens de la dérision : il en rit, il ne cesse de pouffer à décrire les aventures extraordinaire de Trump et les 500% de droits de douane imaginés par le sémillant Lindsey Graham, qui semblent destinés aux Ukrainiens comme s’il s’agissait d’une volée de ‘Patriot’ ; et décrire l’imprévue rencontre Rubio-Lavrov à Kuala-Lumpur, en marge de l’ASEAN, et voulue par Rubio, et dont Lavrov qui a saisi qu’elle était importante pour son collègue américaniste, n’en a pas encore saisi le sens.

En attendant (de comoprendre), on extraira ceci  de la chronique de Mercouris qui touche au fond du problème qui voit la logique économique initiale de Trump absorbé par la logique modifiée, au travers de ses diverses allées-venues, de Trump-devenu-neocon :

« Le débat se poursuit et nous avons également assisté à une série de décisions extrêmes et de plus en plus excentriques de la part du président des États-Unis concernant sa politique tarifaire. Pour revenir à un point qui a été soulevé au sujet d'un programme que nous avons élaboré ensemble, Alex Christoforou, mon collègue et ami, a souligné que, pour l'administration actuelle, la politique tarifaire fusionne désormais avec la politique de sanctions. Ainsi, les arguments économiques qui justifiaient initialement les droits de douane sont progressivement et même rapidement remplacées par des arguments géopolitiques. »

Il faut dire que Trump aujourd’hui, à Washington D.C. en ébullition, c’est lui et son mensonge-bouffe de chaos Epstein qui forment l’ouragan crisique, secouant son administration, le Congrès, la presse, un peu à la manière d’un Watergate postmoderne ! C’est dire si tous ces sujets qui nous préoccupent dans le cours des divers conflits en cours sont traités actuellement à Washington comme une matière absolument secondaire, sinon inexistante.

Note de PhGBis : « Trump ne ment pas, il hurle au monde washingtonien que la montagne de mensonges qu’il a dressée à la force de ses enthousiasmes pour lui-même, notamment pour éviter ou pulvériser l’écueil Epstein qui est la seule casserole à le terroriser, est le vrai monde, que le reste n’est que bavardage des envieux soucieux de la précipiter dans le trou noir de l’oubli. Le reste, – Ukraine, Iran, toutes ces babioles, – on s’en fout et nous avec. Ce n’est pas un élément à négliger par les divers et brillants analystes de notre situation crisique générale qui voudraient nous présenter les événements à venir avec un Trump stratège ou marionnette, et bien entendu dictateur sans aucun doute ; c’est oublier que la dictature c’est l’ordre et que Trump produit du désordre avec une maestria stupéfiante. Cela dit avec d’autant plus de conviction dans le chef de PhG, je crois, que l’on voit poindre au-delà du désordre trumpiste, non pas une dictature à laquelle l’Amérique est totalement inadaptée à cause de ses labyrinthes de pouvoirs et de bureaucraties, non pas une destitution [de Trump] ou une bonne grosse crise institutionnelle dont l’Amérique se défie parce qu’un tel événement interromprait pour un temps bien malheureux les canaux bien huilés du flot et des torrents de cette corruption totale (totalitaire) qui est la vraie raison d’être, la véritable respiration de Washington D.C., –  mais bel et bien parce que l’on voit poindre au bout du chaos l’effritement et la désintégration de ce bloc aux abois qu’est l’Amérique de Washington D.C.. »

Douguine et le phénomène Trump

Eh bien, ce n’est pas le moindre miracle de constater qu’au bout du compte, le bouillant et excessif, – c’est sa réputation, – Alexander Douguine a publié sur l’actuel épisode un compte-rendu qui, non seulement tient fort bien debout, mais qui plus est encore, tend à s’élever grandement, et nous avec. Il le fait sans excès de langage ni effets de style, et s’il se situe absolument comme Russe, sa logique est universelle pour qui entend participer à la bataille en cours en sachant parfaitement dans quel camp il se situe... Rappelez-vous l’exclamation en forme de question appelant sans restriction une réponse affirmative du vieux paléoconservateur Patrick Buchanan il y a presque quinze ans : « Is Putin [la Russie] one of us ? ».

Le philosophe qui suit les événements au jour le jour, qui épouse absolument la doctrine du trumpisme puis se perd dans les hauts et les bas d’un Trump se noyant dans les contradictions de sa folie naturelle et de son humeur d’hypernarcissique emporté par le chaos qu’il enfante à une incroyable vitesse, – le philosophe parvient à se maîtriser pour terminer son constat en en fixant l’enjeu extraordinaire qu’il a parfaitement identifié :

« Nous assistons donc à une nouvelle configuration politico-théologique et eschatologique très intéressante. C'est pourquoi nous devons rester calmes et commencer à étudier en profondeur la philosophie, la religion, l'eschatologie et la géopolitique, de manière beaucoup plus sérieuse que ne le fait actuellement notre communauté d'experts... »

Et, plus loin, ayant parfaitement assimilé son propos, Douguine nous livre les références évidentes pour ceux qui comprennent que la bataille politique de la folie trumpiste est en train de s’inscrire dans un contexte beaucoup plus élevé, un contexte de la Fin des Temps, ou de la fin d’un cycle marquant l’effondrement de cette civilisation parvenue au bout d’elle-même :

« Bien sûr, pour vraiment comprendre tout cela, il faut connaître et comprendre l'histoire de l'Occident et la philosophie de René Guénon, Julius Evola, Nikolai Danilevsky, Lev Tikhomirov et Oswald Spengler. Il faudrait une demi-vie pour assimiler pleinement ces textes. Sans eux, on ne comprend absolument rien, ni à ce qui se passe en Amérique, ni à ce qui se passe chez nous. Nous ne devons donc pas nous fixer des tâches impossibles. C'est la responsabilité de ceux qui ont les compétences et la préparation nécessaires. Nous entrons véritablement dans une sphère où beaucoup de choses vont choquer l'esprit ordinaire. »

Il s’agit d’une proposition qui rejoint notre conception du travail qu’il nous faut effectuer : le philosophe-métaphysicien descend dans la rue (dans les événements courants), en échange il interprète ces événements en référence à des conception d’une réelle hauteur. Ce “travail” ne ressemble pas à une offensive guerrière comme l’on en voit aujourd’hui, il fait pourtant partie de cette guerre multidimensionnelle, où la communication et l’information tiennent la place que l’on sait. La lucidité et la clarté de la perception sont à ce prix.

Le texte de Douguine est en date du 11 juillet 2025, sur le site (‘euro-synergies.hautetfort.com’) qui communique d’une façon suivie les observations de nombre de penseurs et commentateurs étrangers, dont Douguine.

dedefensa.org

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Trump bat en retraite...

Alexander Douguine dévoile le recul idéologique de Trump et le campe comme une trahison de sa mission civilisationnelle, met en garde contre une bataille eschatologique croissante entre le globalisme et la résistance multipolaire, et exhorte la Russie à se dresser, en tant que Katechon, contre la vague antichrétienne.

Sur la base de plusieurs de mes récents messages sur Telegram, certains ont conclu que j'étais déçu par Trump. Mais ce n'est pas tout à fait exact. J'ai observé l'évolution de Trump, la formation de son idéologie – ce que j'ai appelé le trumpisme – de plus près et avec plus d'attention que je n'ai suivi la politique de n'importe quel autre pays. Toute l'histoire de la deuxième campagne électorale de Trump a en fait été une véritable révolution, car les idées qu'il a exprimées – que ses partisans ont promues et approfondies, trouvant un écho auprès de la population américaine – formaient une vision du monde très cohérente. Il s'agissait d'une véritable idéologie, et pas seulement d'une série de slogans.

En reliant les différentes déclarations et positions de ce programme, j'en suis arrivé à la conclusion que le trumpisme possède un noyau idéologique assez solide. Trump a proposé une vision du monde complètement alternative, en contraste flagrant avec celle des globalistes et des libéraux. Son orientation était non libérale et anti-globalaliste, centrée sur un État civilisationnel fort – l'État-civilisation américain – avec des calculs économiques, des éléments de politique étrangère et même un programme idéologique interne correspondants. Cela incluait l'opposition au mouvement LGBTQ, qui est interdit en Russie, et à d'autres aspects de la culture « woke », ainsi que l'annulation de la « cancel culture » elle-même.

Tout cela a été clairement articulé dès les premiers jours de la présidence de Trump. C'est précisément en étant exposé à cet élément idéologique que j'ai eu l'impression qu'il était comme un brise-glace, fracassant la mer gelée de la dictature globaliste-libérale. Trump faisait cela depuis le centre même, depuis la « salle de contrôle » principale du système. Naturellement, cela m'a fortement impressionné, d'autant plus que je suivais cela en temps réel à travers des publications, des interviews, des conversations et des livestreams. Trump a gagné en surfant sur cette vague et a initialement agi conformément à ce programme.

L'impression était profonde. Bien sûr, l'Amérique n'est pas une société traditionnelle. Une telle société n'y a jamais vraiment existé. L'Amérique est une expérience de la modernité. Oui, avec toutes ses limites évidentes, et avec l'implication de la droite technologique (Tech Right) représentée par Elon Musk et Peter Thiel, dont les opinions sont souvent étranges et extravagantes, et même avec le populisme national de Steve Bannon, exprimé sans détours. Naturellement, rien de tout cela ne nous appartient vraiment. En principe, il n'y avait là rien qui puisse nous séduire. Pourtant, cela s'opposait – et s'oppose toujours – directement au cours précédent de l'administration américaine.

Lorsque nous abordons Trump et le trumpisme à l'aune de notre propre civilisation, tout cela semble souvent monstrueux et effrayant. Pourtant, comparé au libéralisme et au globalisme, que les États de l'Union européenne incarnent encore par inertie, cela ressemblait à une révolution conservatrice.

Ce n'est pas un hasard si Macron, s'exprimant lors d'une session de la Grande Loge maçonnique de France, a déclaré une guerre idéologique au « Dark Enlightenment » (les « Lumières obscures ») représenté par Trump. Macron l'a fait au nom de ce que les francs-maçons, les libéraux, les globalistes, les pervers et les "parades de la fierté" proclament comme étant le « Light Enlightenment » (les « Lumières lumineuses »). En d'autres termes, la lame a rencontré la pierre.

Pourtant, le globalisme libéral habituel qui a régné sur l'Amérique et le monde au cours des dernières décennies a reçu un coup sérieux de la part de Trump. Il a apporté avec lui une nouvelle idéologie – floue à certains égards, mais très attrayante à d'autres : valeurs traditionnelles, rejet des interventions à l'étranger, rejet des néoconservateurs, renversement complet du programme libéral-démocratique du Parti démocrate, avec toutes ses dégénérescences et sa chute normative et obligatoire vers la décadence. Cela nous était et nous est toujours sympathique.

Mais avec le temps, Trump a commencé à se détourner de tout cela. Il a commencé à perdre les membres de son équipe d'origine. Il s'est rapproché des néoconservateurs, comme lors de son premier mandat. Il n'a pas condamné le génocide de Netanyahu à Gaza. Il a soutenu l'opération militaire israélienne de douze jours et, de plus, les bombardiers américains ont eux-mêmes frappé l'Iran souverain. Aujourd'hui, il prépare le renversement du régime Velayat-e Faqih dans ce pays. En bref, il agit de manière contraire à ce qu'il avait promis et aux attentes de ceux qui ont voté pour lui. Car les gens qui ont voté pour lui voulaient autre chose. Cela a une grande importance.

Cependant, le mouvement MAGA reste très fort. Peut-être qu'Elon Musk en deviendra le nouveau porte-drapeau. Il a déjà proposé de créer un troisième parti en Amérique, et, compte tenu de ses ressources, cela est loin d'être naïf. Thomas Massie, un partisan constant de Trump et un paléoconservateur convaincu, s'est fermement prononcé contre l'intervention en Iran et est déjà en train de devenir une figure clé d'un autre courant du mouvement MAGA. Massie et Musk se rapprochent actuellement, ce qui est également très intéressant. Dans le même temps, Peter Thiel, l'un des architectes de la victoire de Trump, tient des propos très sombres et très justes : le globalisme est l'idéologie de la civilisation de l'Antéchrist. D'ailleurs, même Marco Rubio a déclaré que les Iraniens attendaient l'arrivée imminente de l'Imam Mahdi, qui annonce la fin des temps.

Nous assistons donc à une nouvelle configuration politico-théologique et eschatologique très intéressante. C'est pourquoi nous devons rester calmes et commencer à étudier en profondeur la philosophie, la religion, l'eschatologie et la géopolitique, de manière beaucoup plus sérieuse que ne le fait actuellement notre communauté d'experts, qui se contente d'effleurer la surface et de tout réduire au prix du pétrole. L'heure est venue de procéder à une analyse approfondie, et non de déclarer que l'on est séduit ou déçu par Trump.

Nous nous trouvons dans une situation où les États-Unis et ceux qui les dirigent aujourd'hui définissent les principales tendances mondiales. Il existe une autre puissance, la Chine, et puis il y a nous. Il n'y a pratiquement aucune autre puissance véritablement souveraine dans le monde. Nous avons notre propre projet de monde multipolaire, et nous cherchons à le construire avec la Chine. C'est une réponse sérieuse, mais le leadership mondial appartient toujours aux États-Unis. Ni idéologiquement, ni militairement, ni technologiquement, ni économiquement, nous ne pouvons – même avec la Chine – renverser ce leadership. Par conséquent, ce qui se passe en Amérique revêt une importance considérable pour nous.

Bien sûr, pour vraiment comprendre tout cela, il faut connaître et comprendre l'histoire de l'Occident et la philosophie de René Guénon, Julius Evola, Nikolai Danilevsky, Lev Tikhomirov et Oswald Spengler. Il faudrait une demi-vie pour assimiler pleinement ces textes. Sans eux, on ne comprend absolument rien, ni à ce qui se passe en Amérique, ni à ce qui se passe chez nous. Nous ne devons donc pas nous fixer des tâches impossibles. C'est la responsabilité de ceux qui ont les compétences et la préparation nécessaires. Nous entrons véritablement dans une sphère où beaucoup de choses vont choquer l'esprit ordinaire.

C'est pourquoi mon analyse doit être abordée différemment. Il ne s'agit pas d'être « déçu par Trump » ou « enchanté par Trump ». Ces catégories n'ont aucune signification pour moi. Je suis un patriote russe et, pour moi, la Russie est une valeur absolue. Je considère tout du point de vue de mon pays, de ma civilisation et de sa mission eschatologique en tant que Troisième Rome, le Katechon, qui empêche le monde de tomber sous le règne de l'Antéchrist. C'est ce qui importe le plus.

Alexander Douguine