Comment faire de la Chine le Grand Ennemi n°1 ? Pas si simple…

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Comment faire de la Chine le Grand Ennemi n°1 ? Pas si simple…


Comme on sait, les événements vont vite. Eh bien non, ils vont très vite. On peut dater de février (après différentes phases précédentes, dont celle du printemps 2001), dernière phase en date, le déclenchement quasi-officiel de la Grande Alerte américaine face à la Chine. Cet immense pays est désormais baptisée prestement Ennemi n°1, sorte de substitut à l’URSS. (Après divers autres essais infructueux, — mais il faut reconnaître que la Chine fait plus sérieux. L’Irak n’a jamais fait sérieux comme Ennemi privilégié à la place de l’Ennemi privilégié ; et, en plus, quand on est en danger de prendre une tatouille de la part de ce sous-Ennemi avorton… Passons à la Chine.)

Le moment d’intronisation de la Chine-Grande Ennemie, en février, s’y prêtait: les élections en Irak faisait croire à la bande à GW, maître en planification et en communication comme l’on sait, que l’Irak c’était fini. La démocratie triomphait partout (Rappelez-vous l’ivresse libanaise après l’ivresse ukrainienne.) Le voyage de Rice suivi du voyage de GW-Rice en Europe fut l’occasion de hisser le grand pavois, lorsqu’on découvrit que l’Europe voulait lever l’embargo des livraisons d’armes à la Chine. Washington avait trouvé le substitut aux batailles régionales trop facilement gagnées (Irak, Afghanistan, autant de victoires glorieuses) : l’Ennemi, c’est la Chine.


La mobilisation s’effectue en bon désordre, mais efficacement, avec comme facteur privilégié l’Europe et sa stupidité sophistiquée

Depuis, l’alarme n’a cessé de retentir, avec des admonestations à mesure à l’encontre des Européens et de leurs attitude munichoise vis-à-vis de la Chine. L’épisode européen est révélateur. Les Américains le croient réglé, bien à tort, car la question est toujours pendante. Mais les Européens laissent dire. En fait d’esprit munichois, les Européens en montrent un à l’égard des Américains comme on n’aurait jamais pu imaginer qu’ils fussent capables, même du temps fameux et fondateur de Munich-1938.

Aujourd’hui, le degré de soumission des Européens à l’égard des Américains, même si cela s’exprime d’une façon sophistiquée et paradoxalement prétentieuse, entre intellectuels Rive Gauche qui s’y entendent dans les ornements dialectiques de la capitulation, cette soumission est largement supérieure à ce que fut celle de l’Amérique Latine pour les USA. Pour cette dernière situation (USA-Amérique Latine), l’on comprend pourquoi l’on prend la précaution d’employer le passée: aujourd’hui, on ne dit pas n’importe quoi à un Chavez ou à un Lula, sinon on se retrouve mis en minorité à l’Organisation des États Américains. Oseriez-vous rêver de cela à l’OTAN, entre Américains et Européens, après l’une ou l’autre insulte washingtonienne?

Mais tout cela est vain. Les Européens ont beau faire assaut de servilité, la force des choses les guette. On ne peut prétendre avoir des rapports nécessaires avec la Chine (commerce oblige) et lui imposer un embargo d’une stupidité insultante rare, surtout quand le super-ami israélien est le principal fournisseur d’armes de la Chine. Autrement dit, si le rénovateur révolutionnaire Tony Blair met l’affaire au placard pendant sa présidence de l’UE, — montrant par là tout ce qu’il a d’audace et de courage dans l’esprit du réformateur-révolutionnaire, — celle-ci reviendra évidemment sur la table. Les Chinois y veilleront. Il faudra alors que les Européens ait le courage de leur lâcheté pour encore refuser de lever l’embargo. Combinaison explosive.


Fondements et vaticinations du danger chinois contre notre-civilisation

L’épisode de l’invasion des textiles chinois, en avril-mai, introduisit un certain trouble. Les Chinois continuaient à être menaçants mais, de façon un peu gênante, en parfaite application des principes occidentaux et américanistes de l’économie de marché.

Depuis, l’alerte s’est poursuivie, disons parallèlement, avec des nouvelles stratégiques qui paraissent désormais assez sérieuses pour sembler, pour certains sans aucun doute, justifier les inquiétudes des Américains. L’enchaînement d’une sottise constante de la stratégie américaine, en route depuis le printemps 2001, finit par produire des effets. A force de crier “au loup !”, il arrive que quelque chose se passe. C’est-à-dire que les Chinois vont finir par trouver quelque intérêt à commencer à envisager la politique menaçante que les Américains fabriquent dans leurs phantasmes depuis plusieurs années, pour mieux la dénoncer.


Michael A. Weinstein , de PINR, note dans un un récent “Intelligence Brief: China”: « On the military front, Beijing's test of the JL-2 missile, first reported in the Washington Times, marked, according to an anonymous U.S. Defense Department official, ''an unexpected advance in technological capability.'' The JL-2's range of 6,000 miles is greater than that of any other missile in China's arsenal and it is designed for the new generation of Chinese nuclear submarines, the first of which was launched in 2004. With its defense spending estimated at $78 billion per year, Beijing's strategy of creating a technologically advanced military deterrent is bearing fruit. »


Pour autant, nous ne faisons pas nôtre cette alarme. Nous voyons difficilement pourquoi un effort d’armement annuel de la Chine, cet énorme pays aux besoins de sécurité évidents, $78 milliards serait considéré avec une terreur épouvantable, alors que l’énorme effort américain (de $450 à $700 milliards cette année selon la comptabilité qu’on adopte et, régulièrement, entre $200 et $400 milliards chaque année depuis 20, 30, 40 ans), les grossières illégalités, les violations de souveraineté, les attaques délibérées, les pressions constantes, les menaces sont considérées comme l’expression de la vertu même.

Il faut savoir qui sont les Chinois. Une récente (début juin) rencontre entre les planificateurs du ministère sud-coréen du ministère des affaires étrangères et une délégation européenne équivalente a permis de mesurer la surprise des Sud-Coréens, pourtant mieux informés que nous, devant les craintes que nous glapissons régulièrement à l’encontre des Chinois. Pour les Sud-Coréens, les Chinois n’ont pas d’intentions agressives ni une puissance militaire particulièrement impressionnante. Ils insistent sur l’obsolescence de leur équipement. Inutile d’ajouter que les Sud-Coréen craignent bien plus les Japonais (et les Américains, vous glissent-ils à l’oreille) que les Chinois (et les Nord-Coréens, vous susurent-ils à l’oreille). Il suffit, laissons dans leurs analyses les analystes occidentaux grassement payés et pathologiquement inquiets vers l’Est.


L'épisode final, pour le moment: l'affaire CNOOC-Unocal fichée au coeur du système

Puis vint l’épisode final, pour le moment: l’offensive de rachat de sociétés étrangères, particulièrement et spécifiquement américaines, par les Chinois. Il y a l’épisode CNOOC-Unocal, le plus significatif.

Nous empruntons à un de nos lecteurs un texte reprenant rapidement cette affaire. (Ce lecteur se présente sous le nom de “Thierry”.)


«  L'offre du groupe chinois CNOOC de racheter le groupe d'exploration pétrolière américain Unocal enfonce depuis une semaine une épine dans le pied des Américains, partagés entre la défense d'un marché ouvert et celle de leurs intérêts énergétiques.

» Depuis la contre-offre lancée le 23 juin par la China National Offshore Oil Corporation, offrant 18,5 milliards de dollars en numéraire soit 1,5 milliard de plus que ChevronTexaco, les deux plus gros consommateurs d'or noir au monde se livrent une bataille acharnée.

» Les élus américains en tête s'insurgent contre l'intrusion des Chinois dans leur secteur hautement sensible de la prospection et production pétrolière.

» Une résolution votée jeudi soir à une majorité écrasante (368 contre 15) de la Chambre des représentants affirme que la transaction, si elle était confirmée, menace sérieusement la sécurité nationale. Une enquête américaine approfondie sur ce risque a été réclamée.

» Pourtant en parallèle, les sénateurs, soucieux d'éviter un conflit commercial douloureux avec l'un de leurs principaux partenaires commerciaux, ont reporté à octobre un ultimatum initialement fixé à fin juillet pour taxer à 27,5% toutes les importations ''made in China'' si Pékin ne réévaluait pas sa monnaie d'ici là.

» Selon Washington, le lien étroit entre le yuan et le billet vert depuis la crise financière asiatique de 1997, maintient la devise chinoise à un niveau artificiellement bas et offre un avantage compétitif indu pour les produits chinois.

» Le secrétaire au Trésor John Snow et le patron de la Fed Alan Greenspan venaient d'assurer que la Chine allait bouger prochainement sur ses taux de changes. Mais Pékin a démenti avoir un calendrier à ce propos.

(…)

» Pendant ce temps Unocal a multiplié les communiqués affirmant que l'accord des administrateurs à l'offre de Chevron en avril ''restait valable''. Les actionnaires se prononceront le 10 août sur cette offre qui a déjà obtenu le feu vert des autorités américaines de régulation.

» Chevron, de son côté, a réaffirmé qu'il ne surenchérirait pas. Son vice-président Peter Robertson a douté de la conformité de l'offre rivale avec les règles commerciales. Selon lui, CNOOC tente de s'approprier ''une ressource importante'' américaine avec de ''l'argent offert'' par Pékin.

» Bloquer cette transaction ''serait grave'', a estimé Daniel Griswold, analyste du Cato Institute à Washington, car ''ce serait plutôt hypocrite de la part des Etats-Unis de demander à la Chine d'ouvrir ses marchés alors que nous lui claquerions la porte au nez pour cet investissement tout à fait légitime''.

» A l'inverse la sénatrice démocrate Nancy Pelosi a fustigé la démarche chinoise qui ''cherche à trouver une réponse à ses besoins énergétiques en obtenant le contrôle de ressources dans le monde entier''. ''Cette offre chinoise est la preuve évidente de la vulnérabilité stratégique du secteur énergétique américain'', a-t-elle affirmé.

» De plus, a averti Mme Pelosi, l’acquisition d'Unocal offrirait aux Chinois des technologies particulières de forage susceptibles de les aider à procéder à l'avenir à des tests nucléaires indétectables.

» Face à toutes ces craintes, le groupe CNOOC a choisi la carte de la transparence et a pris les devants en allant volontairement déposer un dossier auprès de la commission chargée d'examiner les investissements étrangers aux Etats-Unis au regard des risques pour la sécurité nationale. »


La guerre pour le pétrrole ?

L’intervention chinoise pour se saisir à grands frais de la société Unocal est perçue par certains comme une opération de grande stratégie pour s’assurer des moyens d’une alimentation en énergie verrouillée. On trouve cette interprétation, signalée sur notre site, avec lien vers une analyse plus complète

« Whether or not the CNOOC bid for Unocal succeeds, the issue underscores the sharpening tensions over oil between all the major powers. At a certain point these frictions will spill over into military conflict. It is worth recalling that World War II in the Pacific was provoked by sharp rivalry between the US and Japan over economic interests in China. Washington imposed an oil blockade on Japan in 1941, confronting Tokyo with a blunt choice: complete capitulation or war. Months later, the Japanese military struck Pearl Harbour. »


Comme nous le disions déjà, nous avouons notre réticence, malgré la qualité évidente de l’analyse de WSWS.org. L’analogie avec la situation précédant et expliquant Pearl Harbor n’est pas justifiée. Cette situation de 1936-41 implique, de la part des USA l’utilisation de la manipulation des matières premières comme moyens, dans un but économique et politique largement identifié et assumé (contrer l’expansionnisme japonais pour garder le contrôle de la sphère asiatique). Il y a un choix, une liberté dans la manipulation des matières premières. Les perspectives actuelles sont fondamentalement différentes. Nous allons vers une situation de pénurie qui va concerner tout le monde, pas seulement les USA et la Chine. On peut s’attendre à voir valser les alliances. La matière première (l’énergie) n’est plus le moyen d’une politique mais le but d’une survivance. Au pire, c’est du ‘chacun pour soi’. Ce n’est pas vers une grande guerre bien claire et nette que nous allons, comme en 1941, mais vers un désordre complet.

La guerre, la vraie, la calculée, nous la voyons plutôt dans les manœuvres économico-financières pour s’assurer de moyens, de réseaux, de sociétés, etc. Mais cette guerre-là a bien d’autres aspects que celui qu’on décrit.


Les Chinois engagés dans l’utilisation de l’influence comme moyen d’orienter la politique washingtonienne

A ce point, Weinstein fait une remarque particulièrement éclairée, — qui nous rappelle, par contraste, l’inanité des stratégies des amis de l’Amérique (tel le Japon) voulant ‘investir’ au sens large du terme l’Amérique par des investissements uniquement économiques, — au contraire de la stratégie chinoise, basée nécessairement, puisque c’est la situation qui lui est imposée, sur l’antagonisme politique et stratégique :

« The acquisition of foreign businesses has the added strategic advantage of creating interest groups in the countries in which those businesses are based that are economically dependent on China and, therefore, would tend to be favorable to its interests in political conflicts. »


Il s’agit là du talon d’Achille de l’Amérique devant la Chine. Ce n’est pas nouveau. Les Chinois ont toujours été des maîtres dans le maniement des groupes de pression à Washington. Ils l’étaient dès les années 1940, avec la famille Tchang Kaï-check, le général Chennault et sa femme Anna, d’origine chinoise. Il s’agissait alors des Chinois nationalistes, — et capitalistes, certes, sachant l’importance du maniement de l’argent dans les jeux d’influence. Aujourd’hui, Weinstein suggère que les Chinois continentaux (communistes? Quel sens a encore ce mot?), devenus capitalistes, vont manier à leur tour les leviers de l’influence washingtonienne. Dans la mesure où, comme on l’a vu, les démarches chinoises mettent les Américains en contradiction avec eux-mêmes, l’action d’influence et de lobbying des Chinois au travers des acquisitions qu’ils vont faire a toutes les chances de donner des effets importants dans les milieux politiques, par conséquent d’influencer la politique washingtonienne à l’égard de la Chine.

Alors qu’on veut donner à la Chine le statut d’Ennemi privilégié qu’avait l’URSS, on mesure la différence extraordinaire qui séparerait la Chine de l’URSS. Il eût été évidemment impensable, dans les années 1950-1980, d’imaginer une URSS disposant officiellement, aussi bien de voies d’accès dans la puissance économique américaine et, par conséquent, de moyens d’influence directs sur la politique américaine. Dans les années 1950, le sénateur McCarthy chassait les amis des Soviétiques, on sait comment… Quelle différence en un demi-siècle. Le système n’est plus ce qu’il était.


L’alerte chinoise, les attentats de Londres et toutes les surprises qui nous attendent

L’alerte chinoise est devenue aujourd’hui la principale occupation washingtonienne. Des rapports succèdent aux rapports. Néanmoins, les événements montrent la fragilité de cette ligne dure anti-chinoise. Les attaques terroristes de Londres ont brusquement ressuscité le mythe de la ‘guerre contre la terreur’ où, paradoxalement, la Chine serait plutôt du côté des Américains que contre eux. Cette circonstance montre bien qu’aucune ligne directrice ne peut aujourd’hui être menée avec certitude : la politique extérieure déstabilisante de l’Amérique (selon le fameuse phrase de Condy Rice, qui pourrait s’appliquer à n’importe quelle situation: « statu quo is not an option ») a suscité un désordre considérable qui rend la situation complètement imprévisible.

Nous croyons, à notre avis sans mérite excessif, que bien des événements essentiels vont se produire avant que nous arrivions au point de l’affrontement de survivance, notamment à cause d’une question comme celle de l’épuisement des réserves pétrolières, notamment entre la Chine et les USA. Ces événements vont modifier nécessairement les perspectives. (Contre le gré et le travail laborieux des experts et des planificateurs qui prévoient ces guerres. Regardez ce qu’ils nous annoncent depuis quatre ans : comment peut-on accorder le moindre crédit à ces hommes qui ont planifié et préparer les attaques en Afghanistan et en Irak ? Comment, Grand Dieu ?)

Bref, la simili ‘Guerre froide’ entre la Chine et les USA n’aura rien à voir avec la précédente. Attendez-vous à bien des surprises. Et très vite, encore.