Forum

Article : L’axe crisique du monde

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Est-ce bien fameux, d’ailleurs ? Silence assourdissant.

jc

  11/01/2019

J'ai relu pour la nième fois le glossaire dde "Déchaînement de la Matière" avant de commenter l'article "L'axe crisique du monde" dans lequel figurent les deux phrases suivantes:

" "Washington, Londres et Paris, ce sont les trois acteurs de notre fameuse thèse du “déchaînement de la Matière”. (Est-ce bien fameux, d’ailleurs ? Silence assourdissant.) Il s’agit d’un des premiers sujets du Glossaire.dde (voir le 5 novembre 2012), largement utilisé dans nombre de nos textes, extrêmement présent dans La Grâce de l’Histoire (notamment le Tome-I)."

Quelques remarques.

I. Je commence par l'analogie (sémantiquement acceptable?) entre réel-symbolique -imaginaire et pierre-ciseau-feuille alias "la lourdeur inaltérable chargée des flammes des entrailles du monde"-"la force du choc qui brise son monde"-"la ruse faussaire qui trompe son monde".

Dans le rangement thomien la phase symbolique est la phase de bimodalité* entre le réel et l'imaginaire**. L'analogie ci-dessus donne le rôle central à la France. En écho au "celui de Paris est plus complexe" de PhG?

Dans cet ordre d'idées, on ne peut ignorer au XXIème siècle la place désormais centrale occupée par la révolution numérique, révolution qui a pour effet de décaler la triade vers le virtuel ("Les Lumières c'est désormais le numérique" pourrait dire un obscur H. Gouhier des temps modernes). Avec pour conséquence une virtualisation non seulement du réel (selon moi typiquement le F35) mais aussi de l'imaginaire (la communication qui se virtualise en post-communication -communicationnisme-).

Le "tchac" de la franchouillarde guillotine, symbole pour PhG de la coupure entre l'ancien monde de la Tradition et le "nouveau monde" promis par les Lumières, est pour moi le symbole du choix du discret (typiquement le 0 et le 1 de l'informatique) par rapport au continu. Thom, qui a fait le choix du continu comme être premier*** (est-ce à dire le choix du topos par rapport au logos?), représente la triade RSI (et donc la triade Angleterre-France-USA?) par une fronce (et son "lacet de prédation") sur laquelle on "voit" la bimodalité****.


II. La Matière face à la matière

Je m'écarte donc ici de la position de PhG concernant le déchaînement de la Matière:

 "C’est pourquoi l’on envisagera de poser pour acquis qu’il y a, à partir des “trois Révolutions”, un événement différent en nature de ces trois événements, un événement qui n’est contenu par aucun des trois et en aucune façon ne peut être réduit à aucun des trois ni même à la somme simplement additionnée des trois. L’on peut désigner cet événement comme le “déchaînement de la Matière”."

Pour moi la matière déchaînée devient Matière, la Matière est à l'artificiel ce que la matière est au naturel: c'est ainsi que je tente de suivre la pensée de PhG. Je "sens" le déchaînement comme une dévitalisation de la matière "vivante" en une Matière "dévitalisée", "morte", "mécanique", plus que comme le déchaînement de l'aveugle puissance mécanique qui se déverse sur le champ de bataille de Verdun: c'est comme ça que j'interprète le "l’on peut parfaitement distinguer les deux aspects de l’attaque de la matière et de la résistance humaine", citation que je ne comprends qu'en majusculant matière en Matière.

PhG revient sur la distinction matière/Matière dans la conclusion du tome II de "La Grâce de l'Histoire" (en particulier p.413) en citant Daniel Rops à plusieurs reprises à propos du "Balzac" de Rodin ("Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice ...") et nous annonce des éclaircissements dans le tome III ("J'y trouve tout ce qui m'importe pour constituer la base du travail final ...").

(Bien entendu notre formatage "moderne" rend difficile -voire impossible- la distinction entre matière ("vivante") et Matière ("inerte"). La différence se fait au niveau des champs, seul niveau auquel, selon moi, l'assertion "la nature est vivante" peut avoir un sens: il existe pour moi -à la suite d'une lecture libre de Thom- des champs morphogénétiques beaucoup plus nombreux et subtils que les champs "classiques" (gravitationnel et électromagnétique) et les quelques champs "quantiques" que l'on commence à identifier.)


III. Création et interprétation

PhG: "à mesure du développement de capacités de création virtualiste remplaçant les capacités d’interprétation virtualiste ..."

Cette phrase me fait penser à la citation de Karl Rove, conseiller en communication de GW Bush, citée de temps à autre par PhG : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. ». Pour moi la position de Rove est tout-à-fait cohérente dans le cadre du darwinisme: nous sommes là par le hasard des mutations suivies de pressions sélectives, et dans ce cadre ce sont les hommes qui écrivent l'histoire ...


IV. Anthropique et entropique

PhG: "Je vois un signe inattendu et presque foudroyant, comme un éclair puissant qui illumine l’obscurité, dans ceci que le qualificatif correspondant à anthropocène soit “anthropique”, qui est une homonymie d’“entropique”, dont on connaît le sens ; ce qualificatif caractérisant, presque comme une accusation sans appel, et de la façon qui importe, qui va au cœur du propos, une “ère géologique” qui voit l’intrusion de l’imposture et de l’infamie humaines dans la marche du monde, pour imposer effectivement son dessein anthropique et entropique.)".

- Anthropique.

Pour moi il n'y a aucun inconvénient à anthropociser les choses, bien au contraire: il faut essayer de se mettre dans leur peau*****. Avec un espoir d'y arriver car "Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés, ainsi l'usage de vocables anthropomorphes en Physique est foncièrement justifié." (Thom, conclusion de SSM)

- Entropique.

Selon le troisième principe de la thermodynamique de Peer Bak (et non de Nernst) popularisé par le physicien François Roddier, les systèmes "vivent" en maximisant leur production d'entropie. (J'ai entendu dans une conférence de François Roddier que pour être compatible avec le deuxième principe il fallait que l'entropie soit évacuée derrière l'horizon cosmologique ou un truc de ce genre. En béotien (je ne suis pas physicien), j'y vois un côté "glisser la poussière sous le tapis".) Ceci dit je vois la position de Roddier comme une version scientifique de la position de Nietzsche avec sa volonté de puissance (au flair, car je n'ai pas lu Nietzsche). Mais quid de l'éternel retour dans ces conditions, autrement dit que fait-on de l'entropie?


V. Intégration des “trois Révolutions”

PhG: "entre le choc qui ébranle l’âme dans ses tréfonds, la saisine de l’âme après le choc, l’exposition de l’âme à un environnement de fer et de feu que cette âme ne peut faire autrement qu’accepter."

C'est pour moi le bon ordre, celui du déploiement du Symbolique "bimodal" où le sumbolè se brise ("tchac") en Imaginaire puis Réel, c'est pour moi l'ordre logique (bien que ce ne soit pas l'ordre chronologique). Mais chacun voit midi à sa porte.




*: Conformément à l'étymologie du sumbolè grec.

**: Thom: "Le symbolique est en effet le domaine par excellence où le signifiant et le signifié interagissent. Le Réel, qui sort triomphant de cette interaction (succès de l'acte), redevient Imaginiaire après la faille nocturne du sommeil. Dès que l'imaginaire se verbalise en une syntaxe, le signifié réapparaît, et avec lui l'objectivation et la réalisation." (AL pp. 529 et 530) Thom poursuit en précisant que c'est essentiellement ce schématisme qui va lui servir pour classifier "à la Auguste Comte" les techniques, les sciences et les technologies.

***: Thom: "Sous l'influence de traditions axiomatiques et livresques on a vu dans le discontinu l'être premier des mathématiques. "Dieu créa les nombres entiers et le reste est l'oeuvre de l'homme". Cette maxime de l'algébriste Kronecker témoigne plus de son passé de banquier enrichi¹ par les manipulations monétaires que par sa clairvoyance philosophique. Il ne fait guère de doute que d'un point de vue psychologique (et pour moi ontologique), le continu est l'être premier. Car avoir conscience c'est avoir conscience du temps et de l'espace; le continu géométrique est en quelque sorte adhérent à toute pensée consciente." (AL p.564)
1: Dans le chapeau  de l'article "Les mathématiques modernes: une erreur pédagogique et philosophique?" dont sont extraites les lignes ci-dessus, Thom écrit : "Ce texte -qui fut à l'époque, m'a-t-on dit, mis sous les yeux du président Pompidou- (...)"

****: Cf. AL p.530

*****: Thom: "L'intelligence est la capacité de s'identifier à autre chose, à autrui."