Censure douce-inquiète

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Censure douce-inquiète

Depuis la fin septembre (le 27), l’économiste souverainiste de gauche Jacques Sapir a été exclu, – on dit officiellement “suspendu” de son “carnet” (blog) nommé RussEurope. Sapir a bien entendu trouvé à se reloger mais il aspire essentiellement à se voir réintégré là où se trouvait sa place. On prend connaissance des divers détails de cette aventure, ainsi que des péripéties des censeurs autant que de la victime de cette censure dans le texte ci-dessous, de Edouard Chanot, publié sur Spoutnik-français. Nous avons choisi ce site pour nous mettre à l’unisson des autorités ayant pris cette mesure contre Sapir, qui affirment qu’il n’y a pas de censure ; chez nous, non plus, et, dans cet esprit-là, si républicain et laïc, va pour Spoutnik-français.

Cette action prise contre Sapir, qui développe des commentaires dont le ton modéré, la rigueur scientifique, etc., ne dissimulent pas qu’ils sont heureusement et fermement antiSystème, n’est en aucun cas une surprise dans notre chef ; la surprise serait plutôt sur le long terme en arrière de nous : “Comment n’a-t-il pas été ‘exclu’ avant ?” RussEurope est hébergé par le serveur Hypothèses, d’une impeccable rectitude académique : appartenant à Open Edition (en français dans le texte), rattaché au CNRS, à l’EHESS et à l’Université Aix-Marseille. Dans de telles conditions et considérant les positions et penchants des uns et des autres, l’acte de censur, est du type “censure douce”. (Car il y effectivement censure : dès lors qu'ils disent qu'il n'y a pas, il suffit de faire inversion pour être assuré qu'il y a...) Dans le titre, nous avons précisé : “censure douce-inquiète” car c’est bien cela : Sapir a fini par les “inquiéter” avec ses analyses indépendantes, et ils sont également “inquiets” des répercussions de leur geste…

(A cela, on ajoutera des considérations “humaines, trop humaines” d’autant plus courantes dans les milieux du mandarinat scientifique qu’on affecte de n’en pas être affecté, comme par exemple la jalousie des collègues bienveillants dont les citoyens avisés sont bien peu nombreux à visiter les sites.)

D’une façon générale, à chaque affaire de cette sorte qui marque bien la volonté de censure du Système face à la presse et à l’action antiSystème, on ressent cette absence de volonté décisive et furieuse des censeurs. Le Système reste pris dans cette contradiction fondamentale d’être appuyé sur des principes fondamentaux de liberté qu’il est sans cesse obligés de menacer puis de violer avec plus ou moins d’efficacité pour tenter d’empêcher son opposition de se manifester. Le Système est prisonnier de la contradiction fondamentale entre l’étiquette et l’apparence fringante de son “libéralisme” progressiste-sociétal, et la radicalité extrémiste de son action entraînant une résistance de même intensité.

Le texte ci-dessous, de Spoutnik-français, est de Edouard Chanot, le 5 octobre 2017. (Le titre initial, « Jacques Sapir : “Mon carnet suscitait la jalousie de certains collègues” », a été modifié pour des raisons techniques.)

dde.org

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Sapir et la jalousie des collègues…

Le blog de Jacques Sapir a été suspendu. L’Universitaire et expert de la Russie est accusé d’en avoir fait une « tribune politique partisane ». Depuis, internautes et universitaires se mobilisent. Cela va-t-il porter ses fruits ?

« Il faut faire pression sur Hypothèses » déclarait l'universitaire Jacques Sapir le 27 septembre. Une semaine après, cette pression s'est fait sentir : le monde universitaire s'est mobilisé: « Des professeurs français, italiens, allemands, britanniques, tunisiens, mexicains, espagnols, russes ou au-delà » se sont ajoutés aux nombreux lecteurs de Jacques Sapir. Marin Dacos, le directeur du Centre pour l'Education Electronique Ouverte, s'est dit « fatigué » des 600 messages reçus à ce sujet. « Les gens, quoi qu'ils puissent penser des notes qui se trouvaient sur mon carnet, sont absolument scandalisés », rapporte Jacques Sapir.

Une décision politique ?

La querelle entre science et Cité n'est pas neuve, mais la tour d'ivoire universitaire n'en est pas moins secouée par cette petite affaire. A l'origine, Hypothèses entendait distinguer une « production scientifique » d'une « tribune politique ». Appartenant à Open Edition et rattaché au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et à l'Université Aix-Marseille, ce serveur compte près de 2400 blogs dits « scientifiques ».

Les critiques de Jacques Sapir, notamment à l'encontre d'Emmanuel Macron, trop « politiques », auraient été de trop dans le paysage. Le conseil scientifique l'a donc banni à l'unanimité, retirant ses droits d'accès. Mais cette décision n'était-elle pas en elle-même éminemment politique ? L'accusation de « politisation » semble s'être retournée contre les accusateurs, débordés par la polémique qu'ils ont fait naître. Alors, censure inquiétante ou mesure de sûreté scientifique?

Un « fan-club » complotiste et injurieux ?

« Effectivement, Sapir n'est pas le seul à émettre des opinions politiques sur un carnet d'Hypothèses », admet le membre du Conseil Sylvain Piron, avant d'ajouter : « L’un des carnets ouverts dans la première année d'existence de la plateforme, en 2008, avait pour objectif central de contester l'action du gouvernement… je ne me suis pas privé de critiquer personnellement Nicolas Sarkozy ». Le problème serait donc ailleurs : « De tous les carnets hébergés, Sapir est le seul qui pratiquait l'invective, la diffamation, l'insulte, l'appel au meurtre ». Diantre.

« Que l'on me cite une phrase, une seule ! » s'exclame l'intéressé au sujet d'une polémique datant de 2014, ayant vu l'ancien Ministre de l'économie Pierre Moscovici l'accuser d'être « d'extrême-droite ». Et l'appel au meurtre ? « J'ai écrit au sujet de M. Samuel Laurent [du Decodex du Monde, ndlr] », concède toutefois Jacques Sapir: « Que je l'inviterai bien à prendre un verre, pour la publicité qu'il m'avait faite, mais que je lui casserai peut-être la bouteille sur la tête ».

« Il était évident que c'était une plaisanterie » doit-il patiemment expliquer : « La qualifier d'appel au meurtre relève de la plus parfaite mauvaise foi ». Mais qui sait : peut-être les universitaires d'Hypothèses exigent-ils, en sus du divorce entre la science et la politique, un divorce entre la science et l'humour?

Olivier Ertzscheid, maître de conférences en Sciences de l'information à l'IUT de La Roche-sur-Yon, accuse aussi Jacques Sapir, n'hésitant pas à lui reprocher le comportement, selon ses termes, de son « fan-club », jugé « souvent complotiste et injurieux » et « globalement usant ». Ni une ni deux, voilà Jacques Sapir, professeur à l'EHESS, amalgamé aux complotistes. « Je ne suis pas un chanteur de rock ! » s'exaspère-t-il.

Les soutiens académiques apprécieront : « Dernièrement, c'est toute l'équipe de direction de l'Institut de prévision (Moscou) qui m'a envoyé un texte de soutien », rapporte Jacques Sapir, touché par leur geste. Selon ses auteurs, il est impossible de mener des recherches sociales sans tenir compte de politiques publiques, qu'elles soient économiques, sociales ou internationales. En définitive, cette polémique révélerait l'absurdité d'une maison d'édition se voulant « ouverte » mais qui semble… se fermer.

Et après ?

« Rien n'indiquait qu'une mesure aussi extrême se préparait », se désole Jacques Sapir, regrettant cette « pression » lui interdisant d'alimenter son blog. Mais d'où le coup est-il parti? « Je savais, depuis 2014, que mon carnet suscitait la jalousie de certains collègues ». Aujourd'hui, bien des questions restent sans réponse: « je suis dans l'incapacité de mettre un nom sur un ‘responsable' potentiel, si ce n'est sur Monsieur Marin Dacos », accuse-t-il avant de relativiser: « mais ce dernier n'a fait qu'agir au nom d'autres personnes ». Le nom d'Alain Beretz, supérieur de Dacos au Ministère de l'enseignement supérieur, circulerait.

« Le fait qu'ils aient décidé une ‘suspension' de mon carnet montre d'ailleurs qu'ils se laissent la possibilité de faire machine arrière », espère Jacques Sapir : « Je maintiens ma demande: que la possibilité de publier sur RussEurope me soit rendue  ». Pour l'instant, celui-ci a pu créer un blog de secours, RussEurope-en-Exil, hébergé par Olivier Berruyer sur Les-Crises.fr. Mais, « comme tout exilé », Jacques Sapir n'aspire « qu'à une chose »: retrouver sa maison…

Edouard Chanot

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