La crise des relations USA-Arabie : de l'isolationnisme pur jus

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La crise des relations USA-Arabie : de l'isolationnisme pur jus

Diverses indications montrent qu'on se trouve aujourd'hui dans un processus très sérieux d'évolution des relations entre les USA et l'Arabie Saoudite. Une dépêche de l'agence Reuters donne, le 16 janvier, des détails sur différents éléments survenus ces derniers jours. On reproduit ci-dessous un extrait de cette dépêche.

« U.S. and Saudi officials trying to salvage a long friendship strained by the Sept. 11 attacks pledged Wednesday to work together against what they called bad media publicity in both countries.

» ``We in the kingdom are certain that any questioning of the depth and strength of our relationship is short-lived because this friendship is based on common interests and shared goals,'' Saudi National Economy Minister Ibrahim al-Assaf said. Assaf was speaking at a meeting of the U.S.-Saudi Business Council. It coincided with a visit by U.S. assistant secretary of state for political and military affairs Lincoln Bloomfield to discuss the U.S. military presence in the oil-rich kingdom. ``He is here for consultations with the Saudi government to review our presence here and to discuss what we need and what we don't need,'' U.S. ambassador Robert Jordan told reporters.

» The New York Times said Wednesday that senior officials in Congress and the Pentagon had called for the pullout of U.S. forces from Saudi Arabia because of what they see as the kingdom's tepid support for the U.S. ``war on terrorism'' and restrictions on American military operations. Asked if Washington was considering a pullout, Jordan said: ''We were going to reduce our troops after the (1991) Gulf War anyway.'' He did not elaborate. »

Parmi les personnalités politiques qui demandent un retrait, on trouve le sénateur démocrate Carl Levin, président de la commission des forces armées du Sénat. Les arguments de Levin sont surtout d'ordre ethique et culturel (appréciation critique du régime saoudien, traitement selon les coutumes musulmanes imposé aux femmes américaines, notamment celles qui font partie des forces armées US stationnées en Arabie). Mais il y a également les soupçons entretenus par les Américains de liens des Saoudiens avec les Islamistes.

La question de l'importance de l'Arabie pour l'approvisionnement en pétrole semble ne plus être aujourd'hui perçue comme absolument essentielle par les Américains, dans tous les cas par une partie grandissante de leurs analystes. On peut citer une analyse de Ted Gallen Carpenter et de Jerry Taylor, du CATO Institute, qui résume bien les arguments tendant à démontrer, du point de vue de cette nouvelle école d'analystes US, pourquoi l'Arabie n'est pas essentielle pour l'approvisionnement en pétrole. L'analyse de Carpenter et de Taylor avance l'idée, au demeurant assez fondée, que la menace de l'embargo est un mythe parce que les producteurs de pétrole apprécient leurs capacités en termes économiques et en termes de marché ; par conséquent, tant que la demande et la production existent, le marché fonctionne. Par conséquent, le caractère absolument prioritaire de l'alliance avec l'Arabie n'est pas justifié.

L'évolution américaine paraît être sérieuse. Elle suscite d'ores et déjà plusieurs remarques, qu'on fera en ayant à l'esprit que ce qui se passe aujourd'hui à propos de l'alliance US avec l'Arabie est, effectivement, suffisamment sérieux pour faire désormais accepter la possibilité d'une rupture de cette alliance.

1). Si la question de l'embargo est un mythe, si la crainte d'un embargo ne justifie plus une présence militaire US en Arabie, que penser des théories qui tendent à expliquer au moins l'implantation militaire massive US en Asie Centrale, voire la guerre en Afghanistan elle-même, par la même idée de protéger les sources d'approvisionnement en énergie de cette région ? Ce qui ne vaut plus là, dans le cas de l'Arabie qui reste, et de loin, la première réserve de pétrole du monde, ne peut valoir ici, dans le cas de l'Asie Centrale. On en conclura que cette implantation massive en Asie centrale est plutôt le fruit, d'une part d'une mécanique bureaucratique d'expansion, et d'autre part des pressions des sociétés pétrolières pour obtenir le soutien d'une présence militaire qui les aiderait à obtenir les marchés de la région.

2). Il apparaît clairement que les références classiques (intérêts économiques et intérêts stratégiques classiques) le cèdent désormais, dans les priorités américaines, à des références nouvelles, dont la principale est celle des liens des pays extérieurs avec le terrorisme. Cela confirme une évolution décisive de la diplomatie US au lendemain du 11 septembre.

3). Dans sa forme, la stratégie US est, aujourd'hui, totalement unilatéraliste, avec comme seule attache stratégique extérieure les liens avec Israël, véritable 51e État de l'Union plus qu'une alliance en soi. Il n'y a plus d'alliance privilégiée puisque les Américains envisagent de réduire, voire de sacrifier à un terme un peu plus long, une alliance qui n'avait jamais été mise en cause depuis 1945. Cette évolution de l'attitude américaine vis-à-vis de l'Arabie devrait servir d'exemple, ou d'avertissement, aux Européens : il n'y a plus d'alliance ni d'engagement sacré pour les Américains.

4). Sur le même thème qu'au point précédent mais sur l'aspect de sa fonction, on notera que la stratégie US est désormais toute entière articulée autour des liens avec Israël, pour la lutte anti-terroriste. (Effectivement, l'effacement de l'alliance entre Washington et Riad ne peut que satisfaire Israël et accentuer à fond la coopération USA-Israël.) Encore plus qu'un unilatéralisme US, par ailleurs évident dans la forme de la stratégie, il s'agit de néo-isolationnisme, avec une tête de pont privilégiée (Israël), des déploiements de force partout où les intérêts du complexe militaro-industriels sont engagés, et aucune alliance politique qui ait encore une priorité absolue (donc aucun engagement politique contraignant). Ces traits rejoignent la définition de l'isolationnisme, selon le discours de Washington en 1797, — avec l'étiquette “néo” pour marquer l'adaptation du concept aux conditions du monde moderne.