B-52 : Lazare nous éclaire

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B-52 : Lazare nous éclaire

Pour cette fois et à propos du B-52, il ne sera pas question des torrents de bombes que cet aimable mastodonte est capable de déverser. Il faut lire le texte ci-dessous en ayant à l’esprit celui que nous mettions en ligne le 5 septembre, sur Boeing et la catastrophique aventure du 737MAX.  Les remarques que cette aventure nous suggéraient ont tout à voir avec l’effondrement du technologisme qui frappe toutes les industries qui en dépendent, et par conséquent la décadence accélérée de Boeing complètement démontrée par la façon dont cette énorme société maîtrise (?) la crise, en jetant des seaux de carburant hautement combustible sur l’incendie... Ainsi écrivions-nous :

« Comme l’observe notre lecteur, “Il y a un petit quelque chose de JSFien dans cette autre histoire d'aviation, je trouve”. C’est l’évidence même et c’est, par ailleurs, de la pure logique des enchaînements dans la mesure où le courant d’effondrement du technologisme affecte toutes les choses qui en sont les plus dépendantes, en même temps que les producteurs, installés le plus souvent sur une réputation justifiée par les temps-jadis, qui s’est transformée au goût du jour en montagnes de $milliards, de corruption et de laisser-faire/laisser-aller. Ce que révèle la crise du 737MAX, c’est la chute de la valeur et des capacités de Boeing, qui fut certainement l’un des plus talentueux producteurs au monde d’avions lourds, civils et militaires, sans aucun doute jusqu’aux années 1970-1980 ; depuis, la chute effectivement, en oubliant le parachute puisqu’on n’imagine pas une seconde que l’on puisse chuter... »

... Or, il se trouve que, parallèlement à cette chute, les événements courants nous permettent d’observer un contre-exemple qui nous montre le chemin parcouru dans le sens de l’inversion. Il s’agit du B-52, ce bombardier qui fut produit entre 1952 et 1962 et dont le traité stratégique entre les USA et l’URSS fixa le plafond d’exemplaires en service à 76. En 2014 et en 2016, deux B-52 furent détruits dans des accidents de routine, l’un par un incendie provoqué lors d’un entretien du système électrique, l’autre lors d’un décollage. Ces deux exemplaires ont été remplacés (en 2015 pour le premier, en mai 2019 pour le second), pour retrouver le plafond des 76, par deux B-52 entreposés sur le “cimetière” de la base de Davis-Monthan, dans l’Arizona, où plusieurs milliers d’avions des forces armées US (les quatre armes) débarrassés de leur armement, de leurs systèmes, parfois de leurs moteurs et souvent “emballés” dans des matières protectrices.

Ces opérations ont coûté de l’argent, et portant sur des avions qui ont dépassé le demi-siècle de leur existence. L’USAF ne ferait pas ça pour un B-1 (il y en a une trentaine à Davis-Monthan) ni pour un B-2 (il n’y en a plus, le moule est perdu). En même temps que tout cela se passait, en 2018, l’USAF a annoncé qu’elle retirerait ses super-bombardiers, – 62 B-1 et 20 B-2 plus jeunes de 22-30 ans que les B-52, –dans les années 2030 au lieu d’aller jusqu’aux années 2050. Parallèlement, la vie opérationnelle des B-52 sera prolongée jusqu’aux années 2050, soit près d’un siècle de vie opérationnelle.  La cause, ou plutôt une des très-nombreuses causes : le maintien en service des 72 B-1 et B-2 jusqu’aux années 2050 coûterait $38,5 milliards ; pour les B-52, ce sera $22 milliards, dont des nouveaux moteurs qui feront économiser $10 milliards en entretien et en consommation.

Maintenant, quelques autres points :

• Les B-52 ont une disponibilité opérationnelle de 60% (60% de leur temps en opération) ; 40% pour le B-1, 35% pour le B-2 ;
• Une heure de vol du B-52 coûte $70 000, une heure de vol du B-2 se négocie autour de $150 000 ;
• Les B-1 et les B-2 ont très peu de place pour des modifications importantes, étant des avions très avancés, dits “plaqués-or”, qui utilisent des matériaux et des systèmes très rares et très couteux, dans un espaces limité, exactement ajusté pour eux. Le B-52, en vieil aluminium, disposait d’une place libre considérable au départ de sa vie active et on a pu ainsi le moderniser de toutes les façons durant ces six décennies de service ;
• Les B-1 et les B-2 sont également très limités pour des changements internes par la disparition de nombreuses pièces de technologies avancées qui sont très vite remplacées par de nouvelles technologies encore plus avancées. Le B-52 ignore ce genre de détails ;
• Le fabuleux B-2 doit subir une révision complète d’une année tous les sept ans, au prix de $60 millions. Le B-52 ricane ;
• Le B-52 est très flexible et peut remplir un très grand nombre de missions ; les deux autres types sont limités par leurs technologies “pointues” qui n’autorisent qu’une série très limitée de missions.

... Et ainsi de suite. Il existe désormais un pilote du B-52 de 1952-1962 dont le fils est devenu pilote de B-52 pendant son temps de service, et dont le petit-fils est actuellement pilote de B-52. Cet avion vivra sans doute 100 ans, tandis que les merveilles qui lui ont succédées seront mises à l’asile des catastrophes plus ou moins dissimulées. (Il faut noter que la situation n’est pas si différente en Russie, où l’on garde une grande confiance dans le Tu-95, contemporain du B-52.)

Même si l’avion et surtout son usage peuvent apparaître le contraire de l’exemplaire à beaucoup d’esprits, son histoire et sa situation par rapport à ses “successeurs” qui deviennent des handicapés sont absolument exemplaires de l’évolution du technologisme durant les derniers trois-quarts de siècle, et parallèlement, du niveau de professionnalisme et de qualité du jugement et du comportement des producteurs de choses technologiques avancées pour être utilisées dans les situations extrêmes de conflit. Que ce soit essentiellement le fait de l’invasion des financiers à la place des ingénieurs chez Boeing, il reste que l’évolution de cette société est exemplaire et symbolique à la fois de la dépravation et de l’inversion qui touchent les comportements et les conceptions ce ceux qui suivent le flux du technologisme, qui sont débordés par lui, entraînés par lui, d’ailleurs dans la plus complète inconscience tant que l’action Boeing ne chute pas trop (ce qu’elle est tout de même en train de faire par à-coups). Derrière la question technique, il y a une dimension morale dans ces destins tels qu’on peut les observer ; et il s’agit sans aucun doute d’une morale qui a à voir avec la métaphysique, dans le flux de la métahistoire, et nullement avec les “valeurs” dont se gargarisent les sapiens sapiens, en guise de feuille de vigne comme farouche gardienne de leurs vertus.

Bien entendu, le Pentagone, cette impeccable mécanique, n’a strictement rien compris à ce qu’il fait lui-même en retapant ses B-52. Pour remplacer ces catastrophes que sont les B-1 et B-2, et plus tard les B-52 à qui l’on peut difficilement demander de tenir un deuxième siècle, il fait développer en secret un nouveau bombardier (le B-21 Raider) depuis 2015. Il prévoit $55 milliards pour 100 exemplaires. En 1980, lorsqu’on découvrit l’existence du B-2 développé en secret depuis 1976, l’USAF nous promettait 132 exemplaires à $180 millions l’exemplaire ; on a terminé avec 21 exemplaires à $2,4 milliards l’exemplaire, – selon les estimations les plus basses. On attend donc avec intérêt la saga du B-21, pendant que les B-52 continueront à voler, puisque bon sang ne saurait mentir à l’heure de la diversité triomphante à laquelle est si sensible le Pentagone, alias Moby Dick.

Ci-dessous, sous le titre « Le B-52 tel que Lazare », on trouve la version originale du texte (du 12 juin 2019) sur l’aventure des B-52, texte de Mark Thompson, du groupe POGO de surveillance des comportements et de la gestion des diverses puissances aux USA, – de la puissance publique aux puissances d’argent. (Comme l’on sait, POGO est certainement le meilleur spécialiste indépendant du programme JSF/F-35.)

dedefensa.org

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The B-52 as Lazarus

The B-52 bomber is so huge it takes eight engines to lift it off the ground, along with a pair of outrigger wheels to make sure its wingtips don’t scrape the runway as it takes off. So how is it that this lumbering beast is turning stealthy and disappearing from the Air Force’s Arizona boneyard, where thousands of warplanes go to die?

Fact is, a pair of B-52 Stratofortresses, which came off the assembly line during the Kennedy Administration, have been roused from their well-deserved retirement. The first left Davis-Monthan Air Force Base in 2015, and the second on May 14, to return to active duty, joining other B-52s still in service. Despite their advanced age, B-52s continue to contribute: They’ve recently been dispatched to the Middle East  to deter Iran.  They’ve been flying  out of Guam—within striking distance of China—for more than a decade. They’ve been buzzing the Baltic Sea near Russia as well.

The bombers—just like the Russian Tu-95 bombers  probing air space near Alaska  in May—prowl the world’s skies, asserting a nation’s interest in what is happening below. They make for a double-edged sword: reassuring to allies but fraught with the possibility that a mistake could lead to war. Just as importantly, the B-52 highlights the continuing and costly U.S. reliance on a nuclear “triad” made up of bombers, and of missiles fired from land and submarines. That Cold War trio is  slated to cost $494 billion  between 2019 and 2028, within spitting distance of a half-trillion dollars. It’s also 23 percent higher than the $400 billion the Congressional Budget Office estimated it would cost from 2017 to 2026.

Boeing  churned out  744 B-52s at plants in Seattle, Washington, and Wichita, Kansas, over 10 years beginning in 1952. It is an investment that has paid off. The bomber  was built  with plenty of extra space on board for not-yet-invented weapons and electronics. It wasn’t crammed with gear, like the B-1 and B-2 that followed it, that make modifications complicated and costly. Its bones—the aluminum airframe—were rugged and built to last.

Old B-52 hands were delighted at the second revived B-52’s return to the 307th Bomb Wing at Barksdale Air Force Base in Louisiana. “Nothing like an old BUFF to put the fear of god into the enemy,” one posted on the unit’s  Facebook page  (BUFF is the bomber’s polite nickname among those who fly and maintain it, meaning Big Ugly Fat Fellow). “Really loved that bird,” added another. “Happy to see them still in the air keeping us safe.”

While the B-52’s latest re-enlistment says a lot about the durability and moxie of this Boeing behemoth, it also speaks volumes about the hazards of building bespoke gold-plated bombers. In fact, the two bombers built after the B-52—the B-1 and B-2—are going to be sent to the boneyard well before the B-52 finishes its tour of duty. The Air Force decided in 2018 to retire the two newest ones,—the 62 B-1s and 20 B-2s  remaining in active service—in the 2030s, nearly a decade earlier than planned. At the same time, it decided to extend the B-52’s life and keep them flying beyond 90 years, even though they’re at least  22 years older than the B-1s, and 30 years older than the B-2s.

The Air Force built both the B-1, between 1984 and 1988, and B-2, between 1987 and 2000, with supposed cutting-edge technologies that didn’t age well (and they wer  hyped, even when new). The 100 B-1s boast a swept-wing design. Spreading those wings allows it to take off heavy with weapons and fuel by generating extra lift. When it’s making a bombing run, it sweeps its wings back, allowing it to scream low and fast toward its target. But that design is  tough to maintain. It also can be  dangerous, as changing a plane’s wingspan from 137 to 79 feet in midflight poses unique challenges. Plus, the B-1’s primary reason for being—nuclear strikes on the Soviet Union—disappeared along with the Soviet Union nearly 30 years ago. Since then, per arms-control pacts with Russia, gear that the B-1 needs to carry and launch atomic weapons has been  stripped from the aircraft, eliminating its nuclear deterrence capability against atomic-club wanna-bes like Iran and North Korea.

The B-2’s radar-eluding design proved less effective than  advertised, and the maintenance it demanded made it too expensive even for the Pentagon. A B-2 gets a $60 million  year-long overhaul  every seven years, and has to be housed in a climate-controlled hangar for the other six. While the Air Force wanted 132 of the bat-winged planes, it  had to settle for 21, at more than $2 billion apiece.

Each of these bombers was like a finely machined box wrench, designed for turning nuts—but only nuts of a single size. In contrast, the B-52 is more like the adjustable wrench down in your basement: cheap and flexible enough to get most jobs done pretty well. But doing things simply is a lost art at the Pentagon, which is seeking $104.3 billion for research next year, more than $10 million an hour, 24/7.

The B-52 tapped to return to the fleet in May, dubbed “Wise Guy,” is to replace a B-52 destroyed in a  fiery takeoff accident  on Guam in 2016. Built in the early 1960s, Wise Guy had been enjoying its golden years sitting in the warm Arizona sun since leaving its frigid North Dakota base in 2008. The  first  B-52 that was tapped to return to service in 2015—“Ghost Rider”—replaced  a B-52 lost in an electrical fire during routine maintenance in 2014. The return of Ghost Rider to active duty in 2015, and of Wise Guy in May, restores the B-52 fleet to 76 aircraft, the  ceiling negotiated  with Russia.

It isn’t easy to bring a gargantuan war machine that has been sitting in the desert for a decade, after spending 17,000 hours in the air, back from the dead. Take Wise Guy, for instance. “The jet had cracks in the rear landing gear and was missing two engines,” Master Sgt. Steven Sorge, an Air Force mechanic who helped revive Wise Guy, said in an  Air Force release. “It also needed all its fuels cells and hoses replaced, as well as its tires.” While it took only four months of work to get the plane airborne, making it mission-ready will take 550 people two more years of work and cost $30 million, the Air Force  estimates.

B-52s had a major role  during the Cold War, where they sat on alert around the clock for eight years straight. They also played bit parts in the U.S. wars in Vietnam, Serbia, and post-9/11 Afghanistan and Iraq (as well as playing a  key supporting role  in the finale of Dr. Strangelove, Stanley Kubrick’s 1964 classic Cold War film). At least one Air Force B-52 aviator has seen his son and grandson  fly aboard B-52s.

If you want good news about a bomber, it’s tough to top the BUFF. The Air Force  reported last year  that it would cost $38.5 billion to keep the newer B-1s and B-2s flying until 2050, but only $22 billion to keep roughly the same number of the much older B-52s airborne. Further, the Air Force projected that $22 billion investment will include new engines that will yield $10 billion in fuel and maintenance savings.

Air Force Magazine  detailed  the math: the simpler B-52 is able to fly more than the newer bombers, which suffer from what the service calls the “vanishing vendor syndrome” because contractors no longer produce the sophisticated parts the B-1 and B-2 need. B-52s are ready to fly all missions 60 percent of the time, compared to 40 percent for the B-1s and 35 percent for the B-2s. The B-52 costs about $70,000 per hour to fly, half that of the B-2.

As the B-1s and B-2s are sent out to pasture, the Air Force wants to buy at least 100 B-21 Raider bombers to replace them. The service’s projected price tag of $55 billion—$550 million apiece—is as squishy  as the Air Force claim of a  $500 million price tag on the B-2  when it first rolled off the assembly line in California in 1988.

And the secrecy surrounding the B-21 mirrors that of the B-2 when it was being built. The Air Force has  refused  to say how much it is paying Northrop Grumman under a 2015 contract to develop the B-21. The Government Accountability Office noted  last  month that its own assessment of how much major weapons cost “importantly … excluded classified programs, such as the Air Force’s new B-21 Raider program.” (Here’s a tip based on 40 years of reporting on Pentagon spending: cost overruns tend to stay secret, while word of staying within budget generally becomes public).

Of course, in a world where Amazon is exploring delivering goods to your doorstep by drone, the need for a manned penetrating bomber becomes increasingly hard to justify. A bomber drone could fly into harm’s way without risking the life of the crew. Likewise, long-range nuclear-tipped missiles have enable the B-52 to be a vital part of the nation’s deterrence force without sending its five-member crew deep into enemy air defenses. There’s no reason new bombers—or retooled older ones, for that matter—couldn’t do the same thing at a far lower cost than the B-21.

Besides, those two “new” B-52 bombers recently returned to flight come from a big family. There are  lots more, five miles south of Tucson, waiting in the wings.

Mark Thompson