Notes sur la somme de TOUTES LEURS peurs

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Notes sur la somme de TOUTES LEURS peurs

17 janvier 2018 – Il y a quelques jours, le 12 janvier 2018, nous mettions en ligne un commentaire sur ce que nous nommions « La question de l’absence de la peur ». A partir d’un simple titre d’un article de ZeroHedge.com, – « La seule chose dont il faut avoir peur c’est l’absence de la peur elle-même », –  notre propos était de mettre en évidence combien la puissance de la communication utilisée par le Système étouffait les réflexes fondamentaux de crainte de l’emballement des systèmes financiers, dans un sens ou l’autre, donc qu’il n’y avait plus ce sentiment collectif, – fût-ce celui de “la peur”, – comme il existait par exemple (paraphrase de la formule) en 1933, selon justement la formule employée par le président Roosevelt lors de sa prestation de serment du 5 mars 1933 : « La seule chose dont il faut avoir peur, c’est de la peur elle-même. »

Bien qu’on puisse évidemment se reporter à ce texte tout récent, nous donnons ici un extrait de deux paragraphes qui permet d’avoir à l’esprit la question dont nous parlons.

« Même si elle est remarquable et semble spécifique parce qu’illustrée par le marqueur à la réputation formidable qu’est la variation des indices boursiers, et principalement celui de Wall Street, cette attitude de “l’absence de la peur elle-même” est renouvelée un nombre considérable de fois, si l’on veut d’une façon sectorielle, dans un monde devenu Système et de plus en plus hermétiquement cloisonné en autant de systèmes (ou sous-Système) qu’il y a d’activités différentes et parties prenantes de la postmodernité.

» Chaque sous-Système exerce sur son domaine une intolérance absolue à tout ce qui n’est pas la tolérance et la liberté d’éprouver cette “absence de la peur elle-même”, laquelle “absence” est obtenue grâce à l’ivresse fascinatoire d’une activité paroxystique magnifiée par la communication, – comme dans le cas de la Bourse, chaque secteur avec ses moyens propres et selon ses activités. Cette intolérance absolue porte justement sur la formule du titre (“La seule chose dont il faut avoir peur c’est l’absence de la peur elle-même”), en la renversant pour qu’elle soit acceptable : “La seule chose dont il est interdit d’avoir peur c’est de l’absence de la peur elle-même”. Ainsi, chaque sous-Système donne-t-il un diagnostic faussaire symbolisé par une musique pleine d’allant et résolument tournée vers l’“éternel présent”, – ou Big Now pour les amis. (L’instant actuel où il est proclamé que tout va bien, que la musique continue, et qu’on espère voir durer ce cirque jusqu’à ce que le présent devienne le futur lui-même, acquérant ainsi une sorte d’éternité.) »

Paradoxe et nihilisme : il y a peur et peur

Il est bien entendu évident que ce dont nous parlons, c’est d’une façon de voir, – de ressentir ou de ne pas ressentir, – à propos de la réalité, ou disons à propos d’une vérité-de-situation. On sait en effet que notre conception est que la réalité est désintégrée du fait de l’extrême puissance (la surpuissance) du système de la communication dans l’usage qu’on en fait, et qu’il faut pour combattre ce vide mener une enquête constante pour identifier des “situations vraies”, ou “vérité-de-situation” qui permettent de trouver un peu de stabilité, une référence ferme, etc., pour poser notre jugement dans le sens de la vérité qui doit être réaffirmée contre tous les relativismes faussaires.

Dans le cas envisagé, il est évident qu’à côté du jugement paradoxal mais juste que les gens étaient conscients de la réalité en mars 1933 (une situation d’effondrement très rapide des USA), alors que Roosevelt leur demandait de surmonter les effets pervers et paralysants de cette conscience (la peur), il y a aujourd’hui le jugement non pas paradoxal mais absurde sinon nihiliste que les gens n’ont plus aucune conscience d’une réalité pulvérisée par la communication, et que, pour la plupart, ils ne ressentent pas la nécessité de chercher à identifier des vérités-de situation.

Pourtant voici un auteur qui nous dit que “la peur” est aujourd’hui partout présente, et nous jugeons (paradoxalement ?!) qu’il n’a pas tort. Il dit même qu’“on a perdu le contrôle de la Machine-à-Peur”, c’est-à-dire de ce qui, dans la communication-Système, “fabriquait” la peur, principalement pendant la Guerre Froide, principalement pour maintenir une cohésion du pays, de la Grande République, – là aussi, contradiction et paradoxe apparents avec ce qui précède, où un pays est en voie de désintégration alors que le sentiment collectif qui domine est la peur... L’on comprend bien qu’il s’agit, dans cet imbroglio, de savoir de quelle(s) peur(s) l’on parle, – celles qui sont justifiées par une vérité-de-situation (ou une menace-de-vérité) catastrophique ou celles qui sont fabriquées, manufacturées, par la “Machine-à-Peur”... Les deux types sont des phénomènes bien réels et ces deux peurs doivent être conceptuellement confrontées l’une à l’autre.

Nous allons intercaler le texte de notre auteur, que nous ferons suivre bien entendu d’un commentaire pour nous expliquer de ces apparents paradoxes et contradictions, et identifier une fois de plus et toujours plus en détails parce que ce travail est nécessaire, – un des caractères psychologiques essentiels de nos Temps-Derniers. Le texte est de Peter Van Buren, un ancien officier du département d’État où il a passé 24 ans, devenu auteur et commentateur, en version originale dans The American Conservative du 11 janvier 2018.

« Perte de contrôle de la Machine-à-Peur

» La peur a toujours été un outil des intérêts acquis pour conserver le pouvoir, gagner de l'argent et garder les masses sous contrôle. Mais désormais, les choses pourraient bien être en train de dérailler.

» Les vieilles craintes produites par les centres de pouvoir de la nation pendant et après la guerre froide – les communistes et les terroristes – étaient sous contrôle, avec les capacités de les réactiver ou de les mettre en sommeil au besoin. Il y a toujours eu un élément de manipulation en action (pensez au “nuage en forme de champignon” de Condoleezza Rice), mais aussi mauvais et insidieux fut-il c’était un élément qui a maintenu un équilibre stratégique. Vous voulez assez de peur pour rendre les gens conformes, mais pas trop pour ne pas risquer qu’ils finissent par se poursuivre les uns les autres – ou leurs dirigeants – avec des fourches ou lancer leurs voitures dans les foules de manifestants.

» Il est devenu aujourd’hui très facile pour un très grand nombre de personnes de mettre de l’huile sur le feu sans montrer apparemment le moindre souci de jamais l’éteindre. Les médias de l'establishment, qui autrefois prospéraient en matière de collecte d'informations et de reportage, se consacrent désormais à la promotion de l'anxiété, en grande partie grâce aux médias sociaux comme Facebook et Twitter. La confirmation permanente de nos plus grandes peurs fuse à travers les plates-formes multicouches 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, non filtrée et sans entraves, sans cesse adaptée pour correspondre à ce qui nous effraie le plus. Nous-mêmes retweetons et partageons aussitôt ces messages vers d’autres personnes partageant les mêmes idées pour valider nos peurs et former de véritables “communautés de peur”. Ce sont des mécanismes des abysses les plus noirs de nos psychologies : imaginez un épisode de Black Mirror où un appareil qui enregistre algorithmiquement vos peurs les plus profondes tombe entre de mauvaises mains.

» Il y a une chronologie et une logique pour tout cela. Nous avons d'abord eu vraiment peur alors que nous étions en train de devenir la puissance prédominante de la planète, la seule armée de la bombe atomique. C'est pourquoi nous avons applaudi un président après l’autre pour la construction et le maintien en bon état de marche de l’État de Sécurité Nationale le plus massif jamais conçu pour nous permettre de nous sentir en sécurité.

» Pendant ce temps, on nous demandait d'avoir peur de toutes sortes de choses : des communistes au gouvernement et à Hollywood, de la théorie des dominos, des mouvements révolutionnaires, de tout un assortiment de méchants sortis des films de James Bond. Ceux qui soutenaient la paix étaient accusés de travailler pour l'ennemi. Presque tout ce que les responsables voulaient faire – déformer les libertés civiles, augmenter les taxes pour payer les armes, renverser les gouvernements étrangers, punir les Américains pour des choses qu'ils ont écrites ou dites – était largement soutenu parce que nous avions peur de ce qui pourrait arriver si ces mesures n’existaient pas. La plupart des gens réalisent maintenant que ces peurs étaient exagérées sinon faussaires. Presque tous les Américains qui sont morts dans le cadre des affrontements de la Guerre Froide l’ont été dans des combats que nous avions suscités et démesurément grossis, ou bien dans des combats où nous plongeâmes aveuglement. Le cancer et les accidents de voiture ont pris plus de vies américaines que le Docteur Folamour.

» Ensuite, nous avons vraiment eu peur après le 11 septembre 2001, plus que pendant la guerre froide. Les chefs républicains, leurs opérateurs de guerre type neocons et leurs promoteurs en relations publiques ont convaincu les Américains que les terroristes vivaient parmi nous, contrôlés par des cerveaux à partir de mosquées d'ici et d’au-delà des mers, comploteurs à la fois imprévisibles et sournois jouant le long jeu. Ils pourraient transformer nos enfants en djihadistes via Facebook. Des avertissements tels que “Si vous n'êtes pas avec nous vous êtes contre nous” sont vite devenus “Vous ne devriez pas vous inquiéter si vous n'avez rien à cacher”, à mesure que l’État de Sécurité Nationale s’est monstrueusement métastasé. En fin de compte, le diabète et les chutes d'échelle ont pris plus de vies américaines qu’Oussama ben Laden ou l’une de ses ramifications d’al-Qaïda.

» Pendant longtemps, nous avons agi comme un chien de garde quand un méchant entre dans la pièce. La particularité était que nous étions toujours conduits par l’anxiété plus ou moins dans la même direction, une ligne droite qui ne pouvait être que délibérée.

» La mauvaise tournure prise pour cette année 2018 est que nous vivons désormais dans un monde où les médias dominants sont submergés par les préjugés et les déformations idéologiques, soutenus par les médias sociaux qui montrent une instabilité mentale à peine contenue. Nous sommes de plus en plus diversifiés et de plus en plus séparés en même temps, divisés en mille sous-communautés-internet socialement cloisonnées. Il n’est plus possible pour nous d’avoir des peurs collectives.

» La peur est puissante. Un son déclenche une mémoire qui déclenche des processus subconscients involontaires : les sauts de fréquence cardiaque, les contractions musculaires, les fonctions cérébrales supérieures passent au mode du combat pour la vie. Vivez dans cet état assez longtemps et vous vous retrouvez avec le Trouble de Stress Post-Traumatique, avec l’incapacité de contrôler votre réaction à certains stimuli. Imaginez un pays entier de cette façon, essayant de prendre de bonnes décisions alors que le cerveau du reptile l’emporte sur la pensée rationnelle.

» En regardant un blog d'il y a quelques années sur ce dont nous avions peur alors, on y trouve des noms familiers. Poutine envahissait l’Europe et Kim Jong-un allait commencer une guerre contre une comédie de Seth Rogen intitulée The Interview. Mais il n'y avait pas encore une affirmation générale selon laquelle que le président était inapte ; les gens qui le pensaient été écartés comme théoriciens du complot et discrédités comme des “birthers” (*). Il n'y avait pas d'anxiété généralisée sur le fait de savoir si la démocratie était en train de vaciller ; ceux qui parlaient des coups d’Etat et d’un nouvel incendie du Reichstag étaient tournés en dérision par la téléréalité en tant que lunatiques. Il y avait une sorte de consensus sur ce qu'il fallait craindre et quand.

» Désormais, il y existe des peurs différentes à l’infini, pour tout le monde et dans tous les sens. Nous avons peur que Trump déclenche une guerre avec la Corée du Nord (Kim est le type équilibré). Nous avons également peur qu'il ne déclenche pas une guerre et que les autres tapent les premiers (Kim est le fou). Nous avons peur que Trump soit un espion russe glissé à la Maison Blanche (fin de la démocratie) et nous craignons que les Démocrates utilisent Mueller pour renverser une élection légitime (fin de la démocratie). Nous craignons que le gouvernement fasciste enlève la liberté de parole et nous craignons que le gouvernement n’en fasse pas assez pour réprimer la liberté d'expression afin d’arrêter la haine. Il y a trop d'armes pour que nous soyons en sécurité et pas assez d'armes pour nous protéger. Il faut élire plus de femmes ou les droits des femmes sont battus en brèche. Si nous élisons plus de femmes (ou POC, LGBTQ, etc.), le reste d'entre nous voient leurs droits battus en brèche.

» Nous ne trouvons jamais le temps de souffler. Donc, alors que l’apaisement commence à atténuer les tensions sur la péninsule coréenne, la tension passe sur la question de savoir comment Trump-le-malade-mental pourrait appuyer sur le bouton nucléaire quoi qu’il en soit, peut-être même ce soir (il faudra vérifier sur Twitter). Tout ce qui vous importe – droits de toilette transgenres, avortement, armes à feu, religion – est sous le feu d’attaques mortelles. C'est toujours la lumière jaune qui clignote, soyez prêt à combattre ou à ficher le camp. La peur est primitive. Peu importe ce que nous craignons tant que nous restons effrayés.

» Trump n'est pas le démagogue que vous craignez, juste une version plus crue de ce qui a été la norme pendant des décennies. La chose à craindre est ce qui émerge après lui. En tant que ce qu’il est, les choses sont encore supportables. Son ascension bizarre vers le bureau le plus puissant du monde pourrait devenir l'argumentum ad absurdum qui lève le rideau sur la façon dont la peur a été utilisée pour nous manipuler. Le risque est que Trump puisse aussi devenir un appel au réveil d'un autre genre, à des gens encore plus malins et plus intelligents, qui passeront de la manipulation à l'exploitation (le vrai incendie du scénario du Reichstag), d'une stase grossière mais reconnaissable au complet chaos.

» Assez effrayés, les gens accepteront, si la situation semble l’exiger, des solutions extrêmes et dangereuses à des problèmes dont la véritable profondeur existe surtout dans leurs angoisses. Rappelez-vous la façon dont la peur de l'invasion après Pearl Harbor nous a conduit à emprisonner illégalement des dizaines de milliers de citoyens américains, commerçants et fermiers d’origine japonaise. Désormais, c’est une perspective dont nous pouvons vraiment avoir peur. »

La Grande Dépression comme cause fondamentale

Le paradoxe fondamental du sujet que nous étudions est bien que la peur est une des manifestations psychologique essentielles des citoyens et des dirigeants de ce pays prétendu-nation (c’est des USA dont nous parlons) et qui se veut absolument exceptionnel ; ce pays exceptionnel et sans rien de commun avec aucun autre, installé comme l’avenir du monde et comme s’il était au sommet du monde, en train de sombrer en clamant qu’il l’est toujours et qu’il l’est plus que jamais, et pourtant littéralement déjà-mort de trouille. Quelle singulière aventure... Essayons d’en débrouiller les différents nœuds pour en avoir, non seulement le cœur net, mais la vision la plus nette et la plus révélatrice possible.

Cette situation de 1933 avec le discours inaugural de Roosevelt sur « La seule chose dont il faut avoir peur c’est de l’absence de la peur elle-même » n’était nullement irréelle ni faussaire. Il ne s’agit pas d’une métaphore gratuite, d’une formule élégante pour une rhétorique de circonstance. Il y avait une vérité-de-situation fondamentale et c’est même un des rares moments de leur histoire où les USA sont à la fois pathétiques et tragiques, et suscitent la compassion ; en vérité par conséquent, comme on le comprend bien, la “peur” évoquée par Roosevelt était absolument réelle, fondée, tragique... Dans un des nombreux textes sur le sujet, nous reprenons cette citation d’un témoin qui se trouvait sur place, qui dit le vrai de cette situation au moment où Roosevelt prête serment : « En septembre 1933, le Français André Maurois, retour d'un séjour là-bas, rapportait ces remarques dans [son livre] ‘Chantiers américains’ : “Si vous aviez fait le voyage vers la fin de l'hiver (1932-33), vous auriez trouvé un peuple complètement désespéré. Pendant quelques semaines, l’Amérique a cru que la fin d'un système, d'une civilisation, était tout proche.” » 

Cet événement terrible est bien l’état psychologique de la population durant la Grande Dépression et nullement la situation économique, aussi dramatique qu’elle fût et malgré qu’elle ait été évidemment la cause de cet état psychologique. La leçon fut retenue par la direction américaniste comme une condition fondamentale de sauvegarde de l’Amérique des risques terrifiants de déstructuration et de dissolution. La peur de la population avait déclenché une telle peur chez les dirigeants qu’il fut admis qu’elle faisait partie du fond irréfragable de la psychologie américaniste et que l’arme psychologique suprême contre le danger de déstructuration de cette peur-là ne pourrait être trouvée ailleurs que dans cette peur elle-même, mais retournée, invertie, à l’avantage de la nécessité de l’unité.

Puisque la peur de la dissolution de l’Amérique à cause d’une situation interne à l’Amérique avait mené ce pays au bord du gouffre, il faudrait, exactement comme on déclenche un contre-feu contre un incendie, susciter, fabriquer, manufacturer des peurs contre des dangers extérieurs suffisamment puissants pour qu’ils puissent menacer l’unité du pays, et alors ces peurs susciteraient un ciment d’unité contre ces menaces extérieures.

La “politique psychologique” de la direction US

C’est la “politique psychologique” qui fut mise en place, bientôt justifiant parallèlement la mise en place et le développement, que signale Van Buren, de l’État de Sécurité Nationale (National Security State), tout cela tout au long de la Guerre Froide après l’épreuve de la guerre qui avait lié irrémédiablement la survie et la renaissance du pays à la puissance militaire (fin de la Grande Dépression grâce à la production industrielle de guerre). Dans ce temps-là, effectivement, la peur avait une fonction extrêmement positive, sinon vitale, et se comprenait parallèlement à la nécessité d’un Ennemi extérieur qui la justifierait, et justifierait le développement d’une puissance sans équivalent (le Complexe Militaro-Industriel, etc.) ...

Ce souci constant qui est en fait une voie pour maintenir un sentiment collectif (la peur) était clairement compris par ceux qui en étaient les manipulateurs et les exécutants, et selon ce qu’en disaient certains, au meilleur des propos puisqu’il s’agissait effectivement de maintenir l’unité d’une “nation” (fausse-nation) perçue comme extrêmement fragile. Ainsi de ces amiraux de l’US Navy rencontrés par un témoin dont PhG rapporte l’expérience, un diplomate belge (JA) qu’il connut in illo tempore, avant que ce brave homme et homme de belle qualité ne nous quittât définitivement (voir Journal-dde.crisis du 9 novembre 2017) :

« Tout jeune diplomate à la fin des années 1950, JA était en attente de sa première affectation et il avait quelques mois à perdre. Le ministère lui transmit alors une offre du département d’État de faire une grande tournée dans le Pacifique, avec comme programme de visiter et de connaître l’implantation de l’US Navy dans cette zone si peu connue des Européens. JA passa donc un peu plus de deux mois, peut-être même trois mois, sur la côte Ouest des USA, à San Diego, puis dans le Pacifique et jusqu’au Japon, à Pearl Harbor où se tient le quartier général de la Flotte du Pacifique (IIème et VIIème Flotte), à Guam, à Okinawa, etc. JA rencontra une longue tripotée d’amiraux avec qui ils eut de longues discussions. [...]

» Il me confia bientôt ce qu’il avait retenu d’essentiel de son voyage, que je vais tenter de restituer en substance. “Il y a vraiment quelque chose à part chez ces amiraux de l’US Navy, qui tient de la culture, de la tradition, et aussi d’une grande connaissance de la politique la plus haute. Ils sont très conscients que leur immense puissance a au moins un but intérieur aussi important que le but extérieur de la sécurité nationale. Ils croient que l’Amérique est intérieurement très fragile et qu’elle a besoin de structures institutionnelles très fortes. Ils pensent que des armées puissantes, et particulièrement la Flotte, avec sa force symbolique et traditionnelle, constituent un ciment qui n’est pas inutile à cet égard. D’une façon générale, ils ne sont pas très optimistes, certes non, pas du tout optimistes sur le sort futur de l’Amérique, particulièrement sa cohésion, son unité…” »

La “peur-devenue-folle” de la crise postmoderne

D’une façon assez logique, à l’image de l’Amérique elle-même, de ses structures, de son pouvoir, de son hégémonie, de son influence, cette “politique psychologique” a, comme l’écrit Van Buren, “perdu le contrôle” de son objet. La peur manufacturée est devenue folle, comme tant d’autres choses, comme la perception, comme la politique, comme les narrative multiples, comme la manufacture de simulacres...

Désormais, il s’agit d’une peur qui a été profondément pénétrée par le désordre-chaos, non seulement de l’époque mais des USA eux-mêmes, pulvérisant toutes les normes élevées comme des barrières improvisées après le 11 septembre et parallèlement au fantastique développement de la communication. Désormais, l’on n’a plus peur de rien (!), y compris et surtout du côté des forces du Système, pour élaborer des simulacres absurdes producteurs de peurs qui le sont à mesure ; là où, il y a seulement -cinq ou six ans, toutes les voix officielles du Système dénonçaient le “complotisme”, on produit du complotisme comme nos usines produisent des 4x4 et Lockheed Martin des JSF/F-35 ; et, bien entendu, du “complotisme fou” (Russiagate, Corée du Nord, facho-trumpisme, immigration diluvienne, identité confrontée à sa dissolution, démence sociétale, etc.) pour produire des peurs complètement folles.

Peu importe ce qu’il peut y avoir de juste et ce qu’il y a de faux dans l'élaboration de ce “complotisme”-Système, l’essentiel est bien cette production de “peurs-devenues-folles”, ou “peurs pathologiques”, qui perpétuent et accélèrent les pathologies de la psychologies, fragmentent les populations, créent des tensions de guerre(s) civile(s) sans la nécessité de guerres. Le paradoxe presque bouffe, comme nous-même parlons de tragédie-bouffe, est que ce processus rejoint, par une sorte d’agitation hystérique, de révolution (retour à son point de départ que fait une ellipse) sous la forme d’une danse de Saint-Guy macabre, une tension déstructurante équivalente à celle qui existait en 1932-1933 ; et cette fois, il n’y aura pas de Roosevelt pour sauver l’esquif à la dérive, car même un Roosevelt n’y pourrait plus rien.

Certes, c’est là que nous différons avec Van Buren, essentiellement dans sa conclusion. Ces “peurs-devenues-folles“, ces peurs enfantées par le désordre et le simulacre ne créent pas des ennemis imaginaires devenant réels : on ne fabrique pas un Hitler et un parti nazi à la sauce postmoderne du jour au lendemain, sur des artifices de communication. Au contraire, il ne peut surgir de cela qu’un effet boule-de-neige, de plus en plus de “peurs-devenues-folles”, de plus en plus de désordre, d’absurdités de l’aspect-tragédie le cédant de plus en plus à l’aspect-bouffe. Si le jeune Lincoln avait raison en disant que l’Amérique ne peut mourir qu’en se suicidant, nous ajouterions qu’avec l’hystérie, le simulacre et la folie entourant toutes ces peurs préfabriquées et hors de contrôle, alors il s’agira d’un suicide-bouffe. Heidegger estimait justement que l’angoisse existentielle est naturellement le caractère essentiel de la psychologie humaine ; la “peur-devenue-folle”, la peur sans le moindre sens, la peur hystérique engendrée par le simulacre en est la caricature décisive, le caractère essentiel de la psychologie du “dernier homme” de Nietzsche. Il est bien plus rapide, le “dernier homme”, que la prévision nous l’annonçait (Nietzsche calculait deux-trois siècles.)

Tout se passe, comme disaient les éditos de la Pravda au bon temps du socialisme brejnévien, “selon le plan prévu”...

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