Les sanctions, ou l’isolement emprisonné

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Les sanctions, ou l’isolement emprisonné

Cela commence à se remarquer : aujourd’hui, Poutine et Xi tiennent le rôle que tenaient hier Thatcher et Reagan ; défenseurs du marché libre, de la libre concurrence, adversaire des protectionnismes sous-entendu “archaïques”, – bref, des globalistes comme on le notait dans notre texte du 26 mai 2018. Cela s’est vu, pour Poutine, particulièrement au Forum de Saint-Petersbourg (le SPIEF annuel, acronyme de son titre anglais).

 « Au deuxième jour du séminaire, le président russe Poutine a fait une communication en forme de grave avertissement, et il s’agit là d’un sujet bien plus sûr qui doit retenir toute notre attention. Le paradoxe, à ranger exactement au côté du paradoxe chinois, est que Poutine, comme Xi en d’autres circonstances, s’est affirmé comme un ardent défenseur du libre-échange mondial et de la libre concurrence. C’est-à-dire, pour les esprits simples en matière d’économie, comme sont les nôtres ici à dedefensa.org, que Poutine s’est fait “ardent défenseur” de ce qu’on a coutume de nommer “globalisation” (bien trop rapide cette identification, voir plus loin), toujours comme Xi et la Chine dans ces mêmes “autres circonstances”. »

Cette introduction permet surtout de s’ébahir de son contraire, – à savoir qu’en cette circonstance comme dans tant d’autres, les USA, ceux de Reagan, sont lancés dans un formidable processus de fermeture, de “protectionnisme” de la plus étrange des formes. (Parlons moins de Thatcher puisque UK est en train de suivre la voie, également étrange pour son compte, d’une sorte de dissolution, occupée à monter des fausses attaques chimiques comme succursale d’une CIA hallucinée par le Russiagate et à s’abîmer dans un activisme sociétal et multiethnique échevelés.)

C’est à cet égard, bien entendu, que l’interview de l’investisseur et financier indépendant Jim Rogers, au même SPIEF de la semaine dernière, est intéressant. Citoyen américain pur sucre, financier fameux et audacieux, pur produit de Wall Street sans les contraintes des grands établissements, mais résidant à Singapour, – et l’on comprend vite pourquoi... Durant cette interview dont on voit bien que l’intervieweur voulait l’entraîner sur des sujets divers par simple souci d'élargir l'information, Rogers ne cesse de revenir à un seul sujet : l’enfermement, l’isolement, l’auto-emprisonnement des USA dans sa folle “politique de la sanction”.

... Car si nous nous plaignons à juste titre de l’“impérialisme juridique”, ou “hégémonisme juridique“ des USA du fait des sanctions d’une part, de la positon encore dominante du dollar (pour combien de temps ?), tout cela permettant la pénalisation stupéfiante par les USA de sociétés étrangères pour leurs contacts avec des pays étrangers mais “sanctionnés” par les USA, il faut réaliser ce paradoxe suicidaire que les USA ont encore plus de raisons de s’en plaindre. C’est effectivement ce que Rogers ne cesse de répéter, absolument accablé par le comportement de son pays...

La “politique de la sanction” est devenue, aux USA, une sorte de chose-en-soi, d’essence bureaucratique et s’exerçant sur le terrain intraitable de la loi aux USA, une chose-en-soi, une entité au fonctionnement automatique irrésistible et qu’on jugerait inarrêtable et dans tous les cas incontrôlable. Cette entité de force est constituée d’un tissu épais sinon impénétrable dont les mailles sont constituées de forces diverses affectant des domaines très divers (agences, départements, lobbies et groupements d’intérêts, impératifs de communication, forces de conformisme, terrorisation de la psychologie, etc.). L’ensemble forme une sorte de prison absolument inviolable, une puissance que rien ne semble pouvoir investir et face à laquelle le pouvoir politique semble complètement impuissant : il en est soit le complice, soit le prisonnier, selon les circonstances et selon le jugement qu’on en a. 

Ce phénomène, dont les différents composants se sont développés indépendamment les uns des autres, – ce qui a empêché de distinguer la finalité de la dynamique, – s’est soudain constitué en une véritable entité, à une vitesse extraordinaire et sans que personne ait pu, ni même songer s’y opposer. Il semble même que fort peu d’esprits mesurent la gravité de cette situation, et il faut des entretiens parcellaires de personnages indépendants et hors du circuit washingtonien, et qui expérimentent les effets de cette situation, comme l’est un Jim Rogers, pour en prendre conscience.

On a décrit ce phénomène de ce point de vue inhabituel des USA, parce qu’il n’est nullement habituel de considérer que la “politique de sanction” est un handicap pour les USA. Le jugement courant, normal et d’ailleurs aussi bien compréhensible que justifié, est que cette “politique de la sanction” est vue essentiellement sinon exclusivement comme une arme exceptionnelle aux mains de la politique d’hégémonisme des USA, au nom du soi-disant exceptionnalisme de ce pays qui lui permettrait d’intervenir unilatéralement, illégalement, etc., contre des pays tiers, sans aucun respect ni le moindre souci de leurs souverainetés. 

Mais l’attitude et les observations de Rogers nous font réaliser pleinement ce que nous devinons plus ou moins à mesure que la situation apparaît dans toute sa structuration. La vérité-de-situation pourrait bien être en effet, que la “politique de sanction“ frappe d’abord, et très durement, les États-Unis eux-mêmes par les imbroglios juridiques qu’elle ne cesse de développer. Peut-être même pourrait-on avancer l’hypothèse que cette “politique de la sanction” frappe les États-Unis encore plus durement que les autres, ceux qu’elle est censée frapper comme les “amis” qu’elle frappe par effet indavertant.

C’est certainement l’avis de Rogers, qui estime par exemple que l’ouverture en cours vers la Corée du Nord, – qu’on imaginerait devenir une “proie” délectable pour le capitalisme américaniste si le “modèle libyen“ lui est épargné, – profitera essentiellement aux autres, et d’abord aux Russes et aux Chinois, les entrepreneurs US étant tous tenus par des contraintes de certaines sanctions qui, même en cas de “réconciliation”, resteront bureaucratiquement d’application (comme dans le cas de l’Iran après la signature du traité en 2015).

On a déjà vu comment cette “politique de la sanction” permettait de servir de protectionnisme-qui-ne-dit-pas-son-nom pour les USA, donc comme une sorte d’avantage pour les intérêts de cette puissance même si cette position donne aux USA une position paradoxale d’adversaire du libre-échange (de la “mondialisation” plutôt que de la “globalisation“). Mais il s’avère que ce “protectionnisme” dissimulé constitue également un “isolationnisme” qui, lui, travaille contre les intérêts des USA. Cet “isolationnisme“ n’est pas la position historique classique des USA, celui d’une puissance forte, sûre d’elle-même et auto-suffisante comme ce pays fut aux XIXème et au début du XXème siècle, mais celui accidentel et destructeur, d’une puissance en déclin sinon en cours d’effondrement que ses activités nihilistes isolent de plus en plus du reste du monde alors que les structures “globalisées”qyu'elle a elle-même imposées  nécessitent une coopération et un commerce intenses à tous les acteurs.

Cette prise de conscience que suscitent les constats d’un homme d’action du secteur financier international qu’est Rogers, accentue une situation général complètement paradoxale où la politique-Système développé principalement par les USA, où le comportement hypomaniaque-narcissique des élites (à l’image sinon à l’exemple de Trump), etc., ont plongé les relations internationales d’une façon générale dans un désordre complet et dans la plus complète incontrôlabilité. Ainsi observe-t-on tous ces points complètement contradictoires :

• La Chine et la Russie, deux pays dotés d’un gouvernement central fort, très attentives à la souveraineté, ayant conservé certains aspects de la discipline communiste, sont devenues les promoteurs les plus zélés du libre-échange et de la libre-concurrence.

• L’Europe-UE, complètement construite sur le néo-libéralisme et la doctrine économiste et commerciale qui va avec, liée en position de vassale d’une façon indécente, comme jamais vue dans l’Histoire à ce niveau de puissance, aux USA qui ne cessent de développer une “politique de sanction” ; laquelle politique ne cesse de restreindre le commerce et la concurrence et frappe autant sinon plus les alliés de l’Europe-UE que les cibles que sont l’Iran, la Russie, éventuellement la Chine, et tant d’autres.

• Le pays-souverain, qui se prétend l’“empire du monde”, inventeur et zélé partisan de la globalisation, imposant partout cette doctrine, qui se contracte en un emprisonnement bureaucratique et législatif imposant de plus en plus visiblement un isolationnisme qui se réduit à un isolement aberrant par rapport à ce que sont ses prétentions impériales et hégémonistes.

• Bref, le Système en action, en pleine surpuissance productrice d’autodestruction,ou comment transformer l’or en vil plomb ...

Jim Rogers, investisseur indépendant fameux, installé à Singapour, est interrogé par Sputink. L’interview, qui a paru le 28 mai 2018, a eu lieu en marge du SPIEF de Saint-Petersbourg, auquel bien sûr Rogers participait. Les sources officielles russes disent que tous les recoprds ont été battus à cette édition du SPIEF : 550 contrats passés par les participants pour plus de $38 milliards 

dedefensa.org

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« L’Amérique se ferme de plus en plus... »

Spoutnik :« Nous voyons de nouveaux développements avec les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord, nous voyons des annonces de politiciens, pour vous en tant qu’homme d'affaires quel genre d'impact cela a-t-il ? Dans une de vos entrevues, vous avez mentionné que vous vouliez faire affaire avec la Corée du Nord, à quel point cela est-il possible ? »

Jim Rogers : « J’aimerais investir en Corée du Nord mais c'est impossible pour les Américains ou pratiquement impossible pour les Américains. Cela signifie simplement que les Russes, les Chinois et d'autres personnes qui peuvent faire des affaires en Corée du Nord vont pouvoir saisir de belles opportunités. »

Spoutnik :« De quel genre d'entreprise s’agit-il ? »

Jim Rogers : « Tout ce que vous pouvez imaginer. Ils ont besoin de nappes, de savon, d'électricité, ils ont besoin de tout, tout ce que vous pouvez faire, vous pouvez faire fortune en Corée du Nord. »

Spoutnik :« Il y a une grosse délégation américaine au Forum économique de Saint-Pétersbourg et les organisateurs nous disent que, contrairement aux précédentes administrations américaines, cette fois-ci les responsables américains encouragent les PDG américains à participer à l'événement. Cela signifie-t-il que nous allons voir des changements dans les relations américano-russes, à la fois commerciales et politiques ? »

Jim Rogers : « J’espère que les relations iront mieux avec la Russie et les États-Unis. C'est de la folie, une folie que la Russie et les États-Unis ne soient pas amis, ils devraient l'être et devraient travailler ensemble. »

Spoutnik :« Quelles sont les principales tendances mondiales que nous voyons sur les marchés en ce moment ? Quelles sont les grandes choses à surveiller ? »

Jim Rogers : « Eh bien, malheureusement, je suis un citoyen américain et je vois que l’Amérique pousse la Chine et la Russie ensemble, l'Amérique pousse la Chine et l'Iran ensemble, l’Amérique pousse la Chine, l'Iran, la Russie ensemble et cela amène l’Amérique elle-même à se retirer de certains pays dans le monde. Je n'aime pas particulièrement ça parce que je suis Américain et que je veux voyager, investir et participer partout, et cela devient de plus en plus difficile pour les Américains. »

Spoutnik :« Mais il semble que vous passiez beaucoup de temps en Asie et que vous vous concentriez sur l'Asie : est-il possible de le faire dans d'autres pays d'Asie ? »

Jim Rogers : « Je vis à Singapour, donc je suis sûr qu'il y a beaucoup d'opportunités en Asie, pourtant il y en a de moins en moins pour l’Amérique parce que l'Amérique est en train de se quereller avec de plus en plus de pays. C’est aussi simple que ça. Le monde est grand et il reste beaucoup de choses à faire, et c’est une honte de voir l’Amérique s’interdire d’avoir des relations avec tant de pays. »

Spoutnik :« Est-ce principalement à cause de la réglementation ou y a-t-il autre chose en jeu ? »

Jim Rogers : « Règlements, sanctions, interdictions – tout ce que vous pouvez imaginer ! Il est pratiquement impossible pour un Américain de dire le mot Iran, si vous l’épelez ils vont vous mettre en prison, de même pour la Russie, cela devient de plus en plus difficile à cause des sanctions. La Chine, ce n’est pas encore à ce stade mais cela devient de plus en plus difficile. Ce n’est vraiment pas bon pour l'Amérique, ce n’est pas bon pour le monde. »

Spoutnik :« Ce n'est pas la première fois que vous participez au forum de Saint-Pétersbourg, quelles sont les sujets principaux que vous avez notés et quelles sont les choses à surveiller lors de cet événement ? »

Jim Rogers : « Ce que j'ai remarqué cette année, peut-être parce que je suis Américain, c'est qu'on parle beaucoup plus des sanctions, des guerres commerciales et d'autres choses de ce genre, des obstacles à l'économie mondiale. Je n'ai pas entendu parler dans ce sens les années précédentes, peut-être parce que cette tendance n'existait pas à ce point, pas de manière significative dans tous les cas ; même l'année dernière, tout le monde parlait de s’ouvrir de plus en plus, mais maintenant l’Amérique se ferme de plus en plus. »

Spoutnik :« Cela ne semble-t-il pas étrange que les États-Unis développent de plus en plus de réglementations et plus de restrictions et que d'autres pays demandent de plus en plus de liberté pour les marchés ? »

Jim Rogers : « Bien entendu ! L’Amérique est paraît-il “the land of the free” et nous sommes de moins en moins libres, je veux dire, vous en tant que Russe pouvez faire tout ce que vous voulez dans le monde. Je suis empêché de travailler dans de nombreux pays par les Américains, non par ces pays mais par les Américains. »

Spoutnik :« Y a-t-il une chance d'avoir un dialogue avec les politiciens ? Même ici, il y a des représentants du gouvernement américain au forum de cette année... »

Jim Rogers : « J’espère qu’il y a l’un ou l’autre qui en parle, qui essaie de dire quelque chose de constructif. Je ne vis plus aux États-Unis, alors c'est plus compliqué pour moi, mais j'espère qu’on parle de ce phénomène de fermeture et qu’on écoute. Mais jusqu'à présent, il me semble que personne n’écoute, et je vous dirais que je suis Américain et que je n'aime pas être empêcher de travailler avec d’autres pays par mon propre gouvernement. »

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