Le think tank qui monte et la prise du pouvoir par l'extrême-droite à Washington

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Le think tank qui monte et la prise du pouvoir par l'extrême-droite à Washington

L'extrême-droite idéologique américaine s'installe au pouvoir. Dans un texte publié le 17 décembre dans le Guardian, le journaliste britannique Julian Borger détaille depuis Washington la récente remise au secrétaire à la défense Donald Rumsfeld de la récompense annuelle (Keeper of the Flame) décernée par le Center of Securité Policy (CSP) de Frank Gaffney. L'événement a été signalé par Borger, àjuste titre, comme la célébration par l'extrême-droite idéologique de la sécurité nationale US de son installation aux principaux leviers de commande du pouvoir dans ce domaine de la sécurité nationale, au sein de l'administration GW Bush et essentiellement depuis l'attaque du 11 septembre.

Le CSP de Frank Gaffney est un institut d'étude stratégique de formation assez récente, soutenu par tout ce que l'establishment washingtonien compte de célébrité de la droite dure, ou de l'extrême-droite de la sécurité nationale. Rumsfeld fait partie du Board du CSP et est mentionné comme un donateur régulier. Gaffney milite depuis des années pour une politique budgétaire militaire renforcée et il s'est fait une spécialité de défendre le développement accéléré d'un réseau anti-missiles aux USA.

En vérité, GW est-il vraiment important ? Le groupe des radicaux et des neo-cons ne s'en soucie pas trop

Lors du dîner saluant Rumsfeld, tel que le rapporte Julian Borger, Gaffney a eu un mot significatif : « It's taken us 13 years to get here, but we've arrived. » Gaffney marquait ainsi de façon bien précise la descendance intellectuelle et l'inspiration du groupe, qui remontent précisément à l'administration Reagan (1980-1988), et l'intention très nettement exprimée de ce même groupe de reprendre le pouvoir qu'il avait perdu avec la fin de l'administration Reagan. (Bien sûr, tous ceux qui peuvent être assimilés à se groupe, comme Rumsfeld lui-même, ne viennent pas de l'administration Reagan. On parle ici, effectivement, de descendance et intellectuelle et d'inspiration.) Il n'est pas sûr que les Bush en général apprécient la phrase de Gaffney puisque cette chronologie implique in fine mais de façon indubitable que l'administration Bush père a “trahi” l'héritage Reagan, que cette administration fait partie de la “traversée du désert” pour des gens comme Gaffney. Bush père est considéré par les extrémistes de ce groupe comme un modéré, comme un “centriste”, comme l'homme qui a arrêté les forces américaines en février 1991 alors que celles-ci fonçaient vers Bagdad et n'auraient fait qu'une bouchée de pain de Saddam Hussein et de son régime.

D'autre part, cette déclaration, toujours elle (« It's taken us 13 years »), constitue une indication sérieuse : Gaffney ne prend pas de gants pour lancer une affirmation qui est une condamnation implicite de l'administration Bush-I, alors que la “prise de pouvoir” par la faction qu'il représente se fait sous l'auspice d'un autre Bush, Bush-II ou GW, et cela en présence et dans une occasion qui est en l'honneur d'un des principaux ministres de ce même GW.

C'est, de façon subtile mais convaincante, l'indication que les super-hawks ne s'embarrassent pas trop de la présence de GW, qu'ils semblent considérer ce président comme un point accessoire dans la situation du pouvoir qu'ils contrôlent aujourd'hui, — ce qui, au reste, pourrait être considéré comme assez proche de la réalité. D'une façon plus générale, on a une bonne appréciation de la confiance en eux et du triomphalisme qui sont aujourd'hui courants dans ces milieux extrémistes, particulièrement depuis l'issue heureuse des opérations en Afghanistan. Pour ces extrémistes, il ne fait aucun doute qu'ils ont investi le pouvoir, qu'ils le tiennent fermement et qu'ils ont un soutien populaire considérable pour le faire, une sorte de mandat, une sorte de légitimité populaire.

Bien qu'issu des années-Reagan, ce groupe représente une tendance bien plus radicale et plus puissante en termes de pouvoir que la tendance qui se manifestait dans l'administration Reagan, alors que nombre de membres de ce groupe s'y trouvaient eux-mêmes, notamment au Pentagone. La raison principale est que le groupe est resté rassemblé autour d'idées radicales et est resté très idéologique malgré la fin de la Guerre froide tandis que les modérés qui se trouvaient également dans l'administration Reagan (y compris Powell, qui fut conseiller du président pour la sécurité nationale sur la fin du mandat Reagan) se sont dispersés et/ou ne sont plus là, ou sont beaucoup plus mal placés pour faire contrepoids, sans réelle affirmation idéologique (tandis que les modérés actuels, ceux qui se sont affirmés durant l'époque Clinton, sont dans le même cas, eux aussi sans affirmation idéologique). Le cas de Powell est typique : dans l'administration Reagan (comme dans l'administration Bush-I, d'ailleurs), bien que beaucoup moins en vue que dans l'actuelle administration, son influence était finalement plus efficace et plus forte parce qu'elle s'exerçait sans souci d'un statut fondamental àdéfendre ; aujourd'hui, Powell est une vedette, sous le regard de tous, et il est naturellement conduit, pour protéger ce statut, à nuancer sa position, à faire des concessions au groupe radical des neo-cons pour qu'aucune attaque sérieuse ne soit portée contre sa position. (Le cas de Powell avec le Moyen-Orient est typique : tout le monde sait qu'il est partisan du processus de paix et de fortes pressions à appliquer sur les Israéliens ; mais sa position centrale dans l'administration, son statut très puissant qui implique une certaine expression de toutes les tendances au sein de l'administration, lui interdisent de soutenir cette position de façon trop affirmée et l'ont conduit ces derniers jours àexercer prioritairement des pressions sur un Arafat déjà très affaibli.)

L'avenir de l'extrême-droite idéologique au pouvoir : des difficultés après le triomphe et une situation intérieure de crise

Julian Borger cite John Pike, le chief analyst de la Lettre d'information en-ligne Global Security.com, qui affirme à propos de la campagne de l'Afghanistan : « This is the third significant military campaign, after Desert Storm and Kosovo, in which air power has been the decisive element and where casualties have been negligible. To the extent that the administration now can't tell the difference between a war and a firepower display, there is a greater temptation to resort to force. »

Cette affirmation a l'air effectivement d'être une mesure de l'avantage des radicaux extrémistes de l'administration Bush et autour d'elle, dans la mesure où tous ces gens sont évidemment des avocats passionnés de l'emploi de la force. Cet avantage n'est pourtant pas sans revers. Il pourrait même apparaître finalement comme l'esquisse de l'explication des problèmes qui attendent ces extrémistes.

Cette arrivée en force de l'extrême-droite idéologique au pouvoir n'implique pas, comme ce pourrait avoir été le cas en Europe dans une telle situation mais dans une autre époque, un risque de dérive fasciste. Nous ne sommes plus dans une époque propice au fascisme ou à la dictature, contrairement à ce que les propagandistes du système en place aiment parfois à faire croire pour orienter l'appréciation critique sur des “objectifs de déflection”.

Cette situation, conjoncturelle en Europe (l'époque propice au fascisme est historiquement passée), est structurelle aux USA. Dans ce pays, dans ses structures administratives, dans son absence de réel pouvoir régalien central et, au contraire, dans la diffusion du pouvoir entre les différents groupes de pression privés (les idéologues d'extrême-droite en forment un à cet égard, comme n'importe quel groupe d'industriels), dans les nécessités de l'économie et de l'organisation juridique, surtout dans les nécessités de la communication omniprésente aux USA, la liberté est un outil indispensable pour le bon fonctionnement des structures. Il ne s'agit certes pas, ici, d'une appréciation éthique, laudative, morale, etc, mais du constat technique que la liberté est un outil indispensable du système. (En d'autres termes et pour qu'on comprenne qu'il n'est pas question d'une appréciation laudative, cet présence nécessaire de la liberté ne garantit en rien la vertu du système ; par exemple, il apparaît évident, et le cas américain est exemplaire dès l'origine, que la liberté peut être utilisée pour la manipulation, la désinformation, la tromperie, etc, et c'est de plus en plus souvent le cas pour la communication qui joue un rôle essentiel dans le système.) Dans ce cadre, un système fasciste, qui exclut absolument la liberté comme outil du système qu'il met en place, est quasiment impossible à installer.

La présence de l'extrême-droite idéologique aux commandes à Washington a de grandes chances de permettre à cette faction de développer sa politique (une politique belliciste, certes). Parallèlement, elle va, dès la première occasion, exposer cette politique belliciste à un barrage de critiques venant d'autres groupes de pression et d'autres centres politiques momentanément écartés du pouvoir ou qui voient leur influence réduite. C'est une grande différence avec les expériences récentes de la Guerre du Golfe et du Kosovo, où ces politiques bellicistes étaient conduites par des groupes politiques modérés ; les groupes étaient attaqués (pour ne pas avoir assez poussé la politique belliciste) mais pas la politique belliciste. Cette fois, le groupe au pouvoir va être complètement identifié à cette politique belliciste et toute critique contre l'un de ces deux éléments rejaillira sur l'autre et l'affaiblira. S'il faut envisager des prolongements, en tenant compte du fait qu'aucune politique belliciste majeure (par exemple une grande opération contre l'Irak) ne bénéficiera plus de la “légitimité” dont a bénéficié l'opération en Afghanistan, on dira que la politique belliciste qui risque d'être développée par ce groupe d'extrême-droite risque également d'amener des tensions intérieures très graves, à Washington aussi bien qu'avec l'opinion publique, et cela selon les difficultés prévisibles que risque de rencontrer cette politique dans la réalité.

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