Désamour de Zemmour (2)

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Désamour de Zemmour (2)

Comprendre l’Histoire est une longue méditation sur les évènements de l’histoire. D’autant plus qu’écrite par le vainqueur, elle doit être une nourriture, un baume, voire un antidépresseur, pour la nation qui en subit les épreuves. Zemmour fait ingérer sa nourriture, applique le baume, fait avaler l’antidépresseur à une France ayant souffert sous Pétain et sous l’occupation, à une France qui s’est vengée ou a cru se venger de lui, à une France qui est bien obligée d’ouvrir ses placards pour en sortir quelques cadavres.

En 1945, il fallut bien écrire l’histoire telle que l’Histoire la livrait : une Allemagne que Laval auraient voulu victorieuse, écrabouillée ; une France libérée mais abimée ; une Russie glorifiée mais épuisée (Staline avouera 22 millions de morts, il y en eut plutôt entre 26 et 28) ; un Pcf aux ordres de Moscou mais adulé chez lui ; des Usa loués sans que leurs deux bombes atomiques sur le Japon eussent épouvanté le monde, tandis que les camps de concentration et d’extermination ne feront signe que bien plus tard. A un tel moment il n’y eut pas beaucoup de Français qui publiquement rendirent hommage à Pétain. Il avait collaboré. Il fallait le salir. Ses hommes étaient des "collabos", insulte suprême. A l’opposé, il fallait impérativement faire grandir l’aura de Gaulle, du Pcf, et bien sûr des Américains qui nous donnaient l’argent du plan Marshall. Zemmour dans les dix neuf pages de son Pétain rétablit non la "vérité historique" mais donne un autre aperçu de la période de l’entre-deux guerres et de l’aventure du maréchal qui semble en être le couronnement. La difficulté pour l’historien qui traite de l’histoire contemporaine dans laquelle il est impliqué, surgit lorsque il comprend qu’il doit s’extraire de son cocon familial et social pour sinon embrasser, du moins regarder avec la plus grande neutralité possible, ceux d’en face. C’est là que Zemmour porte le fer. Sa démarche est originale en ce qu’issu d’un milieu étranger, déraciné, ayant fait allégeance à sa nouvelle patrie, il se veut plus patriote que le patriote, plus français que le Français mais déraciné socialement aussi puisque sa famille réussit son intégration. Sa mère porte des mini-jupes, son père devient entrepreneur indépendant, donc libéral, pas socialiste, pas communiste. Eric –et non Nathan ou David, – n’oublie lui pas que s’il vient du peuple juif, que c’est pas des Rothschild qu’il descend, mais du petit peuple. Il n’est donc pas anticommuniste, se frotte de marxisme, et finit populiste. Après avoir lu et annoté son livre, la question reste pour moi : jusqu’où son populisme est-il amour de la France? Pas de la France territoire, pas de la France nation politique depuis 1789, mais de la France Éternelle. La France mythique un peu à la manière du mythique peuple juif.

Être juif originaire de Berbèrie lui donne un œil plus "haut" que le mien, plus acéré. Français "de souche" issu d’un milieu paysan et ouvrier, je peux très bien me dire populiste aussi mais le sien est-il le mien ? Honni il y a peu, le mot devient à la mode grâce à Zemmour qui le revendique publiquement. Piocher "son Pétain" représentait pour moi, eu égard à ma famille de pensée, un défi. Je n’avais entendu de lui que du mal, ou plutôt une absence radicale de bien. Mes héros à vingt ans étaient les FFI, ceux de la rose et du réséda. De Gaulle un bourgeois insipide. De plus, mes professeurs à l’université étaient de strictsrépublicains surtout après le "Chagrin et la Pitié" sorti en 1971, année de ma licence d’histoire. La doxa régnait sans contestation. L’université était de gauche et massivement marxiste. Tenter l’agrégation sans avoir lu le Capital et les œuvres complètes de Lénine, était risqué.

Mais revoyons avec Z les deux hommes. Ils sont complémentaires. Tous deux bourgeois, catholiques, militaires, se connaissent suffisamment et, avant mai 40, ont du respect l’un pour l’autre. Après, c’est une question de tempérament, de caractère sans oublier que le propre du militaire est le pragmatisme. L’homme est de terrain pas d’idéologie. Les disputes de savoir si l’offensive vaut mieux que la défensive c’est secondaire quand on est sur le champ de bataille truffé de tranchées ou à la tête d’une colonne de chars. Mais cette complémentarité, cet air de famille, ne me dit guère ce qui va sceller le destin de Pétain et a fait l’objet de vastes réflexions : comment est-on passé de la Drôle de guerre– septembre 39-mai 40 – soit 9 mois à une Etrange défaiteen dix jours. Personne n’en a fait la description exacte, jour après jour, sur le terrain. Marc Bloch donne des précisions sur des mouvements et sur l’état d’esprit de certains généraux, mais pas de carte. Quelqu’un va-t-il un jour la dresser cette carte jour par jour pour savoir comment les unités françaises ont reculé, ont perdu de vue l’ensemble et comment les unités allemandes se trouvaient toujours là où elles n’auraient pas dû être. Si Charles y fut à un moment actif et vainqueur, Philippe voyait ça de loin, mais de quel loin ? Qu’a-t-il pensé au jour-le-jour de ces dix jours ? On aimerait savoir. On aimerait que l’agent Zemmour poursuive sa secrète investigation des pensées pétainiennes plus loin.

Il s’étend davantage sur le double jeu de l’Angleterre qui après avoir agréé Munich, en espérant sans le dire que le Führer se retourne contre l’Urss, laissera la Pologne interdire aux Russes leur sol et forcera la France à déclarer la guerre après elle, pour… finalement rester l’arme au pied ! C’est l’arrêt devant Dunkerque, la tentative d’Hitler de négocier avec l’Anglais qui a dû à juste titre irriter Pétain pendant que le sauvetage de 300 000 british avec armes et bagages dans la poche de Dunkerque, nous incombait avec à la clé un million de prisonniers. Pas fou, il comprit qu’Angles et Saxons allaient forcément s’entendre sur le dos du petit Franc toujours dindon de la farce des deux faux-frères ennemis. Autant alors cesser le feu et voir comment Churchill se débrouillerait. Jusque là, où est la trahison ? C’est du pragmatisme. Sauver ce qui peut l’être. Tout le reste en découle. Notamment le "statut des Juifs" qui n’est pas imposé par l’Allemand mais bien français. Qui les aimait les Juifs alors ? Eux et les francs-maçons étaient non grata chez les élites catholiques françaises. Les avoir relégués ne traumatisa pas les foules. Et pourtant les Juifs français furent bien protégés par Pétain même si la thèse en hérisse plus d’un. L’antisémitisme était répandu dans les couches profondes de la société. Céline l’avait condensé en dynamite en 1937, Pétain n’eut qu’à allumer la mèche en 1940. Les deux sont diabolisés, Céline encore récemment, parce que nos élites se sont révélées peu à peu sionistes après le départ de Gaulle en 1969 et veulent qu’on le devienne. Un grand écrivain est forcément pamphlétaire, Z en est la preuve. Son travail est de faire que se consument les mots (et les maux) qui grouillent au sein du peuple. Le politique lui, serait plutôt pompier pyromane. Mais ça c’est moi qui l’affirme pas Zemmour. Réunir Céline et Pétain pourrait constituer une thèse de recherche à condition d’avoir le recul et la profondeur nécessaire, chose qui n’est pas l’apanage de nos élites actuelles. La première chose à faire est donc de lire Zemmour le crayon à la main et d’inviter le lecteur à voir la vidéode Stéphane Zagdanski sur Céline, donc sur les Juifs, tout en ayant à l’esprit cette phrase de Fabrice Hadjadj : "Zemmour est un juif dont le catholicisme est aussi brûlant que celui des grands mystiques espagnols". Sauf que des Juifs déguisés en catholiques, voire en musulmans, ça a existé et il est probable ça existe toujours. N’est-ce pas monsieur Lustiger ?

Marc Gébelin

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